Chapitre 13
Je suis en train de rêver, c'est sûr. Ce n'est pas possible autrement.
— Qui es-tu ?
Ma voix tremble. Je crois que je chuchote, parce que moi-même, je m'entends à peine. Je voudrais reculer, mais je n'en trouve pas la force. Et puis, étrangement, derrière la peur, je ressens une drôle d'impression de sécurité. Je pense que c'est la forêt. Elle me protège, quoi qu'il arrive.
— Je m'appelle Lazare.
— Moi, Tyler, je réplique, par automatisme.
— Je sais.
Je me mords la lèvre. Il sait. Soudain, je saisis sa main. Elle est chaude, forte, ferme. Vivante. Réelle. Mais il se dérobe rapidement et recule d'un pas. Un instant, je remarque ses yeux écarquillés.
— Désolé, je murmure.
Très vite, il reprend son air joyeux et tranquille. Je reste immobile. Il est réel. Je peux le toucher, l'entendre, le voir. Il est réel. Tout se mélange. Sans que je ne le veuille, les larmes me montent aux yeux.
— Comment tu... tu étais là. L'incendie. Tu étais là.
Silence. Je n'arrive pas à interpréter les émotions sur son visage.
— Je peux t'aider à rentrer, si tu veux. Je connais la forêt.
Il me tend la main. Il n'a pas répondu à ma question. J'inspire lentement, le temps de réfléchir à ce qui m'arrive. C'est possible qu'il ait la même voix. Après tout, ça doit exister, des voix similaires. Je confonds sûrement.
Mais alors, pourquoi répondre « je sais » quand je lui dis mon prénom ? On ne se connaît pas. Il ne pouvait pas savoir.
Tu n'as pas le droit de faire ça, Tyler ! Lui non plus, ne devrait pas connaître mon prénom. Pourtant, il le savait. Mais c'était sûrement mon inconscient.
Peut-être que Lazare connait Azelle. Peut-être qu'elle lui a parlé de moi. Peut-être que c'est aussi simple que ça. Une coïncidence, rien de plus. C'est forcément ça.
Il me tend toujours la main. Il attend. Alors, j'expire et je pose ma paume dans la sienne. La seule chose que je veux faire maintenant, c'est retrouver l'appartement et me cacher sous ma couverture pour ne plus jamais bouger.
— D'accord.
Son sourire s'élargit. De son autre main, il replace le ruban attaché à sa ceinture. Je remarque également une petite chaine, qui semble reliée à la poche de son pantalon. Elle cliquète un peu quand il se met à marcher et m'entraine à sa suite.
Son pas est rapide. Pas autant que celui d'Azelle. Il est plus souple, aussi. Il se déplace dans la forêt avec une aisance incroyable. On dirait que la nature le reconnait et le regarde passer avec admiration.
Il me lâche la main quand on emprunte un passage plus étroit. Je me sens un peu plus vulnérable, sans son contact. Je ralentis un peu, pour pouvoir l'observer avec plus de recul. Sa chemise est glissée dans son pantalon, mais elle n'est pas repassée, il y a des plis partout. Les lignes noires qui parcourent le tissu rouge semblent bouger au rythme de ses mouvements. Son dos est très droit, il avance la tête haute. Il doit avoir confiance en lui, pour ça. Moi, je sais que je me déplace encore comme un fugitif, un peu courbé vers l'avant, parce que je me dis que si je suis moins grand, on me verra peut-être moins.
Si on met de côté l'incendie et toute cette histoire de voix et de prénom, Lazare est quand même bizarre. Qu'est-ce que fabrique un garçon de dix sept ou dix huit ans au milieu de la forêt, loin des chemins ? Et pourquoi est-il arrivé à l'exact moment où j'avouais que j'étais perdu ? Comment ça se fait que nous étions au même endroit en même temps alors que la forêt est si grande ?
Il m'arrive de trébucher sur les racines. Mon cœur bat toujours à toute allure, mon souffle peine à suivre le rythme. Malgré mes tentatives de trouver une explication logique, le sentiment de familiarité reste ancré en moi. Je ressens la présence de Lazare partout, je la reconnais. Ça ne pouvait pas être quelqu'un d'autre, dans l'incendie. Je le sais.
C'était lui.
Je m'immobilise. Il continue de marcher un moment, puis s'arrête quand il voit que je ne suis plus. Il ne se tourne qu'à moitié vers moi et me lance un regard interrogateur.
— Tu ne veux pas rentrer ?
Est-ce que tu connais Azelle ? Qui es-tu réellement ? Les questions se répètent. Je m'imagine les dire au voix haute. Pourtant, quand j'ouvre la bouche, ce sont d'autres mots qui s'échappent.
— Je suis perdu.
Je ne suis pas perdu dans la forêt, comprend ça. Je suis perdu à l'intérieur de moi, dans mes souvenirs, dans mes émotions, dans mes pensées.
— Je sais, Tyler. Viens, je peux te montrer le chemin.
Il n'a pas compris. Je cligne des yeux, acquiesce et me remets à avancer. S'il n'a pas compris, c'est qu'il ne lit pas dans mes pensées, c'est qu'il est humain. Ça me rassure. Je ne sais pas vraiment ce que j'imagine, mais je crois que j'ai regardé beaucoup trop de films.
Je ne sais pas si c'est une bonne idée, de le suivre. Je le fais quand même. Qu'est-ce qui pourrait bien m'arriver, de toute manière ? Il n'a pas l'air de vouloir me faire du mal et moi, je veux juste rentrer pour réfléchir à toute cette histoire.
Si j'avais été à la maison, j'en aurais parlé à Liam. C'est le seul qui semble vraiment me comprendre. Je veux dire, les parents s'inquiètent trop, quoi que je dise. Lily donne de bons conseils, mais elle n'arrive pas à se mettre à ma place, elle est bien trop détachée de tout ça. Et Ana, elle préfère éviter d'en parler, ça la met très vite mal à l'aise. Oui, si j'avais été à la maison, c'est à mon frère que j'aurais parlé. Lui, il trouverait la solution. Un moyen de piéger mon esprit pour y voir plus clair dans tout ça.
Lazare balance sa tête d'un côté puis de l'autre, dans un rythme régulier. Je n'entends pas très bien, mais je crois qu'il chantonne une mélodie, tout bas. J'ai l'impression qu'il a déjà oublié ma présence, parce qu'il ne se retourne plus vers moi, agrandit ses pas et fais quelques mouvements de bras en accord avec la musique dans sa tête.
Marcher avec lui est différent que marcher avec Azelle. Déjà, la présence de Lazare est beaucoup plus puissante, et j'ai du mal à l'oublier, à la repousser pour avoir la place de construire ma bulle protectrice. Ensuite, c'est une autre atmosphère qui m'enveloppe : celle-ci est fragile, pleine de doutes, mais aussi familière. Le contraire d'Azelle, avec qui tout est nouveau, fort et assuré. Je me demande si Lazare réfléchit autant que moi, de son côté. Je voudrais savoir ce qu'il pense. Est-ce qu'il est angoissé, lui aussi ? Est-ce que chanter le rassure ?
Je me répète mentalement ce qu'il vient de se passer, il y a à peine quelques minutes. Sa voix qui effleure les arbres, glisse entre les feuilles, se dirige vers moi. Les fougères. Sa main sur mon épaule. Mes doigts qui attrapent les siens, dans un élan de panique, de doute. J'ai cru être fou, jusqu'à ce que je touche sa main et la serre. Puis, il s'est reculé. Il a eu peur, lui aussi. À sa place, ma réaction aurait été la même.
Je dois laisser cette idée de côté. Si la voix de Lazare est semblable à celle que j'ai entendu dans l'incendie, ce n'est qu'une coïncidence. Si je continue de réfléchir tout ça, il va me croire complètement taré.
— La rue est par là. Continue sur le chemin, tout droit, tu verras.
Il s'est arrêté. Son regard évite le mien, et je fais de même. Le chemin qu'il pointe du doigt est grand, sablonneux et très large. Je ne crois pas l'avoir déjà vu quelque part. Ce n'est pas très étonnant : avec Azelle, j'ai pris l'habitude de tracer ma propre route. Sûrement pas le choix le plus prudent quand je suis tout seul.
— Tu ne viens pas, toi ?
Lazare secoue la tête. Je ne pose pas plus de questions ; on ne se connaît pas, après tout.
— Merci.
Je chuchote, mais c'est suffisant pour qu'il m'entende. Sans lui, je n'aurais jamais retrouvé la bonne direction.
Il recule d'un pas ; j'avance. J'hésite, me retourne vers lui. Ses yeux brillent d'un vert profond, semblable à celui des fougères de toute à l'heure. Ça me donne le courage de prononcer les mots qui trottent dans ma tête. Azelle m'a dit d'essayer de rencontrer du monde. Elle a raison. La solitude ne m'aide pas à chasser mes démons et puis, je dois arrêter de penser sans cesse à ma vie d'avant.
— On pourra se revoir ?
J'ai parlé si vite que je me demande s'il m'a compris. Le silence qui accueille mes paroles forme immédiatement une angoisse fébrile dans ma gorge. Lazare reste un moment muet, comme s'il réfléchissait. Moi, je regrette déjà ma proposition. En réalité, je ne sais pas si j'ai envie de le revoir. Être tout seul me convient bien aussi...
— D'accord.
Il sourit, agité sa main en signe d'au revoir, puis toune les talons pour de nouveau s'enfoncer dans la forêt.
Il a dit d'accord.
Je ne sais pas si c'est de la joie ou de la peur qui m'envahit, à cet instant. Sans doute un mélange des deux. Pourtant, je souris.
Et c'est alors sans craintes, le dos droit, que je rejoins l'appartement, les yeux brillants de larmes.
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