Chapitre 7 | 1
Musique proposé : Let It Go - Blue October. (En média).
Je me laisse tomber dans mon vieux canapé en vidant mes poumons de tout l'air qu'ils pouvaient bien contenir. J'enfouis mon visage dans mes deux mains jointes et à mesure que je souffle bruyamment, je sens mon existence m'échapper un peu plus.
― Wayne ?
Le ton inquiet de Savannah arrive jusqu'à moi, mais je suis toujours bloqué dans ma conversation avec Richard. Je n'arrive pas à penser à autre chose qu'au coup de fil qu'il vient de me passer et j'ai l'impression que les derniers débris de mon ancienne vie me glissent entre les doigts lentement sans que je ne puisse trouver un moyen de les retenir.
― Wayne, qu'est-ce qu'il se passe ? accourt ma sœur en s'asseyant à mes côtés dans le sofa qui s'affaisse à peine sous ses quelques kilos.
Elle dépose sa main fraîche sur mon épaule nue pour me faire sortir de ma bulle, mais rien n'y fait, j'entends encore la voix de monsieur Collins résonner dans mon esprit.
― Rien, lâché-je.
― Wayne, admoneste-t-elle d'un ton autoritaire.
Je soupire encore une fois, mais j'y mets un peu plus de force, comme si je tentais de me persuader que cette piètre stratégie avait ne serait-ce qu'une chance de dissuader Sacha d'insister.
― Est-ce que tu as eu une nouvelle mission ? Ou alors Ian te demande de faire quelque chose que tu ne peux pas faire ? T'es pas en danger, Wayne ?
L'angoisse qui découle de chacune de ses questions rapides m'oblige à relever la tête pour poser mes deux mains dans le creux de son cou.
― Eh, non. Savannah, calme-toi, ça n'a rien à voir avec Ian, murmuré-je en caressant ses joues pâles avec mes pouces. C'est juste que... mes bras retombent sur mes genoux et j'expire de nouveau.
Ma sœur fait la moue, mais cette fois, elle se contente d'attendre que j'arrive à formuler une phrase complète. Je serre les dents en fixant obstinément le sol, sans que ça ne me donne vraiment plus de courage.
― C'est juste que je vais me faire virer du cabinet... dis-je à voix basse pour ne surtout pas rendre mes mots trop réels.
J'entends Savannah soupirer de soulagement, mais je ne la regarde pas. Je n'ai pas envie de voir son air rassuré parce qu'elle n'a aucune raison de l'être. Je suis en train de perdre la dernière partie honnête de moi-même, le dernier job qui m'apportait un peu de sécurité, un peu d'équilibre dans ma situation bancale. J'ai l'impression d'être devenu un funambule perché à des centaines de mètres au-dessus du sol, un amateur qui se débat contre le vent pour ne pas tomber dans le vide et ça n'a rien de réconfortant. Je crois même que j'aurais préféré avoir une nouvelle mission, si ça m'avait permis de pouvoir encore travailler avec les Collins.
― Tu m'as fait peur... souffle-t-elle alors qu'une amertume que je ne me connaissais pas s'empare de moi. Il t'a donné rendez-vous dans son bureau ? reprend-elle sans se douter de la tornade qui est en train de tout ravager à l'intérieur de ma cage-thoracique.
Je secoue la tête en retenant une grimace, tandis que je pose enfin les yeux sur elle.
― Aïe... gémit-elle en réprimant une lippe réprobatrice.
― Tout est en train de foutre le camp... chuchoté-je, en basculant la tête vers l'arrière pour m'enfoncer dans le dossier du canapé.
― Mais non... me répond Sacha sans grande conviction. Ecoute, t'as qu'à simplement lui expliquer, Richard est un ami, il comprendrait...
Je me redresse vivement en la fusillant d'un regard noir. L'amertume qui empoisonnait déjà mes veines redouble de puissance et je serre les poings. Comment peut-elle ne serait-ce qu'imaginer que lui raconter quoi que ce soit pourrait être une option pour moi ? A-t-elle oublié que ma vie n'avait plus rien de normal désormais ? Je ne peux pas me permettre de parler de ce que je fais et de ce que je suis devenu à qui que ce soit, c'est beaucoup trop dangereux et elle le sait très bien. Je n'ai pas le droit de faire courir un tel danger à mon entourage ; sans compter que si Ian apprenait que j'ai parlé à quelqu'un de l'entreprise, il me ferait sans doute regretter d'être né.
Et puis, qu'est-ce que je dirais à Richard ? « Désolé de pas avoir été très présent ces derniers temps, j'étais occupé à devenir un criminel » ? Il ne le supporterait pas, il est beaucoup trop honnête homme pour me regarder plonger dans la vente de drogue sans réagir. Sauf que je ne suis plus le petit garçon modèle qu'il a connu et qu'il a souvent protégé. Maintenant, je fais partie des ordures qui regardent des innocents se faire exécuter et qui punissent des enfants. Des gosses qui devraient avoir un stylo à la main pour faire leurs devoirs, plutôt qu'une liasse de billets à remettre à West Hutchins, le plus jeune dealer des Etats-Unis, qui accessoirement, fait équipe avec moi. Comment pourrait-il comprendre ça ? Même moi, je ne le comprends pas.
― Lui expli... lui expliquer ?! Vraiment ?! m'écrié-je en sentant ma poitrine bouillir de colère. Et qu'est-ce que tu veux que je lui explique, Savannah ? Que je travaille pour un assassin et que j'ai privilégié la vente de drogue à mes heures au cabinet parce que j'avais peur de finir comme Nicholas et d'être exécuté sur une putain de bâche en plastique ?!
Les mots s'échappent brutalement de ma gorge sans que je n'aie le temps de les retenir ou même d'y réfléchir. Ma sœur se lève brusquement et je déplore immédiatement mon manque de contrôle. Le choc se propage sur son visage, puis dans son corps tout entier, le ravageant de nombreux tremblements. Ses prunelles se voilent, puis s'humidifient et je quitte le sofa à mon tour pour m'approcher d'elle. Je déglutis, sentant la culpabilité réduire mes tripes en bouillie.
― Nicholas s'est fait... Nico est... souffle-t-elle en portant l'une de ses mains tremblotantes devant sa bouche. Non... Oh non...
Sa voix se brise en même temps que ce qu'il reste de mon cœur et je me mets à cogiter.
― Je suis désolé Sacha, je... Je ne voulais pas que tu l'apprennes comme ça. Je ne suis qu'un abruti...
Elle me dévisage et, alors que deux ruisseaux salés se faufilent sur ses joues, elle se jette dans mes bras. Je ressens chacun des spasmes qui la traversent comme une décharge électrique, pendant qu'elle resserre encore un peu plus son étreinte autour de mon torse. Elle s'accroche à moi comme si elle avait peur que ce ne soit la dernière fois, comme si... Comme si la vie de quelqu'un en dépendait. Je baisse la tête vers son oreille en priant pour qu'elle entende mes excuses silencieuses et qu'elle sache à quel point je m'en veux.
― Il ne m'arrivera pas la même chose, Savannah, affirmé-je doucement en effleurant sa tempe de mes lèvres.
Elle me lâche pour s'éloigner un peu, mais je place mes deux mains sur le haut de ses bras, pour ne surtout pas briser le lien qui maintient notre bulle de cristal protectrice intacte. Elle plonge son regard effaré dans le mien et je passe mes doigts dans ses cheveux pour tenter de la rassurer.
― Je te connais, tu n'as pas besoin de dire quoi que ce soit pour que je comprenne ce qu'il se passe là-dedans, murmuré-je en tapotant plusieurs fois son cuir chevelu de mon index.
Même si ses yeux noisette sont toujours aussi rouges et que ses membres n'ont pas fini leur danse frénétique avec la peur, un léger sourire apparaît sur ses lèvres et je sens enfin tout le poids du monde quitter mes épaules.
***
J'ai à peine le temps de pousser la porte vitrée pour entrer dans le cabinet vétérinaire que deux pattes velues se jettent sur mon trench-coat noir. Quand je reconnais Jack, la boule de stress qui ébouillantait ma gorge de sa douleur lancinante se réduit un peu.
― Hey, salut bonhomme ! m'exclamé-je joyeusement en caressant la tête du berger allemand de Ellen.
Il me renifle longuement en remuant la queue et un sourire niais s'incruste sur mon visage sans que je ne puisse le faire fuir. J'ai toujours adoré les animaux, adoré cet amour sans limite qu'ils nous offrent peu importe qui on est ou ce qu'on fait. Jack me fait la fête parce qu'il m'apprécie et il se fiche royalement de savoir si je viens de quitter mon appartement ou si j'étais en pleine réunion criminelle. Il m'aime et c'est tout ce qui importe. L'amour humain, lui, est beaucoup moins altruiste, bien plus réfléchi et il peut se transformer en haine en une fraction de seconde. Un jugement, une erreur et tout peut s'effondrer. Je crois que c'est pour ça que je préférais passer tout mon temps avec Kodah, le bouvier bernois de ma nourrice, au lieu d'essayer de m'amuser avec les autres enfants quand j'étais gamin. Le chien ne m'aurait jamais détesté pour ce que j'étais ou ce que je n'étais pas, contrairement au reste du monde.
Le souvenir de ce chien qui faisait trois fois mon poids plume de l'époque renforce le sourire idiot qui me colle à la figure et j'oublie un instant que je ne passerais peut-être plus cette porte en tant qu'assistant vétérinaire. Mon sac de sport s'écroule sur le sol sous l'excitation de Jack et, pendant quelques secondes, j'ai l'impression que ce n'est pas la bandoulière noire que je vois dégringoler sur le carrelage, mais ma vie toute entière. Après cette discussion avec Richard, je ne reviendrais peut-être jamais plus ici. Je ne caresserais peut-être jamais plus Jack. Je ne me demanderais peut-être jamais plus quel animal je vais voir arriver dans la journée ou ce que je pourrais y apprendre de nouveau. L'unique réelle initiative que j'ai réussi à prendre pour moi et pas pour mes parents est peut-être en train de partir en fumée et la seule chose que je suis en mesure de faire, c'est regarder les cendres s'envoler vers le ciel nuageux de Harlem.
― Comment tu vas, mon grand ? demandé-je à mon compagnon préféré.
― Tu espères qu'il te répondra ?
Je me retourne en un sursaut vif, quand je tombe nez à nez avec l'enfant gâtée et son air mielleux qui m'insupportera sans doute éternellement. Elle s'approche de moi avec un rictus aguicheur vissé sur les lèvres et détache ses cheveux blonds qui viennent caresser ses épaules dans un mouvement soyeux.
― Tu devrais faire attention à ton chien, Ellen. Il pourrait intimider certains clients ou choper un sale microbe en étant en contact avec les animaux malades qui viennent ici, lâché-je nonchalamment.
― Ah, enfin des paroles sensées ! s'exclame une voix rauque résonnant dans le couloir.
Tous mes muscles se figent et l'angoisse qui semblait m'avoir laissé respirer quelques instants se rabat sur moi brutalement. Mes jambes se mettent à flageoler, mes mains deviennent moites et les battements de mon cœur entament un sprinte épuisant. Richard arrive rapidement dans le hall d'accueil, un air préoccupé collé sur le visage. Son sac-à-dos, qui tient à peine sur l'une de ses deux épaules, se balance de droite à gauche à mesure qu'il avance vers nous. Ses prunelles sombres protégées par ses petites lunettes rondes se perdent dans le vide et sa figure potelée est imbibée d'un brouillard épais, indiquant qu'il est en pleine réflexion ou que quelque chose ne lui plaît pas. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, j'ai l'impression de ne pas être à ma place. Je me sens minuscule malgré mon mètre quatre-vingt et une soudaine envie de disparaître m'attrape à la gorge.
― Je n'arrête pas de lui répéter que son chien va finir malade, mais cette tête de mule refuse de m'écouter, grogne-t-il sans vraiment me regarder.
Il s'agite dans tous les sens, vérifie que tout est en place, brasse de l'air avec de grands gestes d'humeur et j'ai la sensation que mon cœur va bientôt lâcher prise. Je n'ai pas seulement besoin de ce travail pour l'argent, j'ai surtout besoin de ce job parce que c'est la dernière lumière restante au bout de mon tunnel. C'est mon dernier espoir de pouvoir un jour retrouver une vie normale. Et si cette lueur venait à s'effacer, je ne sais pas comment je réussirais à tenir le coup... Je ne serais plus qu'un criminel et rien d'autre.
J'ai besoin de ce quotidien. J'ai besoin d'assister ce bonhomme rondelet et grincheux en levant les yeux au ciel à chaque fois que sa fille m'exaspère. Parce que c'est ça que je fais, c'est ça que j'aime, c'est ça mon équilibre. Du moins ça l'était... C'était ma raison de me lever le matin, le sourire aux lèvres et, malgré ce que j'ai pu en penser, c'était une existence paisible et agréable. J'aurais dû en profiter plus que ça, j'aurais dû me rendre compte de la chance que j'avais de pouvoir posséder autant de sérénité grâce à un emploi stable qui me passionnait. Parce que désormais, j'ai la douloureuse impression que je ne pourrai plus me réveiller sans cette boule de terreur pure qui envahit mon estomac et ma poitrine chaque matin en sortant de mon lit et qui ne me lâche pas le soir avant de me coucher.
― Qu'importe. Excuse-moi Wayne, je suis un peu en retard. Ellen, premièrement, tu m'attaches tes maudits cheveux quand tu bosses, admoneste-t-il en tendant un index d'avertissement vers la blonde. Deuxièmement, aujourd'hui, il ne devrait pas y avoir trop de rendez-vous. Monsieur Rodriguez doit venir chercher son dog allemand, madame Walker revient pour faire enlever les points de suture de Lyra, sa petite lapine et il faut que tu me surveilles Allya, parce qu'elle risque de mettre bas aujourd'hui ou dans les prochains jours.
― Je peux vous aider, pour Allya, monsieur, dis-je précipitamment en mettant des compresses et des bandages dans mes poches par réflexe.
Collins se tourne vers moi, un instant silencieux et je blêmis. Un rictus tendre illumine ses pommettes, tandis qu'il secoue la tête en haussant les épaules.
― Si elle met bas aujourd'hui, tu pourras venir nous aider, bien sûr, affirme-t-il alors que ma gorge se serre. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit Ellen, tu appelles George, c'est un collègue qui tient un cabinet dans la ville d'à côté, mais il ne travaille pas aujourd'hui. Il m'a proposé son aide si jamais tu te sentais dépassée pendant mon absence. Sa carte est sur mon bureau, termine-t-il, avant de prendre la direction de la sortie.
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Bonjour les potes, avant tout, je m'excuse de mon absence de Wattpad en ce moment, mais je suis hyper en retard dans mon écriture, alors j'essaie de rattraper un peu tout ça, de me concentrer sur l'écriture. Mais sachez que je vois vos commentaires, que je les lis et qu'ils me touchent beaucoup, tous autant qu'ils sont. Je vais répondre à chacun d'entre eux avec plaisir, d'ailleurs merci à vous de commenter, de me faire rire avec vos réactions, de me faire réfléchir, de m'aider et de m'encourager, je vous en serai éternellement reconnaissant.
On se retrouve donc pour un chapitre un peu plus long que les autres, que j'ai mis un temps fou à réécrire. Ce chapitre contiendra quatre parties dont deux complètement inédites pour les nouvelleaux et les ancien.ne.s ! La troisième partie sera également un peu plus longues que mes parties habituelle, mais après un sondage sur Instagram (moonicane) et sur Wattpad, vous m'avez dit que ça ne posait pas de problème, alors j'espère que cette partie vous tiendra en haleine jusqu'au bout...
Bref, bref, bref, blablatons un peu :
Comment trouvez-vous la réaction de Wayne face au soulagement de Savannah ? Est-ce que vous trouvez qu'il exagère ou est-ce que vous le comprenez ?
Et vous, est-ce que vous aimez les animaux ? Est-ce que vous en avez à la maison ?
A votre avis, que vont faire Wayne et Richard ? Vous pensez que Richard va finir par virer Wayne ?
Cette fois, pour la musique, on remercie thelatestbeliever qui m'a proposé cette magnifique chanson pour mon chapitre. Dites, elle vous plait à vous ?
Voilà, voilà, c'est tout pour moi, je retourne à mon écriture pour avoir une chance de vous poster le chapitre 8 à temps et ce soir je me plonge dans tous vos commentaires !
Du coup on se dit à très vite pour de nouvelles aventures, les potes.
Prenez soin de vous.
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