Tome II - Chapitre quatorzième

       

            Le lendemain matin, c'est Enzo qui vient me réveiller.

            _ Nam, on doit y aller.

            Il a l'air grave. Il est nerveux, aussi. Comme tout le monde, d'ailleurs. Je me redresse et descends de ma couchette. Je joins mes pieds au sol et me retourne sur mes compagnons. Billy a l'air sûr de lui. Il me regarde avec un petit sourire. Martin et Masana, eux, se prennent dans leurs bras longuement. Un corps s'approche du mien. Jared.

            Sans réfléchir, je lui serre la main. Il met du temps à répondre à mon étreinte mais finit par me serrer contre lui à son tour.

            _ Tout va bien se passer, Nam. Je te le promets.

            Je soupire et m'éloigne de lui. Je m'approche d'Enzo et glisse mon bras sur son épaule.

            _ Tu es prêt ?

            _ Si on veut.

            Je lui souris tristement et les portes du camp s'ouvrent. Plusieurs gardes forment une allée. Derrière la porte, seul Jera se tient debout. Kasey est absent. Je fronce les sourcils et regarde le sous-directeur de l'Armée. Il hausse les épaules et nous demande de le suivre. On s'avance à pas lent vers le couloir. Enzo se resserre encore plus contre moi. Je fais de même.

            _ Qu'est-ce que faisait Kasey avec toi, hier soir ?

            Je plonge mes yeux dans ceux d'Enzo et secoue la tête.

            _ Nous discutions, c'est tout.

            _ Tu me diras tout à l'heure ?

            _ D'accord.

            Je frotte son épaule et on continue de marcher. La femme au calepin et le garde au scanner se tiennent déjà là. La fouille se fait dans le plus grand calme et nous nous avançons chacun notre tour.

            _ Billy Kive, porte 2 !

            Billy nous fait un signe de tête confiant et nous dépasse par la gauche. Il s'avance jusqu'à sa porte et se retourne en regardant le reste du groupe entrer, après être passé au scanner.

            _ Martin Hyetta, porte 5 !

            Martin embrasse amoureusement Masana et colle son front au sien.

            _ On se voit de l'autre côté.

            _ Je dois toujours te botter le cul !, rigole sa petite-amie.

            Quand Martin arrive à notre hauteur, il nous tape à chacun l'épaule, comme pour nous souhaiter bonne chance. Le scanner vrille son œil et il s'avance encore jusqu'à sa porte et se retourne.

            _ Jared Modigliani, porte 9 !

            Je me retourne sur lui et murmure :

            _ Ça va aller ?

            Jared ne me répond que par un sourire forcé. Même lui, il sent que ça ne va pas aller.

            _ Comme sur des roulettes !

            Il s'avance, passe au scanner et rejoint sa porte.

            _ Nam Odiel, porte 11 !

            C'est mon tour ! Je regarde Masana et Enzo et leur sourit tristement. Je m'avance et le laser strie mon œil de faisceaux lumineux. Le garde me laisse passer et je rejoins ma porte.

            _ Enzo Parish, porte 12 !

            Enzo se rapproche et vient s'installer sur le palier de sa porte.

            _ Masana Ortega, porte 14 !

            _ Le meilleur pour la fin, commente-t-elle en passant devant le garde.

            Une fois que nous sommes tous devant les portes, ces dernières s'ouvrent et nous nous avançons vers la pièce grise.

            _ J'ai intérêt à tous vous revoir à la sortie !, crie Billy avant de faire un pas en avant.        

            Je regarde devant moi et fais plusieurs pas en avant. La porte claque derrière moi et disparaît dans le mur. Je regarde autour de moi mais rien, sauf la caméra en haut. Comme d'habitude. Après quelques secondes d'attente, le mur se lève enfin. Je m'avance au plus contre lui et attends. Il se lève lentement. Tellement doucement que ça en devient insupportable de patienter.

            Quand le bas du mur est enfin au-dessus de moi, je regarde autour de moi. La rue déserte et détruite se présente à moi. Au fond, l'émeride se tient droite, prête à combattre. Je regarde à droite, la barre de fer est là. Je me baisse au sol et, sans lever mes pieds, je m'accroupie pour attraper la barre. Je tire sur mon bras et réussis enfin à refermer mes doigts dessus. Je me redresse en tenant la barre de fer fermement dans mes mains, comme une épée.

            _ Amène-toi !, crie-je en faisant un pas en avant.

            L'émeride se courbe et accélère en ma direction. Elle n'a rien dans les mains, cette fois. Alors que dans mon rêve, elle avait un couteau. Je ne me souviens plus si elle l'avait déjà sur elle ou si elle l'avait trouvé par terre.

Je resserre mes doigts sur la dureté de l'objet et me met sur le côté. Elle avance très vite. Je fais quelques pas vers elle et, dès qu'elle est assez proche, je fais un lift et balance la barre de fer en plein milieu de ses lèvres sans vie. Sa tête se sépare de son corps avec un bruit de disfonctionnement et ses yeux s'éteignent. Le gris remplace le bleu et je souffle. Je regarde autour de moi et remarque que je suis seule dans la rue, avec un cadavre d'émeride. Tenant un couteau dans la main.

_ Fin du deuxième duel.

Je laisse tomber la barre et laisse ma poitrine se gonfler et se dégonfler à son bon plaisir. Je fais demi-tour et m'avance vers les murs gris de la sortie. J'ouvre la porte et remarque que je suis la première à sortir.

C'était trop facile. Beaucoup trop facile.

Je jette un dernier regard en arrière et vois toujours le cadavre de l'humanoïde gisant au sol.

Trop facile.

Je ferme la porte et Jera vient m'accueillir.

_ Tu vas bien ?, s'écrie-t-il en me saisissant par les épaules.

_ Oui.

Je secoue mes épaules pour qu'il me lâche et m'éloigne. Je regarde vers la sortie de la plateforme et remarque l'absence de Kasey. Encore.

            _ Où est Kasey ?        

            _ Il...

            On entend une détonation à la porte 4. Cette dernière s'ouvre et une large fumée noire s'en échappe. Billy en sort plein de suie et d'huile.

            _ Fin du deuxième duel.

            _ J'ai manqué quelque chose ?

            Je souris et accourt vers lui pour le prendre par les épaules.

            _ Comment t'as fait ? T'es pas blessé, ça va ?

            _ Oui, ça va ! Ne t'en fais pas ! Qui a dit qu'un moteur de bagnole à sec ne servait à rien ?

            On rigole nerveusement et on revient vers le centre de la plateforme. Mon cœur bat à cent à l'heure quand je vois que les quatre autres portes ont toujours la lumière grise au-dessus d'elles. On louche tous dessus, jusqu'à ce que des bruits de pas rapprochés se fassent entendre. Une seconde plus tard, Kasey entre sur la plateforme et ses yeux se fondent sur moi.

            _ Salut, dit-il nonchalant.

            Il secoue la tête et s'avance vers moi pour me prendre dans ses bras, mais se résigne à laisser retomber ses bras le long de son corps en me voyant reculer.

            _ Putain, pourquoi t'as accepté de participer à ces duels ?

            _ Je le devais pour mes rêves...

            Kasey s'écarte de moi et je tilt de suite. Je ne lui en avais jamais parlé ! Je lui répétais tout le temps que ce n'était rien et qu'il devait se rendormir.

            _ C'était ça, les rêves que tu faisais ?

            Je fais un oui de la tête. Nous nous fixons pendant quelques secondes, jusqu'à ce qu'une autre porte s'ouvre. La 14. Masana !

            Elle titube en se tenant le ventre.

            _ Fin du deuxième duel.

            _ Cette connasse, elle a réussi à choper le couteau que j'avais trouvé, près de l'entrée de la boîte ! Elle l'a payé de sa vie !, scande-t-elle en claquant la porte derrière elle.

            Billy et moi nous approchons d'elle et venons la soutenir pour l'emmener loin des portes.

            _ Qu'est-ce que tu as ?, demande Billy.

            _ Rien ! Juste une égratignure. La lame n'a pas été loin sous ma peau ! Ouch !

            _ Il faut te soigner, commenté-je.

            _ J'attends d'abord Martin !

            Je lui fais oui de la tête et Billy se place sous son bras pour la soutenir. Moi, je reste à côté sans bouger. Je regarde les trois lumières grises restantes.

            Aller, revenez, bordel !

            La porte neuf s'ouvre et Jared revient rapidement vers nous en refermant la porte.

            _ Bordel, j'ai vu ma vie défiler là-dedans ! Elles sont tarées, ces créatures !

            Je m'approche de lui en riant, contente de le voir. Il ouvre ses bras et m'offre un câlin en souriant. Il me soulève du sol et me fait tourner.

            _ J'ai faim, on mange quand ?, s'écrie une autre voix à la porte 5.

            _ Martin !, s'exclame Masana.

            Elle lâche Billy et court difficilement vers Martin pour le serrer contre elle. Je me détache de Jared et m'approche des amoureux.

            _ Bien joué, mon pote !, dis-je en tapant l'épaule du dernier revenant.

            _ J'ai pensé à Doug quand j'ai vu l'émeride ! Je lui ai explosé la gueule !

            _ Ça, c'est mon héros !, triomphe Masana en embrassant son copain.

            Je rigole et me retourne sur les autres. Kasey les regarde avec... De la nostalgie ? Je n'en sais rien et je ne préfère pas y penser. Je lève les yeux vers la porte 12 et remarque toujours la lumière grise au-dessus d'elle. Toute mon attention se concentre sur Enzo. J'essaie de positiver.

            Allez, sors de là !

            On se regroupe tous au centre, regardant la porte d'Enzo, en priant pour que la lumière ne devienne pas rouge. Je joins mes mains, comme pour prier. Plusieurs secondes passent sans aucun signe d'Enzo. Pourtant la lumière est toujours grise.

            _ Il doit se passer un truc, là-bas, ce n'est pas possible..., pensé-je à voix haute.

            _ Ça va aller, Nam ! Il est fort, me dit doucement Kasey en s'approchant de moi.

            Je le regarde, pas du tout convaincue. J'aurais le cœur léger quand sa porte s'ouvrira et qu'il apparaîtra devant moi.

            Deux secondes plus tard, la porte s'ouvre en grand sur le corps d'Enzo, plein de sueur. Il a un petit sourire quand il nous voit l'attendre.

            _ Je vous ai manqué ?, plaisante-t-il.

            Reprenant des couleurs, je me lève et marche vers lui. Seulement un truc ne va pas. Son visage change d'expression et devient... Blême. Ses yeux deviennent vides.

            _ Ça ne va pas ?

            Je m'approche doucement de lui et le voit frémir pendant une seconde. Son corps bascule et tombe au sol. Un humanoïde se tient derrière, un couteau en sang dans sa main droite. La couleur du couteau me fait frémir et fait monter en moi la même rage que j'ai connue lorsque j'ai perdu Tania.

Mon corps se révulse et sans réfléchir, je m'élance vers l'humanoïde. Je me cambre et le plaque au sol, un peu plus loin. Le bras articulé en acier tenant l'arme se lève mais je le saisis au poignet et le frappe à terre. La main libère le couteau et je peux enfin me défouler tranquille. L'humanoïde m'attrape le t-shirt mais je le prends de court en saisissant sa tête de mes mains. Je commence à la soulever et à l'écraser contre le bitume jusqu'à ce que le crâne d'acier explose.

Plusieurs coups. Paf ! Paf ! Paf ! Et ses yeux se transforment en un gris sombre. Il est désactivé mais je continue de le projeter au sol sans m'arrêter. Mes doigts et mes ongles se font défoncer par le bitume. Ma voix se libère et je crie pour laisser échapper ma rage encore silencieuse jusqu'à maintenant.

_ Fin du deuxième duel.

Mes bras ne répondent plus et finissent par lâcher totalement le crâne défoncé de la femme brillante de grisaille. Je me redresse en lève la tête. Le corps d'un autre humanoïde git plus loin.

Il avait réussi ! Il était à deux doigts !

Ma gorge se serre et je commence à hurler de toutes mes forces. Mes mains rejoignent mes cheveux pour presque arracher des mèches, comme si avoir mal autre part éteindrait la douleur dominante.

Je savais que c'était de la folie ! Je savais, à partir du moment où j'ai posé mes yeux sur Enzo, qu'il devrait partir à tout moment ! Et je ne me suis pas préparée ! Loin de là ! J'ai tout fait pour procrastiner cette pensée et voilà que maintenant, il n'est plus là !

Tout en moi se consume. Tout devient noirceur, malheur, sordide et sans aucune importance. Tout disparaît, ou presque. La peur. La joie. Les quelques sourires de ma vie. Les bons souvenirs. Maintenant, je sais que je ne rirai plus comme avant. Je sais que plus rien ne sera jamais comme avant. Voilà ma porte de sortie.

Vous me faites confiance ?

Je sens des bras encercler mes épaules et reconnais l'odeur de celui qui m'a amené dans cette misère, mais je me dégage sans trop de mal.

_ Je suis désolé, Nam... Je suis tellement désolé...

Les yeux vides d'émotions, je me relève au-dessus du corps de l'émeride. Je me retourne et traverse la rue en ruine jusqu'à la porte sans accorder un regard à personne.

_ Nam...

_ Eh, ça va ?

La main de Masana s'attarde sur mon épaule mais retombe dès que je la dépasse. Je m'arrête devant Jera, le fixant d'un air résolu.

_ Emmenez-moi à son bureau.

Jera me regarde, les sourcils froncés.

_ Ne me faites pas répéter.

Jera secoue la tête de haut en bas et se décale pour me laisser passer. Je redresse la tête et me retire dans le couloir, encerclée par quatre gardes et suivie de près par Jera. Les autres n'ont pas bougé, encore interloqués de mon attitude.

Oh, vous n'avez encore rien vu, mes amis !

Nous nous arrêtons devant l'ascenseur de verre. Le garde à gauche appuie sur le bouton d'appel. Pendant ce temps, j'essaie de contrôler ma respiration afin de retrouver mon calme. Voilà, nous y sommes. Le moment tant attendu. L'instant où tout bascule, où tout s'effondre.

Le ding de l'élévateur retentit et nous pénétrons tous dans l'ascenseur. L'un des gardes à ma droite sélectionne le bouton du penthouse de l'immeuble. Les câbles montent la pièce mobile et nous emmène au sommet de la tour d'ivoire de l'Armée.

_ Nam, qu'est-ce que tu veux à ton père ?

Désolée Jera. Motus et bouche cousue.

_ Nam ?

Le ding retentit de nouveau et nous arrivons enfin au couloir débouchant sur l'appartement. Les gardes nous emmènent directement au bureau de Connors, sans même s'arrêter pour un tour de visite. Nous montons les escaliers et nous arrivons enfin au bureau officiel. Connors est déjà là, en train de nous attendre, un verre de liquide brun à la main. Comme s'il s'attendait à me voir débarquer dans son bureau. Un robot personnel se tient à l'autre bout de la pièce, dans un coin. Sa peinture écaillée et griffée prouve bien une chose : je n'ai pas été la seule à me faire battre par Connors Odiel.

_ Nam ! Que me vaut ce plaisir ?

En fixant le robot inexpressif, je me force à dire les mots les plus horribles, enchaînés ensemble en une seule et même phrase.

_ Tu avais raison.

L'immobilité du silence résonne tellement que mes oreilles en bourdonnent comme des frelons à côté de mes tympans.

_ Je te demande pardon ?

Finalement, les dire une deuxième fois est moins dur que le premier jet.

_ Tu as raison. Je te demande pardon, dis-je en le regardant finalement dans les yeux.

Aucune expression ne se laisse discerner sur mes traits. Connors repose son verre et s'approche de moi, écartant les deux gardes devant moi.

_ Qu'essaies-tu de me dire, Nam ?

Je fais un regard des plus froids et insensibles. Plus rien ne compte, sauf survivre.

_ Tu as raison sur toute la ligne, père. Rien ne peut se rapprocher du pouvoir. Et je viens de le comprendre. J'ai compris que j'ai été stupide, que j'ai été naïve d'avoir cru que le bon côté était toujours celui des gentils. Alors qu'en fait, depuis tout ce temps, le bon côté, c'est celui des gagnants.

Mon père relève un sourcil et finit par sourire, comme un requin regardant sa proie essayer de filer alors qu'elle est déjà prise au piège.

_ Donc si je comprends bien, tu essaies de me dire que tu veux rejoindre mon camp ?

_ Oui.

J'ai répondu tellement vite que ça nous a perturbé autant lui que moi.

Je le vois sourire encore plus férocement qu'avant. Il se redresse et regarde les gardes qui m'entourent.

_ Laissez-nous.

Les hommes partent mais le regard de mon père s'attarde encore sur une personne derrière moi.

_ Vous aussi, monsieur Schwaps.

Des bruits de talons finissent par se faire entendre après quelques secondes d'hésitation. Je ne me retourne même pas pour le voir s'en aller. Le principal maintenant, c'est de survivre.

La porte finit par claquer derrière nous, nous laissant seul Connors et moi.

_ Bien, ma fille. Bavardons un peu, veux-tu ?

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