Chapitre 9 | 3
Musique proposée : Enemy - Tommee Profitt ft Beacon Light & Sam Tiennesz. (En média).
Un homme plutôt rondelet s'avance vers nous en retirant ses lunettes de soleil Ralph Lauren et lisse le bas de sa veste de costume bleu avec le plat de sa main. Saucissonné dans des vêtements qui doivent valoir plusieurs fois mon salaire mensuel chez les Collins, ce cinquantenaire me donne envie de vomir. Un sourire radieux et noyé d'hypocrisie s'affiche sur le visage de West alors qu'il se dirige activement vers le gros type plein aux as pour l'accueillir. Écœuré par toute cette richesse malsaine, je reste en retrait en fixant le chapeau noir qui cache la calvitie naissante de notre fournisseur. Je crois que j'ai du mal à rester dans la même pièce que ce genre de personnes. Comment peut-il se pavaner comme ça sans aucune honte ? Sans même l'ombre d'un remords ? Je ne supporte pas l'idée que des gens comme lui puissent s'offrir le monde entier pendant que de pauvres gamins finissent par mourir dans la rue avec une de leurs aiguilles dans le bras.
― Monsieur Gordon, très heureux de vous revoir, affirme mon acolyte avec amabilité. Je vous en prie, prenez place où il vous plaira, un serveur va arriver pour vous servir des rafraîchissements et de quoi vous faire patienter pendant que vous prendrez votre commande.
Gordon ne prête pas le moindre intérêt à ce que lui raconte West, il est bien trop occupé à me dévisager avec ses yeux globuleux.
― Lui, c'est qui ? grogne-t-il sèchement en faisant un signe du menton vers moi alors que nous avançons vers les tables rondes.
Il s'assoit nonchalamment près d'une des fenêtres, sans doute pour avoir New York à ses pieds, sans cesser de me fixer. Il attend probablement que je dise quelque chose, mais je reste de marbre. Si j'ouvre la bouche, je pourrais dire quelque chose que je vais regretter.
― C'est Wayne Singer, monsieur. Veuillez pardonner son manque de loquacité, il est un peu timide. Ça ne fait que quelques mois qu'il travaille pour nous, ça doit être pour ça. Mais ne vous en faites pas, rien ne change, c'est toujours avec moi que se passe la transaction, il n'est ici que pour apprendre.
Il acquiesce en daignant enfin s'intéresser à West qui appelle un serveur. Gale s'approche de nous à la hâte, le visage fermé et professionnel. Il se tient droit et sourit poliment lorsqu'il arrive à la hauteur de Gordon, pour finalement prendre sa commande. Après lui avoir promis que sa soupe de truffes noires et que son croustillant de loup de mer arriveraient dans quelques minutes, le brun remercie son interlocuteur royal de sa confiance et me fait un signe de tête discret, comme s'il cherchait à m'encourager.
***
Focalisé sur mon verre d'eau à moitié vide pour ne pas regarder le cinquantenaire se goinfrer avec sa tarte aux saveurs gastronomiques, je tente de me concentrer sur la négociation qui n'en fini plus. West débat avec son fournisseur le plus sérieusement du monde depuis de longues minutes, sans jamais flancher. Il a réussi à faire baisser le prix de départ de cent mille dollars, comme il le voulait, pourtant il ne lâche toujours rien.
― Quatre cent mille dollars, c'est un prix acceptable... Pour des débutants, affirme-t-il avec un poil d'insolence dans la voix. Mais après le petit contretemps auquel nous avons dû faire face durant la dernière transaction, vous comprendrez qu'il va nous falloir de meilleures garanties... Ou alors un meilleur prix, monsieur Gordon. Sans compter que nous aurions pu faire affaire avec la concurrence quand nous avons dû gérer l'incompétence de vos hommes, mais nous ne l'avons pas fait.
L'homme infâme lève un sourcil devant l'air confiant de West en serrant les dents. Il soupire longuement, visiblement embêté par l'argument de mon coéquipier et s'apprête à renchérir quand je le coupe sans vraiment contrôler quoi que ce soit.
― Faites descendre à trois cent mille dollars, me contenté-je de dire en priant pour me rappeler de mes cours de commerce et de mise en situation.
Je ne sais pas pourquoi je m'en mêle, je doute même que ce soit une bonne idée, mais les entendre discuter de mille et de cents comme si nous nous apprêtions à vendre de simples sucreries devient de plus en plus dur à supporter. Je ne peux pas m'empêcher d'imaginer ces kilos de drogue déferler dans les rues de New York et empoisonner les veines de tous ces pauvres gens qui ne peuvent plus s'en passer. De tous ces pauvres gens qui finiront par en mourir sans que ça n'émeuve personne. De tous ces pauvres gens dont ma sœur aurait pu faire partie. Imaginer les dégâts que cette transaction va faire sur des centaines d'américains me rend malade, ça me répugne. Je me répugne. Je me déteste de participer à tout ça, de les regarder faire sans même essayer de réagir. Alors quitte à être un monstre, autant que je fasse tout mon possible pour faire perdre un maximum d'argent à ce gros porc dégoûtant.
― Trois cent mille, hein ? demande simplement Gordon, sur un ton d'avertissement.
Un silence s'installe autour de la table et West paraît soudain tendu. Il me dévisage, attendant sûrement que je me débrouille pour réparer l'erreur que je viens de commettre, pendant que le cinquantenaire reprend du poil de la bête. J'inspire rapidement pour me donner du courage et place mes coudes sur la table. Je joins mes mains entre elles le plus lentement possible, en prenant exemple sur mon père lorsqu'il s'apprête à dire quelque chose de sérieux et fais mine de maîtriser la situation. Je plante mon regard faussement assuré dans celui de Gordon qui semble déjà convaincu d'avoir gagné et prie pour être devenu un meilleur comédien que je n'ai pu l'être à l'université.
― Oui, trois cent mille. C'est la moindre des choses, quand on a des clients aussi fidèles que nous, surtout lorsque le personnel est incompétent, lancé-je en prétendant savoir ce que je sous-entends.
Les yeux de mon binôme s'arrondissent et je crois qu'il se retient de ne pas me faire taire sur-le-champ, tandis que notre fournisseur, lui, semble plutôt attendre que je continue sur ma lancée.
― Réfléchissez un peu et pensez à votre image dans le milieu, lui conseillé-je sans me rendre compte tout de suite que ma remarque pouvait être à double tranchant.
― A mon image ? Parce que tu penses que ce n'est pas ce que je fais en venant ici, en personne, débattre du prix de la poudre la plus pure que vous pourrez trouver sur Manhattan ? L'unique raison pour laquelle je prends la peine de me déplacer, c'est justement mon image, petit. Si je viens ici, tout le monde saura que je fais affaire avec le célèbre Gambino et son petit Prodige, m'annonce-t-il avant de dévisager West pour terminer sa phrase.
West se passe une main sur le visage en soupirant et je vois à son air abattu qu'il pense que j'ai fait rater cette vente. Je sens une bouffée d'angoisse s'emparer de moi, et si je venais une fois de plus de nous condamner à mort ?
― Je vais mettre ton ignorance sur le compte de ton manque d'expérience, mais laisse-moi te dire une bonne chose, gamin : un seul tout petit gramme de cette poudre se vend en moyenne quatre-vingt-dix dollars et moi, je vous en amène cent kilos, tu me suis ? Donc si t'es bon en maths, tu devrais savoir que cinq cent mille dollars était déjà un prix d'amis et que quatre cent mille est à la limite du rentable. Je te laisse imaginer ce que tes trois cent mille petits dollars pourraient représenter comme trou béant dans mon portefeuille et dans ma crédibilité, reprend-il avec un air hautain. Alors si tu ne veux pas que j'ordonne à mes hommes incompétents de te régler ton compte à la seconde où tu sors d'ici, tu ferais mieux de laisser les grands discuter entre eux.
Je lâche un rire sardonique qui sonne faux pour tenter de canaliser la colère qui monte lentement dans ma poitrine et me sert de cette rage pour tenir tête à cet homme qui se croit au-dessus de tout.
― Un trou béant dans votre portefeuille ? Vous êtes un bien piètre menteur, raillé-je dans un mauvais jeu d'acteur. Je n'ai peut-être pas d'expérience dans cette entreprise, mais je suis loin d'être un débutant.
Plus je déblatère, plus mes mensonges grossissent et plus West se crispe. Je sais que je prends de gros risques en plongeant la tête la première dans un sujet que je ne maîtrise pas, mais le secret d'un bon bluff, c'est la confiance en soi, alors il ne faut surtout pas que je fléchisse ou que je laisse mon stress transparaître. Je dois jouer le jeu jusqu'au bout.
― Quand on sait que la cocaïne est quasiment toujours produite en Amérique du Sud et qu'il n'est pas rare de trouver de la main d'œuvre bon marché là-bas, je doute que votre coût de production soit si élevé que ça, dis-je en remerciant silencieusement mes cours d'économie pour la première fois de mon existence. Donc, je suppose que si vous nous vendez ces cent kilos de drogue pour trois cent mille dollars, vos bénéfices seront moins importants que ceux que vous vous faites d'habitude, mais vous serez bien loin de la vente à perte, je me trompe ?
― Est-ce que tu essaierais de m'apprendre mon boulot, petit merdeux ? s'impatiente Gordon.
― Non, je ne me le permettrais pas, monsieur, affirmé-je, légèrement provocateur. Mais le fait est que vous essayez de nous entuber et que vous le savez. Maintenant, vous savez que je le sais aussi, donc c'est à vous de voir. Vous pouvez choisir de partir d'ici sans conclure cette vente parce que votre marge ne vous convient pas ou alors vous pouvez accepter notre offre, mais n'oubliez pas : une réputation est une chose extrêmement fragile, un coup de vent et ça peut s'envoler, vous savez.
Mon cœur bat la chamade, mes paumes sont trempées et des gouttes de sueur brûlantes dégoulinent le long de mon échine. S'il ne croit pas à mon baratin, tout est terminé pour moi. Et pour West.
― Est-ce que c'est une menace ? s'énerve-t-il en haussant la voix, alors que je mobilise mes dernières forces pour contrôler mon mouvement de recul instinctif.
― Une menace ? Non... Bien sûr que non... Dis-je d'un ton traînant plus pour reprendre mon souffle que pour le défier. Disons simplement que c'est... Une condition, renchéris-je en tâchant de paraître confiant avec un faible sourire en coin.
Une pression s'abat chaudement sur mon genou, juste sous la nappe et je jette un coup d'œil vers West qui hoche imperceptiblement la tête en serrant de nouveau mon genou avec sa main droite pour m'encourager. Poussé par une force nouvelle, j'attrape un peu d'air et reprends avec, cette fois-ci, une détermination que je n'ai pas à feindre.
― Si vous ne nous vendez pas la cocaïne pour le prix le plus juste, vous repartirez d'ici sans un dollar en poche et il se pourrait bien votre incompétence et vos légers penchants mythomanes pour gagner de l'argent sur le dos de vos acheteurs ne s'ébruitent un peu dans les rues de Manhattan...
― Et si je décide de vendre, qu'est-ce que j'y gagne au juste ? s'entête le cinquantenaire en me fusillant d'un regard sinistre.
― Une réputation sauve et trois cent mille dollars, répliqué-je calmement, pendant que l'homme se renfrogne en fronçant les sourcils.
― Nous pouvons vous offrir une soirée et une nuit entière dans cet endroit de rêve, ajoute mon coéquipier, sans doute pour rendre cette piètre vente plus alléchante. Le restaurant entier, ainsi que les chambres privées vous seront réservés. Le bar, les repas, les collations, la piscine et le service seront à votre disposition et tout ça sans dépenser un seul cent.
― Deux nuits et je veux les avantages, répond Gordon, l'air plus satisfait.
― Marché conclu, monsieur, dit West en tendant sa main gauche vers notre interlocuteur. Pour vous remercier de votre générosité, deux gâteries de votre choix vous seront proposées.
Lorsque mon acolyte se lève et me fait signe de le suivre, j'ai l'impression de réapprendre à respirer vraiment.
***
― Pour un mec qui a jamais bossé dans le milieu, t'es sacrément doué pour les négociations, s'étonne West en se laissant tomber dans mon canapé.
Je sors deux bières de mon réfrigérateur et lui en tend une avant de m'asseoir à côté de lui. Il porte le goulot humide à ses lèvres et de nombreux flash de notre première rencontre me reviennent en mémoire. Ce jour-là me paraît si loin, aujourd'hui...
― J'ai mes talents cachés, murmuré-je en souriant sans vraiment oser le regarder.
Il souffle du nez en avalant quelques gorgées d'alcool et là encore, notre rencontre au ravitaillement refait surface. Si on m'avait dit que voir ce type, dont je me méfiais tant, boire une bière dans mon appartement en ricanant me ferait du bien, je ne l'aurais jamais cru. J'ai tellement l'impression d'être à des années-lumières de ce garçon qui tremblait de tout son long à chaque fois que Gale ou West lui adressait la parole... comme si des décennies entières venaient de s'écouler en à peine quelques mois. Comme si je vivais tout plus vite, plus fort. Comme si je grandissais enfin.
― Non, franchement, chapeau. T'as assuré, mec, me lance-t-il en levant sa bière vers moi.
― Dis...
Il pose sa bouteille sur sa cuisse en reprenant un air plus sérieux, plus à l'écoute, pendant que je me racle la gorge, légèrement embarrassé.
― Qu'est-ce que ça voulait dire, les « gâteries » ?
Un rictus amusé se dessine sur les lèvres de West qui se retient visiblement de rire.
― Des putes, lance-t-il franchement.
Je dois le dévisager avec un air ahuri puisqu'il s'esclaffe bruyamment et je me laisse aller à suivre son exemple sans trop réfléchir. Ça faisait si longtemps que je ne m'étais pas mis à rire comme ça, aussi spontanément que j'avais presque oublié à quel point ça pouvait soulager. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens bien. Je me sens à l'aise, avec West à mes côtés. Je suis heureux d'être en vie et de partager ce moment avec lui.
Après cette petite explosion de bonheur, mon binôme avale une nouvelle gorgée de liquide âpre en se redressant. Son visage redevient brusquement sombre et je le vois se refermer. Il soupire longuement, paraissant hésiter à l'idée d'ouvrir la bouche. Il me jette quelques coups d'œil, mais se ravise plusieurs fois pour finalement se racler la gorge.
― Wayne...
Je l'observe fixement, tandis qu'il plonge ses prunelles préoccupées dans les miennes.
― Tu veux toujours te barrer de l'entreprise ?
J'approuve d'un signe de tête sans réussir à dire quoi que ce soit et il imite mon geste comme toute réponse. Un court silence s'installe entre nous avant que je n'arrive à articuler quelque chose.
― Je voudrais nous sortir de là, lui révélé-je doucement.
― Nous ? répète-t-il, l'air surpris.
― Oui, toi et moi, rétorqué-je alors qu'il me dévisage comme s'il ne comprenait pas pourquoi je disais une chose pareille.
― Est-ce que tu as peur, Wayne ? demande-t-il sans doute pour passer à autre chose.
Je baisse la tête un instant, incapable de lui mentir en le regardant dans les yeux.
― Non, bien sûr que non. Jamais.
― Alors si tu me laisses un peu de temps, je peux peut-être te trouver un moyen de te casser de là sain et sauf.
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Salut tout le monde,
Oui, je sais, ça faisait longtemps. J'ai fait une petite pause Wattpad pour me concentrer sur l'écriture d'un article très important pour moi. Cet article était très long et assez compliqué à écrire, alors j'ai préféré me concentrer dessus et revenir en force sur N'aie Pas Peur plus tard. Là, ça fait très longtemps que je n'ai ni écrit, ni réécrit, alors ça va me faire du bien de m'y remettre un peu. J'espère que j'arriverai à vous sortir le chapitre 10 à temps, du coup, parce que je l'ai à peine commencé... Mais bon, je vais essayer et on verra bien.
Je vais également passer rattraper mon retard sur les différentes histoires que je lis et sur les commentaires auxquels je n'ai pas répondu. Je tenais aussi à vous remercier de tout coeur, parce que, grace à vous N'aie Pas Peur a dépassé les 3K lectures et ça me fait vraiment chaud au coeur. Merci pour votre soutien, pour votre présence, et pour tout ce que vous faites pour cette histoire. Merci pour la force que vous me donnez.
Bon, c'est pas tout ça, mais il serait temps de ranger les violons et de blablater un peu sur ce chapitre, vous croyez pas ?
Du coup, est-ce que Wayne vous a surpris dans cette partie ? Vous vous attendiez à ce qu'il soit aussi efficace et qu'il ait autant de sang-froid ? Et vous, auriez-vous eu autant de cran ?
A votre avis, quel est le plan de West ? Est-ce que Wayne peut vraiment lui faire confiance pour se sortir de là ou est-il trop impliqué ?
Et pour l'instant, c'est quoi votre petit moment préféré de l'histoire ? Est-ce qu'il y en a un qui vous a particulièrement touché.e ?
Bon, encore Tommee Profitt, je sais, mais la prochaine partie, ce sera pas lui, promis ! Elle vous plait quand même, la chanson ? D'ailleurs, cette chanson, elle est dans la playlist de Gale, pour celleux que ça intéresse...
Voilà, c'est tout pour moi, la prochaine partie sera postée soit jeudi, soit samedi prochain et j'essaie de faire le maximum pour que le chapitre 10 sorte dans les temps.
En attendant, portez vous bien et prenez bien soin de vous.
A très vite, les potes.
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