Chapitre 20

    J'ai dû porter Timaël jusqu'à l'appartement, parce qu'il n'arrêtait pas de glisser, avec ses chaussures pleines de boues. Il a passé son temps à perdre sa main dans mes cheveux, en répétant qu'il n'avait jamais vu de cheveux rouges. Je n'ai pas eu le cœur de lui expliquer que ce n'est pas naturel, alors il est persuadé que je suis né comme ça.

Il a été décidé qu'on attendrait la fin de la pluie chez Azelle, parce que cette dernière a décrété que personne ne pouvait rentrer chez soi par ce temps, même si les bus roulent toujours. Je crois que c'était juste une excuse pour passer du temps avec Antoine et Tim ; elle ne leur a même pas laissé le temps de protester. De toute manière, ils sont contents : Tim, pour le jus d'orange et Antoine, parce que ça lui permet de passer plus de temps avec Azelle. Ça me fait rire de le voir si amoureux d'elle, ça se voit à dix kilomètres, il suffit de remarquer cette façon qu'il a de la regarder.

On est tous serrés dans la petite cuisine d'Azelle, silencieux. Tim boit son jus d'orange et nous, on l'observe. Je me balance d'un pied sur l'autre et parfois je frôle l'épaule d'Antoine, alors je me crispe, mais lui ne réagit pas. Il n'a de l'attention que pour la jeune femme qui se sert une grenadine avec une triple dose de sirop.

— On pourrait regarder un film, en attendant. Vous avez le temps pour un film ?

Antoine met un moment à comprendre qu'on parle surtout à lui, puisque moi, je loge ici pour un moment de toute manière, donc j'ai tout mon temps et Timaël, ce n'est pas à lui de prendre les décisions, et puis il est trop obnubilé par son jus pour se préoccuper des discussions des grands. Il se gratte la nuque et réfléchit un peu.

— Oui, je pense qu'on a le temps. On doit juste rentrer avant la nuit.
— Cool. Qu'est-ce que tu veux boire ?

Je décroche de la discussion à ce moment. Mon regard se pose sur le dos de Tim. Il faudra que j'en parle à Lazare, de cette histoire de orange-vert-violet, de pluie qui confuse et qui pique. Il faudra que je lui demande pourquoi il s'en est allé si vite, aussi. J'ai plein de choses à lui raconter.

Azelle et Antoine annoncent qu'ils vont choisir un film adapté à tout le monde. Ils nous attendront, mais Tim doit finir son jus avant, sinon il risque d'en renverser sur le lit. Azelle passe près de moi et effleure ma main, murmure un rapide « tout va bien ? ». Elle attend ma réponse avant de partir alors j'acquiesce. Ça la fait sourire, elle me dit de me servir de ce que je veux et se met à courir vers sa chambre, son verre de grenadine à la main. Encore une fois, elle n'en renverse pas une goutte.

— Comment tu t'appelles, déjà ?

Deux secondes que Azelle et l'amoureux sont partis, et voilà que Tim cherche de nouveau à faire la conversation. Peut-être que comme moi, il n'aime pas le silence. Il se tortille un peu sur sa chaise et pose son verre sur la table. Il le tient à deux mains, avec précaution. Ça me fait sourire doucement.

— Tyler, je réponds.
— Est-ce que je peux juste t'appeler Ty' ? Moi, tout le monde m'appelle Tim, même si en vrai, c'est Timaël. Sauf Azelle. Elle, elle m'appelle Timour.
— C'est mignon, Timour.

Je recommence à me balancer d'un pied sur l'autre, tout en me mordillant la lèvre. Pourquoi ne finit-il pas son verre ? Quand j'étais enfant, je buvais tout d'un coup, moi. On faisait même des concours pour savoir qui finissait sa boisson le plus rapidement. À chaque fois, on avait mal au ventre, après. Pourquoi Timaël ne veut pas faire pareil ? Peut-être pas jusqu'à avoir mal au ventre, mais quand même, il pourrait prendre un peu moins son temps.

Le silence s'éternise et je suis de plus en plus mal à l'aise. J'ai l'impression qu'entre nous deux, c'est moi l'enfant, pas Tim. Ou peut-être que je suis l'adulte, parce que les adultes sont toujours pressés, et là, j'ai vraiment envie de courir jusqu'à la chambre d'Azelle pour au moins m'occuper l'esprit devant un film. Ou alors courir retrouver Lazare comme la dernière fois sous la pluie.

Mais il y a Antoine et Timaël et je ne peux pas fuir.

Mon cœur bat vite. Je suis tendu au maximum et je sursaute à chaque bruit : le vombrissement d'un moteur dans la rue, une porte qui claque chez les voisins, le rire d'Azelle, un aboiement lointain... Tim semble aller à la vitesse des paresseux de Zootopie. Je secoue nerveusement la jambe, comme si ça pouvait accélérer le temps, ou bien calmer mon angoisse. Je n'ai jamais été très fort, avec les enfants. Ils sont trop naturels, et moi je réfléchis toujours trop pour tout. En plus, en avoir un sous ma responsabilité, ça apporte encore du stress, vu que s'il arrive quelque chose, ce sera ma faute. Je ne veux surtout pas de problème du genre, et puis déjà qu'Antoine m'aime pas trop, si son frère se fait mal, ce serait dix fois pire. Et si ça devient pire, ça risque de gâcher sa relation avec Azelle, et pour ça, je m'en voudrais terriblement.

— Tu es tout rouge-violet-bleu, non ? Ça va ?

Je sursaute à nouveau en l'entendant parler à nouveau. Un moment, je l'observe, maintenant intrigué. Il a recommencé. Pourquoi est-ce qu'il s'exprime en couleurs ? Rouge-violet-bleu. Si orange-vert-violet, c'est la confusion, rouge-violet-bleu ne doit pas en être très éloigné, puisqu'on y retrouve une couleur en commun. À quoi correspond le violet ? Le rouge est peut-être de la colère. Le bleu correspond souvent au calme.

Je ne suis pas vraiment calme, là. Ni réellement en colère, d'ailleurs.

Devant ma perplexité, Tim sourit. Il s'amuse de mes réactions. Je remarque une petite fossette qui se creuse dans sa joue, et puis ses yeux brillants de malice. Il semble adorer ne pas être compris.

— Les gens font toujours des têtes rigolotes quand je parle comme ça. Toi, je crois que ça te rend encore plus violet-bleu, même s'il y a encore du rouge, et peut-être un peu de vert-orange aussi.
— Ça fait beaucoup de choses, je souffle.
— C'est vrai, ça fait beaucoup. C'est un peu brouillé.

J'aime bien qu'il s'exprime différemment, même si je ne comprends rien à ce qu'il me raconte. Brusquement, il termine son verre d'un coup alors que jusque là, il n'avait avalé le jus que par petites gorgées. Ça aussi, ça me laisse perdu. Un peu excédé, aussi.

— Il faut rejoindre Antoine et Azelle, sinon on les reverra au mariage. Tu viens ?

Je hausse un sourcil face à ses paroles. Il se laisse glisser le long de sa chaise et se dirige vers la chambre, comme s'il connaissait parfaitement l'endroit. En même temps, ce n'est pas compliqué vu qu'il n'y a que trois pièces, mais il est très à l'aise. Quel âge il a ? Peut-être sept, huit ans au maximum ? Ou moins ? Je ne sais pas. Je n'ai jamais été très doué pour évaluer l'âge des autres.

— Viens, Ty' !

Je le rejoins en traînant des pieds. Quand je passe devant, mon regard s'accroche à la porte d'entrée. Je préférerais traîner dehors, même s'il pleut. Ici, je ne me sens plus du tout en sécurité. Cependant, malgré mes profonds désirs de fuite, je rejoins Tim, son frère et Azelle dans la chambre.

Ils ont choisit de regarder un film Disney. Pour les chansons, justifie Azelle, alors qu'elle pointe la télécommande dans toutes les directions pour espérer une réaction à l'écran. Elle n'a pas touché à son verre de grenadine, ce qui me laisse penser qu'elle a sans doute pas mal parlé avec Antoine. Celui-ci semble détendu, d'ailleurs. Il a posé son frère sur ses genoux et lui chuchote quelque chose à l'oreille, qui les fait rire tous les deux. Je remarque ses joues rouges et ses yeux brillants, puis sa proximité hésitante avec Azelle, qui ne semble s'apercevoir de rien. Elle peste toute seule à propos de la télécommande, sans remarquer que le garçon est vraiment près d'elle. Enfin, le lit n'est pas non plus énorme. Peut-être que je me fais juste des idées. Malgré tout, je n'aime pas beaucoup Antoine, ni ses manières. Ce n'est pas de la jalousie, parce que je ne suis pas amoureux d'Azelle, mais quand même, je ne lui fais pas confiance, et je ne voudrais pas que ça tourne mal pour mon amie.

— Je veux tous vous entendre chanter !

Le film commence et moi je grimace. Si Azelle croit que je vais chanter, elle peut encore rêver. Aucune chance que ça n'arrive.

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