Tome I - Chapitre dix-huitième
Je ressors des douches, sèche et propre. Qui sait la prochaine fois que je le serai ? Pas moi, en tout cas.
Nous devons repartir au plus vite pour Acropolis. De un, parce qu'il faut retrouver Cole, le frère de Kasey. Et de deux, je ne peux plus rester ici alors que Kara se trouve dans les parages.
Je remonte dans ma chambre. Il est près de vingt heures. Je dois dormir encore. Je dois me reposer avant de repartir. On n'aura pas le temps de piquer un somme une fois en route pour la Capitale.
Je traverse la place du marché et vois beaucoup de personnes attendant à l'entrée de sa tente. Lorsque je passe devant, ils me regardent tous de travers. Apparemment, beaucoup d'entre eux sont de son côté. Quelle bande de moutons !
Je continue ma route et en voit d'autres qui font des messes basses quand je les frôle. Et dès que je plante mon regard dans le leur, ils baissent la tête et font comme s'ils étaient occupés à faire autre chose que de baver sur moi.
Je secoue la tête et monte les escaliers pour aller aux cocons. Une fois à cet endroit, je trouve la pièce vide. Le lit fait. Tout est rangé. Et Kasey n'est pas là.
Pendant une seconde, j'ai peur qu'il soit reparti sans moi. Mais ses affaires sont toujours dans le coin, près de la chaise. Je soupire de soulagement et me mets en tenue pour dormir.
Une fois dans le lit, je redoute de faire à nouveau un cauchemar. J'en ai déjà fait trois, les mêmes à chaque fois et avec la même personne. Auraient-ils tous un lien en commun ?
Je préfère ne pas y penser et m'attarder plutôt sur l'optimisme qui m'a quitté hier. Mais il a dû mal à revenir au galop.
Je me tasse sous les couvertures et ferme les yeux.
*
Encore et toujours cette même pièce. Grise et nue. Vide. Je tapote mes poches et mon dos. Il se trouve que, cette fois, j'ai une machette. Un large manche et une lame tellement affutée, qu'à peine je passe mon index dessus, je me coupe. Une goutte de sang perle sur mon doigt. Je l'essuie vite fait sur mon pantalon et regarde autour de moi.
L'alarme retentit dans la pièce pour prévenir de l'élévation du mur. Je fais tourner le manche du grand couteau dans ma main, me préparant à faire de nouveau face à un humanoïde.
Dès que le mur se lève, un grand courant d'air envahi la pièce, faisant voler mes cheveux autour de ma tête. Le mur se lève totalement et je remarque enfin l'endroit où ma prochaine mort subite se déroulera.
Le toit d'un immeuble ?
La surface est de 50 m², à peu près. J'avance prudemment et regarde devant moi. L'immeuble doit contenir à peu près cinquante étages. Je me retourne et remarque que la pièce grise n'est plus là. A sa place se tient l'humanoïde présent dans tous mes rêves.
Ses yeux bleus pâles me font frissonner. Personne n'a des yeux aussi bleus. Ils me rappellent la couleur du Pluratium. Et ça me fait encore plus peur.
Elle ne bouge pas. Elle reste silencieuse en attendant un signe de ma part. Elle ne porte pas d'arme. Chouette !
Je feigne un sourire qui se transforme en grognement et je lui fonce dessus. Elle réagit à peine quand je saute pour arriver au-dessus d'elle. Le vent me porte et je la saisis au niveau du cou.
Nous tombons ensemble au sol et je coince ses bras avec mes jambes. Mes pieds reposent sur ses cuisses pour l'empêcher de bouger.
D'une main, je tiens sa peau dure et froide. De l'autre, je pointe le bout de ma machette dans une des fentes de son visage. Les rouages tournent frénétiquement. On dirait qu'ils essaient de courir pour échapper à la lame.
Je tente un sourire triomphant et ouvre la bouche.
_ Alors ? On fait moins la maligne, maintenant ?
J'allais pour enfoncer la lame dans le rouage mais...
*
Je respire à fond et me redresse d'un coup. Je palpe ma nuque mais je n'ai rien. Je crois... Je crois que je me suis prise une balle dans la nuque. J'ai ressenti la pression puis la brûlure comme si elle était encore en train de s'enfoncer dans mon cou au ralenti. Mais tout ce que je sens sous ma main, c'est la chaleur liquéfiée qui se dégage de moi.
Je replis mes jambes un peu et pose mes coudes sur mes genoux en baissant la tête. J'expire doucement. Avais-je une machette dans mes rêves précédents ? En y pensant, je me jette en arrière et écarte les bras.
Je sens de la fraîcheur. Il n'y a personne à côté de moi. Je tourne la tête et vois un morceau de papier plié en deux sur l'oreiller de Kasey.
Je le saisis d'une main et l'ouvre.
Désolé d'avoir abusé de ton temps.
- Kasey
Je vais buter ce gosse !
*
Je débarque comme une furie dans le bureau de Tobias, là où il y a les ordinateurs. Personne. Je m'en doutais. Ils ne l'auraient pas laissé sortir sinon.
Je retourne sur la place et remonte à ma chambre. Je prends un morceau de papier et inscrit dessus un mot pour Tobias.
Tobias, je suis désolée. Kasey est parti. Je dois le rattraper avant qu'il ne fasse une connerie.
J''espère que tu me pardonneras.
- Nam
Je lance le mot, qui atterrit sur la couette blanche. Je m'habille en vitesse et récupère mes armes. Mais avant de sortir de la chambre, un objet retient mon attention.
Mon arbalète.
Je souris et la glisse dans mon dos. Je prends les boites en fer et les glisse dans mon sac. Je me retourne et redescends les marches pour courir vers l'échelle.
Avant de monter, je me retourne une dernière fois sur Faniath. Et mes pensées vont directement vers Tania.
Je te vengerai. Ma sœur.
Je pose mes mains et mes pieds sur les barres de l'échelle et monte rapidement jusqu'en haut. Une fois sous la trappe, je l'ouvre et l'air profond et doux du soir vient me happer. Je soulève complètement la trappe et m'assieds à l'opposé. Je me hisse sur mes pieds et referme doucement la porte de Faniath. Je regarde autour de moi et fixe enfin la forêt au nord. Je cours vers cette dernière et m'y engouffre.
Le satellite brille de mille feux, comme à son habitude. Je cours à travers les arbres sans m'arrêter. Je n'ai pas le temps de réfléchir. Je peux réfléchir en courant. Et puis, je ne suis pas fatiguée alors ça fait une raison en moins de m'arrêter.
Je ne sais plus exactement combien de temps j'ai mis la première fois pour traverser la forêt. Je me souviens juste que ça avait été long. Mais que j'avais marché, pas couru. Et je m'étais perdue plusieurs fois. Maintenant, je sais où il faut que j'aille. Plein nord.
A deux kilomètres au-delà de la forêt se trouve les ruines d'une ville qui date d'il y a dix-neuf ans. Vawari.
Je me souviens. L'homme qui me sert de père avait regardé le reportage parlant de la frappe mortelle qu'avait subie la ville.
Ses paroles me hantent encore : « Voilà ce qui arrive quand on se dresse sur notre chemin ». Il m'avait fait peur, ce jour-là. Je n'avais que six ans à l'époque. J'étais terriblement jeune. Mais la scène est ancrée dans ma mémoire comme si c'était hier.
Soudain, un cri retentit derrière moi, ce qui me tire des souvenirs atroces de mon enfance. Je regarde vite fait par-dessus mon épaule et vois des lueurs orange et jaunes vibrer.
_ Et merde !
J'accélère la cadence de ma course mais les cris des animaux deviennent de plus en plus forts à mon oreille. Mon sang bat à mes tempes et je regarde autour de moi.
Je vois un arbre auquel je peux grimper plus loin. Je cours jusqu'à lui et pose un pied, puis le deuxième, accroche mes mains à la première branche et me propulse pour m'asseoir dessus. Malheureusement, je monte trop haut et la branche cède sous le choc de mes cuisses. Ma main gauche s'accroche tant bien que mal à la naissance de la branche que je viens de décapiter. Il y a à peine quinze centimètres. Et les bêtes féroces arrivent au pas de course.
Je contracte mes abdos et mes bras et me hisse un peu plus haut. Je balance mon bras à gauche, plus haut pour atteindre la branche suivante. Raté. Et la menace est à trente mètres de moi. Je réessaie et l'atteins. Je tire et me hisse de justesse à la branche encore au-dessus. Je tiens en équilibre sur les deux plus basses, un pied sur chacune d'entre elles, et m'accroche à celle au-dessus de ma tête.
Et la raison de ma précipitation se tient à peine à trois mètres sous moi.
Deux loups enflammés. Imaginez des loups blancs avec des flammes tout autour d'eux, sauf sur les pattes. Leurs yeux sont rouges. Ils sont terrifiants à souhait. Leurs crocs, encore ensanglantés de leur dernier repas, ruissellent sous les flammes. Mon sang se glace quand je repense à ce pourquoi je viens de partir du village de Faniath.
Kasey ? Ils ont eu Kasey ? Oh mon dieu...
Je commence à trembler, sous le choc de cette nouvelle. Et je ne peux me retenir...
_ KASEY !!!
Je me mords la lèvre inférieure. Je n'arrive pas à y croire. Il s'est fait bouffé par des loups enflammés. Je cogne l'arrière de ma tête plusieurs fois sur le tronc derrière moi. C'est impossible ! Pas Kasey !
Avec un cri de douleur psychologique, je tape de ma main libre sur le tronc, formant un coup de poing.
Puis soudain, les loups enflammés lancent des cris de surprise. Je regarde sous moi et entendant un craquement. Les loups tournent sur eux-mêmes en regardant le sol.
Puis plus aucun bruit. Un autre craquement et des cordes se soulèvent du sol et se replient sur les loups. Un filet aux cordes larges de deux centimètres les enveloppent et les font sauter en l'air. Les loups perdent aussitôt leur flamme. La peur les submerge tellement qu'ils préfèrent monter l'un sur l'autre pour ne pas voir le vide sous leur piège.
Les loups se retrouvent suspendus dans le vide à plus de cinq mètres au-dessus de mon perchoir. Ils gueulent à la nuit pour essayer de se sauver de cette situation.
Tous les animaux craignent les hauteurs. Sauf les Hazes, bien sûr.
Le souvenir de la nuit où Laina s'est faite attaquée par l'Armée me revient en tête et mes poils s'hérissent. Rien que de repenser à cette petite, j'en ai la bile.
C'est aussi la nuit où j'ai rencontré Kasey pour la première fois. Même dans cette situation, il m'a aidé à sauver ma peau. Mon sourire, qui vient à peine de se former, se voile en repensant aux gouttes de sang sur les dents des loups qui se trouvent au-dessus de ma tête.
La gorge serrée, je m'accroupie et saute pour revenir sur la terre ferme.
Les loups continuent de lancer des appels au secours. Je m'en fiche totalement, maintenant. Je ne pense qu'à Kasey.
Et dire qu'il voulait juste récupérer son frère. Et vu que maintenant, il ne le peut plus, ça me contrarie au plus haut point. Et ce qui me contrarie encore plus, c'est de m'être disputée avec lui. Je n'aurai plus l'occasion de me faire pardonner.
Pauvre Cole. Apprendre que son frère ne viendra jamais le chercher. Ça me fend le cœur.
Son frère ne viendra pas. Mais moi, j'irai le chercher. Sans problème. Je lance un dernier regard aux loups et reprends ma course vers le Nord. Aussi rageuse et déterminée que jamais auparavant.
J'ai déjà parcouru plus d'un kilomètre quand je remarque enfin le contour de plusieurs immeubles détruits de part et d'autre. Ils ne sont pas plus grands que des graines vus d'ici.
Je suis presque arrivée à Vawari. Je reprends ma course et atteins enfin la fin de la forêt quelques minutes plus tard.
Une fois à la frontière, je remarque qu'il n'y a que des arbres ici et là, seuls dans leur coin, comme morts. Et derrière la petite ville, j'aperçois une lueur cuivrée couvrir une parcelle du ciel.
Acropolis.
Je touche presque au but. La vengeance est toute proche.
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