Ce que tu as fait de moi...

Julian veut me parler, si je n'étais pas habituée, j'aurais pu croire qu'il souhaiterait s'excuser. Malheureusement, l'ambiance parle pour lui, elle est son porte-parole satanique, on en côtoie presque le divin. S'il est énervé, l'atmosphère devient si malsaine que l'impression qu'une main entoure notre cou s'empare de nous. Les doigts s'enfoncent peu à peu dans la chair, la pression augmente, on sent sa gorge se disloquer, s'écraser sous cette poigne, on ne peut rien y faire, c'est là, toute la puissance de cet homme.

Et je la ressens, cette main...

— Tu peux te lever ?

En l'état, mon corps n'a pas l'air de vouloir répondre, il n'y a que cette fichue douleur au ventre qui est présente.

— Non...

Il se mordille les lèvres, la patience s'en va peu à peu, quoi qu'il dise je vais devoir aller dans son sens. Mon esprit se bloque dans l'espace et le temps. Si j'avance, je deviens une meurtrière, si je recule, la case de départ sera mon arrivée. Encore ce cercle, semblable à ce labyrinthe, quoique je fasse, c'est un échec, je me retrouve toujours face à mon Minotaure, sans ailes je ne peux plus rien faire.

— Bon alors, tu vas m'écouter, tu vas prendre ces putain de médocs et on reparle plus, d'accord ?

Ma voix ne porte pas, j'ouvre la bouche une première fois, aucun son, deuxième essai, rien, mon regard tremble en croisant celui de Julian.

— Est-ce que je suis clair ?

Je n'arrive pas à acquiescer, il ne faut pas que je devienne comme lui, une meurtrière.

— Putain de merde, j'essaye de faire ce que je peux pour toi, je suis patient, gentil et tu finis toujours par m'énerver.

— Je veux pas tuer...

— JE M'EN FOUS, JE VEUX PAS QUE TU ME DÉSOBÉISSES, NORMALEMENT TU NE ME RÉPONDS PAS, ALORS PUTAIN DE MERDE POURQUOI MAINTENANT ???

— Désolé... Désolé...

— T'as de la chance, je vais me contenir, pour toi, mais tu as intérêt à te reprendre, sinon, gare à ta pauvre chatte de pute.

Il finit par s'en aller, l'assourdissant bruit que la porte fait en se claquant me montre à quel point j'ai frôlé la mort. Si ça avait été moi à l'instant, je ne serais plus là...

Je dois faire plus d'efforts, cet homme, ce trou noir, jamais repu, toujours à la recherche de la moindre chose pour l'ingurgiter, l'aspirer, le faire sombrer dans le désespoir...

La seule chose qui m'emplie de bonheur dans ce malheur c'est que grâce à ce qu'il m'a fait, il ne va pas pouvoir me baiser ce soir, ni même demain. Une pause va me faire le plus grand bien. Je ressens d'ici sa frustration, j'espère qu'il est comme moi, chaque jour, chaque seconde, quand il me prend comme il veut.

Tu prends soin de moi... J'ai du mal à le croire.

Le soir avant de dormir, Julian me ramène un plateau avec une soupe, un hamburger et un yaourt, de quoi bien me nourrir pour une fois. Je le remercie convenablement, il paraît nerveux. Son regard hurle de désir, d'excitation, la peur commence à m'envahir, s'il s'en fout de ma santé... Il pourrait venir me baiser malgré mes blessures ?

— T'en fais pas ma belle poupée, je te laisse te reposer, on reprendra de plus belle les autres fois.

— Oui ce serait avec plaisir, Maître. Merci pour le repas.

— À demain.

Je regarde la télé, le hamburger entre les mains, j'entame ma première bouchée, succulent. Le film que je regarde m'évade totalement de la réalité, le sandwich disparaît peu à peu, comme l'a fait mon âme jusqu'à maintenant. 

Alors que j'arrive à la moitié, l'arrière-goût bizarre que j'ai ressenti en mangeant la bouchée m'extirpe de ma série. Je regarde dans mon burger, rien, sans doute mon imagination. Cette soupe était vraiment très bonne, je l'ai engloutie en deux secondes.

Je finis vite par m'endormir.

Le matin, la douleur me réveille tendrement, montant en crescendo, jusqu'à ce que j'aie du mal à la supporter, elle devient alors plus dure, plus forte. On dit que les lendemains d'une blessure sont souvent horribles, je suis d'accord.

Julian est parti travailler, la maison est rien que pour moi. Je me lève difficilement, m'habille, prends mes chaussons. La cuisine est ma première destination, j'ai si faim que ça en devient insupportable. De la pâte à tartiner, du pain, du lait. Une combinaison gagnante pour une bonne matinée.

Je regarde le jardin, ça a l'air si facile de sortir, ça en est frustrant, car je sais ce qui m'attend, si je franchis ce point de non-retour. Au bout de quelques heures, mon ennui devient tangible, la porte de la chambre à Julian est ouverte, un sourire apparaît le long de mon visage. Voyons ce qu'il y a d'intéressant dans sa chambre.

Tout est ordonné, son lit bien rangé, son placard, propre, même quand je ne m'occupe pas du ménage, ça reste impeccable. Il n'a pas que des défauts finalement. Mon regard se porte vers  la table de nuit, le tiroir est entrouvert, ma curiosité s'amplifie, avant d'envahir complètement mon corps. Je l'ouvre, un livre.

— "Depuis que je l'ai rencontrée"... Qu'est-ce que c'est que ça ?

"Elle me canalise, elle subit tous mes désirs, toutes mes pulsions, psychologiques ou physiques. Sans elle, je suis rien, plus qu'une coquille vide, je l'aurai à mes côtés toute ma putain de vie..."

Je n'ai pas le temps de finir que j'entends quelqu'un toquer à la porte, lentement, je m'approche de celle-ci. Une fois arrivée, le judas me permet de voir qui est devant. Un homme, chemise blanche, veste noire, il a l'air assez vieux. Son visage ne me dit rien, il ne faut pas que je lui ouvre, sinon Julian va me tuer.

Je retourne incognito dans la cuisine, cette fois, l'homme sonne, je continue de l'ignorer, mon ventre se noue, j'ai un mauvais pressentiment. Je me sers un bol de céréales, si je mets quelque chose au micro-ondes il va peut-être entendre.

En pleine réflexion, j'entends la baie-vitrée du salon se briser en morceaux, l'homme est là.

Je garde mon sang froid, avant qu'il ne réagisse, je cours vers le tiroir à couverts, je prends un couteau et le mets dans ma poche. Ne pas paniquer, sinon, ma respiration va devenir de plus en plus forte, comme à l'orphelinat. 

Je ferme les yeux, le bruit de ses pas s'approche.

— Espèce d'enculé ! Dis-moi que tu es là ! Tu fais la fiotte ? Alors que tu as buté mon frère il y a deux ans ! J'ai mis deux ans à te retrouver sale fils de pute !

Il y a deux ans... 

À moins qu'il ait tué plus d'une personne, le seul homme qu'il a flingué devant moi il y a deux ans est celui qui l'aurait trahi. Ce serait donc son frère ? Il ne faut pas qu'il tue Julian...

Hein ? Qu'est-ce que je raconte ? Pourquoi je n'attendrais pas avec cet homme pour qu'il me débarrasse enfin de lui... Pourquoi je n'arrive pas à avoir cette fichue envie ?

Je ne lui fais pas confiance, encore moins qu'en Julian. Les seuls hommes qui peuvent m'approcher sont Fernando et le Doc, je sais qu'ils ne sont pas comme lui... 

— Putain il est vraiment pas là, ce fils de pute. Je vais aller me boire un coup alors.

Il se rapproche dangereusement de la cuisine. Je finis par prendre mon couteau, je voulais qu'il me voit, me saute dessus en pensant que je suis sans défense et le planter. L'angle n'est pas bon pour cette stratégie...

Son pied est dans mon champ de vision, mon couteau dans le sien, la différence, l'effet de surprise.

— ARGH ! PUTAIN !!!! MA JAMBE !!!

Son hurlement me terrorise, s'il m'attrape, je suis réellement morte, je ne veux pas crever en n'ayant été que celle qui s'est faite baiser par un mec pendant si longtemps... 

Avant qu'il fasse un autre mouvement, je ne me fais pas prier pour lui mettre un autre coup dans l'intestin. Il s'écroule, j'en mets un deuxième, un troisième, un quatrième... Son corps devient méconnaissable. Alors que je hurle tout en continuant de le planter, mes mains, devenues rouge écarlate, tremblent, j'en ai partout sur moi. Lentement, je sens mon esprit revenir de cette phase dans laquelle j'étais plongée. Il a baigné dans ce monde onirique où je m'évade toujours, dans la réalité, je trempe désormais dans un bain de sang.

— Non... Qu'est-ce que...

Ce n'est plus une personne, juste de la chair ambulante, transpercée de toute part. Une scène de crime digne d'un tueur en série, pris d'une folie meurtrière traumatique. Les yeux de l'homme, imbibés de sang, complètement exorbités, une odeur rentre dans mon nez, une image de mort dans mon cerveau, la connexion des deux donnent lieu à du vomi partout. 

— Non... Putain de merde... Non... Je suis devenue comme lui... 

La seule chose qui me restait, Julian me l'a pris.

Mon humanité.

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