Chapitre 6 | 3
Musique proposée : Something To Believe - Hollywood Undead. (En média).
― Je n'ai pas ordonné son exécution. J'aurais jamais pu faire un truc pareil parce que Nicholas était mon ami, me répète-t-il, les yeux brillants d'une lueur indescriptible.
Je le scrute, toujours incapable de lui répondre quoi que ce soit et mon air ahuri doit l'amuser, puisqu'un léger rictus survole ses lèvres bombées.
― Je connais les rumeurs qui courent sur moi, tu sais. Je les connais toutes, sans exception. Je sais qu'à la Réserve, tout le monde dit que c'est moi qui ai fait tuer Nico, que le Prodige a trahi son pote pour encore monter en grade.
Je serre les dents en repensant à ce qui m'avait traversé l'esprit lorsque Savannah m'a parlé de lui sur le balcon de mon appartement. C'est exactement ce que je m'étais dit à son propos : je l'ai tout de suite jugé capable de faire tuer un gamin, sans me poser la moindre question sur ses relations avec Nicholas.
― Quand j'ai vu ton regard, ta méfiance et cette distance que t'as mise entre nous en arrivant ici aujourd'hui, j'ai compris que toi aussi, t'avais dû entendre ces rumeurs, renchérit-il en tentant de prendre un air désinvolte. Pour être très honnête avec toi, je me fous royalement de ce que tu peux bien penser de moi. Je me fous de ce que tout le monde ici peut penser de moi. La seule personne qui compte pour moi sait que je n'ai rien fait. Seulement, toi, j'ai besoin que tu me fasses confiance alors...
Il lève la tête vers le plafond en inspirant longuement, luttant visiblement contre tout un tas de sentiments. Lorsqu'il se reconcentre sur moi, je baisse les yeux. Je me sens coupable de l'avoir sentencié sans réfléchir, encore une fois. Ses doigts glacés viennent alors attraper mon menton avec délicatesse pour que notre lien visuel soit rétabli et je me laisse faire, incapable de résister à la douce sensation de sa peau contre la mienne.
― Le petit garçon qui pleurait dans les bras de la blonde que tu dévisageais, c'était son petit frère et elle, c'était sa petite amie. J'ai presque vu naître ce gamin, d'ailleurs j'ai aidé Nico et Kacey à s'occuper de lui quand leur mère est morte. Je connais Nico depuis des années, depuis que je suis arrivé ici, en fait. Lui et moi, on avait vécu pas mal de trucs qui se rejoignaient, alors on s'est dit qu'on pourrait s'entraider. Il m'a présenté Kacey, sa petite amie, et c'est moi qu'il a appelé quand sa mère a perdu les eaux pour la naissance du petit, c'est aussi moi qu'il a appelé quand elle est morte. C'était l'un de mes meilleurs amis, Wayne. Et, je suis beaucoup de choses, mais je suis pas avide de pouvoir. Personne ne peut me convaincre de tuer quelqu'un à qui je tiens.
La sincérité qui brille dans ses prunelles décuple la tristesse émanant de sa voix éraillée et je la sens embuer mes prunelles vertes, ce que West remarque immédiatement. La douleur qui transperce chacun de ses mots me broie le cœur et je me demande si l'idée que tout le monde le pense coupable le laisse réellement indifférent. Il est extrêmement touché par la mort de son ami et j'ai du mal à croire qu'entendre qu'il est la cause de sa disparition ne lui fasse rien. Il lâche mon menton pour passer sa main dans sa nuque nouée en soufflant par le nez avant de continuer :
― Ian me hait, okay ? Il me hait et en plus, il me jalouse. C'est pour ça que tu fais équipe avec moi, parce qu'il est persuadé que ton manque d'expérience va me pousser à faire des erreurs, surtout depuis que j'ai dit que je me portais garant de tes actions. Il veut qu'Eleanor, sa supérieure, perde toute confiance en moi et c'est aussi pour ça qu'il a fait tuer Nicholas et pas quelqu'un d'autre au moment de mon arrivée, il voulait que tout le monde me soupçonne. Comme par hasard, quand le Prodige se pointe, y'a un mort. Qui allait me croire innocent, franchement ? Enfin bref, manque de bol pour toi, t'es arrivé en même temps que moi, alors il a pu fait d'une pierre deux coups. Il me fait accuser et en plus il te fait peur, pratique pour lui. Mais ce n'est pas à toi qu'il veut faire vivre un enfer, c'est à moi. Il veut me détruire et il prend plaisir à jouer avec toi par la même occasion.
Je baisse une nouvelle fois le nez vers la moquette, complètement vidé. Qu'est-ce que cet endroit est en train de faire de moi ? Je ne suis pas du genre à condamner quelqu'un sans preuve, mais quand il a s'agit de West et de cet endroit, j'ai tout de suite oublié la présomption d'innocence. J'ai désigné le coupable sans même avoir pris note de son témoignage et je m'en veux. Je refuse de devenir cet homme-là, je refuse de ressembler à mon père.
Soudain, les paroles de mon coéquipier résonnent en moi et l'image de Ian s'allume dans mon esprit. Comment peut-on prendre plaisir à faire souffrir des gens dans le seul but de gagner un peu de pouvoir ? Ce type me donne envie de vomir. J'ai envie de recracher mes tripes et ma rage sur lui tant il me dégoûte. Une haine inconnue se met à pulser à l'intérieur de mes veines bouillantes, je suis en colère. En colère contre lui, contre moi et peut-être même contre Savannah. Je crois bien que là, maintenant, tout de suite, j'en veux au monde entier d'exister et d'être aussi sombre. J'en veux à la réalité de ne pas seulement être un cauchemar duquel je pourrais me réveiller demain matin. Je voudrais simplement retrouver ma vie... Oui, je donnerais n'importe quoi pour revenir en arrière et retrouver tout ce que je suis en train de perdre. Pour redevenir celui que j'étais.
― Excuse-moi, West. Je suis désolé, tellement désolé...
Ma voix déraille et toutes mes émotions se mélangent. La haine, la tristesse, l'impuissance, la nostalgie, la peur, tous mes sentiments ne forment plus qu'une immense tempête qui devient de plus en plus violente à mesure que les secondes s'écoulent. Je ne sais pas ce que j'ai, mais toute cette mascarade me semble tout à coup bien trop lourde pour que je puisse la supporter plus longtemps. Une boule de feu grossit de plus en plus dans ma gorge et je sens mes yeux s'humidifier. Non. Pas maintenant. Ce n'est pas le moment de craquer. Deux ruisseaux salés dégoulinent le long de mes joues et je me détourne de West pour ne pas qu'il observe les dégâts de toute la fatigue que j'ai accumulée.
Je souffle bruyamment pour étouffer un sanglot, pendant qu'une chaleur nouvelle enveloppe mon corps. West se colle doucement à moi en me serrant contre lui avec force. Sans vraiment avoir le temps de réaliser ou de comprendre quoi que ce soit, j'enfouis ma tête dans le cou de celui dont je me suis trop méfié et mes larmes coulent sans que je ne cherche à les retenir. Il caresse lentement mon dos avec la paume de sa main et, finalement, je me rends compte que me laisser aller dans ses bras me fait un bien fou. Je crois que je n'avais jamais eu autant besoin du soutien de quelqu'un de toute ma vie et je suis soulagé de voir qu'il m'offre le sien, au moins pour quelques instants. Inconsciemment, je cherchais peut-être en West quelqu'un qui pourrait m'aider à porter le fardeau que j'ai déposé moi-même sur mes épaules, mais j'étais loin d'imaginer qu'il scellerait ce pacte imaginaire avec un geste si doux.
La porte de la pièce s'ouvre brutalement, m'arrachant à l'étreinte protectrice de mon binôme. J'essuie rapidement mon visage en fixant le sol bleu clair. Avant toute cette histoire, j'adorais cette couleur, mais je crois que plus je la vois, plus je me mets à la haïr de toute mon âme. Ian fait son entrée en poussant violemment un jeune garçon devant lui. Celui-ci trébuche et s'étale de tout son long devant la table en verre, sans émouvoir personne. Notre patron parcourt un instant l'horizon du regard, avant de me dévisager et de se mettre à sourire.
― Bonjour les garçons, vous nous avez manqué hier, pour la disparition du corps. Vous faisiez partie de ceux qui devaient s'en occuper, je vous signale.
Un haut-le-cœur remonte le long de ma trachée et je me fige, dévisageant Ian, puis West. Est-ce qu'il était au courant ? Est-ce qu'en voyant mon état, il a délibérément fait en sorte que je ne le sache pas ? Je l'observe d'un air interrogateur, mais il est trop occupé à fusiller le blond d'un air sombre pour le remarquer. Ses poings se serrent de fureur, mais il ne bouge pas. Je crois que je peux le comprendre, si je n'étais pas psychologiquement épuisé, j'aurais sans doute autant de ressentiment que lui à l'égard de Ian.
― Puisque vous n'avez pas fait votre boulot, vous allez vous occuper de ce petit merdeux, annonce notre supérieur en montrant le gamin du menton. Il a cru qu'il pouvait me voler de la came sans en subir les conséquences, je laisse donc Wayne lui montrer qu'il avait tort, renchérit-il en insistant fortement sur mon prénom.
Mon corps reprend sa danse endiablée avec l'angoisse et je ferme les yeux quelques instants pour tenter vainement de reprendre le contrôle. Je ne sais pas combien de temps je prends à essayer de me calmer sans y arriver, mais quand je reviens à moi, Ian n'est plus là et je suis seul avec West devant le petit brun qui nous fixe sans rien dire. Je me tourne vers mon acolyte, complètement perdu.
― Qu'est-ce qu'il attend de moi ? Qu'est-ce que je suis censé faire de lui ? demandé-je d'une voix faible, comme si je n'étais pas totalement certain d'avoir envie de connaître la réponse à ma question.
J'ai beau lancer des coups d'œil à mon coéquipier, celui-ci s'est totalement refermé. Son air impassible, sa mâchoire serrée et ses prunelles assombries ne laissent rien présager de bon...
― Ian attend de toi que tu punisses ce gamin. Il veut que tu le remettes sur le droit chemin et qu'après cette petite entrevue avec toi, l'envie de voler ne lui effleure plus jamais les idées, me répond durement West alors que je peine à comprendre ce qu'il sous-entend.
― Je ne comprends... j'écarquille soudain les yeux en me remémorant Peter et son coup-de-poing américain. Est-ce qu'il veut que je le frappe ? murmuré-je en sentant les battements de mon cœur s'accélérer.
Mon binôme hoche la tête et je me mets à paniquer. Je scrute West, puis le gamin qui a un mouvement de recul, pour revenir sur West et faire des allers-retours frénétiques entre les deux pendant encore de longues minutes. Soudain, le visage de ma sœur se met à clignoter dans mon esprit comme un signal d'alarme et je ne réfléchis plus. Si je ne le fais pas, c'est sa vie que je mets en jeu. J'attrape le garçon par le col de son tee-shirt vert, ferme le poing à m'en faire mal et le fait s'envoler. La respiration du gosse devient de plus en plus bruyante à mesure qu'elle se saccade et ses yeux clairs me supplient de ne pas lui faire de mal. La peur colossale qui émane de chacun des pores de sa peau empêche mes phalanges, toujours bloquées en l'air, de s'écraser contre sa joue fragile.
Je cligne des paupières et, pendant une fraction de seconde, ce n'est plus un petit garçon inconnu que je menace, mais Charlie, mon petit frère. Mes forces m'abandonnent et l'adrénaline qui pulsait dans mes veines s'évanouit. Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? Ma main retombe lourdement le long de mon corps et je lâche le tissu vert en reculant de trois pas.
― Non. Je refuse. Hors de question. Je ne veux pas devenir ce genre de personne... Je ne suis pas ce genre de personne... soufflé-je, choqué par mes propres actes. Qu'il aille se faire foutre, lui et ses menaces. Je ne frapperai pas un gamin.
Ma voix tremble, mes mains aussi, mais je suis catégorique. Je ne deviendrai pas ce genre de personne. Je ne serai jamais comme Ian, Peter ou n'importe lequel des monstres qui travaillent ici. J'étais quelqu'un de bien, je veux tenter de toutes mes forces de le rester.
― Putain, c'est pas vrai ! s'exclame West en me bousculant d'une épaule pour passer devant moi en soufflant.
Il empoigne le gamin et le colle violemment contre le mur. Je vois son bras s'élever, mais je n'ai pas le temps de réagir, que déjà, j'entends le cri de douleur du petit brun. Mon cœur rate un battement et une envie folle de faire regretter son geste à West gonfle en moi. Je m'apprête à lui faire payer sa cruauté, quand il lève une main pour m'ordonner de m'immobiliser et je m'exécute. Il attrape le gosse par les cheveux pour lui faire lever le nez dans sa direction et approche son visage du sien.
― Maintenant, tu vas m'écouter attentivement, morveux, le menace-t-il d'un ton rauque. Quand tu vas sortir d'ici, tu vas te tenir les côtes et boiter en pleurnichant, c'est vu ? Et si jamais tu croises Ian, Peter ou qui que ce soit d'autre, je veux que tu lèves la tête vers eux pour leur montrer le sang qui dégouline de ta lèvre, tu piges ?
Mon acolyte lâche le garçon qui hoche rapidement la tête, tout tremblotant.
― Et tâche d'être convaincant si tu veux pas que je te donne une bonne raison de l'être, ajoute West, alors que sa victime se dirige vers la porte en suivant ses indications à la lettre.
Nous l'entendons gémir dans le couloir et la colère que j'avais contre West s'évapore immédiatement. Je fixe un long moment l'arrière de son tee-shirt noir qui me fait face et je me rends compte à quel point je l'ai mal jugé. Je me rends compte à quel point il est innocent. Je ne le crois plus capable de faire tuer quelqu'un de sang-froid, je ne le crois plus capable de faire tuer quelqu'un du tout. Bien que j'aie encore du mal à me l'avouer, je crois que ce type n'est pas comme les autres malfrats d'Eleven Stars, je crois que c'est un mec bien.
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Hey, salut les potes ! ça y est, le chapitre 6 est terminé et, si tout va bien, le rythme de publication devrait revenir comme avant (aka publications le mercredi et le samedi) d'ailleurs désolé du petit contretemps, mais je ne suis pas trop en avant sur l'écriture des chapitres alors je préfère que parfois vous ayez une partie par semaine que rien du tout la semaine suivante. Bref, j'espère que ça vous a pas trop dérangé.e.s et que vous n'avez pas perdu le fil !
Du coup, qu'est-ce qu'on pense de West maintenant ? Est-ce que c'est quelqu'un de bien ou est-ce qu'il ment pour avoir Wayne dans sa poche ?
Et Ian, à votre avis, pourquoi il déteste autant West ? (Les ancien.ne.s faites gaffe à ce que vous allez dire, hein, pas de spoilers !)
Bon, et petite nouveauté, on en parle de Charlie ? Il ne vous interpelle pas ? Que vous inspire-t-il ? (Les ancien.ne.s, vous savez ce que je vais dire).
Je sais que la musique risque de ne pas plaire à tout le monde, mais j'adore cette chanson. Ce n'est pas ma préférée du groupe, mais je l'aime d'amour, du coup, vous, vous en pensez quoi ?
Voilà, voilà. C'est fini pour moi. Du coup je vous laisse en vous remerciant d'être toujours là malgré mes changements de programmes et mes retards. Merci pour vos commentaires et vos votes, même si je prends trois plombes à y répondre, ils me font toujours chaud au coeur, vous pouvez pas savoir. Vous me motivez chaque fois à continuer d'écrire et de partager ce que je fais et ça, ça vaut tout l'or du monde pour moi, alors merci à vous.
Sachez que dans le prochain chapitre, il y aura quatre parties et que, tenez vous bien les ancien.ne.s le début du chapitre a complètement changé, il est totalement inédit, vous ne le connaissez donc pas du tout. Encore un coup de stress pour moi. Il y aura donc deux parties inédites sur quatre, j'espère de tout coeur que ça vous plaira.
En attendant tous ces trucs inédits, prenez soin de vous.
Et je vous dis à très vite pour de nouvelles aventures.
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