Chapitre 4

Je cours partout. Je cherche, je fouille, j'enquête. Après seulement vingt-quatre heures de rangement, je ne retrouve plus rien.

— Les enfants, vous êtes prêts ?

— J'arrive, me répond Léni en descendant les escaliers précautionneusement sur les fesses.

Avec une peluche à chaque bras, il lui est difficile de se relever.

— Mon chéri, il ne te faut qu'un seul doudou pour l'école.

— Mais j'en veux deux.

Il brandit ses ours préférés devant moi tout en affichant un air triste. Je lui donne un baiser dans ses cheveux avant de les lui caresser.

— Je le sais bien, mais il n'en faut qu'un seul.

Je me lève, le laissant réfléchir, tandis que mon portable sonne. En voyant la photo de Justine, je décroche.

— Tu appelles de bonne heure, dis donc.

— Je ne voulais pas louper la première journée des enfants dans leur nouvelle école, répond mon amie, la bouche pleine. Ils ont hâte d'y aller ?

Je jette un coup d'œil à mon fils cadet, et souris en le voyant rassurer calmement le doudou qui reste à la maison.

— Léni, oui. Par contre, Elliot n'est toujours pas descendu.

J'évite de lui dire qu'il fait de nouveau la tête depuis que Thomas est reparti chez lui, hier dans l'après-midi. Un moment douloureux pour chacun de nous.

— Il va s'y faire, il lui faut du temps, déclare Justine. Bon et toi, pas trop stressée ?

Evidemment, lorsqu'elle évoque ce sujet, je panique.

— Je cherche mon CV depuis hier soir. Je ne sais plus où je l'ai mis.

Je ne crois pas qu'il existe pire que moi. J'ai toujours été tête en l'air. Toujours. Avec l'accident, je me suis délaissé de tout, y compris de la paperasse. Les feuilles d'impôt ? Aucune idée. Les factures de téléphone ? Probablement dans la boîte aux lettres. Pendant deux ans, on pourrait plutôt me qualifier d'ignorante.

Alors, forcément, ce n'est pas le premier jour que je vais chasser mes vieilles habitudes.

— Charlotte, Charlotte, Charlotte... soupire ma meilleure amie. Je te l'ai mis dans ton sac à main, la veille de ton départ.

Je stoppe ma course dans la maison, essoufflée, puis me dirige vers mon sac. Effectivement, mon CV y est plié en quatre.

— Tu es un amour, Jus.

— Je sais, je sais. Fais attention à ne pas le perdre. Et pense à en faire plusieurs copies.

— Ça marche.

En espérant trouver une photocopieuse dans le coin.

Je regarde ma montre, et coupe court ma conversation en voyant notre retard.

— N'oublie pas. Une nouvelle vie s'offre à vous. Fonce, ma chérie, et ne doute jamais de toi, quoiqu'il t'arrive.

— Merci, Justine.

Je termine d'enfiler le manteau de Léni lorsqu'Elliot daigne enfin descendre. L'air ronchon, il ne m'adresse pas un regard lorsqu'il me dépasse pour attraper ses affaires. Je soupire en frottant mes yeux, mais ne fais aucun commentaire. Le connaissant, cela ne servirait à rien, à part nous mettre davantage en retard.





Lorsque je remarque le nombre de personnes sur le parking de l'école, je me tourne vers les enfants, assis sur la banquette arrière.

— Surtout, vous restez prêts de moi, je ne veux pas vous perdre. D'accord ?

— Oui, maman, répond Léni en scrutant l'extérieur.

Elliot soupire en sortant de la voiture. J'en fais de même.

Une fois les cartables sur leur dos, je prends mon fils cadet par la main tandis que le plus grand nous suit, légèrement en retrait. D'après Justine, il ne faut plus qu'il dicte sa loi. Seulement, je ne me sens pas capable d'avoir une bataille verbale en plein milieu du chemin bondé.

Si seulement mon amie était là...

L'école maternelle est mitoyenne à la primaire, un bon point pour cette ville. Avant, il me fallait déposer Léni avant de traverser la rue pour emmener Elliot à destination. Ici, les écoles sont entourées par des rues piétonnes, évitant les accidents de la route.

Les parents embrassent les plus grands avant de les laisser rentrer seuls dans le bâtiment. Elliot le remarque et commence à s'éloigner, sauf que je lui prends la main pour le tirer vers moi.

— On avait dit que l'on dirait au revoir à Léni en premier, lui dis-je en fronçant les sourcils.

— Mais je peux y aller comme un grand.

— Demain, Elliot. Aujourd'hui est ton premier jour, je dois voir le directeur avant. Nous irons ensemble.

Il tente de s'extirper, néanmoins je ne lâche pas. Malheureusement, avec le monde qui nous entoure, la main d'Elliot glisse de la mienne. Il part en courant vers l'entrée de son bâtiment sans se retourner une seule fois. Je l'appelle plusieurs fois avant de me souvenir des personnes présentes autour de moi, qui me dévisagent ouvertement. Préférant rester en retrait, surtout lors d'une énième altercation avec mon fils, je baisse la tête et pénètre dans l'enceinte de l'école maternelle, non sans une boule qui comprime douloureusement mon cœur.





— Surtout, tu es très poli avec la maîtresse, je souffle, les larmes aux yeux en prenant la petite tête blonde de Léni entre mes mains. Et tu es très gentil avec tes nouveaux camarades. D'accord ?

Mon fils serre sa peluche tout contre lui avant de hocher la tête. Joyeux et impatient il y a moins d'une heure, désormais, il me faut parlementer afin qu'il veuille entrer dans sa nouvelle classe.

— Je reviens te chercher tout à l'heure. Ce ne sera pas long. En attendant, tu présenteras ton doudou à tes nouveaux camarades ?

— Et s'ils ne l'aiment pas ? se plaint-il d'une petite voix.

A court d'arguments, la maîtresse se penche pour me venir en aide.

— Ils l'adoreront, soies-en certain. Et tu arrives au bon moment, car aujourd'hui, nous allons au cinéma. Y es-tu déjà allé, Léni ?

En entendant ce mot, les yeux bleus de mon fils s'écarquillent tandis qu'un sourire se dessine sur son joli visage. Pour répondre à sa question, il secoue la tête. Non, je ne les ai jamais emmenés au cinéma. Voilà une chose à laquelle il me faudra remédier, au moins pour voir un éclat de joie briller dans les prunelles d'Elliot.

Rassuré, mon fils me fait un dernier câlin avant de pénétrer dans la salle de classe. Je souffle légèrement, la pression s'évaporant peu à peu. Léni peut être une petite tornade à la maison, en dehors, il est l'exact opposé. Renfermé, solitaire, craintif. Il a du mal à aller vers les autres. Mais ça, je ne l'ai remarqué que lorsque Justine m'a ouvert les yeux. Encore une fois, j'ai honte de mes agissements. Deux fois en l'espace de dix minutes.

Et la journée ne fait que débuter.

Je remets les papiers de scolarisation et de dérogation à la maîtresse, fais un dernier signe à mon fils puis rebrousse chemin vers la sortie. Mon cœur, compressé devant la classe des petites sections, s'effrite littéralement lorsque je sors dans la cour principale et remarque l'école primaire vide. Les écoliers sont déjà rentrés et le directeur également. Je pousse un profond soupir tout en pressant mes yeux avec mes doigts, puis marche doucement vers le parking, la mort dans l'âme. Une vague de solitude vient s'abattre sur moi. D'un coup, puissante, sans même l'avoir vue arriver. La peur de Léni face au monde extérieur, la colère grandissante d'Elliot envers moi. Mes échecs. Mes doutes. Mon désespoir. Je regarde autour de moi. Le clocher de l'église n'est pas aussi haut que dans ma ville d'origine. Le terrain de basket a disparu. Les klaxons et les feux rouges également.

Je ne reconnais rien.

Une main sur le cœur, je ferme les yeux tout en contrôlant ma respiration, devenue chaotique et incontrôlable, comme à chacune de mes crises d'angoisses.

— Inspire, expire. Inspire, expire.

Je me souffle ce mantra afin de me calmer, en vain. Je rouvre les yeux et cette fois, ce sont les souvenirs qui envahissent ma vision. De magnifiques souvenirs...

Noah et moi marchants main dans la main, Elliot devant nous avec son petit sac-à-dos. La paume de mon fiancé sur mon ventre arrondi, l'air que nous respirions avait un doux parfum d'amour et de bonheur. Les cinq mousquetaires, lors d'un énième pique-nique, riant aux éclats toutes les dix minutes. Léni, sur l'une des balançoires prévues pour les « tous petits » gazouillant lorsque son père le balançait doucement pour la première fois...

Lorsque je sortais dans la rue, je retrouvais un souvenir, une anecdote, une image concernant chaque recoin. Mais ici, je ne retrouve rien. Pas de Noah ni de rires de nos enfants. Ici, tout semble vierge, inerte, fade.

Et je ne le supporte pas. Pire, mon corps ne le supporte pas. Ma tête tente de remonter à la surface afin que je me rende à l'évidence. Mon cœur, lui, ne veut rien savoir. La bataille est rude. Trop rude. Mon corps épuisé se courbe sous la souffrance. Je me prépare à la chute, comme à chaque fois que je n'ai pas le temps de m'asseoir, lorsque je sens que l'on m'agrippe fermement.

— Lâchez-moi !

Prise dans un tourbillon d'horreur, je me débats avec énergie, si ce n'est avec désespoir. Je me bats contre mes démons, vicieux, perfides, qui plantent leurs griffes dans ma chair en rigolant, victorieux de me voir faible. Contre la folie qui s'empare de ma tête depuis l'accident. Contre la douleur d'être dans un monde sans lui.

— Calmez-vous ! Calmez-vous, madame !

Cette voix inconnue a le don de stopper mon angoisse, à moins que ce ne soit le fait d'être secouée comme un prunier. J'ouvre les yeux, haletante, le visage ravagé par mes larmes. Un homme tient mes bras en me dévisageant, tout aussi essoufflé que moi.

— Vous êtes blessée ? me demande-t-il en scrutant ma silhouette à la recherche d'un quelconque indice. Quelque chose vous a perturbé ?

Désormais retombée sur terre, je me souviens de ma crise.

Là, c'est le choc !

Je recule d'un pas, me permettant de créer une distance avec l'inconnu. Un père de famille ayant eu peur de la pauvre folle qui crie sur un parking d'école.

— Madame, dois-je vous emmener consulter un médecin ?

Il s'avance en tendant sa main, sauf que je recule encore. J'ouvre la bouche pour le rassurer, mais aucun mot ne sort. Folle, folle, folle. Je suis folle.

Quelques passants s'arrêtent en nous dévisageant. L'inconnu fronce les sourcils, probablement inquiet que je ne lui réponde toujours pas. Je tremble. Je suffoque. J'ai peur.

Je tourne les talons et ouvre la portière de ma voiture. Je m'y engouffre aussi vite que possible, de nouveau essoufflée, une boule de panique m'obstruant la gorge.

Et avant même que l'inconnu me rattrape, je sors du parking et fonce jusque chez moi.





— Je viens chez toi !

— Non !

— Charlotte...

— Thomas, je sais que tu veux bien faire, mais si tu viens à chaque fois que je panique, autant que tu t'installes ici.

Je grimace lorsque je me rends compte de la bêtise que je viens de sortir. Justine aurait compris le sarcasme, Sebastien également, mais Thomas...

— Je te l'avais dit que ce déménagement était une mauvaise idée, grogne-t-il à l'autre bout du combiné.

— C'était le seul moyen...

Je soupire tout en massant mes paupières. J'en ai marre d'avoir cette conversation. Non pas parce que nous nous répétons sans changer quoique ce soit, mais plutôt parce qu'à force, j'ai peur de céder à la proposition de mon ami.

— Tu sais parfaitement que non. Seulement trois jours que tu es là-bas et déjà tu fais des crises d'angoisse. Ici, on aurait pu t'aider à les surmonter. J'aurais pu t'aider... répète-t-il tout bas.

Je m'installe sur le canapé, les larmes aux yeux.

— Je peux y arriver. Je le veux, cette fois. Je le veux vraiment.

Je le désire plus que tout. Remonter la pente et sortir la tête de l'eau, voir un sourire sur le visage de mes enfants et fermer les yeux, le soir, en me disant que demain sera encore une journée sans problèmes, sans pleurs, sans cris. Cesser de trembler devant chaque coup de téléphone en pensant qu'il s'agit de la banque. Ne plus me torturer l'esprit lorsque quelqu'un frappe à la porte, imaginant un huissier venu me saisir des derniers biens. Je veux enfin rêver, et non me réveiller en sursaut à cause du même cauchemar.

Je le souhaite désormais. Il faut que mes amis y croient dur comme fer, au moins autant que moi.

— Sauf que tu restes fragile. De plus, avec deux enfants dans un endroit inconnu, cela demande beaucoup de courage. On aurait dû y aller doucement.

J'aime Thomas. De tout mon cœur. Peut-être est-ce pour cela que je reçois ses mots comme une gifle. Je serre mon poing sur ma cuisse, mon sang bouillonnant dans mes veines.

— Merci ! je raille, amère. Je pensais pourtant que tu m'encourageais, la dernière fois. J'ignorais que tu avais parié mon échec.

Il n'a pas dit ça, je le conçois, mais pour une fois, je suis sûre de mon envie de réussir. Certes, il peut y avoir des embûches, comme cette crise d'angoisse sur le parking de l'école, mais j'ai envie de me relever et de continuer. Me répéter que je suis fragile ne m'aide pas, même s'il a raison. On peut avoir de la volonté sans en avoir les moyens d'y arriver.

— Je n'ai pas dit ça, répond-il toujours calmement.

— Sauf que j'ai l'impression que tu crois que je n'y arriverai pas.

— Parce que je pars de chez toi, et le lendemain tu m'appelles parce que tu ne vas pas bien. Je veux seulement ton bien-être, Charlotte...

— Et moi, je veux que tu me soutiennes, le coupé-je en haussant le ton. Que tu me remonte le moral lorsque je t'appelle en pleurs, mais qu'en aucun cas tu me démoralises. C'est ce que font les amis, généralement. Ils encouragent, ils crient de persévérer, ils te font remonter à cheval lors d'une chute. Toi, tu fais exactement l'inverse.

Le silence au bout du fil me montre que j'y ai été un peu fort. A moins qu'il ne pèse ses mots pour alléger la situation. Malheureusement, je me sens trahie et blessée. Je regarde l'heure et me lève.

— Je te laisse, j'ai des CV à déposer. Embrasse Jus et Seb de ma part.

— Charlotte, att...

— Au revoir, Thomas.

Lorsque je raccroche, une pointe me perfore le cœur. Je m'en veux d'avoir parlé aussi sèchement à mon ami, d'avoir coupé court à la conversation et de lui avoir raccroché au nez. Cependant, je l'avais appelé juste après être rentrée chez moi, tremblante et perdue. Je voulais un réconfort et, même si le résultat n'est pas tout à fait celui que j'espérais, il a le don de m'avoir reboosté. Oui, je suis faible, je l'ai toujours été et tout le monde le sait. Mais aujourd'hui, je vais continuer. Pour moi, pour mes amis qui me croient trop fragile mais surtout, pour mes enfants. Eux seuls ont réellement besoin de moi, malgré les coups de colère d'Elliot et le retranchement de Léni. Je ne l'avais jamais compris comme ça, mais leur comportement est un appel à l'aide face au désespoir et la solitude. Les enfants ont besoin des deux parents pour s'épanouir. Malheureusement, le destin peut être cruel. Le dernier parent doit donc redoubler d'effort afin d'avoir une famille stable et équilibrée. Il devient un pilier, un mentor, un roc.

Et, un jour, je serai leur roc. Je me le promets.







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Coucou tout le monde.

Voici un petit chapitre rien que pour vous, si cela vous en dit. Encore un peu de tristesse, mais je vous promets, mes ptis curieux, qu'un nouveau personnage va arriver. Un... ou deux, et je peux vous dire qu'ils vont faire du bien à Charlotte.

N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, que ce soit bon ou mauvais. Les critiques constructives sont toujours bonnes à prendre.

Votez, commentez, followez (nouveau verbe made in Callie :-D ), bref, faites ce que vous voulez, tant que vous restez <3

Kiss

Callie

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