Chapitre 25
Je marche aux côtés de Lazare. Il me tient la main, comme pour prouver qu'il ne va pas m'abandonner. Ça me rassure.
Je ressens beaucoup de chose à la fois. Le plus clair de mes sentiments, c'est cette joie revancharde d'avoir raison : les monstres mentaient, Lazare ne me laissera pas tout seul. Le reste est un nœud d'émotions qui fait danser des papillons dans mon ventre, qui me fait rougir, qui me fait sourire et regarder Lazare sans que je ne me lasse jamais.
Comme d'habitude, c'est lui qui décide du chemin. Il me guide entre les arbres et j'ai l'impression que la forêt chante un peu plus fort à notre passage.
Il m'a dit qu'il voulait me montrer quelque chose. Je ne sais pas ce que c'est, il a affirmé que c'était une surprise, mais il a l'air content à l'idée d'aller là où il m'entraîne. Ce n'est pas le rocher de la dernière fois, mais si c'est Lazare qui m'emmène, alors je suis certain que ça ne pourra qu'être aussi bien que ce jour-là.
Il ne pleut pas aujourd'hui ; au contraire, on ne voit presque aucun nuage à l'horizon. Le soleil brille et nous réchauffe de ses rayons. Je me dis que c'est inutile, parce que Lazare me réchauffe déjà juste en me tenant la main.
Nous nous arrêtons dans une clairière. Lazare se tourne vers moi, souriant. On dirait un enfant impatient de montrer un nouveau dessin à ses parents.
— Je vais te révéler mon coin secret.
J'acquiesce et sourit à mon tour. Il m'entraîne alors vers une petite cabane en bois. Elle n'est pas très grande, mais plein de rubans décorent l'extérieur, semblables à celui que porte Lazare à sa ceinture. Ils sont de toutes les couleurs et volent parfois avec le vent.
— Viens.
Lazare m'entraîne vers l'entrée de sa toute petite maison. Il faut se baisser pour se glisser à l'intérieur, mais une fois la porte passée, on peut tenir assit, notre dos parfaitement droit. Le sol est recouvert d'une sorte de bâche. Mon ami m'explique que c'est pour isoler quand il fait trop froid, et puis même s'il y a du bois en dessous, c'est plus confortable comme ça.
— C'est ici que tu vis ?
— C'est mon refuge.
Je ne sais pas si c'est un oui ou un non comme réponse, mais je ne cherche pas vraiment à savoir. Sa réponse me convient.
— J'aime bien tous tes rubans.
Ça le fait sourire.
— Je sais. J'ai vu comment tu regardais celui-là.
Il désigne le rouge. Ça me fait un peu rougir, je ne sais pas vraiment pourquoi. Peut-être le fait qu'il ait remarqué que je l'observais.
— Qui sont les monstres, Tyler ?
Je sursaute. Je lui ai parlé des monstres ? Merde, je lui ai parlé des monstres. J'hésite un peu à répondre. Finalement, son regard bienveillant me convainc.
— Ils me suivent partout. En ce moment, ils sont très nombreux. Je les ai libéré ce matin, même si je n'aurais pas dû. Mais tu ne comprendrais pas, personne ne comprend jamais. D'habitude, je ne parle pas d'eux, parce qu'après on me prend pour un fou.
J'avais déjà parlé des monstres à papa. Pas à maman, parce que je savais qu'elle allait paniquer. Le souci, c'est qu'il lui en a parlé. Toute la famille a fini par savoir et je me rappelle que Ana s'était mise à pleurer parce qu'elle avait peur que je sois devenu fou et puis Liam avait pleuré aussi ; lui, il avait peur que les monstres me dévorent. Lily m'avait emmené dans ma chambre et avait fait toute une inspection pour chasser les monstres. Elle leur a dit de ne plus jamais revenir. Ça a marché quelques jours. Quand ils sont revenus, je n'ai rien dit à personne, parce que je ne voulais pas encore faire pleurer Ana et Liam. Depuis, c'est la première fois que j'en parle.
Lazare ne me regarde pas comme un fou. Il sourit doucement et serre un peu plus ma main.
Quelque chose enfle à l'intérieur de moi, comme si on gonflait un ballon autour de mon cœur. Ma respiration s'entrecoupe et se perd un peu. Je jette un regard à l'extérieur et je les vois, tapis entre les arbres. Leurs corps noirs écrasent les plantes, leurs grognements couvrent le chant des oiseaux, leur couleur sombre efface le vert rassurant de la forêt. Instinctivement, je me rapproche de Lazare, en me disant qu'il pourra me protéger. Généralement, les monstres approchent moins quand je ne suis pas seul. Peut-être qu'ils garderont leurs distances, le temps que Lazare s'en aille.
— Ne m'abandonne pas, je murmure à mon ami, sans détacher les yeux des créatures attroupées plus loin.
Lazare essaye de suivre mon regard. Bien sûr, il ne voit pas tous les monstres, lui. Personne ne peut les voir. Personne ne les verra jamais. Face aux monstres, je reste seul, comme s'ils représentaient toute ma solitude, tout mon abandon.
Ils se rapprochent. Je suis pétrifié. Mon souffle s'accélère. Je panique sans bruit, de manière invisible. C'est je pense la pire des peurs : celle que personne ne comprend, celle où l'on est tout seul. Mais aujourd'hui, il y a Lazare avec moi. Il m'incite à tourner la tête vers lui et m'offre un sourire rassurant.
— Parle moi, Tyler. Reste pas seul avec tes pensées. Si tu ne fais plus attention à eux, les monstres partiront.
J'obéis. Je me force à ne regarder que lui, à mettre de côté les grognements incessants autour de moi. Et puis je lui parle. Je raconte n'importe quoi. Je lui confie que mon parfum de glace préféré est la vanille, qu'il y a un très bon marchand de glace pas si loin de chez moi et qu'il faut venir à 17h07 si on ne veut pas faire la queue trop longtemps, que le silence provoque en moi de vraies contradictions, que la forêt me protège mieux des monstres. Je lui apprend que Lily est super forte aux jeux vidéos même si elle y joue jamais, et que moi, j'ai beau m'entraîner avec Ana, on n'arrive pas à la battre ; que Liam trouve toujours un moyen de mettre son lit sans dessus-dessous quand il dort ; que papa fait super bien la cuisine ; que maman est allergique aux poils de chat alors on n'en a jamais eu, et on a même été obligé de donner celui qu'on avait trouvé dans le fond du jardin alors que toute la famille voulait le garder. Je dis n'importe quoi, rapidement, pour oublier les monstres.
Peu à peu, je commence à lui raconter toute ma vie. Mon enfance avec les cauchemars et les monstres, maman et ses angoisses, l'école, les autres élèves avec qui je n'aimais pas jouer, les crises de larmes et de panique qui arrivaient n'importe quand, mes notes qui semblaient évoluer sur des montagnes russes, les séances avec les psychologues, les après-midi avec Liam, les grands discours de Lily et les chamailleries avec Ana. Et puis l'incendie, sa voix à lui, Lazare, la fenêtre, les pompiers, la maison qui s'écroule, les cris de tout le monde. Les funérailles, le prof de physique-chimie, mes cheveux rouges et mes lunettes de soleil, le mot que j'ai laissé, la dame et son crayon, le bus, Azelle, mes peurs, les monstres.
Je m'arrête avant de parler de ce matin et de mon rêve. Je ne veux pas que Lazare sache, ni que personne d'autre soit au courant. Je ne veux pas qu'on se rende compte de mon état, de ma faiblesse.
Lazare ne dit rien. Je regrette d'avoir tant parlé. J'en ai trop dit. Déjà, je m'imagine ses pensées, son avis par rapport à mon histoire. J'ai peur qu'il m'abandonne. Il va m'abandonner. Comment il pourrait rester avec moi avec ce que j'ai fait ? Je ne le mérite pas, je ne le mérite pas.
— Les monstres sont toujours là ?
Son regard vert est tourné vers les arbres. Je hausse un sourcil à sa question, ne m'attendant pas à ça. Je prends un moment à répondre, surpris. Quand je jette un œil en dehors de la cabane, je ne vois que la végétation. Pas de créatures noires aux crocs pointus. Pas de grognements et de griffes brillantes.
— Non. Ils ne sont plus là, je murmure.
Mes paroles le font sourire. Ses traits semblent se détendre et il lâche un soupir de soulagement. Il me regarde. Je lis dans ses yeux une fierté lumineuse, mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi cette émotion se reflète dans ses iris.
— Tu vois, tu as réussi ! Tu les as fait fuir !
Un rire nerveux m'échappe. Je n'ose pas lui dire que c'est seulement grâce à lui qu'ils ne sont plus là. Ils ont vu que j'étais avec Lazare et qu'il n'allait pas m'abandonner, et je sais que les montres n'aiment pas avoir tort, alors ils ont décidé de revenir plus tard, quand je serai seul. À la place, je m'étonne de son manque de réaction par rapport à ce que je lui ai raconté.
— Mais alors, tu n'es pas en colère contre moi ?
— Je devrais ?
— Non, enfin oui. Je ne sais pas. J'ai abandonné ma famille et j'ai fait croire à tout le monde que j'étais mort.
— Sur le rocher, la dernière fois, tu as crié que tu étais vivant. Je comprends mieux.
Je hausse les épaules avec un petit sourire. Il n'est pas en colère contre moi. Il ne va pas m'abandonner. Je ne sais pas ce qu'il pense de ce que j'ai fait, visiblement il ne veut pas vraiment en parler, mais il n'a pas l'air en colère. Il me tient toujours la main. Il ne me laissera pas tout seul.
Il ne me laissera pas tout seul.
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