Prologue



Le bonheur.

L'une des principales choses que nous recherchons dans la vie. Un état de satisfaction complète caractérisé par sa stabilité et sa durabilité. Parfois, il suffit de petites attentions çà et là dans notre quotidien pour être heureux. Un petit rien qui fait toute la différence. Un geste, un regard, un sourire, une présence, un mot. Une joie intense n'est pas le bonheur. Il s'agit d'un état global dans lequel la plénitude en est la clé.

Comme maintenant.

Je jette un coup d'oeil discret à Noah qui marche à mes côtés. Lui regarde droit devant. Son petit nez droit et ses grands cils lui donnent un air enfantin, même à vingt-sept ans. Grand, beau. Parfait.

Et à moi.

— La vue te plait ?

— Absolument, réponds-je avant de l'embrasser sur la joue.

Je prends son bras et cale ma marche à son rythme. Lente, afin de pouvoir profiter des illuminations des fêtes de fin d'année. Noah passe son bras sur mes épaules et me rapproche de lui pour me réchauffer.

— Il faudrait faire des sorties comme ça plus souvent. Nous deux, resto indien, balade...

Il s'arrête et se tourne vers moi pour reprendre, l'air soudain septique.

— Tu crois que Justine voudra garder encore les enfants ?

— Si elle n'est pas morte ce soir... ou attachée à l'arbre au fond du jardin.

— Ou bâillonnée dans la cave, ajoute-t-il en secouant la tête, hilare. Penses-tu sérieusement qu'Elliot serait capable de lui faire une chose pareille ?

Nous reprenons notre marche côte à côte en silence. Non, notre fils de cinq ans ne serait pas assez fort pour torturer mon amie, mais la rendre cinglée, ça reste à voir.

— Espérons que tout se soit passé correctement. Léni doit dormir à poings fermés, Elliot et Justine regardent probablement les Simpson dans le salon, popcorn, boissons gazeuses et bonbons sur la table basse. Quand on rentrera, c'est Justine en personne qui nous suppliera de sortir pour se refaire des soirées comme ça.

L'image de notre fils ainé et de ma meilleure amie, affalés sur le canapé, copains comme cochons, en train de se goinfrer est plus crédible qu'au fond du jardin, la baby-sitter hurlant à plein poumon pour que l'enfant diabolique la détache.

Plus crédible, mais également plus souhaitable.

Nous reprenons notre route jusqu'au parking, main dans la main, corps collés, cœurs liés. Pas besoin de parler ni d'échanger un regard. La présence de l'autre suffit.

— Je t'aime.

Noah m'embrasse doucement, sans gestes brusques, ses lèvres posées aussi délicatement qu'une plume. Une caresse sensuelle, un baiser véritable, une promesse d'appartenance silencieuse. Tout est retranscrit par son geste et par son regard, tendre et sincère, pour confirmer ses propos. Même après onze années de relation, mon cœur bondit toujours autant.

— Je t'aime. Plus que tout.

Il me sourit, m'embrasse une dernière fois et me prend dans ses bras avant d'enfouir son visage au creux de mon épaule. Son souffle, pourtant chaud contre ma peau, la recouvre de délicieux petits frissons. Malgré le froid hivernal qui commence à s'installer, je suis bien dans les bras musclés de mon fiancé.

Fiancé et père de mes enfants.

Quand il relève la tête, ses yeux clairs plongent dans les miens.

— Tu es belle, Charlotte Spencer, souffle-t-il en caressant ma joue avec son pouce.

Son sourire rayonne dans la nuit tel les vagues qui scintillent sous le clair de lune. Eblouissant, captivant, addictif.

— J'aimerais une fille aussi belle que toi.

Je cligne des yeux, surprise. J'ouvre la bouche sans savoir quoi dire, mais il pose un doigt sur mes lèvres.

— Je sais ce qu'on avait dit. Deux enfants, c'est parfait. Je t'aime et je suis heureux, mais j'aimerais qu'on essaye un troisième. Avoue qu'au fond de toi, tu aimerais une fille. Perso, je le souhaite tout autant.

Il reste silencieux et me fixe avec une intensité nouvelle. Du désir, mélangée peut-être à de l'appréhension. Noah semble vouloir nous plonger dans le mutisme afin que je puisse analyser correctement le sens de ses paroles, pourtant on ne peut plus clair.

Quand il enlève son doigt de sur mes lèvres, je les humidifie avant de retrouver ma voix.

— Mais... et le mariage ?

— Pas de panique, je ne te demande pas de nous y atteler dès ce soir, quoi que si tu es partante, la banquette arrière est très confortable, rétorque-t-il avec un clin d'œil coquin.

— Insatiable, ricané-je en lui tapant le bras.

— Mais plus sérieusement, reprend-il en se raclant la gorge. On pourrait en parler dans quelques mois, histoire d'être vraiment certains, et puis, après le mariage, on pourrait essayer. Tu veux bien y réfléchir ?

Trop éberluée, je ne fais que hocher la tête quand il m'ouvre la portière de la voiture. Je m'y engouffre en frottant vigoureusement mes mains, devenues engourdies à cause du vent glacial. Noah ferme sa portière côté conducteur mais ne démarre pas tout de suite. Il me fixe en silence, comme à chaque fois qu'il essaye de connaître le fond de mes pensées. Et comme d'habitude, je regarde droit devant moi sans m'attarder au regard lourd de mon fiancé.

— Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, bredouille-t-il. C'est juste... c'était juste une idée.

Je tourne la tête vers lui en captant sa détresse. Pour l'apaiser dans ses craintes, je pose une main sur sa joue légèrement râpeuse.

— Je sais, ne t'en fais pas.

Un petit sourire qui se veut rassurant, puis, en me voyant frissonner, Noah met le contact et règle tout de suite le chauffage à fond. La voiture sort lentement du parking sous le craquement des gravillons gelés sous les pneus. La nuit est tombée depuis quelques heures désormais. Les faibles températures ont fait rentrer les habitants chez eux, contre une cheminée où pelotonnés dans une couverture, une boisson chaude entre les mains. La ville semble endormie, bercée par le vent, le bruit des feuillages, les ombres dansantes reflétées par les lumières. La nuit, tout est calme. Un contraste étonnant par rapport au jour, où les nombreuses activités rendent la ville hyperactive.

Lorsque nous bifurquons sur la petite départementale menant vers la forêt, je n'ai toujours pas dit un mot. Noah non plus ne parle pas, trop concentré par la route. Une douce chaleur a envahi l'habitacle, mais mes tremblements ne se sont pas estompés. Je crois même qu'ils ont empirés. La température en était la première cause. Désormais, il s'agit de la nervosité.

La preuve est le sursaut que me provoque la main de Noah, qui vient juste de se poser sur ma cuisse.

— Chérie, ne repenses plus à ce que je t'ai dit. Si tu ne veux pas, je comprendrai et ne serai pas fâché.

— Oui. Oui, je le sais, ne t'inquiète pas. C'est juste... d'accord !

Il acquiesce mécaniquement, mais quand il réalise, il tourne brusquement la tête.

— D'accord... d'accord ? répète-t-il, les yeux écarquillés.

— Léni et Elliot sont ton portrait craché, dis-je en hochant les épaules. Si on pouvait avoir une fille châtain aux yeux marron, ça me va.

Noah regarde la route et freine doucement pour prendre le virage serré, puis reporte son attention sur moi. Si je voulais cacher mes émotions tout à l'heure, cette fois, il ne peut que remarquer mes lèvres tremblantes et la larme coulant sur ma joue.

Il regarde une nouvelle fois la route, mais soudain, sa joie explose, tout comme son rire.

— Un troisième enfant ! s'exclame-t-il en prenant ma main dans la sienne pour la serrer contre sa cuisse. Nous sommes heureux de vouloir une troisième tornade, je n'y crois pas !

— Peut-être qu'il ou elle sera un vrai petit ange...

— Avec deux grands frères branchés sur des piles électriques ? Je ne pense pas.

Nous rigolons quelques instants puis, Noah porte ma main à ses lèvres pour y déposer un long baiser.

— Merci, chérie. Tu me combles.

Je ferme les yeux, le sourire aux lèvres. Le bonheur peut aussi se résulter par la joie de ceux qu'on aime.

Je m'approche de Noah lorsqu'il tourne la tête vers moi, et je l'embrasse doucement.

— C'est toi qui me comble. Tous les jours.

Je reprends ma place et regarde devant moi, quand je fronce les sourcils en voyant une tâche briller sur la route grâce aux reflets de la lune.

— Qu'est-ce que... FREINE !!!

Noah comprend au même moment et colle son pied sur la pédale de frein, sauf que la voiture passe sur la plaque de verglas à une allure bien trop vive. Je pousse instinctivement sur mes jambes pour me caler au fond du siège, mais je suis vite poussée sur mon fiancé quand la voiture se met à tourner.

— Charlotte !!

Le bitume est remplacé par la terre, le crissement des pneus par celui de nos cris, la lune claire par les arbres.

— Noah !!

La voiture fait un tonneau, puis un second. Noah ne cesse de crier mon prénom. Ma tête cogne dans tous les sens. Un craquement me fait hurler de douleur.

Et puis, le pare-brise explose, la voiture s'arrête. Le bruit du klaxon retentit continuellement.

Le bonheur.

Tellement soudain, tellement vrai, tellement modeste. Il arrive parfois lorsque nous ne nous y attendons pas. Il ne suffit pas de grand événement, juste d'une présence, d'une phrase, d'un regard. Tantôt magique, tantôt bienfaisant, tantôt larmoyant ou simplement euphorique.

Mais il peut aussi s'envoler, soudainement, brutalement, pour laisser un trou béant saigner dans la poitrine.

Et ne plus jamais revenir.

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