NAM - Epilogue

(Pv Kasey)

_ Cela va prendre combien de temps ?

_ Le temps que ça prendra. Mais ça ne devrait pas prendre plus quelques jours. Heureusement, j'avais rangé la bonne boite !

Je me tiens à côté de Berty, debout au milieu de plusieurs cercles imbriqués, d'hommes et de femmes, droits comme des pics. Des murmures résonnent depuis une dizaine de minutes à peu près et, un par un, les gens viennent taillader leur paume pour répandre leur sang dans la cuve de verre. L'eau claire devient de plus en plus foncée au fur et à mesure que les villageois tentent le tout pour le tout.

Je suis au courant d'à peu près tout. Tobias et Berty ont fini par tout me raconter sur Nam et tout ce qui gravite autour d'elle, notre relation aussi. Ça fait tout drôle d'avoir vécu une histoire apparemment incroyable d'après eux mais de ne pas s'en souvenir soi-même. C'est frustrant.

_ Ils disent quoi ?

_ Ils le prient pour qu'il fasse revenir son esprit. J'espère que tu n'es pas fatigué.

_ Non, ça va. Je veux rester là jusqu'à ce qu'elle revienne.

Kara vient se poster à côté de nous, fixant la cuve étroite remplie d'un mélange entre le rose et le rouge.

_ La cérémonie va prendre du temps. Elle n'aboutira peut-être jamais, Kasey.

_ Je sais, réponds-je doucement. Mais je veux quand même essayer. Tania l'aurait voulu.

Du coup de l'œil, je vois Kara acquiescer puis s'avancer pour verser son sang sur le corps.

Tobias nous rejoint en croisant les bras et regardant autour de lui.

_ Elle va me haïr si elle revient.

_ Pourquoi ?, demande Berty.

_ Le soir quand elle est revenue, avant de devenir Nomade, on a discuté. Elle m'a fait promettre de la laisser là où elle est.

Son corps. Les infirmiers l'ont recousue au niveau des jambes, elle n'a plus que des moignons. Zana a tenu personnellement à superviser la chirurgie. Ils ont pris toutes les précautions possibles.

Je n'ai jamais vu quelqu'un comme Nam, aussi belle, même baignant dans l'eau et le sang. Mystique, énigmatique et dangereuse dans cette mare absolument épouvantable. Ils ont essayé de reconstruire ses jambes mais elle était trop mal en point. Alors Berty a proposé quelque chose. Les jambes ne sont pas humaines, mais robotiques. Ils ont récupéré des débris sur le lieu de l'explosion, notamment des jambes et des pieds complètement disloquées. Berty a réussi à les reconstituer entièrement. C'est quand il me les a montré que j'ai reconnu la marque de fabrique de Water, un des derniers robots obsolètes de l'Armée. Le matériau rouillé et la couleur terne. Il a tout mis en œuvre pour qu'elles soient aptes à se synchroniser avec les nerfs de Nam. Il faut juste attendre qu'elle se réveille.

Si elle se réveille.

Lorsque Kara revient, Tobias s'avance à son tour et se saigne les deux paumes et l'intérieur des coudes. Le flot de sang s'abat lourdement dans l'eau, l'assombrissant d'un coup. Ses coupures se referment en un clin d'œil. Tobias revient et saisit un bout de tissu sur l'estrade de la place du village pour retirer le sang qui commence déjà à sécher.

_ Elle reviendra, me dit-il en me souriant. Elle revient toujours.

Je le regarde dans les yeux et sourit, moins convaincu cependant. J'aimerais avoir son optimisme, mais je préfère m'attendre au pire et ne pas avoir de mauvaise surprise à l'arrivée.

_ Je ne peux pas verser mon sang ?

_ Non, me répond Kara. Tu n'es pas immortel alors ton sang ne lui servira à rien. Il est sûrement plein de bactéries ou d'autres choses qui pourraient nuire au processus. Le sang des immortels est pur parce qu'il n'est pas contaminé.

Les murmures redoublent d'intensité. Encore plus de personnes s'approchent de la cuve où baigne le corps de Nam pour faire offrande à Arka et lui demander de la ramener.

Ses cheveux naviguent autour de son visage, tinté de rouge clair. Son poignet s'est complètement remis grâce à un système que Berty garde encore secret, vu qu'il n'est pas encore tout à fait au point pour d'autres types de blessures. C'est comme si elle n'avait rien eu à partir de la taille.

Et maintenant, il n'y a plus qu'à attendre.

_ Tout le monde est là ?, demandé-je.

_ Pas encore, rétorque Tobias. D'autres personnes s'occupent des enfants mais tout le monde a juré de venir prononcer le rite au moins une fois chacun.

Je soupire et baisse la tête. Je n'ai rien à faire ici. Et je ne peux pas tout le temps la regarder et être impuissant.

La guerre rouge est finit – c'est le nom que l'on a donné aux derniers évènements. Donc, pour le moment, je n'ai pas vraiment de but dans la vie.

Mais je ne peux pas rester là à être un pot de fleur. Je ne peux pas la regarder.

_ Excusez-moi.

Je m'enfuie de la cérémonie sans bousculer personne et en passant entre les gens qui récitent le rite de la résurrection. Je cours loin dans un couloir que je ne connais pas encore. Mais je sais que Nam l'empruntait souvent lorsque nous étions ici. Tobias me l'a dit.

Le vide que je ressentais il y a deux jours s'est presque dissipé. Certains souvenirs sont revenus, où je vois Nam conduire, où je la vois se battre. Mais un me revient sans cesse quand je pense à elle.

Elle marche dans les rues de Laina, seule avec un fusil dans le dos et une bestiole morte dans chaque main. Je crois que c'est la première fois que je l'ai vu. Et c'est dingue la vitesse à laquelle je suis devenue accro.

Tobias m'a expliqué aussi qu'elle adorait Laina, mais que depuis le jour du rasement, elle est devenue très sensible à ce sujet. Que pensera-t-elle quand elle verra qu'on la reconstruit en ce moment-même ?

Lorsque je débouche au bout du dernier couloir, mes yeux se perdent sur une grande prairie éclairée par le soleil couchant. Je lève la tête et regarde les arbres prêts à s'écraser sur les plans de tomates et de courgettes. Je m'avance vers un coin d'herbe bizarrement au centre de la caverne. Je m'allonge et ferme les yeux pour m'empêcher de pleurer.

Je pleure Aedan qui n'a pas survécu à l'explosion de la bombe. Quand Nam nous a dit de partir, il a été le premier à s'enfuir. Nous n'avons pas réagi à temps, de notre côté. Et lorsque le bureau s'est effondré, il se trouvait justement dans le salon.

Je pleure Hemming, Furie, Tania... Tous ceux qui n'ont pas réussi à voir où nous en sommes aujourd'hui.

Oui, car aujourd'hui, Jera a pris la succession de Connors mais a dissout tous les projets secrets de l'Armée. Il reconstruit la politique de la Capitale avec l'aide de Gio et Iori. A l'heure actuelle, ils commencent à monter le projet pour redistribuer les ressources. Ça avance doucement mais nous sommes sur la bonne voie. Il n'y a plus de frontière entre la Capitale et le Sud, désormais. Le mur a été démoli en quelques heures à peine après l'explosé du bureau de Connors. Jera a aussi demandé aux laborantins d'Acropolis de reconstruire les gênes des animaux modifiés et de les relâcher. Qui sait, autant un jour, le Haze serait l'égal de l'homme !

Je revois les yeux de Nam derrière la porte vitrée du bureau de Connors. Ce « je t'aime » qu'elle m'a adressé, à moi et à moi seul.

Elle me manque, sans vraiment me manquer. C'est très compliqué de mettre des mots sur les sentiments que j'éprouve. Je l'admire mais je ne la connais pas totalement. Le vide qu'elle a laissé n'est plus qu'un feu ardent qu'elle seule peut éteindre et je ne l'ai pas. Je ne l'ai pas. Mais je la veux, sans même me poser de questions. Mémoire ou pas mémoire. De tout mon corps et de toute mon âme. Si je le pouvais, je reviendrais en arrière. Je resterais avec elle. Nous serions allés au Sud, sans donner de nouvelles à personne. Sans accroche au Nord, sans rien pour nous retenir.

J'aurais tout fait pour elle. Pour la rendre heureuse, pour la faire sourire, pour l'embrasser. Tout. Absolument tout.

Mais maintenant tout ce que je peux faire, c'est attendre.

*

Il est plus de minuit et il n'y a plus personne pour réciter les rites. Ils ont abandonné. Cela fait plusieurs heures qu'ils s'y attèlent mais maintenant, il n'y a plus aucun villageois. Je la regarde dans cet épais liquide rouge qui recouvre son corps entier, son visage miroitant à la surface. Je glisse ma main dans ses cheveux poisseux et continue de pleurer tout ce que j'ai.

_ Faites-la revenir. Je vous en supplie...

Comme un poème, je répète cette phrase comme mon rite à moi. Mais je perds patience. Je perds espoir. On perd tous espoir pour qu'elle revienne. Je me suis enfermé tout seul dans un piège et je vais vivre avec ça jusqu'à la fin de ma vie.

Ça m'apprendra à vouloir forcer une fille à me laisser monter dans sa voiture.

Ça aussi, Tobias me l'a raconté.

*

Quand j'ouvre les yeux, j'aspire une grande goulée d'air mais n'en trouve pas. Au lieu de ça, je trouve un goût horriblement métallique avec une pointe inconnue. Je me débats et remarque que je suis dans de l'eau. Ou du sang. Je surgis au-dessus de la surface et trouve enfin de l'air frais. J'essuie mon visage et mes yeux pour regarder autour de moi.

La place du village de Faniath est complètement vide. Personne à l'horizon.

Suis-je morte ?

Je tente de me lever mais j'ai dû mal à commander mes jambes. Quand j'en sors une de la mare de sang, à l'aide de mes mains, je me rends compte que je n'ai pas des jambes humaines mais celles de robot. D'un robot.

Sur ma cuisse droite, une grosse tâche rouge biscornue gêne l'harmonie des couleurs. Quand je passe le doigt dessus, je sens que ce n'est pas du métal mais du tissu. Un tissu rouge sang qui a fondu dans la coque de la cuisse.

_ Water...

Je tente de me redresser et finit par y arriver en me tenant au rebord de la cuve de verre. Une fois debout, je vacille et bascule par-dessus la paroi pour finir sur le sol. Je pousse un cri lorsque les pierres et la terre s'enfonce dans ma peau rougeoyante. Je me relève doucement en me tenant tant bien que mal sur mes nouvelles jambes.

_ Tobias... Je vais lui passer un savon si je le...

_ Nam ?

Je tourne la tête et aperçoit Kara debout, en tenue de pyjama. Totalement absorbée et... heureuse ?

_ Ça a marché...

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