Mon prénom
Lylia est morte... Pourquoi... Pourquoi... Pourquoi...
— Pourquoi...
— Qu'est-ce que tu dis microbe ? s'énerve M. Thomas, le regard mauvais.
— Vous êtes des ordures ! Je vous tuerai, vous payerez ! hurlé-je, mes larmes se mêlant aux cris.
Ils m'ont tout pris, alors que je me tortille pitoyablement par terre, prise d'une folie incontrôlable, d'une colère insondable, je perds la raison. Mon enfance, ma vie, mon bonheur, le jeune garçon et Lylia... Je n'ai plus rien, plus d'attache, plus de cœur, plus d'âme, juste du noir. Un abîme si profond que n'importe qui prendrait peur en le voyant, moi-même j'ai peur, je m'engouffre dans celui-ci, il me ronge, me détruit...
Je saute sur M. Thomas, peu importe de ce qui pourrait m'arriver, malgré mon petit corps, je ne me laisserai plus faire. Malheureusement, quelle que soit la profondeur de mon abîme, ça ne me donne pas assez de force pour le vaincre. Il me jette par terre et me donne un coup de pied au ventre qui me fait vomir une nouvelle fois, il me crache dessus, me souille encore.
— Eh petite pute, t'as déjà de la chance d'être en vie et encore vierge, tu devrais me lécher les couilles et dire merci maître au lieu de geindre comme une femme qu'on martèle de coup de reins.
Je te déteste... Sale...
Alors que je tente de me relever il me prend sans que je ne puisse rien faire, j'en ai marre...
Il me confie à la première femme venue, lui ordonne sèchement de me soigner avant de partir lâchement sans me dire un mot, sans même daigner se retourner, ça prouve bien que mon existence n'apporte rien. Autant mourir dans ces cas-là...
La jeune femme m'emmène loin de Lylia, je me débats, je ne veux pas être loin d'elle, je n'ai pas été là quand elle était au plus mal... Elle devait se sentir si seule, avoir si peur... Elle me manque déjà, c'était mon Soleil, mon bonheur... Je t'aimais tellement... Ma seule amie... Ma meilleure amie...
— Tuez-moi... murmuré-je, la voix camouflée par mes sanglots.
— Pardon ? réponds l'infirmière préparant les premiers soins.
— Tuez-moi... Je vous en supplie... sangloté-je, désespérée.
La jeune femme paraît abasourdie, choquée serait un euphémisme. Je veux pas de sa pitié, je veux juste qu'elle mette fin à ma souffrance, j'ai si mal... Des médicaments ou des bandages ne peuvent pas soigner ce genre de blessures... Je suis pas médecin mais je le sais... C'est comme si j'étais atteinte d'une maladie du cœur, incurable... Pourquoi m'attarder à vivre dans ce monde ? À souffrir jusqu'à mon dernier souffle ? Quitte à choisir, je veux qu'on mette fin à ma souffrance dès maintenant...
— Eh ma belle... me susurre la jeune femme, tandis que je continue de pleurer. Tiens bon... Tu t'en sortiras d'accord ?
— Non... Vous mentez... répliqué-je, mes larmes coulant à flots. Je vous en supplie... Mettez fin à mes jours...
— Je peux pas faire ça ma jolie... Ce serait gâcher ton futur... Tu t'en sortiras...
Si tu savais ce que j'ai vécu à cause de ta lâcheté...
J'ai l'impression de tomber dans les vapes, si seulement ça pouvait être pour l'éternité... Je serais libérée sans avoir à déployer les ailes pour m'envoler, même si je dois sombrer en Enfer, ce ne sera jamais aussi horrible qu'ici...
Je me réveille une heure après, plusieurs personnes dans ma chambre, que font-elles ? J'arrive à discerner plusieurs visages, dont M. Thomas, il paraît terriblement déçu, voir enragé, se fait-il recadrer ? Je reconnais aussi le visage de M. Marie, c'est fou à quel point il ne ressemble pas à un directeur. Je ne l'ai vu que quelques fois, c'est très rare qu'il nous rende visite, ça doit être important, il y a aussi une femme, je crois que c'est celle qui m'a soignée. Cette lâche qui n'a pas mis fin à mes jours... Pourquoi sont-ils là alors que je n'ai qu'une envie, c'est de me tuer... De ne plus penser à rien, de m'évader de cet Enfer...
— Enfin réveillée ? se moque M. Thomas, ne souriant plus. Tu vas me manquer...
Qu'est-ce qu'il raconte, comment ça je vais lui manquer, vont-ils enfin me tuer ? Ce serait le meilleur cadeau que je puisse avoir...
— Une personne va t'adopter petite. m'annonce M. Marie de sa voix bourrue.
Hein ?
Ai-je bien entendu ? On va m'adopter ? Je vais sortir d'ici ? Dans un sens je suis heureuse et soulagée. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser que ce que j'ai fait avec Lylia n'a plus aucun sens. J'aurais pu la convaincre de ne pas suivre les gars, j'aurais pu essayer de négocier pour qu'elle se fasse adopter elle aussi avec moi...
— Eh la cruche tu pourrais réagir non au lieu de nous faire les grands yeux ! crache M. Thomas ne voulant plus rater une occasion de me rabaisser.
— Désolé... Je vais vraiment être adoptée ? demandé-je en essayant de cacher la pointe d'espoir dans mon regard.
— Espèce de...
— Calme-toi. coupe M. Marie avant de se tourner vers moi. Oui il t'attend dehors, cette jeune femme va t'accompagner. Seule.
M. Thomas lâche un juron avant de s'en aller rapidement, je ne peux m'empêcher de sourire. N'ayant aucune affaire je peux partir dès maintenant, sans me soucier du reste, les seules choses que je prends avec moi sont mes souffrances, mes souvenirs et toi Lylia...
J'aurai besoin de toi...
On est devant le portail de l'orphelinat, une semaine avant ça, j'avais caressé l'espoir de m'enfuir aux côtés des garçons et de Lylia. Tout ce qu'on a touché finalement, c'est le sang, la douleur, le désespoir à son apogée... J'en tremble encore, j'étais là... Allongée, impuissante, j'ai regardé ces garçons mourir sous mes yeux, sans pouvoir rien faire, après ça a été au tour de Lylia, tout ce que je frôle je le tue... Je suis aussi sale qu'eux, aussi dégueulasse que ces monstres que je méprise tant...
Malgré la douleur que me procure ce lieu, j'avance. Un peu plus loin, un homme attend devant sa voiture. Il est beaucoup mieux habillé que moi, chemise blanche, pantalon noir. Il tient ce qu'avait souvent à la bouche M. Thomas, une clope je crois. Comment ils peuvent aimer ce truc ? Ça n'a juste qu'une horrible odeur irritante. Ce que font ces hommes, je ne le comprendrai jamais. En tout cas celui qui patiente est classe, je trouve ça rassurant qu'il n'ait pas la même tête que tous les fous de l'orphelinat. Il ne paraît pas trop vieux, la trentaine je pense, assez musclé, son visage me fait aussi penser à un cancre. Plus je m'approche de lui plus je discerne des choses. Il n'a pas de barbe et a une grosse cicatrice sur son menton. Il n'est pas moche, a les cheveux mi-longs et châtains. Ses yeux bleus me pénètrent comme jamais on ne l'avait fait, même M. Thomas n'avait pas un regard aussi puissant, il s'immisce en moi, dans mon esprit, il sait ce que je pense... Il n'est pas normal...
Je recule, la jeune femme à mes côtés me pousse, ça me ramène à la réalité, j'ai l'impression que le temps tourne au ralenti, cet homme me procure vraiment une sensation bizarre.
— Ça va ma petite ? demande-t-elle.
— Oui... dis-je, ne voulant pas m'attarder ici.
L'homme s'approche, la jeune femme s'arrête, je fais de même, pourtant elle me fait signe de continuer.
— C'est ici que nos chemins se séparent. Pour tes mains, je te conseille de demander à cet homme de t'emmener voir un docteur, il te prescrira de meilleurs médicaments et pourra te mettre un plâtre si jamais c'est vraiment grave.
— Je lui dirai... Merci et...
Je baisse la tête, la culpabilité prend le dessus, pourquoi moi je peux partir ? Il y a eu des morts, des blessés, ce n'est pas fini, ça ne finira sans doute jamais, alors pourquoi moi et pas les autres ?..
— Ça ira pour nous. me rassure la jeune femme, souriante. J'espère que tu seras bien dehors.
— Salut toi ! s'écrie l'homme, se penchant vers moi. À partir de maintenant je vais bien m'occuper de toi, tu verras ce sera pas comme ce foutoir...
— Bonjour... dis-je, apeurée.
Je n'ai jamais vu de gens de l'extérieur, je sais absolument pas comment réagir. L'excitation, la joie, la peur, les remords, tout s'entrechoque dans mon cerveau de gamine sans que je ne puisse rien contrôler. Je pars enfin, je m'aventure dans un nouveau monde, j'ai encore du mal à y croire. L'homme me fait monter dans l'arrière de sa voiture, c'est une première pour moi, elle est toute noire, assez longue mais pas trop large. L'intérieur est si confortable, du cuir je crois ? En tout cas elle est magnifique, et il y a de la place pour au moins cinq personnes !
— Je vais directement t'emmener dans ma maison, ce sera aussi la tienne, ok ?
— Oui...
L'homme malgré son aura mystérieuse paraît gentil, il s'adresse pas à moi comme eux le faisaient, comme si je n'étais rien, même pas humaine.
— Tu t'appelles comment d'ailleurs ma belle ?
— Je...
Il me regarde d'un air curieux, interrogateur, va-t-il me juger si je lui dis ?
Roh puis c'est pas grave !
— Je n'ai pas de prénom... Ils ne m'en ont pas donné...
— Eileen. dit-il d'une voix mélodieuse, résonnant dans ma tête.
Je le regarde, abasourdie.
— Comment ?
— Je te donne un prénom, Eileen, tu en penses quoi ? C'est beau non ?
Les larmes coulent, des larmes de joie, je me libère de mes anciennes chaînes qui faisaient de moi un objet, j'ai pour la première fois l'impression d'être humaine...
— C'est magnifique... Et... et vous ?
— Moi ? C'est Julian.
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