Tome II - Chapitre huitième
Nous sommes tous en train de manger autour de la table, juste à côté du feu. Iori s'est même jointe à nous quelques instants avant de repartir dans les cuisines. Les autres l'acceptent, maintenant. Même si demain, certains d'entre nous ne reviendront peut-être pas. Le dîner se passe dans le plus grand des silences. C'est un silence d'église qui me glace le sang, personnellement.
_ Bon, on ne va pas rester là à se morfondre comme des pierres alors qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps. Je suis pour qu'on décompresse en faisant pleins de conneries, s'exclame Martin.
_ Et tu penses à quoi, au juste ?, demande son frère blasé.
_ Je ne sais pas, genre danser ou n'importe quoi d'autre ! Faire les idiots !
D'un coup, une musique retentit dans la salle. Une musique entrainante.
_ Eh ben voilà !, s'écrie Martin en commençant à bouger.
Je me lève et fixe les caméras.
_ Martin...
Rien à faire, il n'écoute pas.
_ Martin, arrête-toi, bordel !, ordonné-je.
Tout le monde me regarde avancer vers la caméra la plus proche.
_ Ça n'a pas marché.
Billy et Doug se lèvent et s'approchent des autres caméras. Tout ce qu'ils ont fait ce matin n'a pas marché. Rien n'a été désactivé !
_ Ils peuvent nous voir et nous entendre, commente Doug.
_ C'est pour ça qu'ils ont avancé l'échéance ! Pour pas que l'on puisse se préparer !
Je commence à m'énerver vraiment. Je me retourne et regarde mes compagnons. Masana prend une chaise. Elle la brandit au-dessus de sa tête et décapite la caméra la plus proche. Elle se retrouve au sol et se fait éclater sous son pied. Elle relève le regard vers Martin.
_ Tu voulais t'amuser à faire des conneries ? Vas-y ! Explose-tout ce que tu veux !
Martin sourit et prend une caméra des deux mains et tire de tout son poids dessus. La caméra se sépare du plafond et il la démolit en l'envoyant s'écraser contre le mur d'en face.
Chacun de nous explose quelque chose. Moi, je me fais une joie d'enlever cette photo factice du Sud. Si je veux le voir, ce sera le vrai, pas une immense bâche derrière une vitre.
Personne n'est venu nous engueuler après ça. Je suppose qu'ils viendront tout réparer et remettre en ordre lorsqu'on sera tous sur le champ de bataille.
On est par terre, soit allongés, soit accroupis, fatigués de nos élans de colère.
_ Est-ce que vous savez à quoi ressemblent les émerides ?
Billy lève sa main et je lui fais signe de parler, comme un professeur à son élève.
_ Ce sont des humanoïdes. Je ne sais pas si vous avez tous regardé les duels avant mais les modèles ont changé depuis. Le bruit court qu'ils sont encore plus terrifiants que jamais !
_ Je ne suis là que depuis trois mois, dit Jared. Je ne sais pas à quoi ils ressemblent.
_ J'ai fait des rêves où je me battais avec ces créatures. Avant de venir à Acropolis, je veux dire.
Ils tournent tous la tête vers moi, l'air intéressés par ce que je dis. Je me redresse et les regarde tour à tour.
_ Ils ont l'apparence de femmes, en réalité. Mais elles sont toutes grises, comme l'inox. Elles sont pleines de failles sur leur visage. Au travers, on peut voir des écrous et des engrenages qui tournent continuellement. Elles ont les yeux d'un bleu vraiment terrifiant.
_ Tu arrivais à les tuer dans tes rêves ?, me demande Masana.
_ Non. Je me réveillais tout le temps en sursaut et K-...
Ma bouche bloque ce nom avant même que mon cerveau n'y pense. Je ne veux pas parler de lui. Je ne veux simplement pas admettre qu'il ait fait partie d'une période de ma vie, même aussi courte soit-elle.
_ Et ?
_ Et rien. Je me réveillais, c'est tout.
Enzo intervient enfin après plusieurs heures de silence.
_ Vous croyez qu'on va réussir ?
_ Bien sûr qu'on va réussir, lui répond Jared. On va s'en sortir et quitter cette ville plus tôt que tu ne le crois !
Son sourire se veut confiant mais je vois très bien que Jared a les jetons. On a tous peur, c'est normal. Même moi, je redoute ce qu'il se passera demain. On est tous effrayés à l'idée de ne plus se retourner et de partir pour de bon. Mais on doit faire face.
Je dois faire face.
*
Le lendemain matin, nous nous réveillons tous les uns à côté des autres, sur le sol du camp. On s'est tous endormi sans regagner nos couchettes. Et je ne suis pas la première réveillée.
_ Quelle heure il est ?, demandé-je.
_ Il est près de neuf heures, me répond Jared. Comment tu te sens ?
_ Ça va. J'ai connu mieux mais c'est déjà bien comme ça.
Je me lève et tape sur mes vêtements pour retirer les saletés qui s'y sont accrochés quand j'étais allongée. Je m'avance vers le canapé et m'assieds à côté de lui.
_ Et toi, ça va ?
Jared a l'air soucieux. Je pose ma main sur son avant-bras et il baisse les yeux dessus.
_ J'ai peur mais j'ai hâte de faire la peau à ces monstres ! Alors on va dire que c'est du 50/50 !
Je lui souris et regarde devant moi. Son avant-bras bouge et sa main rejoint la mienne.
_ On va y arriver, tu crois ?, murmure-t-il.
_ Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.
Jared fait un faible oui de la tête. Je regarde mes pieds croisés au sol mais Jared me force à tourner la tête vers lui.
_ La dernière fois, quand on nous a dit que l'on avait des visiteurs. J'ai vu une personne qui m'était chère. Elle m'a dit que tout irait bien. Je me raccroche comme je peux à ça.
_ Qui c'était ?
_ C'était mon oncle.
Il a une famille, lui. Il a des personnes proches. Pas son père mais d'autres personnes sur qui il peut sûrement compter.
J'envie toutes ces personnes. Tous ceux qui ont quelqu'un qui les attend à la maison ou qui veille sur eux. Pour ma part, je n'ai que moi-même sur qui compter. Et je suis sûre que je ne manquerai à personne si je venais à ne pas revenir. Je retrouverai Tania, et c'est tout ce qui importera.
Une sonnerie assez grave retentit dans la pièce et nous sursautons tous. Les autres se réveillent et sautent sur leurs pieds aussi rapidement qu'ils le peuvent. Je regarde Jared et il me fait un petit sourire, accompagné d'un signe de tête.
_ C'est l'heure !
Je lâche sa main et m'approche d'Enzo pour glisser mon bras sur ses épaules. Je baisse ma tête vers lui et lui pose une simple question.
_ Ça va ?
_ Je crois.
Je le rapproche de moi et regarde la porte d'entrée. Elle coulisse et Jera entre, seul.
_ Vous êtes prêts ?
Il a une tête à faire peur. Il a l'air vraiment stressé. Cela fait longtemps qu'il n'y a pas eu les quatre duels. Il doit sûrement avoir peur de l'effet que cela va avoir sur les gens. Il veut sûrement avoir une promotion ! Mon visage se ferme et je m'avance d'abord, avec Enzo sous le bras. Je regarde Jera de travers mais il m'adresse un signe de tête. Mais il en rajoute, en plus ?
Enzo sent ma tension mais me force à continuer de marcher sans me soucier de Jera.
_ Tu t'en fiches de lui ! Il n'en vaut pas une !
Sa phrase me fait penser à Tania. Ils ont vraiment la même façon de parler et de réfléchir. Je tape deux fois sur son épaule et on s'engage dans le couloir.
Deux rangées de soldats, tous séparés de deux mètres les uns des autres, nous offrent un tapis rouge vers notre destin. Les autres nous suivent de près derrière. Jared est juste dans mon dos. Il m'adresse un regard assez confiant. C'est bizarre mais c'est dans les situations critiques qu'on est les plus beaux menteurs de la création !
Nous arrivons enfin devant une plateforme où seize portes se dressent devant nous, en demi-cercle. Sur chacune d'elles, un numéro est peint en noir, comme les portes à l'entrée de l'immeuble de l'Armée.
Des soldats nous fouillent. Un autre se poste devant l'entrée de la plateforme et nous dit d'attendre. Nous nous arrêtons et une femme munie d'un calepin rejoint le soldat.
_ J'appellerai vos noms et vous dirai les numéros qui correspondent à vos portes. Billy Kive, numéro 2.
Billy, qui est en bout de file, essaie de se frayer un chemin vers l'entrée de la plateforme. Je me décale avec Enzo pour le laisser passer. Je ne veux en aucun cas lâcher le gamin. Le soldat brandit un instrument fin et argenté au niveau de la tête de Billy et scanne son visage. Comme si on allait ramener des clones ! Qu'est-ce qu'ils sont débiles !
Billy passe et se dirige à gauche pour regagner sa porte.
_ Doug Hyetta. Numéro 4.
Doug s'avance et passe au scanner, puis rejoint sa porte.
_ Martin Hyetta. Numéro 5.
_ Jared Modigliani. Numéro 9.
Jared passe à côté de moi en posant sa main sur mon épaule. Il m'adresse un sourire et passe au scanner. Il part tout droit pour aller à la porte indiquée.
_ Nam Odiel. Numéro 11.
Je regarde Enzo et lui sourit faiblement. Je le lâche et m'avance. Le scanner se présente devant mes yeux et mon œil droit devient aveugle pendant quelques secondes à cause des rayons puissants qui scrutent mon iris. Ça s'arrête et je passe. Je dévie à droite et regagne ma porte. Je pose mes mains sur les barrières à hauteur de taille et me retourne sur les autres.
_ Enzo Parish. Numéro 12.
Enzo se fait scanner et s'avance dans ma direction. Il se glisse entre les barrières et se retourne pour regarder les autres, tout en se frottant l'œil scanné. Il saisit ma main et la serre fort dans la sienne. Je fais de même.
_ Masana Ortega. Numéro 14.
_ Bien sûr, je suis tout le temps la dernière !
Son ton sarcastique nous fait sourire un peu en ce moment crucial. Son œil se fait scanner et elle grimace face à la surprise que ça procure.
_ Vous devriez arranger ça, c'est insupportable !
_ Toujours aussi désagréable, hein Masana ?, rigole Martin.
_ Dès que je reviens, je te botte le cul, toi !, fulmine-t-elle en le pointant d'un doigt menaçant.
On rigole faiblement et on se retourne lorsque Jera, le soldat et la femme au calepin se mettent au centre de la pièce.
_ Vous n'aurez rien pour vous défendre en entrant dans la pièce grise, explique Jera. Vous devrez trouver ou voler vos armes à l'ennemi. Bonne chance !
Je regarde une dernière fois mes camarades et fixe le numéro 11 en face de moi. Je sens le regard d'Enzo me peser. Je me tourne vers lui et lui sourit. Il fait de même. Je regarde ensuite Jared qui me scrute à son tour quand il sent mes yeux posés sur lui. Il me sourit et me fait un signe de tête.
Un bruit sourd se fait entendre et les portes devant nous s'ouvrent.
_ Rappelez-vous Houdini !, crie Martin avant de s'avancer dans la pièce.
Je regarde l'enceinte en béton devant moi et avance d'un pas.
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