3. N comme... Ne pleure pas !


Le membre de l'équipe de garde menait ce petit monde à la salle d'examen. Alors qu'ils ne se trouvaient qu'à quelques mètres, un médecin sortit du local, retirant ses gants superflus.

« Dr PETIT ! l'interpela alors Philippe, l'ayant reconnu à sa silhouette. »

L'interne leva la tête à son nom, baissa le masque qui censurait jusque là son visage, prit une profonde inspiration et avança vers la famille. L'étudiant n'aimait pas l'expression qui dessinait le portrait de la jeune femme et son cœur appréhendait déjà ses futures paroles.

« Je suis désolée, M. REVI, s'excusa-t-elle en invitant le père en aparté. »

D'une main dans son dos, elle incita le chef de famille à faire quelques pas pour plus de discrétion. Mais le jeune homme ne les quittait ni des yeux, ni des oreilles, ignorant les questions infantiles de la petite rousse qui lui tirait la manche.

« C'est la première fois que j'assiste à cela, poursuivit le médecin, déconcertée. Je... Je n'ai rien pu faire... »

Ces mots résonnaient en Raphaël comme un larsen assourdissant, capable de lui briser ce qu'il restait de son âme.

« Comment cela ? interrogea le chef de famille sur ton de murmure, voulant à tout prix s'empêcher de croire au pire.

- C'est à croire que son cœur n'ait pas supporté le sommeil artificiel dans lequel nous l'avons plongée. »

Non ! Ce n'était pas possible ! Cela ne pouvait être vrai !

« Ca n'était jamais arrivé avant. Nous... Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour la ramener... »

Le jeune homme suppliait le médecin intérieurement, les larmes aux bords des cils qu'il tentait d'emprisonner sous ses paupières closes.

« Je suis désolée, M. REVI. Toutes mes condoléances. »

Les sanglots retenus du père étaient contagieux. Raphaël ne put garder captives les perles salines qui le menaçaient. L'injustice l'avait emporté sur sa volonté. L'injustice l'avait emportée dans l'au-delà.

« NON ! refusa-t-il d'y croire en se dirigeant vers la salle d'examen d'un pas déterminé, bousculant inconsciemment l'interne sur son passage.

- Raph, reviens ! cria Nolwenn à son attention. Nina, elle dort ! »

Tel un éclair, il fit irruption dans la salle, découvrant sur le lit médicalisé la silhouette drapée de la jeune fille. Un nouveau sanglot lui échappa, réalisant la triste vérité. Cela attira l'attention de l'infirmière qui débranchait le matériel médical qui avait perdu de son utilité.

« Monsieur, s'il vous plait ! »

Mais il n'en avait que faire. D'une profonde inspiration, il tenta de calmer ses pleurs et s'approcha lentement du lit, un pas après l'autre, comme calqué sur le rythme de son propre cœur.

« Vous... Vous n'avez pas le droit d'être ici !

- Laissez-le, Valérie ! ordonna l'interne depuis le seuil de la porte. Accordez donc un moment à ce jeune homme. »

Raphaël jeta un œil par-dessus son épaule pour recevoir le sourire compatissant de la jeune femme. Il avala sa salive avec difficulté avant d'émettre de timides remerciements d'une voix fragile. L'infirmière interrompit alors sa tâche et quitta la pièce, passant devant sa responsable d'équipe qui referma aussitôt la porte derrière elle. Ils étaient maintenant seuls. Juste elle et lui, pour leur premier et unique tête à tête. Il aurait tellement préféré qu'il se passe en d'autres circonstances. Mais le sort en avait décidé autrement.

Il saisit une chaise et la rapprocha du lit, prit le temps de découvrir le visage de Nina censuré par le drap et s'assit à son chevet. Un si beau minois, perdant peu à peu la chaleur de la vie. Quelle injustice ! Une jeune fille dont l'âme ne demandait qu'à être comprise. Quelle injustice ! Une grande sœur qui était pourtant tant admirée et aimée. Quelle injustice ! Et pourtant conscient que cela n'était pas de son ressort, Raphaël ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable.

« Pardonne-moi, Nina, parvint il à murmurer à travers les mains liées qui masquaient ses lèvres. Je n'ai pas été assez rapide pour te sauver. »

Il prit deux secondes pour s'éclaircir la voix et ajuster sa position, les avant-bras reposant sur ses genoux, le dos légèrement courbé.

« Et pourtant, j'y ai cru. Je m'en croyais capable, parce que... je sais pas... Parce que... j'avais l'impression que tu croyais en moi. Pourtant... »

Il se laissa gagner par un rire nerveux, à la limite du cynisme.

« Pourtant, on ne se connaît même pas ! Je veux dire... On s'est vu, quoi, peut-être dix secondes avant que tu ne te jettes du pont devant nous ! M'en veux pas, mais j'appelle pas ça connaître quelqu'un. »

Raphaël réalisa ses dernières paroles et les trouva déplacées.

« Désolé... Je... n'ai jamais été très doué face à la mort. Je... Je ne sais même pas pourquoi je t'adresse la parole, alors que tu ne m'entends plus. Je ne sais même pas pourquoi je... je m'accroche à toi. Toi, que je ne connais qu'à travers les paroles des tiens. Toi, qui semble pourtant si proche de moi... de mon caractère, j'entends, de ma... façon d'être et de voir les choses de la vie... »

Il laissa échapper un nouveau rire silencieux.

« La vie... Tu parles... Je me sens tellement stupide... »

La honte kidnappa ses mains pour couvrir son visage, le temps de quelques larmes emplies de culpabilité.

« Toute ma vie, je suis resté dans l'ombre. Je faisais tout mon possible pour n'être... qu'un fantôme aux yeux de tous. Et il a fallu que ta sœur me voie et m'embarque dans ses aventures. Je... je me demande pourquoi je me suis laissé faire, pourquoi je l'ai suivie... pourquoi je t'ai suivie, toi aussi, dans ton jeu de piste surnaturel ! Hein ? Pourquoi Nina ? Pour quelle raison ai-je fait tout cela ? Passer ma soirée et ma nuit à courir après deux rouquines ! Qu'est-ce qui a fait que... Comment j'en suis arrivé, là ? Hein ? Peux-tu me le dire, Nina ? »

Et l'inconcevable se produisit. Croyant d'abord à une hallucination, Raphaël se frotta les paupières et y regarda à deux fois avant de se rendre compte que... oui : les lèvres de la jeune fille bougeaient légèrement. Il se leva de la chaise, les yeux rivés sur sa bouche qui semblait murmurer des mots silencieux. Il se pencha vers elle et tendit l'oreille, espérant deviner quelques bribes de ses paroles.

« ..a...a...ji...e... el...

- Pardon ? Que... Qu'est-ce que tu dis ?

- La... agi...e...wel...

- Lagiwel ?

- La Magie de Noël, Grand Bêta ! s'incrusta une vive petite voix dans la conversation. »

Raphaël se tourna lentement et découvrit Nolwenn sur le pas de la porte, les bras croisés appuyant l'expression contrariée sur son minois.

« Ben voilà ! Tu l'as réveillé ! T'es content d'toi ? le sermonna-t-elle en s'approchant. J'te dis "Nan, n'y va pas, elle dort", mais non ! Môssieur Grand Dadais a quand même été l'embêter ! »

Un léger sourire redressa les lèvres de la miraculée, encore trop faible pour faire quelconque mouvement. Sa benjamine arriva à son chevet, poussant l'étudiant qui lui barrait le passage.

« Excuse-le, il est pas très poli, mais c'est le seul cadeau que j't'ai trouvé au magasin de jouets ! »

Sachant son état trop fragile, Nina se contenta d'acquiescer d'un signe de tête, toujours le sourire illuminant son pâle visage.

« Parce que oui, à la base, c'était ton cadeau de Noël !

- Pardon ? s'offusqua l'étudiant.

- Mais oui, j'te l'ai déjà dit ! affirma la fillette avant de se tourner à nouveau vers son ainée. Je voulais t'offrir un nouvel ami avec qui tu pourrais t'amuser !

- Mais je ne suis pas un jouet !

- Joyeux Noël, ma Nan'Amour ! s'exclama Nolwenn en ignorant totalement la remarque indignée du jeune homme.

- Ni une peluche !

- C'est ... T-ès... genti ...a ...uce, tenta de répondre la jeune fille, ...e-ci.

- Bon ! Je vais aller dire à Papa et à Maman que t'es réveillée main'nant ! lança-t-elle en s'éloignant vers la porte. N'est-ce pas, Rara ?

- Ouh, toi ! ronchonna-t-il en la pointant du doigt. »

Nolwenn lui tira la langue et se mit à rire avant de disparaître dans le couloir.

« Papaaaaaaaa ! Mamaaaaannnn ! Rara, il a réveillé Nanaaaaa ! l'entendit on depuis le corridor. »

Alors que l'attitude de l'enfant lui arrachait une fois de plus un sourire amusé, Raphaël sentit une main agripper la sienne. Il se retourna lentement, et ses iris furent irrémédiablement happés par ceux de Nina. Ils étaient d'un bleu intense, profond, presque hypnotique, au point qu'il ne se rendait pas compte qu'il s'y noyait déjà. Bien que cernés par la fatigue et les fortes émotions, ils avaient une façon exquise de mettre en valeur son pâle visage, clairsemé de discrètes tâches de rousseur. Ce tout présentait une expression fragile et attendrissante, lui donnant un air de petit animal perdu.

« Tu... Tu t'appelles ...Ra... Raphaël, c'est ça ?

- Euh... oui ! répondit il timidement en reprenant place sur la chaise, sans pour autant lâcher cette main froide qui semblait trouver réconfort dans la sienne.

- Je... Je t'ai vu... en ... en ...

- En rêve ?

- Oui.

- Et... C'était un... un beau rêve ?

- On... On peut dire ça, sourit-elle en resserrant ses doigts autour des siens. »

Le jeune homme lui sourit timidement en retour, les yeux détournés par pudeur. Il ne comprenait pas trop de quoi il était question, ni même où elle voulait en venir, mais soit.

« Et... Et dans ton rêve, reprit il après quelques secondes de silence, tu... tu as vu les oiseaux ?

- Les... oi...seaux ? interrogea-t-elle en arquant ses sourcils d'étonnement.

- Oui, ceux du mur du Zoo.

- Les oiseaux, sembla-t-elle rechercher au fond de sa mémoire, le regard fixant un point imaginaire sur le plafond. Je... Je me sou... Désolée, je... je me souviens pas. »

Raphaël baissa la tête, quelque peu déçu. Son hypothèse s'avèrerait-elle fausse ? Mais... Si tel était le cas, quelle hallucination l'aurait guidé depuis ce maudit pont, à travers le Marché de Noël, jusqu'au parc où il avait retrouvé la petite rousse ? Quelle créature surnaturelle s'était laissée émerveiller devant la fresque que Nolwenn et lui avaient repeinte avec tant de cœur ? Le jeune homme soupira, espérant sans trop y croire chasser ces questions sans réponses de son esprit. Il aurait tellement aimé qu'elle s'en souvienne... Mais que cela ne tienne : il se jura intérieurement que le jour où elle serait sur pied, il l'emmènerait au Zoo, à cette bute, à ce mur et lui montrerait la liberté sous forme de peinture.

« Mais... Je me souviens... du cerf !

- Le... Le cerf ? bredouilla-t-il une fois de retour dans la réalité.

- Oui. Juste après, reprit elle doucement, concentrée sur ses souvenirs, nous nous... nous nous sommes retrouvés... au pont... toi et moi. »

Elle redressa légèrement la tête, ses yeux emplis de confusion se posant sur Raphaël, soulignés par le soudain teint rosé de ses joues. L'étudiant, tout aussi troublé, détourna le regard. Elle se rappelait bel et bien de certaines bribes de la soirée. Peut-être était-ce lié à son traumatisme et que le reste lui reviendrait au fur et à mesure. C'était, en tout cas, ce en quoi il voulait croire, les iris fixés sur cette main encore fraîche qui resserrait son étreinte sur la sienne.

« Et... Et à ce... à ce moment-là... je t'ai... je t'ai demandé... de me rejoindre.

- Oui, je m'en rappelle, acquiesça-t-il d'un signe de tête.

- Tu... Tu as... ? Tu en as... rêvé... aussi ?

- Non, Nina ! s'exclama-t-il avec conviction, s'approchant jusqu'à être à une quinzaine de centimètres de son visage. Je ne l'ai pas rêvé ! »

La surprise et l'incompréhension se reflétaient dans les lagons de la jeune fille, surlignés par de fins sourcils froncés.

« Je l'ai...

- Oh monDieu ! laissa échapper la voix lourde de sanglots de la mère. »    




à suivre...

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