4. N comme... Ne t'en va pas !



Par réflexe, Raphaël lâcha instantanément la main de la convalescente, se leva promptement de la chaise et fit face aux arrivants se bousculant sur le pas de la porte. Camille ne retenait plus ses larmes, masquant le bas de son visage de ses mains.

« Nina ! s'exclama-t-elle, soulagée, trottinant jusqu'au chevet de sa fille. »

A l'inverse, Philippe tombait des nues à s'en décrocher la mâchoire.

« Chérie ! suivit il sa conjointe dans son élan, après quelques secondes d'égarement. Comment te sens-tu ? »

Quant au Dr PETIT, encore figée sur le seuil de la porte...

« Je n'arrive pas à y croire... »

... n'en revenait tout simplement pas, ses prunelles dubitatives fixant celle dont elle avait déclaré le décès quelques minutes auparavant. Elle s'avança sans précipitation vers le lit de la miraculée, une infirmière sur ses talons prête à remettre toute la machinerie en route.

Le jeune homme, lui, avait cédé sa place aux proches de Nina. Après tout, il n'était qu'un étranger. Il n'avait pas à s'imposer dans ce cercle familial qui n'était pas le sien. D'autant plus pour quelqu'un pour qui la famille n'était plus qu'un mot courant dans un dictionnaire, un modèle idéalisé dans les films et les séries TV ou encore un souvenir douloureux refoulé dans le subconscient. Ce fut la tête basse et l'état d'âme mélancolique, qu'il se rapprocha de la porte en toute discrétion, avec l'intention de la franchir pour la dernière fois. Il osa jeter un coup d'œil par-dessus son épaule, l'amertume en bouche devant cette touchante scène. Que Nina puisse prendre conscience de la chance qu'elle avait. Que Nina puisse réaliser l'importance d'avoir encore auprès d'elle des proches qui tenaient à elle, voulaient son bien-être. Que Nina puisse se rendre compte que l'humain n'était pas éternel. Tant qu'il était encore temps. Avant qu'elle ne vienne à regretter la disparition d'un être cher. Tel était le souhait de Raphaël.

« Hé ! »

Alors qu'il franchissait le seuil, l'esprit embrumé de sombres pensées, il se fit vivement agripper la manche de son manteau d'hiver.

« Où est-ce qu'tu crois aller comme ça ? interrogea la rouquine miniature, d'un regard se voulant intimidant.

- Eh ? Hein ? Quoi ?

- Tu comptais vraiment pouvoir t'enfuir comme ça ? Sans dire au r'voir ?

- M'enfuir ? gloussa nerveusement Raphaël.

- Fais pas semblant d' pas comprendre ! le réprimanda-t-elle d'un index autoritaire. J'te connais, grand Bêta ! J'vois clair dans ton p'tit jeu ! »

Elle illustra ses derniers propos en cerclant ses yeux de fausses lunettes faites main. Cela aurait pu arracher un rire amusé au jeune homme, mais seul l'embarras osa surgir de ses cordes vocales.

« Quoi ? Tu... Ne me dis pas que... Tu voudrais que je reste !?!

- Ben si, justement ! »

Elle répondit avec tant de conviction dans sa voix, dans son regard, que l'étudiant se retrouva incapable de répliquer. Les iris déconcertés fuyant son interlocutrice, il se massa l'arrière de la nuque en une moue gênée.

« Ecoute Princesse... Je... »

Il prit le temps de se racler la gorge, puis s'accroupit à son niveau pour capter l'attention de la fillette, dont les yeux clairs appréhendaient déjà ses mots.

« Je t'ai ramené à tes parents, deux fois en une nuit ! Nina est... presque sortie d'affaire. Que veux-tu que je fasse de plus ? Je... je n'ai pas à rester ! Je ne fais pas partie de ta famille !

- Si ! Pour moi t'es mon ami ! insista-t-elle, la tristesse dans la voix. Et t'es aussi ma famille !

- Nolwenn... »

Il baissa la tête. Il sentait pointer la douleur dans ce petit cœur de rouquine et il était important pour lui que les prochains mots qu'il prononcerait ne la blessent pas davantage. D'un soupir encourageant, il la regarda droit dans les yeux, espérant refléter l'assurance, l'optimisme et la sincérité.

« Ce n'est pas parce que je m'en vais, qu'on ne se reverra plus ! reprit il sur le ton le plus doux possible. Et puis, je sais où tu habites : je pourrais te rendre visite de temps en temps, d'accord ?

- Mais Raph... !

- Et puis, il va bien falloir que je rentre tout de même un jour ! Moi aussi, j'ai une maison ! Et... »

Il s'interrompit dans ce discours plein de bonne volonté, hésitant quant à la manière de le poursuivre. Était-il judicieux de s'aventurer sur le terrain glissant du mensonge ? Après tout, qu'en saurait-elle, s'il venait à s'y risquer ?

« Et une famille, qui s'inquiète pour moi. »

Mais à peine ces mots fourbes sortirent de ses lèvres, qu'il s'en mordait déjà les doigts, tant ils réveillaient en lui l'immense douleur de subir jour après jour l'absence des siens. Et les lourdes secondes de silence, qui les suivaient, n'arrangeaient en rien la tension qui pesait dès lors sur ses épaules. Raphaël tenta tant bien que mal de ne pas laisser transparaître ses états d'âme, mais ses yeux se décrochèrent inconsciemment de ceux de la fillette. S'en rendant instantanément compte, il espérait secrètement qu'elle n'y verrait pas la tentative de fuite qu'elle craignait tant.

« Menteur ! »

Le jeune homme releva la tête, la stupéfaction luisant dans ses iris, découvrant la rouquine miniature se pinçant les lèvres d'une colère retenue et fronçant des sourcils qui se voulaient autoritaires. Serait-elle perspicace à ce point ?

« Tu vis tout seul chez toi ! J'ai bien vu quand on a été chercher les peintures : y avait personne qui t'attendait ! »

Mais bien sûr ! Où avait-il la tête ? Quel imbécile ! Bien sûr que le mensonge était évident dans ces conditions ! Et dire qu'il avait oublié ce moment où elle l'avait accompagné à son minable studio. Raphaël retint un silencieux rire ironique. Il n'osait plus croiser les saphirs de ce petit détecteur de mensonges.

« Tu es comme Nina : tu es seul et triste. Quand je t'ai trouvé, caché dans le château, tu avais le même regard qu'elle : un regard vide. Le regard de quelqu'un de perdu, qui sait pas où est-ce qu'est sa place. Alors... »

Si, plus tôt, il se posait des questions quant à sa perspicacité, là, plus de doute possible. Cette petite avait gagné sur toute la ligne et cerné le personnage qu'il était, avec la vivacité d'esprit d'un psychothérapeute. Et après cette analyse enfantine, le jeune homme se sentait désarmé, mis à nu et incapable de répliquer quoique ce soit. Ne jamais sous-estimer les enfants et encore moins leur perception du monde qui les entoure. Nolwenn, elle, côtoyait déjà un cœur tout aussi meurtri que celui de Raphaël. Il paraissait logique qu'elle soit capable de deviner le moindre trouble chez autrui. Une si jeune enfant, déjà sensible à la tristesse, à la détresse de son prochain. Pourvu qu'elle ne grandisse pas trop vite malgré tout, qu'elle puisse encore profiter de ses rêves de petite fille pendant de longues et nombreuses années.

« Alors c'est pour ça que je voulais qu'tu restes avec nous. C'était pas pour moi ! C'était pour que tu te sentes moins seul ! »

Après ces mots emplis de bonnes intentions, l'étudiant sentit les larmes remonter jusqu'aux cils. Il se mordit la lèvre inférieure discrètement pour tenter de les retenir, sans pour autant parvenir à atténuer cette désagréable sensation de brûlure qui le démangeait sous ses paupières. D'une profonde inspiration, il se ressaisit et osa affronter ce petit visage cherchant à se montrer fort, malgré ses traits tirés par des pleurs naissants.

« Alors s'il te plaît Raphaël, laissa-t-elle échapper quelques sanglots à l'absence de réponse de ce grand dadais. S'il te plaît, reste encore un peu et rentre avec nous. Tu es notre invité ! »

Raphaël ne savait quoi répondre. Il avait conscience des bonnes intentions de la fillette, de l'invitation sincère de toute cette famille et de leurs efforts communs pour intégrer ce jeune "sauveur" qu'il représentait à leurs yeux. Mais il doutait de les mériter. Après tout, se soucieraient-ils autant de lui s'ils apprenaient le misérable chapardeur qu'il était ? Raphaël avait tout simplement l'impression d'être un imposteur. Mais lorsque son regard croisait celui de Nolwenn, aux cils perlés de larmes, il n'avait pas le cœur à lui refuser cette faveur. Encore fallait il qu'il puisse avoir le temps de se prononcer.

« Mme REVI, M. REVI, se manifesta Dr PETIT, je suis désolée, mais je pense que Nina a besoin de se reposer maintenant.

- Oui, bien sûr ! répondit Philippe, compréhensif, en invitant sa conjointe à se lever d'une main posée sur l'épaule.

- Prends soin de toi, ma belle ! »

Camille embrassa Nina sur le front et s'éloigna en direction de la sortie, rejoignant ainsi le reste de sa famille. La jeune fille se redressa légèrement pour les suivre du regard et ses prunelles se posèrent sur le visage du jeune homme, au sourire timide et discret, qui la saluait de la main sans un mot. Par mimétisme, elle le signa en retour d'une main maladroite, comme prise au dépourvu. Il était sur le point de partir. Mais elle aurait voulu poursuivre la conversation que l'arrivée de ses parents avait interrompue quelques minutes plus tôt. Elle voulait connaître le fin mot de ce rêve. Elle voulait en savoir plus sur lui : qui il était, ce qu'il faisait, ce qu'il aimait ou détestait, ses joies comme ses regrets, ses névroses comme ses secrets... mais...pourquoi ? Pourquoi ressentait-elle ce besoin ? Pourquoi avait-elle l'impression d'être aussi proche de cet inconnu ? Serait-ce donc ce que l'on nomme émoi ? Nina serait tentée de nier la moindre attirance de sa part, n'ayant jamais connu l'amour. Elle ne le méritait pas, tout simplement. Alors pourquoi ?Pourquoi son cœur se serrait il à chaque battement, tandis que le moindre geste de son supposé cadeau de Noël semblait se ralentir au moment où il se tournait vers la porte ? Il était sur le point de partir... Il allait disparaître de sa vie comme il disparaîtrait de son champ de vision. Non ! Leur conversation ne pouvait pas en rester là ! Elle devait à tout prix savoir ! C'était l'instant ou jamais !     

« Ra... Raphaël ? »

Sa voix encore fragile n'était pas en mesure de rivaliser avec le bruyant ronronnement des appareils à son chevet. Normal qu'il ne puisse entendre ses murmures.

« Raphaël ! retenta-t-elle avec plus de conviction et, espérait-elle, de décibels. »

Mais interpellé avait déjà franchi le seuil, fermant ainsi la marche comme la porte, au grand regret de Nina. Elle se laissa glisser sur l'oreiller en un soupir déçu. Et elle resta ainsi, tête baissée, regard vide et respiration lourde, pendant quelques secondes, avant de remarquer l'unique présence restée dans sa chambre.

« Docteur ? parvint elle à attirer l'intention de l'interne qui s'affairait alors sur un moniteur.»




à suivre...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top