Tome I - Chapitre vingtième

_ Mon dieu...

Je tombe, mon fessier par terre, et laisse mes larmes couler toutes seules. La main à la bouche pour étouffer mes sanglots.

Je n'arrive pas à croire qu'il soit vivant, amoché mais vivant. Il a l'arcade sourcilière ouverte, des traces de griffures, la lèvre et le nez en sang, et il contracte souvent le ventre, preuve qu'il a mal à cet endroit aussi.

C'est une vision d'horreur. C'est juste impossible à regarder.

_ Nam... Nam, calme-toi... Je... Je vais bien, regarde !

Je lève les yeux vers lui et mes larmes cessent peu à peu de couler. Je me relève et pars derrière lui. Après ce moment d'abandon, il faut que je le sorte de là. Il faut que je me concentre et que je redevienne sérieuse. Je glisse mes doigts entre les cordes mais c'est impossible à défaire. Je saisis un couteau dans mon dos et commence à cisailler le cordage. Ça m'a pris moins d'une minute.

Kasey se frotte les poignets. Ils sont lacérés de part et d'autres, tachant ses mains de rouge, comme s'il les avait trempées dans de la peinture. C'est juste horrible qu'il ait souffert autant.

Il se lève et marche sans boiter. Au moins, il pourra courir. Pas facilement mais il pourra suivre la cadence.

_ Il faut qu'on y aille. Il doit y avoir d'autres gars comme eux dans les parages, dis-je en balançant un regard rapide sur les trois corps autour de nous.

_ D'accord.

Je fais passer mon sac à dos devant moi et fouille à l'intérieur, pour sortir le Magnum 44 pris sur le jeune de tout à l'heure. Il le saisit, le pèse et vérifie s'il est chargé sans problème, après avoir récupéré le sien dans un coin de la pièce. On descend et je récupère le reste de mes armes. On sort de l'immeuble et on le contourne par la gauche. Le satellite au-dessus de nos têtes nous indique la voie à prendre pour sortir de Vawari. Nous marchons doucement, pour vérifier les rues et pour que Kasey reprenne un peu du poil de la bête.

A un croisement, je m'arrête et me retourne vers lui. Kasey regarde le Magnum sous toutes les coutures.

_ Il n'a pas servi.

_ Comment tu le sais ?

_ Parce que le type qui l'avait aurait été propulsé en arrière rien qu'en appuyant sur la détente.

Kasey fait un petit rire discret. Je souris moi aussi.

_ Contente de te revoir, dis-je doucement.

_ Ouais, moi aussi !

Mais nous sommes vite rattraper par des voix qui s'élèvent loin derrière nous.

_ Ils ont tués le boss !

_ Vite ! Retrouvez-les !

C'est le reste de la bande. Je tire Kasey par la manche de son t-shirt.

_ Vite, faut pas traîner !

Nous nous mettons à courir en direction de la sortie de la ville, au Nord-Est.

Nous n'avons croisé aucun autre personnage comme ceux qui ont tabassé Kasey. Et heureusement, sinon c'en serait finit d'eux.

Au bout de quelques minutes, nous avons réussi à sortir de la ville en ruines. Nous continuons de courir en reprenant à l'Ouest afin de rentrer dans un petit bois pas très loin de là. Là-bas nous serons en sécurité, dans les hauteurs des arbres.

Il s'agit de pins touffus et tellement compacts que l'on penserait à un hérisson géant vu de loin. Nous nous engouffrons enfin dans les feuillages et dès que le premier arbre se présente devant nous, nous grimpons dessus à la vitesse de l'éclair.

Kasey rechigne à cause de ses douleurs à l'estomac et aux poignets. Il m'a dit qu'ils lui avaient mis des coups de poing dans le ventre à plusieurs reprises. J'ai bien fait de les massacrer, ces types !

Une fois en haut, on passe d'arbre en arbre pour nous retrouver au beau milieu du bois. Le sapin sur lequel on est a tellement de branches que l'on marcherait debout les yeux fermés, tellement il est solide.

Kasey sort une couverture de son sac et la dispose sur les branches pour nous protéger des épines. Les feuilles du dessus sont à moins de un mètre de nos têtes. Nous nous asseyons et j'ouvre la poche avant de mon sac de provisions et sors la trousse de soin, pour nettoyer ses blessures avec un morceau de tissu.

Une fois le sang totalement épongé, je pose le tout et ouvre la petite boîte en plastique blanc, éraflée de tous les côtés. Plusieurs languettes vertes, à peine transparentes, se trouvent à l'intérieur. J'en prends une et la tends à Kasey.

_ Mets-ça sur ta langue.

Kasey s'exécute et me regarde.

_ Si tu as des os cassés, ça va te faire un mal de chien.

_ Quoi ?

Tout de suite après, il pousse un petit cri quand son nez se remet en place. Il pose son index dessus et le glisse de haut en bas. Ses yeux s'écarquillent et il ouvre la bouche. La languette n'est plus là.

_ C'est quoi ce que tu m'as donné ?

_ Ça, c'est un truc révolutionnaire ! Tu te souviens du liquide que j'ai bu pour guérir la blessure que Clark m'a fait ? Eh bien, c'est la même chose sous une autre forme. Il y a quelques années, un médecin du nom de Berty Asomovitz a voulu savoir comment comprimer les médicaments en plus petit format mais en étant plus rapides que les médicaments usuels. Et voilà où ça l'a mené.

_ Où les as-tu eus ?, me demande Kasey abasourdi.

_ A Laina. Il les vendait dans une petite échoppe à côté de chez moi. Mais un jour, des soldats de l'Armée sont venus et ils ont tout pris. Sauf une boite. Celle-là.

Kasey acquiesce d'un signe de tête et me regarde intensément.

_ Pourquoi t'es partie de Faniath ? Tu n'étais pas obligée de me suivre.

_ Je t'ai fait une promesse, commenté-je, avant de m'arrêter une seconde. J'ai brisé la première que j'ai faite de toute ma vie. Je ne compte pas recommencer.

Kasey prend ma main et la serre dans la sienne. Je baisse les yeux sur nos doigts emmêlés. Puis, je reviens sur Kasey.

_ Tu sais, quand j'étais dans la forêt au Nord de Faniath, j'ai croisé des loups enflammés. Je me suis réfugiée sur un arbre et...

En me souvenant des gouttes de sang, je me sens sombrer mais je me reprends de justesse.

_ J'ai... J'ai vu du sang sur les dents des loups. J'ai cru qu'ils t'avaient eu et... D'énervement, j'ai tapé sur l'arbre et ils ont été emportés dans un filet de pêche à plus de cinq mètres de haut. Ils ont eu tellement peur que leurs flammes ont disparues. J'ai eu tellement de chance sur ce coup-là ! Sinon, j'étais faite comme un rat !

Kasey sourit en écoutant mon anecdote dans le bois Nord du village. Puis, son sourire disparait quand il voit ma main ensanglantée. Il récupère le tissu que j'ai pris pour essuyer son sang et le presse contre mes phalanges et mes doigts. Je réprime un cri. Ça brûle.

_ J'ai pensé que tu étais mort...

Une fois tout le sang enlevé, il me tend une languette et me force à la poser sur ma langue. Kasey pose ses mains de chaque côté de mon visage pour me forcer à le regarder dans les yeux.

_ C'est pour ça que tu as fondu en larmes en me voyant ?

Je baisse la tête. Je n'ai pas envie de croiser un regard de pitié. Surtout pas le sien.

_ Tu croyais vraiment que j'allais te laisser tranquille après tout ça ? Je veux continuer de t'embêter, moi.

Et puis, là, je ne m'y attendais pas. Je pensais qu'il allait me lancer une de ses remarques sarcastiques mais non. Il me prend dans ses bras et me serre fort contre lui. Je resserre l'étreinte autour de lui et je me laisse aller.

_ Je suis désolée, Kasey... D'être aussi invivable...

_ Arrête, Nam. Tu as vu ce que tu as fait pour moi ? Tu m'as sorti de là ! Toute seule, comme une grande. Je ne te remercierai jamais assez...

On reste longtemps dans les bras l'un de l'autre. Puis, je m'éloigne et le regarde droit dans les yeux.

_ Et si on recommençait ?, proposé-je.

_ Comment ça ?

Kasey me regarde avec des yeux curieux et rieurs. Je n'en peux plus de jouer la martyr et la désintéressée. J'ai envie de m'occuper des autres. J'ai envie de changer.

_ Salut. Je suis Nam.

Je lui présente ma main droite, tendue vers lui, comme pour lui serrer la main. Kasey la regarde et un sourire intarissable s'installe sur son visage.

_ Enchanté Nam. Je suis Kasey.

Et il serre ma main fermement. Une poignée d'amitié. Une vraie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top