Je vous déteste...
L'histoire de Naël et Sarah m'a chamboulée, c'est pour ça qu'elle avait ce regard compréhensif, puissant. Je le savais, que ses yeux avaient vu l'Enfer, mais savoir que son esprit a subi le même traumatisme que moi, ça me met vraiment mal à l'aise.
J'ai pas pu entendre tout leur passé, Sarah a fini par s'effondrer, je la comprends parfaitement. Elle doit toujours se sentir sale, même depuis tout ce temps... C'est le cas pour moi.
C'est pour cette raison que Naël fait partie d'un gang... Est-ce celui qui est responsable du règlement de compte ? Est-ce pire ? Mieux ? C'est horrible toutes ces questions sans réponses...
Nous n'en avons pas reparlé depuis, ça fait une semaine qu'ils me l'ont raconté, je n'ai pas fait la curieuse. Instaurer un nouveau malaise n'est pas dans mes objectifs. Maintenant que j'ai eu les résultats de mon test ADN, je vais pouvoir me faire adopter par les Lemoine. Il ne reste plus qu'à faire les papiers. On a d'ailleurs reçu une convocation de la gendarmerie pas plus tard qu'hier. Je me demande si ça a quelque chose à voir...
— Pas trop stressée ma petite Lee ? interroge Jeanne, le regard toujours aussi doux.
— Non ça va... Je me demande juste pourquoi ils veulent nous voir.
— Ils veulent sûrement en savoir plus sur toi et peut être qu'ils ont découvert quelque chose sur ton passé ?
— Sur le test ADN, il n'y avait même pas le nom de mes parents, juste la preuve que je suis bien française... Comment ils pourraient savoir quelque chose ?
— Oh tu sais, ils ont accès à beaucoup de choses.
— C'est si important que ça la gendarmerie ? Tout ce que je sais, c'est que Julian les redoutait.
— Il a bien raison, les gens comme lui ne méritent pas d'être dans notre société, surtout vu ce qu'ils font à des jeunes filles parfaites comme toi.
Du dégoût et de l'empathie dans le même regard, un mélange si improbable que le résultat me laisse sans voix.
— Je parle trop de lui... Je devrais arrêter...
— Non Eileen. affirme Jeanne, s'asseyant sur mon lit. C'est bien que tu en parles, ça te permet d'avancer et de prendre du recul, c'est important. D'accord ?
— Tu as peut-être raison. admets-je, en souriant.
J'ai envie de parler avec Jeanne du passé de Naël et Sarah. Après quelques instants d'hésitation, je finis par m'abstenir. Personne n'a envie de se rappeler cette sombre époque.
J'aimerais vraiment avoir une amie à qui parler tout le temps... J'aurais tellement de chose à te dire Lylia... Soudainement, je pense à Luna, elle m'a donné son numéro et ses réseaux. Je peux bien lui envoyer un message, ça fait une semaine que je n'ai pas donné de nouvelles...
— George a pris son après-midi, Naël, Sarah et Aiden ont un justificatif pour pouvoir venir.
— Ok... J'espère que ça ne les dérange pas.
Elle sourit.
— Si c'est toi, je peux t'assurer que ça ne les gêne pas.
Après avoir mangé avec Jeanne, pendant que tout le monde est à l'école, je m'étale sur le canapé. Je prends mon courage à deux mains. Après plusieurs instants à regarder bêtement mon portable, j'envoie un message à Luna. On verra si elle me répond.
Il va être l'heure de partir à la gendarmerie. Je suis si stressée que j'en deviens nauséeuse, vont-ils me prendre pour une menteuse ? Vais-je être séparée des Lemoine ? C'est horrible d'être dans l'ignorance.
La route passe à une vitesse vertigineuse. Comme à son habitude, Jeanne tente de me rassurer, me dit que ça va bien se passer. Je l'espère de tout mon cœur. En arrivant là-bas, j'aperçois Naël, Sarah, Aiden et George. Je baisse la tête de honte, c'est à cause de moi qu'ils perdent du temps.
— Ça va Princesse ? intervient Aiden, devançant les autres.
— Un peu stressée...
Il ricane, ce qui a le don de me faire angoisser encore plus, Naël s'approche alors de moi.
— L'écoute pas, ça va bien se passer, ok ?
Ses paroles ciblent directement mon cœur, passant de la vitesse d'un TGV à celle d'une personne mourante. Sarah quant à elle, est dans son coin, j'ai l'impression qu'elle m'évite. Depuis la dernière fois, on a presque pas parlé. Ça me gêne d'autant plus que je sais qu'ils vont bientôt partir, il ne reste que trois semaines, je ne m'y ferai donc jamais ?
La gendarmerie est immense, elle arbore un drapeau de la France. Quand je le regarde, je ne peux m'empêcher de me dire que si j'étais pas née ici, je n'aurais sans doute pas eu à subir ça...
Est-ce la faute du pays ? Ses règles sont-elles trop souples ? Le peuple est-il perverti ? Ou ce ne sont que certaines personnes ? Tout ce que je sais, c'est qu'en dehors de chez les Lemoine, je ne me sens toujours pas en sécurité.
Une Ombre me suit sans relâche, me guette, elle attend le moment propice, pour m'emporter, m'arrachant à cette simple routine que j'aime tant.
L'ombre de Julian.
On marche silencieusement, l'ambiance est semblable à celle du tribunal. On voit que c'est un lieu important, respecté. Je regarde partout, l'air émerveillé, tout est neuf. Il y a des tableaux représentant chacun une personne différente, je crois reconnaître certains présidents.
— Nous pouvons faire quelque chose pour vous ? dit alors une voix monotone derrière nous.
Nous nous retournons avec surprise, je ne l'ai même pas entendu arriver. C'est un policier, il a un visage qui concorde parfaitement avec sa voix, un visage blasé.
George s'approche de lui, toujours avec son imposante stature, il tend la main. L'autre paraît bien frêle à côté.
— Nous avons reçu une convocation, pour une déposition.
— Nom ?
— Lemoine.
— Ah oui, cette fameuse affaire.
"Fameuse" ? Pourquoi est-ce que j'ai un mauvais pressentiment...
Je finis par me retrouver seule dans une salle d'attente. Ils veulent tout d'abord prendre la déposition des Lemoine, sans doute pour s'assurer que je ne dis pas de bêtises. Mon portable vibre, je le regarde, mon visage s'illumine, Luna m'a répondu !
— Elle veut qu'on se voit le plus vite possible... murmuré-je, l'air pensif.
Je lui réponds que je suis disponible la semaine prochaine. J'espère que Nathan sera là aussi, je vais lui envoyer un message aussi. Je discute avec mon amie durant au moins trente minutes, ça commence à devenir long. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien dire ?
— Eileen ? demande un policier, s'approchant de moi d'un pas rapide.
— Oui. C'est moi.
Ma voix reste à peu près normale malgré le stress que je ressens. Je me retrouve dans une petite salle blanche, juste deux chaises et une table.
— Je me présente, Théo Hoffmann, officier, c'est moi qui gère la brigade.
Pourquoi une personne aussi importante ici s'occupe de mon cas ? C'est à n'y rien comprendre, je ne suis que moi, je ne devrais pas autant attirer l'attention.
— Bonjour, moi c'est Eileen...
— Oui Eileen David.
L'espace d'un instant mon cœur s'est arrêté. J'ai même cru que le temps lui-même s'était figé. Ma bouche a tenté d'émettre un son, rien n'est sorti. C'est le nom de ma mère ? De mon père ?
— Comment...
— Nous avons les résultats de votre test d'ADN, dans le cadre de l'enquête nous avions besoin du plus d'éléments possibles.
— Pourquoi avez-vous besoin de faire tout ça ? Je ne comprends pas.
— C'est moi qui pose les questions jeune fille. répond Hoffmann en souriant.
— Désolé.
— Je vais aller à l'essentiel, je veux savoir d'où vous venez et comment avez-vous atterri chez les Lemoine ?
Je lui ai alors tout raconté sur moi. Je n'ai juste pas mentionné le nom de Julian, à la place j'en ai inventé un en faisant croire que je ne savais rien sur l'homme qui m'a hébergée avant l'incendie. Heureusement qu'avant de venir nous avions prévu de tous raconter la même histoire, j'espère qu'ils seront dupes.
Après avoir parlé pendant quelques minutes, je finis par m'arrêter. Il ne m'a pas coupée une seule fois, son regard était complètement concentré sur le mien. Sans doute cherchait-il la moindre parcelle de mensonge dans mon regard ?
— Nous avons enquêté sur des potentiels orphelinats à Paris, au début nous n'avions rien trouvé, mais il y a une chose qui a retenu notre attention.
— Qu'est-ce que c'est ? dis-je timidement.
— Es-tu sûre que l'endroit où tu as grandi était vraiment un orphelinat ? Ou était-ce plutôt un surnom ? Et est-ce que le nom "La Grande Borne" te dit quelque chose ?
Ce que dit l'officier Hoffmann n'est pas du tout bête, je n'y avais jamais pensé. Julian avait plus l'air d'en parler comme un surnom que comme un réel établissement et ce nom...
Soudain, une sorte d'éclair me traverse l'esprit. En partant de l'orphelinat, quand j'étais dans la voiture à m'émerveiller du monde extérieur, j'ai vu une sorte de panneau avec écrit "La Grande Borne".
— Maintenant que j'en suis partie et que je vois ça de l'extérieur, on aurait pas dit un orphelinat. J'ai pas vu grand-chose de là-bas, juste ce qu'ils voulaient nous montrer, mais on aurait plutôt dit un grand bâtiment désaffecté. Et ça me dit un truc la "Grande Borne"...
— Intéressant. Et j'aimerais en savoir plus sur celui qui possédait la maison à Juvignac. Contrairement à Paris, nous pouvons agir directement sur le terrain. Ici, je m'en suis occupé personnellement, mais il n'y avait aucun contrat, la maison n'a pas de propriétaire.
— Je ne sais pas beaucoup de choses de lui, il m'a juste recueillie comme je vous l'ai dit, ça a duré quelques semaines pas plus.
— Mais je ne comprends toujours pas pour quelle raison tu t'es retrouvée dans le Sud de la France alors que tu étais à Paris, tu n'as jamais eu à faire face aux forces de l'ordre ?
— Non jamais, j'ai juste marché sans but... Je n'ai jamais rien eu, ni possédé. Mais...
— Oui ?
— Mes parents... Si vous avez mon nom... Vous savez qui ils-sont ?
Il ne répond pas, je continue de le regarder bêtement, peut-être n'a-t-il pas le droit de divulguer cette information alors qu'ils sont en pleine enquête ?
— Tes parents sont morts... Depuis longtemps maintenant...
L'annonce de leur mort me donne l'impression de m'être pris plusieurs coups de fouet en même temps... La vie est si injuste, je ne peux même pas avoir la curiosité d'imaginer mes parents et ma rencontre avec eux car ils ne sont plus là...
Vous n'aviez pas le droit de partir avant moi, de courir aussi vite sans que je puisse vous rattraper.
Je vous déteste...
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