Tome II - Chapitre quatrième

L'heure du déjeuner sonne enfin et les portes des cellules s'ouvrent. Je sautille dans ma cellule comme un boxeur qui s'apprête à mettre la pâtée à son adversaire sur le ring. Ma porte s'ouvre et j'en sors, dans une attitude sereine. Je prends un air normal, pour bien qu'on ne soupçonne pas mon plan une fois arrivée à la cafétéria.

En bas, je file au stand d'Iori. Je tape sur le grillage et il s'élève. Quand Iori me voit, elle adopte un air comme si elle ressentait la douleur que j'ai traversée.

_ Qu'est-ce qu'il t'est arrivé, ma p'tite ?, me demande Iori en examinant mon visage de près.

_ Deux gardes et ce connard de Xavier me sont tombés dessus en pleine nuit.

_ Sérieux ? Oh, les voyous !, dit-elle en regardant derrière moi la foule qui s'agrandit. Tu comptes faire quoi ?

_ Arranger le portrait de Xavier et essayer d'en faire de même avec ces deux autres gardiens. J'aurais une question, tu as des plateaux en fer ou autre ?

Elle lève son index pour me demander d'attendre. Elle va plus loin et revient avec un plateau métallique de la même taille que ceux de d'habitude.

_ Qu'est-ce que tu veux manger ?, m'interroge-t-elle en posant le plateau sur le comptoir.

_ Qu'est-ce que tu as à me proposer ?

_ Pâtes ou un truc ignoble, tu le regardes, tu as des nausées.

_ Je vais prendre les pâtes, alors.

Pendant qu'Iori me serre, je regarde la foule en cherchant Xavier du regard. Mais je ne le trouve pas. Je ne vois que Turner, au fond. Il est accompagné d'une dizaine de gardes. Celui que j'ai frappé lors de mon premier jour ici n'y est pas. Tant mieux !

Une silhouette attire mon œil. Jared vient de toucher le sol. Il se dirige dans une file d'attente et patiente pour manger.

Un bruit métallique me vient aux oreilles et je surprends Iori déposant tout dans mon plateau.

_ Bon appétit, ma belle.

_ Merci Iori.

Je prends mon repas et remarque que je suis la première à m'installer pour déjeuner, à la même table depuis mon arrivée. Je pose mon plateau et m'assois. Je commence à piquer dans mon assiette avec une fourchette en métal aussi. En inspectant mon plateau, je me rends compte que tout est en métal, même le verre. Je lance un regard amusé vers Iori, qui lève ses deux pouces en l'air en me souriant, confiante.

Les tables commencent à se remplir et je m'arrête de manger quand j'entends un rire. Je lève la tête et remarque que Xavier est en train de se tordre de rire avec des amis à lui. Dan, à côté de lui, le regarde et secoue la tête comme un signe de résignation.

Il ne paie rien pour attendre.

Tandis que ma haine gronde comme le feu crépitant d'un loup enflammé, je finis vite mon assiette pour assouvir ma vengeance. Je vide mon verre et dépose tout ce qu'il y a dans mon plateau sur le côté pour le libérer de ces poids. Je ne me presse pas tellement. Je « savoure » serait plus politiquement correct.

Je lance un regard vers Turner, qui me le rend. Il me fait un signe de tête comme quoi je peux y aller.

Je me lève de ma chaise et prends seulement le plateau. Je passe entre les groupes et m'avance d'un pas précipité vers Xavier. Il continue de rire comme un idiot. Tu riras moins quand tu embrasseras mon plateau, tu verras.

Je suis à peine à dix mètres de lui.

_ Hey Xavier ?, crie-je assez fort pour qu'il m'entende.

Il balance sa tête vers moi, toujours avec ce sourire sadique aux lèvres. Ni une, ni deux, mes doigts enfoncent le métal au milieu de mes paumes et mes poignets font un revers. Le plateau part s'encastrer dans sa joue, faisant tomber Xavier au sol, à plat ventre.

Je jette le plateau au loin et le regarde.

_ Alors, ça te plait de battre une fille à trois contre un ?

Xavier crache du sang. Ça lui apprendra !

Il se relève d'un coup pour riposter mais un bruit qui va crescendo siffle juste à côté de son oreille. Turner le vise avec son arme, comme tous les autres gardiens.

_ Je ne la toucherais pas, si j'étais toi.

Xavier lève les mains mais sa voix se fait dure et agacée.

_ Vous croyez que vous me faites peur ? Je peux aller discuter avec vos autres amis, si cela vous plait !

_ Etant donné que je suis le plus haut gradé dans cette prison et que tes « amis » se sont faits exécutés, ça va être compliqué !

Je regarde Turner avec de grands yeux. Alors comme ça, il m'a caché ça ? Xavier, lui, n'a pas l'air d'apprécier la nouvelle. Il me regarde avec des yeux menaçants à souhait. Je lui souris d'un même air et me retourne sur l'assemblée qui s'est regroupée autour de nous.

_ Je suis Nam Odiel. Oui, je suis la fille de ce type qui vous a tous mis au trou ! Mais je ne suis pas comme lui ! Je suis pire ! Alors celui qui m'approche avec de mauvaises intentions ne perdra pas une dent ou une main ! Pour les plus curieux, je suis dans la dernière cellule avant la section C ! A bon entendeur !

Mes yeux scrutent chaque personne qui m'entoure. Je m'éloigne du cercle qui s'est formé autour de moi et m'en vais vers les escaliers. Les gens s'écartent machinalement pour me laisser passer, comme un caillou au milieu d'une rivière. Avant de monter dans les escaliers, je croise les applaudissements sourds d'Iori. Je lui souris et monte les escaliers jusqu'à me terrer dans ma cellule.

Je pousse la porte de ma cage et pars m'asseoir sur ma couchette, un sourire béat aux lèvres. Je ne sais pas pourquoi mais c'est la première fois que j'ai cette sensation que la chance va tourner.

Mais bien sûr, quelqu'un a décidé d'éclater ma bulle.

_ Tu as fait grande impression, en bas !

Je regarde mon interlocuteur et feigne la surprise en le voyant.

_ Tiens ! Bonjour Jared !, dis-je à moitié étonnée.

_ J'ai réfléchis à ta proposition.

Je le regarde plus sérieusement et il place son avant-bras sur les barreaux de ma cellule.

_ Je marche.

Je me lève et m'approche de lui. Je ne pensais pas qu'il accepterait si vite.

_ Et pourquoi ?

_ Je veux me barrer d'ici, avoue-t-il avant de marquer une pause. Et puis, on a tous les deux un père qui a oublié de lire le manuel parental, n'est-ce pas ?

Je ris timidement et m'adosse à mon armoire.

_ Alors, c'est quoi ton plan ?, continue-t-il.

Je ménage un peu mon suspens.

_ Tu connais les émerides ?

Il me regarde incrédule et se redresse aussitôt.

_ Tu veux participer aux duels ? T'es suicidaire ?

_ Non, juste que je ne crois pas aux coïncidences.

Il fronce les sourcils et me dit que c'est de la folie.

_ Ecoute, d'après ce que Turner m'a dit, si tu gagnes ces combats, tu as un ticket de sortie pour t'enfuir de ce trou à rats !

_ Tu sais ce qu'il arrive aux gens qui y participent ? Ils meurent ! Plus personnes ne veut y participer depuis des années ! Les gens préfèrent rester dans ce trou à rats, comme tu dis, plutôt que de tenter leur chance et de finir en charpie !

_ Tu veux rester un rat et vivre toute ta vie dans ce labyrinthe, oui ou non ?

Il s'intéresse au sol et se balance d'un pied sur l'autre.

_ Non.

Je souris en voyant qu'il est de mon côté et qu'il est un battant, comme moi. J'ai enfin trouvé quelqu'un qui me ressemble.

_ Tu sais, ça va te paraître dingue mais j'ai rêvé que je participais à ces combats. Pendant ces derniers jours, j'ai fait quatre rêves où je me retrouvais en duel avec un humanoïde qui ressemblait à une femme. Et à chaque fois, j'ai été tuée. Elles me disaient que j'allais perdre, ou mourir. Sauf que c'étaient des rêves. Pas la réalité. Tu comprends pourquoi je veux y participer ?

Jared lève les yeux vers moi et regarde autour de lui avant de croiser ses bras sur la grille et de poser son front sur ses poignets.

_ Tu es sûre que c'est une bonne idée ?

_ Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.

La sonnerie de la fin du déjeuner retentit et nous entendons déjà des personnes remonter les marches.

_ Ok.

_ Quoi ?, demandé-je pour être sûre d'avoir bien entendu.

_ Ok. Je te suivrai sur ce coup-là.

Je souris en voyant que nous allons faire équipe. Au fond de moi, je suis un peu plus que confiante qu'avant vis-à-vis de ces face-à-face.

_ Ils vont faire l'annonce demain. On doit dire si on y participe ou pas, le jour suivant. On dira oui, Jared.

Il fait oui de la tête et s'écarte de la grille.

_ On se voit au dîner.

_ A tout à l'heure.

Il tourne les talons, alors que d'autres personnes montent, dont Xavier qui se tient la mâchoire à l'aide d'une poche de glace. Turner arrive et se poste à côté de la porte de ma cellule.

_ J'ai trouvé quelqu'un qui veut s'enfuir aussi. Il participera aux duels avec moi.

Turner me regarde avec un air étonné. Même plus qu'étonné. Tétanisé ?

_ Qui ?

_ Jared, le type au pic à glace.

Turner laisse tomber ses bras en signe d'abandon et plante ses yeux dans les miens.

_ Si on vous protège, ce n'est pas pour faire ami-ami avec l'un des types les plus dangereux de cette prison, Nam !

_ On a la même histoire, lui et moi. On a tous les deux envie de sortir et on a tous les deux un père qu'on aurait aimé ne pas avoir. On n'a plus rien à perdre, lui et moi. On n'a que ça comme option. Et de toute façon, pour ma part, même si je suis dehors, je mourrai quand même.

_ Vous êtes sûre que vous voulez participer ? On pourrait attendre un plan de Gio et aviser en fonction de...

_ Turner, j'ai échappé à bien des choses. Ce ne sont pas des émerides qui vont me faire peur, je vous rassure.

Je voudrais lui dire tout ce que j'ai pu vivre avant d'atterrir ici mais je me ravise à la dernière minute. Il n'a pas besoin de le savoir. Je sais qui je suis et ce dont je suis capable. Et ça me suffit.

La journée est passée lentement. Alors, pour m'occuper, j'ai fait de l'exercice. Mes blessures ne sont pas encore totalement remises mais je me dis que ça va passer vite. Et puis, la douleur s'est atténuée depuis. Je vais de mieux en mieux chaque jour.

Le soir, au dîner, j'attends Jared à ma cellule pour descendre avec lui. Une fois côtes à côtes, nous descendons ensemble et je pars vers le stand de mon amie.

_ Ne va pas par-là, m'arrête-t-il.

Je me retourne vers lui et lui demande pourquoi. Il me répond qu'Iori est une traitre parce qu'elle est de la Cité Noire.

_ La Cité Noire ?

_ C'est le nom que l'on donne à Acropolis, ici.

_ Quand bien même, je suis d'Acropolis et toi aussi, je te rappelle. Ça t'empêche de me parler ?

Jared recule d'un pas en se rendant compte qu'il n'y a que la vérité qui blesse. Je me retourne et continue de marcher vers le stand d'Iori. Je frappe à sa grille et elle la fait monter tout doucement, comme un mécanisme à bouton.

_ Salut, ma grande ! Oh...

En remarquant qu'elle fixe un point derrière moi, je me retourne pour suivre la direction de ses yeux. Jared s'approche de nous et je me sens fière. Je me décale et lui laisse de la place pour se reposer contre le comptoir.

_ Bonsoir...

_ B-Bonsoir... Qu'est-ce... Que j'vous sers ?

Je rigole face à la déstabilisation que provoque Jared sur Iori. Elle est toute menue et effrayée face à lui.

_ Deux plateaux, Iori, dis-je en essayant de nous sortir de ce pétrin qu'est le mal-à-l'aise.

Iori se retourne en courant pour se dépêcher de nous servir. Elle ne veut sûrement pas attirer le courroux de mon nouvel acolyte.

Je me retourne et vois les regards choqués des autres détenus en voyant que je déjeune avec Jared, et encore plus quand ils s'aperçoivent que c'est au comptoir d'Iori.

En parlant d'elle, elle revient vers nous et garnit nos plateaux du mieux qu'elle le peut. Elle tente un sourire mais Jared ne le lui rend pas. Une fois son plateau rempli, il déguerpit aussi sec. Je me retourne sur Iori qui a l'air soulagée et qui me supplie avec un regard encore empreint de gêne.

_ Ne me fais plus jamais un coup pareil !

_ T'es un amour !

Je lui souris et pars rejoindre Jared à ma table habituelle. Il a déjà entamé son assiette alors que moi, je viens juste de m'asseoir. Il a faim, on dirait. Je commence à manger de même. Et à la moitié de mon assiette, il me pose une question à laquelle je ne sais pas encore répondre.

_ Comment ça se fait que tu sois ici ?

J'avale mon eau de travers et toussote pendant un moment avant de me reprendre. Je lève mes yeux vers lui en lui demandant silencieusement de ne pas parler de ça. Il penche la tête pour m'inciter à en dire davantage mais je m'y refuse et mange.

_ Dis-moi. Si on doit faire équipe, il ne faut pas qu'on se cache quoi que ce soit.

Je ne relève pas. Bien sûr que je vais lui dire. Mais à une condition : qu'il soit digne de confiance. Le seul à qui j'ai fait confiance m'a poignardé dans le dos alors la confiance pour le moment, ce n'est pas d'actualité.

_ Moins tu en sauras sur moi, mieux tu te porteras.

_ Pourquoi ?

_ Parce que si tu commences à m'attaquer en retournant ces choses contre moi, tu peux dire au revoir à la lumière du jour.

Il retourne à son assiette et le reste du déjeuner se déroule sans accros.


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