Rendez-vous

C'est enfin l'heure. Rien que l'idée de partir aussi loin sans Jeanne ou George me stresse . Je rejoins Naël qui m'attend déjà. Il est habillé sobrement, simplement, pourtant je le trouve si classe.

— Tu en as mis du temps, je pensais pas que tu étais ce genre de fille-là... dit-il l'air moqueur.

— Arrête tu sais très bien que c'est faux. mon regard le transperce.

Il me fixe de haut en bas, je rougis. Ses yeux pareils à ceux de Sarah ne me laissent pas indifférente, je n'arrive pas à comprendre pourquoi il me fait cet effet-là. Je ne suis pas apeurée comme quand d'autres me regardent. Je ressens une sorte de palpitation, c'est à la fois si agréable et si contrariant...

— Décidément, t'es devenue sacrément jolie en si peu de temps. déclare-t-il en me faisant ses fameux clins d'œil.

— Quoi je l'étais pas avant ? dis-je, l'air faussement grave.

— Tu sais très bien ce que j'en pense, allez on y va ?

Je me demande bien ce que tu penses Naël...

On marche ensemble en direction d'un arrêt de bus. Si j'ai bien compris, on doit en prendre un qui nous mènera en direction de Montpellier. Le restaurant n'est pas loin du terminus, un autre terme que je n'avais jamais entendu. J'ai tellement de choses à apprendre encore. Sur ce monde-là.

Quand je regarde Naël, j'ai l'impression que parfois il est perdu. Je ne saurais comment l'expliquer, son regard paraît si vide par moments, j'y perçois aussi de l'incompréhension et de la noirceur.

Je me demande si ça a un rapport avec ses petites virées où il ne revient pas à la maison pendant plusieurs jours. Peut-être que c'est dû au passé de Sarah, je connais si peu de choses sur eux...

Ce qui me fait plaisir, c'est que son regard quand il est avec moi n'est pas comme ça. Il est indescriptible, j'ai l'impression qu'il me sonde, qu'il veut tout savoir de moi. C'est différent de Julian, lui pénétrait dans mon regard pour me déstabiliser, me terroriser, me contrôler.

Pourquoi je les compare toujours...

— J'ai souvent l'impression que t'es là sans être là Eileen. dit alors Naël, le regard pénétrant.

Il s'arrête, moi aussi, il continue de me fixer, souhaite-t-il une explication de ma part ?

— Désolé... Je réfléchis continuellement à...

— Non. me coupe-t-il. C'est pas ça que je veux dire, j'aimerais savoir ce qui se passe. Dis-moi qui est le fils de pute qui t'a fait ça. On le sait Eileen, que c'est Julian. Mais je veux savoir qui c'est.

Il a l'air furieux, non, plus que ça, ses yeux reflètent une haine insondable. Si jamais il retrouve Julian, il fera tout pour le tuer, il ne s'arrêtera pas. J'ai déjà vu ce regard, dans les yeux de gueule d'ange quand il a voulu en finir avec les surveillants qui nous tenaient... Naël a déjà fait ça ?...

— Il m'a adoptée et s'est occupé de moi jusqu'à ce que tu me sauves...

— Tu te fous de ma gueule Eileen ?

— Non... Je te jure...

— Mens pas et surtout... Ne le protège pas, ce sale fils de pute ne te mérite pas, je veux savoir ce qu'il a osé te faire.

— Il a rien fait...

Si je lui dis... Il va exploser... Mais... Je peux en profiter pour en savoir plus sur lui...

— Eileen dis-moi...

— Ok, ok ! dis-je, reculant sans m'en rendre compte.

Naël s'arrête, il a l'air de reprendre ses esprits.

— Putain... Désolé... Je voulais pas être...

— T'en fais pas... Je vais te raconter...

C'est avec difficulté que je répète à Naël ce que j'avais déjà dit à Jeanne. Il en sait bien assez... Il ne s'attendait pas à ça, je le sais. Son visage se crispe encore plus que la première fois, il se contient tellement, il est comme ça à cause de moi ? Il a beau me faire un peu peur, je me sens quand même un peu rassurée.

— Je vois... Tu es sûre que c'est tout ?

— Oui...

J'ai l'impression qu'il hésite à poser d'autres questions. Il est attentionné, protecteur, c'est une bonne personne. N'empêche qu'il n'a pas l'air convaincu.

— Je laisse tomber pour cette fois, un jour je finirai par le retrouver, je le ferai parler, quoiqu'il en coûte.

— Naël...

— Quoi ?

On se regarde encore un moment, oubliant presque qu'on va être en retard pour le bus. Pourtant, on continue de s'envouter, de s'hypnotiser, de s'embrasser à travers notre regard.

— Rien... On devrait se dépêcher, on a un bus à prendre.

— Ouais...

Malgré notre léger accrochage, l'ambiance s'est détendue. Heureusement on est arrivé à temps pour prendre le bus. Une première pour moi. J'ai d'ailleurs failli me casser la figure plus d'une fois, Naël n'a pas arrêté d'en rire, j'aime le voir comme ça.

Au bout d'une trentaine de minutes, on arrive à Montpellier. Voir tant de gens me fait toujours aussi peur, Naël me tapote la tête, je le pousse.

—Tu me fais quoi là ?! m'exclamé-je, l'air remonté.

— J'vois bien que t'es pas bien, je te réveille. répond-il en souriant.

— Tss.

— Tu feras moins la gueule quand on rentrera dans le resto.

— Ce sera ma première fois...

— Oh... dit-il l'air intéressé.

— Tous les mêmes. murmuré-je, exaspérée.

Peut-être que je l'intéresse ? Impossible...

La gare est immense, je n'avais vu qu'une partie de la ville. Dire qu'elle est grande ne serait qu'un euphémisme, des commerces, des banques, des assurances, des bars, rien ne manque.

-C'est quoi un Macdo... ? balbutié-je en voyant l'énorme enseigne non loin de la gare.

Naël me regarde, l'air effaré. J'y suis habituée, depuis le temps que je pose des questions qui paraissent tellement stupides pour des gens normaux.

— Un fastfood, mais c'est pas là que je t'emmène, tu mérites plus que ça.

— Oh, merci très cher !

J'adore quand il me complimente, ça me fait sourire bêtement, pourquoi ? Je ne sais pas...

— T'as l'air contente, ça me fait plaisir. déclare-t-il, les yeux brillants.

— Merci Naël... des larmes de joie coulent le long de mes joues.

— Non s'il te plaît...

— Désolé... Je peux pas m'empêcher de penser que sans toi, je n'aurais rien eu. Le premier jour je me méfiais, je ne t'ai pas dit ce que je ressentais vraiment. Je te dois tellement, je saurais pas comment te remercier, tu es ma lueur d'espoir Naël, je veux que tu le saches...

C'est enfin sorti ! Depuis tout ce temps que c'est en moi...

Il n'a pas l'air de savoir que répondre. Sa main touche nerveusement son menton, l'air gêné. Je n'aurais peut-être pas dû dire tout ça ?

— Tu me dois rien Eileen, j'ai eu aucune arrière-pensée en te sauvant, c'est juste... Non, je sais pas, une voix m'a dit dans ma tête de foncer, je regrette pas. C'est tout et c'est le principal, d'ailleurs, on est arrivé, c'est ici.

On est effectivement à l'entrée d'un restaurant, grand, luxueux. Naël m'invite à rentrer, c'est encore plus classe que notre maison. Les personnes présentes ont l'air d'être plutôt aisées, ça veut dire que nous le sommes aussi ?

C'est vrai que je n'y avais pas pensé. Ils m'achètent pleins de vêtements, leur maison est géante, Naël m'invite à un restaurant. Les Lemoine ne sont pas à plaindre, dire que je suis avec eux...

Le serveur nous attend, le regard curieux, vu notre âge ça ne m'étonne pas vraiment. Il nous emmène cependant à la table réservée. La bouteille de vin rouge au milieu de celle-ci me fait penser que je n'ai jamais goûté d'alcool. J'espère que ça ne me ridiculisera pas...

On s'assoit, le serveur nous laisse la carte. Je regarde les prix instantanément, c'est si cher !

— T'en fais pas c'est moi qui paye, tu peux choisir ce que tu veux Eileen. m'annonce-t-il en souriant.

— Non je ne peux... commencé-je à répondre.

— Eileen, s'il te plait, me coupe-t-il, je veux au moins te faire découvrir quelques trucs pour que tu sois heureuse.

Je le regarde avec insistance, il ne lâchera pas. Je choisis donc mon menu pendant que Naël ouvre la bouteille de vin.

— Tu veux un verre jeune inconnue ? me demande-t-il avec son clin d'œil légendaire.

— Je sais pas... J'ai jamais bu... Et m'appelle pas comme ça...

— Raison de plus pour goûter un vin rouge de qualité, comme ça j'aurais pas utilisé ma fausse carte pour rien...

— Tu...

— T'inquiètes Eileen, y a aucun risque tant qu'on paye, la fausse carte, c'était pour ce délicieux vin rouge...

— Juste un alors...

Il me sert un verre, je le prends, le regarde pendant un petit moment sous les rires de Naël. Après quelques secondes d'hésitation, je me lance. Une impression de brûlure parcourt ma gorge. Le goût n'est pas si désagréable, la sensation quant à elle l'est un peu.

— T'en penses quoi ? me demande-t-il la mine joyeuse.

— J'aime bien. dis-je en souriant.

On discute alors durant quelques minutes. Entre temps le serveur est venu nous voir pour la prise de commande, soudainement, une question me vient en tête.

—D'ailleurs Naël, si je le demandais à George et Jeanne, tu penses qu'ils seraient d'accord pour m'envoyer à l'école ?

Son visage se crispe légèrement, l'ai-je énervé ? Ça disparait au bout de quelques secondes, comme s'il avait vu que je l'avais remarqué.

— C'est de la merde le lycée, y a que des hypocrites, je pense pas que ce soit fait pour toi, tu es trop innocente pour les con... Pour les gens qu'il y a là-bas...

— Je vois... affirmé-je tandis que je finis mon premier verre.

Et pas le dernier...

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