Chapitre 12
Je suis retourné dans la forêt. Tout seul, cette fois. Je n'ai pas osé en parler à Azelle. De toute manière, elle est partie et ne reviendra que ce soir. J'ai tout mon temps, il n'est même pas midi encore.
La rue est pleine de monde. Je maîtrise mon souffle avec difficulté et évite de regarder trop longtemps les autres, de peur qu'ils me reconnaissent. L'image du feu à la télé me hante toujours. Est-ce que ce serait possible que notre maison passe aux infos ? Je ne sais pas s'il y a beaucoup d'incendies, généralement, et si on en parle à la télé. Enfin, le nôtre était particulièrement impressionnant, alors ce n'est peut-être pas impossible. Je ne sais pas. Mais si quelqu'un m'avait reconnu et en avait parlé ? Et si j'étais recherché ?
J'accélère le pas, désireux d'arriver plus vite en forêt. Aujourd'hui, je veux explorer. Rester enfermé dans un appartement à dessiner et se morfondre n'est clairement pas une solution pour me reprendre en main. C'est donc sans réfléchir que j'ai préparé de quoi manger et que je suis sortit. Azelle a bien fait de laisser des clés près de la porte. Je crois qu'elle savait, il fallait bien que je sorte un jour.
Les arbres se referment autour de moi et immédiatement, je me détends. Doucement, je pose ma main sur le tronc le plus proche. Une drôle d'énergie monte en moi, chaleureuse et protectrice. J'inspire, ferme les yeux.
Je suis en vie.
Les rayons du soleil illumine les gouttes qui s'accrochent aux feuilles d'arbre. Il y a sans doute eu de la pluie, cette nuit. On dirait des décorations magiques, bien plus belles que celles du sapin de Noël.
Je n'ai jamais beaucoup aimé cette période. Avant, je l'adorais, parce qu'il y avait les cadeaux, les repas, les fêtes, les rires et les danses. Mais maintenant, ça sonne presque faux. J'ai grandi et il manque l'enfant qui se levait avant le soleil pour se précipiter au pied du sapin et faire semblant qu'il était un cadeau, lui aussi. Maman adorait me découvrir endormi au milieu des paquets colorés. Ça faisait rire mes sœurs. Liam, lui, il marmonnait que j'écrasais ses nouveaux jouets.
J'avance en prenant garde à ne pas faire trop de bruit. Je ne veux pas casser la magie silencieuse de la forêt. Le vent me guide alors que je marche au hasard, dans le but de découvrir un peu plus. Avec Azelle, on fait toujours le même chemin, et pourtant il parait chaque fois différent. Mais aujourd'hui, Azelle n'est pas là et je veux changer.
Mes pensées se succèdent à la façon d'une rivière qui s'écoule quoi qu'il arrive. Je ne m'accroche à rien, je les laisse partir aussi vite qu'elles arrivent, je ne fais pas attention. Ça me fait du bien, pour une fois, de ne pas me perdre dans ma tête. J'ai la sensation que je vais quelque part et, malgré le fait que je ne sais pas où je vais arriver, je me dis que la destination n'est parfois pas si importante. Le chemin l'est, par contre.
Soudain, je me rappelle de la voix de l'incendie. Ce souvenir s'accroche à la berge de la rivière, refuse de s'en aller avec le courant. Je pourrais le repousser, le faire tomber à l'eau et le regarder se faire emporter. Je ne bouge pas, pourtant. Je le laisse faire, quand il s'échappe du courant et se place face à moi, pour montrer que je ne peux plus l'éviter.
Je ne sais toujours pas ce qu'il s'est passé. C'est effrayant de se dire que je ne devrais même pas être en vie, que j'étais prêt à me laisser étreindre par les flammes. La seule chose qui m'a sauvé est l'intervention de... de quoi ? Un esprit ? Un ange gardien ? Mon inconscient ? Je n'en sais rien.
Je me frotte les yeux et essaye de contourner toutes ces questions. Si j'y réfléchis trop longtemps, je vais me rendre fou. Je n'ai pas osé regarder sur internet, de peur de me retrouver face à des tonnes d'articles affirmant qu'il me faut des médicaments, ou qu'il faut m'interner, ou que je dois consulter. La dernière chose dont j'ai envie, c'est de me retrouver face à quelqu'un qui me lancera des regards impassibles et notera tout ce que je dis dans un carnet.
Mericier, lui, il se contentait de m'écouter et de me proposer des chocolats. Parfois, on restait simplement silencieux pendant toute la séance, moi les mains chargées d'emballages collants, lui le regard posé sur moi. Dans ces moment-là, il semblait chercher quelque chose à l'intérieur de mon être, et ça me mettait un peu mal à l'aise. Alors, pour ne pas trop y réfléchir, je mangeais. Parfois, ça mettait en colère papa, quand il venait me chercher. On paye pas pour que tu te goinfres, nous. On veut des résultats. Papa, il aime le concret, le précis, le vrai. Forcément, il n'appréciait pas l'homme avec qui je partageais mes après-midi le samedi, parce que mon psychiatre était souvent tout le contraire. Enfin, il nous en donnait, des résultats. Le soir, il appelait maman qui entraînait alors papa dans leur chambre. Ils s'asseyaient sur le lit et écoutait sa voix posée expliquer. Tyler est un enfant fragile, vous savez. Est-ce que vous avez déjà pensé à... Et le lendemain, ils débarquaient tous les deux avec des projets pour la journée du dimanche. Préparez-vous, on va passer la journée en forêt ! Aujourd'hui, on va au cinéma ! Oh, et vous avez entendu parler de cette exposition, on m'a dit qu'elle était géniale ! Chaque fois, Lily, Ana et Liam se tournaient vers moi et s'échangeaient un regard entendu. On savait bien tous que j'étais la cause de ces décisions dégoulinantes de fausse bonne humeur pour cacher des larmes de chagrin.
Avoir un fils triste ne devait pas être facile, pour eux. Avoir un frère hyper émotif non plus.
Je suis mieux mort. Ce sera plus facile pour eux, à présent. Après le deuil.
Soudain, je me rends compte que j'ai continué de marcher au hasard dans la forêt. Je ne sais pas du tout où je suis. Ici, les arbres sont plus espacés les uns des autres, plus grands, aussi. Quelques petits sapins se glissent dans le décor. En automne, ça doit être particulièrement magnifique. Ce que je préfère dans l'année, c'est cette transition entre l'été et l'automne : le vert et le orange se mélangent, du jaune et du rouge s'ajoutent au tableau, et le vent chuchote entre les branches, taquin et aventurier.
Je me retourne. Je n'ai suivit aucun chemin. Une grimace se dessine sur mes lèvres ; je ne sais pas si je pourrais rentrer.
Un regard au ciel m'informe que le soleil brille encore, malgré de nombreux nuages noirs qui s'approchent. Je sais qu'il commencera à pleuvoir à quatorze heures, si la météo ne s'est pas trompée. Il doit être treize heures trente, peut-être un peu plus. Je n'ai pas vu le temps passer.
— Je crois que je suis perdu, je murmure à un bouquet de fougères qui semble me regarder avec curiosité.
Je m'en approche, pour les effleurer. J'ai toujours bien aimé les fougères, leur forme, leur couleur, leur douceur au toucher.
— Je peux t'aider, si tu veux. À retrouver ton chemin, je veux dire.
Je me fige. Mon cœur manque un battement, puis s'affole. Par réflexe, je serre ma manche brûlée. Je connais cette voix. Elle me poursuit jusque dans mes rêves, me fait penser que je suis fou, me tourmente autant qu'elle m'apaise. Elle m'a sauvé une fois, ou m'a gâché le reste de ma vie, je ne sais pas. Je n'ose pas me retourner, de peur de ne voir que la forêt, le vide, l'absence de tout être humain à qui pourrait appartenir cette voix.
— Je peux t'aider à sortir de la forêt, si tu veux, reprends la voix.
C'est une voix masculine, claire et ferme, plutôt grave. Elle résonne dans ma tête comme un écho et s'imprime dans mon esprit. T'as pas le droit de faire ça, Tyler ! Le cri furieux et désespéré se répète en moi à la manière d'un disque rayé. Je me mets à trembler. C'est lui, c'est la personne qui m'a sauvé, qui a ouvert la fenêtre, qui m'a permis de fuir les flammes.
Ce n'est pas possible.
Je suis en train d'halluciner. C'est la seule explication. Ce n'est pas possible autrement. Je deviens fou. Je deviens fou...
Mon corps entier se crispe quand je sens une main se poser sur mon épaule. Ce toucher m'électrise. Je ferme les yeux, retiens des larmes, et me décide à le regarder, en priant pour ne pas me retrouver face au vide.
Il y a bien quelqu'un.
Quelqu'un qui a posé une main sur son épaule. Il se tient appuyé sur sa jambe droite, ce qui le fait un peu pencher d'un côté. Un ruban rouge est accroché à sa ceinture et le vent joue avec, l'entraine dans sa danse virevoltante. Je n'arrive pas à respirer. Mon regard le détaille avec sidération. Lui, il sourit. Lentement, je me relève, le souffle toujours coupé.
— N'oublie pas de respirer, quand même, s'amuse-t-il.
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