Chapitre 6

Je ne sais pas si je suis maudite, si j'ai fait quelque chose de mal dans une ancienne vie ou tout simplement que ce village est porteur de malchance. Mais, dans une petite ville de quatre mille habitants, tomber trois fois en trois jours sur la seule personne que je veux éviter, il doit forcément y avoir quelqu'un qui m'en veut.

De plus, je m'attendais à tout sauf à... lui ! Avec une mère au style loufoque, aux manières probablement peu conventionnelles, au langage sûrement sans filtre et à son âge avancé, je m'imaginais un fils de la même trempe, chemise à carreaux, grosses lunettes qui lui mangent le visage, des cheveux poivres et sels aussi hirsutes qu'Einstein, et pourquoi pas un pantalon à bretelles. Mais pas un homme d'une trentaine d'années à l'apparence normale, jeans sombre et pull gris, tout ce qu'il y a de plus banal.

Et encore moins lui !

Lui... Axel... s'est figé à l'instant même où ses yeux ont rencontré les miens. Désormais, le temps semble suspendu, silencieux, comme un arrêt sur image. Notre image, ou deux personnes se dévisagent ouvertement, interloquées, curieuses.

Heureusement, Mamilyne vient rompre ce moment plus que gênant.

— Dans tes connaissances, aurais-tu quelqu'un qui recherche un employé, par hasard ?

La question de sa mère a le don de le faire réagir. Il hausse les sourcils, toujours interdit, sans savoir quoi en penser. Il ouvre la bouche, puis la referme avant de reprendre l'inspection de mon visage. Inspection qui me rend mal à l'aise. Je dandine sur mes pieds, incapable de parler ni de me tenir correctement. Oppressée, je fuis son regard. Seulement, je le sens, ce qui empire mon état.

Thomas, Justine, Sebastien, j'ai besoin de vous.

Mes amis trouvaient toujours les mots pour me calmer lors d'un moment de panique. Aujourd'hui, ils ne sont pas là.

Ils ne le seront plus...

— Je... eh bien... aucune idée... trouve-t-il à bafouiller, alternant son regard entre Evelyne et moi.

— Tu pourrais te renseigner rapidement ? C'est assez urgent. Ah, j'allais oublier... voici Charlotte... Spen... Span... Flûte, quelle tête en l'air je fais. Je ne me souviens plus de ton nom, ma petite.

Je déglutis, mes doigts crispés agrippent mon sac, mes dents sont serrées. Néanmoins, je tente de contrôler mes émotions afin de répondre tranquillement, sauf qu'Axel est plus rapide que moi :

— Spencer, déclare-t-il d'une voix profonde avant de faire un pas et de me tendre sa main. Charlotte Spencer. Enchanté, je suis Axel Dufour, le propriétaire de ces lieux.

— Et aussi mon fils !

Mon interlocuteur lève les yeux au ciel, résigné. Il doit avoir l'habitude.

— En effet, je suis également son fils.

Sa main est toujours tendue devant moi, seulement, je ne la prends pas. Son sourire, d'abord discret, perd de sa fraicheur au fil des secondes qui passent sans que je ne bouge, avant de s'éteindre complètement. Je ne veux pas le saluer, lui parler, me retrouver dans la même pièce que lui. Mamilyne parlait de connaissances et, étant l'épicier du coin, il doit en avoir un grand nombre. Un seul mot de sa part sur l'incident sur le parking de l'école et toute la ville sera au courant. J'essayais de me donner du courage vis-à-vis d'une personne, mais qu'en sera-t-il pour des centaines ?

J'en serais incapable.

Je me sermonne mentalement chaque matin sur la force, la volonté où même sur la confiance pour avoir la tête haute et avancer, sauf qu'il faut que je me rende à l'évidence. Après deux ans à faire l'autruche, ce n'est pas en deux jours que je vais changer. Je le comprends à cet instant, dans cette épicerie, devant cet homme qui ne devait rester qu'un anonyme, mais que le destin, aussi macabre soit-il, a décidé de le rendre un peu moins inconnu.

Et ça me fait peur.

Pendant mon absence mental, Mamilyne lui a probablement expliqué mon problème, compte tenu de ses hochements de tête entendus et de ses doigts sous son menton, signe d'une réflexion profonde. Je regarde autour de moi. Un couple vient de franchir le seuil du supermarché, longeant les allées d'un pas lent. La jeune fille agrippe son petit-ami par la taille sans cesser de l'embrasser.

Un couple heureux...

— Je peux toujours voir avec Georges... mais si, maman, tu le connais... il travaille pour Cross'N Fun.

Axel, les yeux écarquillés, me soutenant pendant ma crise de panique...

— Justement, au club, tu n'as pas un poste à lui proposer ?

— Tout le monde travaille bénévolement...

Thomas, la voix teintée de lassitude, me reprochant ma décision de partir...

Ma décision... Comme si j'ai eu le choix !

— Madame Spencer ?

Une larme solitaire vient s'échouer sur ma joue lorsque je cligne des yeux. Axel vient de me parler, mais j'ignore le sujet. La mère et le fils se regardent, étonnés, avant que Mamilyne ne pose sa main sur mon bras.

— Tout va bien, ma petite ? Tu es pâlotte.

Le père d'Agathe, à en juger par son froncement de sourcil et sa lèvre pincée, semble suspicieux. Jusqu'à présent éteinte, je sors de ma torpeur quand il fait un pas vers moi.

— Je dois y aller ! dis-je précipitamment.

— Mais tu n'as pas pris ton chocolat !

Je presse mes mains tremblantes sur ma poitrine, comme une protection. Une protection à quoi ? Aucune idée, mais je le fais avec vigueur.

— Une... une autre fois, Madame Dufour. Il faut vraiment que j'y aille.

Que je quitte cet endroit le plus vite possible pour retrouver mon appartement, mon refuge, mon lieu de consolation, ma cachette.

Je marche vite, pour ne pas dire trottiner, entre les différentes allées de la boutique.

— Charlotte, attendez !

Sa voix redouble mon envie de m'échapper. Je pousse la porte, une bourrasque de vent froid percute mon visage.

— Non, attention !

Je ne prends pas en compte les remarques du propriétaire des lieux, mais j'aurais dû. A peine ai-je le temps de poser le pied dehors que je glisse, et avec la vitesse à laquelle je fuyais, je n'ai pas le temps de me rattraper.

La chute est brutale, me coupant le souffle à l'instant même où je retombe sur le dos. J'ignore si j'ai perdu connaissance. La seule chose dont je me souviens est une main chaude sur ma joue, puis le visage d'Axel au-dessus de moi.

— Madame Spencer, vous m'entendez ?

Je bouge la tête mais regrette aussitôt mon geste lorsqu'une douleur irradie l'arrière de mon crâne. J'ai l'impression d'avoir reçu un coup de matraque.

— Attendez, je vais vous aider.

Quelque peu dans les vapes, je me laisse étreindre et, lentement, je suis soulevée. Avec des gestes mesurés, Axel me fait asseoir, et si je ne ressentais qu'un mal de tête atroce, désormais, je ressens la même chose sur mon poignet droit. Le mal est tellement puissant, tellement soudain, qu'il m'empêche de respirer.

— Oh, ton poignet me semble cassé, ma petite.

Mamilyne s'accroupit à mes côtés et pose l'une de ses mains sur ma tête, comme une mère le ferait avec son enfant.

— Tu es vraiment pâle, renchérit-t-elle. Quelle idée de t'être enfuie aussi vite ! Tu n'avais pas remarqué la plaque de verglas devant le magasin quand tu es entrée ?

Lentement, les images se mettent en place dans ma mémoire et, évidemment, celle de cette patinoire. Je me souviens avoir fait attention, tout à l'heure, mais avec ma précipitation, cela m'est passé au-dessus.

Quelle aubaine !

— Mais non, il ne doit s'agir que d'une entorse, heureusement, lui répond son fils avant de se tourner vers moi, ses mains toujours sur mon poignet. Vous croyez pouvoir tenir debout ?

Encore quelque peu sonnée, j'évite de parler et préfère acquiescer, geste tout à fait saugrenu qui me provoque un élancement derrière la tête, ainsi que des étoiles devant les yeux. Me voyant étourdie, Axel passe un bras sous mes genoux tandis que l'autre me soutient derrière le dos. Puis, lentement, il se lève.

— Je vais bien, je souffle.

Un mensonge, évidement, qui n'échappe à personne. Mamilyne claque sa langue sur son palais en signe de réprobation.

— Tu es aussi convaincante que mon fils lorsqu'il était jeune !

Pour toute réponse, le concerné lève les yeux au ciel avant de scruter mon visage à la recherche de quelque chose qui m'échappe. Je fuis son regard et préfère m'attarder sur ma voiture, garée sur le parking de l'épicerie, à quelques mètres seulement de là.

— Je pense qu'il faut vous emmener à l'hôpital, décrète-t-il de but en blanc.

— Non. Ce n'est pas grand-chose...

— Vous avez fait une chute sur le dos, ce qui a probablement décollé vos poumons. Vous vous êtes cogné la tête et votre poignet vous fait souffrir. Ne pensez même pas rentrer chez vous comme si de rien n'était, c'est non négociable.

Son regard réprobateur m'agace, seulement, il a raison. J'ai terriblement mal. Et en voyant l'état de mon poignet, qui commence à prendre une teinte violette, je pense que les anti-douleurs que j'ai à la maison ne seront pas assez puissants.

Résignée, je me pince l'arête du nez en soupirant.

— Très bien, je vais chez le médecin.

— Hors de question. Vous devez passer une radio.

Avant même qu'il ne termine sa phrase, il se baisse pour me prendre à nouveau dans ses bras. Geste qui me fait voir rouge de suite.

— Que faites-vous ? Reposez-moi !

— Vous n'avez pas entendu ce que je viens de vous dire ? Je vous emmène à l'hôpital, grogne-t-il, agacé.

— Je peux y aller seule !

— Oh que non !

J'ai beau me débattre, Axel ne veut rien savoir. Il me tient fermement contre lui avant de tourner vers sa mère. Son tablier rose flotte au rythme du vent, tout comme ses cheveux. Avec ses joues roses et son maquillage quelque peu lourd sur les yeux, on la prendrait pour une figurante des pubs pour les bonbons.

— Je te confie la boutique, maman. Je reviens dès que possible.

— Avec les escargots qui travaillent aux urgences, je ne pense pas te revoir avant la fin de l'école. Je ferai goûter Agathe et Léon ici.

Si, jusqu'à présent, j'étais résignée – résignée mais également en colère, le mot « école » m'inquiète.

— Attendez, mes enfants...

— Ils mangent à la cantine ? me demande Axel.

— Oui, mais on ne sait jam...

Une voiture ralentie avant de klaxonner, ce qui me fait sursauter. Mamilyne répond au conducteur par un signe de la main, un grand sourire aux lèvres tandis qu'Axel resserre un peu plus son étreinte sous mes genoux et derrière mon dos. Je me sens mal à l'aise dans ses bras. J'essaye de lui faire comprendre que je peux rester debout, mais il n'a pas l'air de saisir.

— Votre mari peut les récupérer ?

Sa demande était anodine. Une question simple posée à tous parents. Seulement, je la reçois comme une décharge dans la poitrine. Un coup au thorax aussi violent que ma chute sur le sol.

Avec le regard appuyé de la mère et du fils, attendant ma réponse, j'ouvre la bouche en faisant un effort colossal pour ne pas flancher ma voix.

— Il n'est pas ici, dis-je doucement.

— Dans ce cas, si tu n'es toujours pas rentrée à la sortie d'école, je parlerai au directeur, intervient Mamilyne en pinçant ma joue rougie par le froid. Ne t'inquiète pas, il me connait très bien. Je lui expliquerai la situation et tes loustiques mangeront des crêpes avec mes petits-enfants. Comment s'appellent-t-ils et quel âge ont-ils histoire que je ne me trompe pas de bambins ?

Prise au dépourvue, je ne réponds pas dans l'immédiat. Mes pensées volent lentement sur le visage de Noah, sur son rôle de père qu'il remplissait à la perfection. Lentement, elles glissent sur notre famille, heureuse, comblée et soudée lorsqu'il était avec nous. Les repas de famille où les éclats de rires nous empêchaient de nous entendre. Les histoires du soir qui n'en finissaient plus.

Si Noah était encore en vie, je n'aurais pas de douleur au poignet, à la tête, à la poitrine. Mes nuits ne seraient pas remplies de cauchemars et mes jours, d'inconnus aussi gluants qu'un pot de colle.

— Le plus grand est dans la classe d'Agathe, déclare soudain Axel. Il s'appelle Elliot. Tu ne pourras pas le louper, ils sont constamment ensemble...

J'inspire profondément, l'air froid me permettant de retrouver un semblant d'énergie. Axel, désormais calme, laisse sa phrase en suspens dans l'espoir que je la complète. Je tourne la tête vers Mamilyne avant de poursuivre.

— Exact. Et Léni est en petite section.

— A la bonne heure ! s'exclame-t-elle, visiblement enthousiaste. Voilà bien longtemps que je n'ai pas gardé un tout petit sacripant. Je suis sûre qu'il redemandera des crêpes de Mamilyne !

Le sujet étant clos, la vieille dame agite sa petite main tandis que son fils marche prudemment vers sa voiture. Voiture... où plutôt, un énorme pick-up aussi vieux que moi.

— Je préfèrerais prendre ma voiture.

— Je n'ai plus l'habitude des berlines, encore moins des pots de yaourt comme la vôtre. La mienne fera très bien l'affaire. Tenez-vous à la carrosserie le temps que je cherche les clés.

Il me pose tout en douceur, puis place ses mains sur mes épaules en attendant que je sois stable sur mes jambes. Quand, enfin, il est certain que je ne m'effondrerais pas, il soupire tout en fouillant dans la poche arrière de son jeans.

— Ce truc peut tenir sur une route verglacée ?

Axel suspens sa main et arque un sourcil interrogateur.

— Ce... truc, comme vous dites, peut nous conduire partout, route ou non, et peu importe le climat.

Je ne relève pas le ton agacé de sa voix, ni ses gestes plus bourrus qu'à l'accoutumé. Ma seule préoccupation reste ce tas de ferraille aussi lourd que trois voitures normales, sûrement difficile à manœuvrer.

Axel ouvre la portière avant d'alterner son regard entre le siège passager, visiblement bien trop haut pour ma petite taille, et moi. Le voyant chercher un moyen de procéder, je l'arrête.

— Laissez, je peux monter seule.

Je lui tourne le dos, lève la tête vers le siège puis, serrant les dents, j'attrape ce que je peux avec ma main valide et monte difficilement à ma place. Axel referme la portière avant de contourner le véhicule et de s'engouffrer à l'intérieur. L'air froid a pénétré l'habitacle, provoquant une buée sur le pare-brise. L'humidité rend l'intérieur encore moins supportable que dehors. Je frictionne mes bras quand le moteur s'allume sous un grondement menaçant. J'attache ma ceinture, de moins en moins rassurée.

— C'est loin ?

Mon chauffeur essuie le pare-brise avec un torchon de manière frénétique avant de tousser et de se râcler la gorge.

— Une dizaine de minutes environ.

Je soupire à mon tour en fermant les yeux, ma tête calée contre la vitre. Me voilà bonne à passer la matinée, si ce n'est la journée en sa compagnie. Je parlais de malchance, tout à l'heure. A présent, je confirme, j'ai fait quelque chose d'impardonnable dans une autre vie.

Désormais, je suis maudite.

Le pick-up sort du parking et s'insère dans la circulation matinale. En deux temps trois mouvements, nous sommes sortis de la ville. Axel passe tour à tour les vitesses, sous mon regard soucieux en voyant notre allure bien trop vive.

— En déplacement ?

Je tourne la tête en fronçant les sourcils, sans comprendre.

— Votre mari, répète-t-il. Il est en déplacement ?

N'ayant pas envie de m'attarder sur ce sujet épineux, je me concentre sur la forêt, dense et verdoyante, sur ma droite. Cependant, il n'a pas l'air du genre à baisser les bras.

— Divorcée, dans ce cas ?

— Non. Vous roulez vite.

Pour toute réponse, il soupire bruyamment mais ne ralenti pas. Mon appréhension s'accentue à mesure qu'il prend de la vitesse.

— Vous roulez trop vite, je répète, mi-agacée, mi-effrayée, tout en agrippant mon siège.

— Pas de panique, je contrôle la situation.

— Vous ne contrôlez rien du tout. Un gibier qui passe, une plaque de verglas...

— Cessez d'avoir peur pour rien.

Je peine à respirer tant je tremble. Ne voit-il pas le danger qui nous guette, prêt à nous engouffrer dans ses entrailles, ne laissant que chagrin et douleur comme issue ?

— Vous dépassez la vitesse autorisée !

— Si les flics se pointent, ce sera mon problème, pas le vôtre !

N'y tenant plus, je me cale tout au fond du siège avant de hurler dans l'habitacle :

—Ralentissez immédiatement, espèce d'abruti ! Vous ne voyez pas que nous allons avoir un accident avec votre tas de ferraille ? Ralentissez, ralentissez !

Avec le regard qu'il me lance, il doit me prendre pour une folle. Tant pis, qu'il me considère comme telle. De toute façon, avec ma crise de la dernière fois, cela ne fera que confirmer ses soupçons, et peut-être qu'enfin, il ne m'approchera plus. Dans tous les cas, il donne suite à ma demande et freine par petits coups afin de passer en dessous de la vitesse réglementée.

Je pourrais souffler, le remercier et me détendre dans la camionnette, sauf que les récents événements m'en empêchent. Tout arrive d'un coup, que ce soit les allusions sur Noah ou ma peur de la route. C'est trop en une matinée, je peine à respirer convenablement.

— Ça va mieux ?

Je ferme les yeux sans lui répondre, puis tente de faire le vide jusqu'à notre arrivée aux urgences.





— Deux heures d'attentes, on s'en sort tout de même bien, non ?

En effet, alors que je pensais y passer la journée, nous sortons du parking en début d'après-midi, mais je ne vais pas pour autant confirmer son opinion. A la place, je baisse les yeux sur l'attelle qui enveloppe mon poignet. Une entorse, rien que ça. Comme si j'avais besoin d'avoir la main immobilisée pendant trois semaines. Pour la recherche d'emploi, j'espère que cela ne me posera pas de problèmes particuliers.

— Ça vous dit de grignoter quelque chose ? Je connais une boulangerie, pas très loin, qui fait de très bons sandwichs.

— Je n'ai pas très faim, je souffle, dépitée de la situation. Je mangerai en rentrant.

— Si ma mère vous entendait...

Je tourne la tête et le regarde, la première fois depuis ce matin, à l'épicerie. Depuis, je l'évite. Son profil me montre un nez droit et fin, un petit front, un bouc qui cache son menton légèrement puissant et ses oreilles rondes.

Tout ce qu'il y a de basique, en somme.

— Vous avez été adopté ?

Axel détache ses yeux de la route pour les poser brusquement sur moi, abasourdi.

— Qu'est-ce qui vous fait croire une chose pareille ?

Si on doit parler de quelque chose autre que de ma vie, autant que ce soit de la sienne.

— Votre mère est charmante, mais vous ne lui ressemblez pas du tout.

Le père d'Agathe, jusqu'alors mitigé, éclate de rire en secouant la tête.

— En effet, elle a un style très particulier, mais elle est ma mère à cent pour cent.

Je laisse le temps d'analyser ses propos. Outre ce « style », physiquement, leurs traits sont différents. Peut-être tient-il de son père.

— Vous avez une grande différence d'âge.

— Vous êtes bien curieuse pour une colérique.

J'allais lui dire le fond de ma pensée lorsqu'il continue :

— Je suis le dernier d'une famille de six enfants. Trois frères et deux sœurs. Voilà pourquoi. Encore une question, Madame Spencer ?

Je secoue la tête en signe de négation avant de me détendre sur mon siège, l'esprit torturé par ce que mon accident va engendrer comme problème. Ne serait-ce que pour soulever Léni, s'il s'assoupi sur le canapé, où pour porter une casserole trop lourde.

— Vous êtes arrivée depuis longtemps ?

J'ouvre les yeux, Axel hausse les épaules.

— Donnant donnant. Moi aussi, je suis curieux.

— Génial ! je soupire, dépitée. Samedi dernier.

— Pour des raisons professionnelles ?

— Non.

Voyant que je ne m'étends pas sur le sujet, il se râcle la gorge avant de bifurquer sur la droite et sortir de la ville.

— En tout cas, vous allez vous plaire ici, vous et votre mari. Cette ville peut être perdue au milieu de la campagne, elle reste riche d'activités. Et les habitants sont sympathiques.

Pour appuyer sa dernière phrase, il tourne la tête vers moi avec un grand sourire qui dévoile une rangée de dents parfaitement alignées.

— Il est décédé.

Je ne voulais pas en parler, seulement, j'en avais plus que marre qu'il revienne constamment sur Noah. Au moins, il cessera ses questions.

— Je suis désolé, déclare-t-il d'une voix calme. Je ne voulais pas vous blesser.

Dans ce cas, il ne fallait pas insister, me dis-je mentalement.

— Vous ne pouviez pas savoir.

S'ensuit un silence. J'en profite pour fermer les yeux et me laisser aller au rythme de la route. Pour le retour, il n'a pas tenté d'accélérer, ce qui me permet de me détendre.

— Vous chercher dans quelle branche ?

J'inspire profondément avant d'ouvrir les yeux et me redresser sur le siège. Pour me reposer, il va falloir que j'attende de rentrer chez moi.

— Peu importe, je prends tout ce qu'il y a de disponible dans le village. Mais, j'ai un diplôme en informatique, si cela vous intéresse.

Un diplôme qui ne me sert plus depuis deux ans, autant dire que, dans cette filière, je suis désormais rouillée.

— J'essayerai de trouver quelque chose, mais je ne vous promets rien.

Cette fois, c'est moi qui hausse les épaules.

— Vous n'êtes pas obligé, alors il n'y a pas de souci.

Sur ce, Axel arrête de me poser des questions, et je peux enfin fermer les yeux jusqu'à la fin du trajet.





Moins d'une demi-heure plus tard, Axel se gare sur le trottoir devant ma maison.

— Tenez, n'oubliez pas vos anti-douleurs ! me lance-t-il en me tendant un sachet. Vous en aurez sacrément besoin.

Je le remercie et commence à reculer, sauf qu'il se penche sur le siège passager afin que je puisse apercevoir sa tête.

— Au fait, vous pouvez prendre le volant avec votre attelle ?

Je fais non de la tête. Il gratte la sienne puis ébouriffe ses cheveux avant de se tourner une nouvelle fois vers moi.

— Dans ce cas, je serai chez vous tous les matins à huit heures trente tapante et reviendrai sur les coups de seize heures.

Etonnée, j'allais lui demander la raison de cet excès d'autorité, quand il ouvre la bouche, plus rapide que moi.

— Vous allez faire comment avec vos enfants ? Je vous emmène à l'école et vous ramène. Pareil si vous avez besoin pour vos courses.

Encore une fois, j'ouvre la bouche, mais il lève son doigt en signe de réprobation.

— Non négociable également.

Il passe la première et commence à braquer, quand je pose une main sur sa voiture, intriguée.

— Attendez ! Vous avez parlé de seize heures. L'école se termine à seize heures trente, non ?

Alors que je suis perdue dans tout ce brouhaha d'informations à intégrer, je vois Axel Dufour, tout sourire, me lancer un regard énigmatique.

— C'est le temps qu'il me faudra pour boire un café, dit-il, amusé. Donnant donnant, Charlotte.

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