Chapitre 6 | 2

Musique proposée : Looking To Closely - Fink. (En média).


― Tu ne m'avais pas dit que tu étais gay, ronchonne Savannah avec un air espiègle alors que je sors de la salle de bain, une serviette nouée autour de la taille.

Je la dévisage, les yeux ronds, sans savoir quoi lui répondre. Je repense un instant à West qui a fini par s'en aller avec une moitié d'œuf et du bacon trop cuit dans le ventre, avant de froncer les sourcils.

― Mais je ne suis pas...

― Oh, tu sais, tu peux le dire, ce n'est pas une honte, me coupe-t-elle, un sourire béat incrusté sur la figure.

Je lève les yeux au ciel en retenant un grognement. Je n'ai pas envie de rentrer dans ce genre de débat avec ma sœur. Mon orientation sexuelle ne regarde que moi et pour l'instant, je n'ai ni le temps, ni l'énergie pour me poser une question pareille. J'attrape une chemise couleur crème, un jean déchiré et fais déguerpir Sacha de ma chambre en prétextant de vouloir m'habiller. Mais, en vérité, je souhaite simplement couper court à cette conversion parce qu'elle me met mal à l'aise. J'enfile mon boxer et m'assois sur mon lit en soufflant un long moment.

En fin de compte, je ne me suis jamais vraiment demandé qui j'étais, ce que j'aimais, ce qui m'attirait. Est-ce que j'ai vraiment besoin de le savoir ? Est-ce que j'ai besoin de mettre un mot là-dessus ? Je suis sorti avec quelques filles, c'est vrai. Je suis même tombé amoureux de certaines, mais je ne me suis jamais dit que j'étais hétéro... ou que je ne l'étais pas, d'ailleurs. Je me suis toujours laissé porter, en fait. Je m'attachais à quelqu'un, mes sentiments se développaient et le reste se faisait naturellement. Je crois que c'est très bien comme ça. J'aime que ce soit aussi simple, je préfère que ça me vienne spontanément pour l'instant, quitte à y réfléchir de nouveau plus tard.

Deux saphirs clairs se mettent à briller dans mon esprit. Est-ce que le fait que je me sois senti bien aux côtés de West a une signification particulière ? Est-ce que l'agréable souvenir de sa peau contre la mienne, de ses caresses apaisantes sont réellement le signe d'une attirance ? Après tout, je ne connais ce type que depuis une semaine. Je ne suis pas sûr que l'on puisse parler de désir, et encore moins d'amour. West et moi partagions la même détresse, la même sensation d'urgence, c'est tout. J'ai vu un gamin se faire tabasser et exécuter de sang-froid, c'est suffisant pour avoir besoin de réconfort, non ?

Et puis merde. Pourquoi est-ce que je me torture avec ça, moi ? J'avais besoin d'aide et West était là. Il gérait mieux la situation que je ne le ferais jamais et son calme m'a fait du bien. C'est un fait. Un fait que je n'ai pas envie de remettre en question ou d'analyser. Je devrais simplement me laisser porter et profiter des peu de moments de répits que ma nouvelle vie m'offre au lieu de me prendre la tête avec un coup de foudre qui n'existe que dans la tête de Savannah. Avec West, je me sens en sécurité et c'est tout ce qui compte. Il n'y a rien de plus pour l'instant et, de toute façon, l'amour est loin d'être ma priorité en ce moment.

― Comment tu le connais, West ? demandé-je en prenant place sur le balcon aux côtés de Savannah.

Je soupire nerveusement en observant les rues de Harlem s'animer dans le brouillard matinal. Ma soeur tourne la tête vers moi en recrachant un nuage gris qui noircit sûrement ses poumons petit à petit et je me focalise sur l'horizon terne qui s'ouvre devant moi.

― Tout le monde connaît Hutchins, à Eleven Stars, lâche-t-elle.

Je grimace et l'interroge du regard en fixant ses prunelles qui sont déjà rivées vers moi. Elle tire de nouveau sur sa cigarette pour se laisser le temps de choisir ses mots et se focalise sur le paysage new-yorkais qui nous fait face.

― Quand je travaillais pour Ian, j'entendais souvent parler de lui. Le nom du « petit prodige » était sur toutes les lèvres. Et puis, au fil du temps, je me suis rapprochée de quelqu'un, quelqu'un qui le connaissait bien, alors j'ai posé des questions. Je l'avais jamais vu, moi, ce West Hutchins dont tout le monde parlait, du coup ça m'intriguait, je voulais savoir pourquoi il était aussi célèbre. Tout le monde parlait sans cesse de lui parce qu'une rumeur courait : apparemment, le Prodige allait bientôt arriver à Harlem ! s'exclame-t-elle en levant les bras exagérément. Enfin bref, en gros, à ce qu'on m'a dit, West a été le plus jeune dealer de toute l'entreprise, mais aussi celui qui a grimpé les échelons le plus vite. Il aurait été repéré par la fille du grand patron et il aurait commencé à bosser à ses onze ans.

J'écarquille les yeux. Onze ans ? West évolue dans ce monde de violence absolue depuis qu'il a onze ans ? Quelle horreur...

― Bon, maintenant y'a d'autres gamins de cet âge là qui bossent dans l'entreprise, mais aucun d'entre eux n'évoluent aussi vite que le Prodige. Alors avec tous les pouvoirs qu'il a dans Eleven Stars et la relation un peu spéciale qu'il entretient avec la fille du patron... forcément, tout le monde se la ferme devant lui, termine ma sœur en haussant les épaules.

― De quels pouvoirs tu parles ? demandé-je d'une voix faible, incertain de vouloir vraiment connaître la réponse à ma question.

― C'est lui qui s'occupe des finances, ici à New York, mais pas seulement. Il amasse l'argent, certes, mais il le gère aussi. Il fait les comptes et sait ce qui rapporte et ce qui ne rapporte pas. Il peut dire qui bosse bien et qui se laisse aller. Et tout ça, il en fait part à ses supérieurs, ça a de quoi foutre les jetons, crois-moi. Et puis... sa voix s'éteint et elle serre les dents.

― Et puis quoi, Sacha ?

― Et puis, à ce qu'on raconte, il peut faire virer, interroger ou tuer n'importe qui, grâce à sa position d'intouchable aux yeux de la patronne.

Je me raidis et un haut-le-cœur remonte le long de ma trachée. Mon sang se glace lorsque le visage tuméfié de Nicholas fait irruption dans mes pensées. Et si c'était lui qui avait ordonné cet interrogatoire auquel j'ai été convié ? Ou pire... Et si... Et si c'était lui qui avait ordonné l'exécution de ce gamin ? Je secoue la tête frénétiquement en tentant de ne pas me laisser emporter par le choc qui semble vouloir contrôler mon corps et ma respiration.

Je ne peux pas croire que celui qui a fait preuve d'autant de douceur et de bienveillance à mon égard puisse avoir fait tuer quelqu'un, de sang-froid. Ça ne peut pas être vrai. C'est impossible. Je m'effondre contre la baie vitrée qui parait être la dernière chose qui retient ma chute et me laisse glisser sur le sol. Pendant que je me recroqueville sur moi-même, des dizaines de flash viennent assaillir mon esprit. Je revois l'effroi sur tous les visages à l'arrivée de West dans la Réserve, je me remémore les airs livides des enfants qui ont croisé sa route. Mais surtout, le couteau qu'il avait placé sous la gorge de l'un d'entre eux se redessine devant moi comme un avertissement. Peut-être que j'avais raison, peut-être que, finalement, il n'est pas comme tous les autres malfrats que j'ai pu croiser à la Réserve. Il est pire qu'eux.

Sacha tente une approche en douceur et s'assoit lentement à côté de moi pour poser sa tête sur mon épaule dans un geste délicat. Habituellement, sa présence aurait suffi pour me réconforter, mais pas aujourd'hui. Je suis tellement perdu, tellement choqué, tellement déboussolé que je me contente d'enfouir ma figure dans mes paumes en soupirant longuement. Et dire que je commençais à lui faire confiance... Il cachait bien son jeu.

***

― Wayne ? Est-ce que ça va ?

Une légère inquiétude empiète sur sa voix douce, mais je ne dis rien. Je n'ose même pas poser les yeux sur lui. Pas après tout ce que j'ai appris à son propos ce matin. Et le pire, je crois, c'est que je me sens toujours aussi serein lorsqu'il est à mes côtés, comme si tout ce que j'avais vu et tout ce qu'on m'avait raconté sur lui ne me suffisaient pas. Comme si la lueur bienveillante qui noie ses prunelles bleues m'hypnotisait et m'empêchait de faire appel à ma raison. Malgré tout, je reste sur mes gardes ou du moins, je tente de me maintenir à distance. Parce que même si j'ai du mal à le considérer comme un assassin, je ne peux pas sciemment faire comme si je ne savais rien. Je ne sais pas jouer la carte de l'hypocrisie, ce n'est pas moi. Je me passe une main moite dans les cheveux en soupirant bruyamment, quand une voix que je ne connais pas vient réduire mes efforts à néant :

― Gueule d'Ange ! Hutchins ! Peter veut vous voir !

Mon cœur fait une embardée et un léger tremblement traverse l'entièreté de mon corps. Je me concentre sur West par automatisme, tandis qu'il m'observe d'un air rassurant. Il pose une main sur mon épaule pour me détendre et la chaleur de sa peau sur ma chemise est si agréable que j'ai l'impression d'oublier tout ce que je sais sur ce garçon en une fraction de seconde.

― Hey, t'en fais pas. Il t'arrivera rien. Peter ne touchera pas à un seul de tes cheveux, je t'en fais la promesse, affirme-t-il dans un murmure.

Je le suis silencieusement en maudissant la pression de s'envoler devant sa bienveillance. Nous pénétrons dans l'ascenseur et, à l'instant où les portes allaient se refermer, une main les bloque, les obligeant à coulisser dans le sens inverse. Le sourire en coin de Peter apparaît devant nous et l'atmosphère s'alourdit de nouveau. Je déglutis en me collant au miroir qui se trouve derrière moi, comme si m'éloigner le plus possible de cet homme abject pourrait préserver mon âme de l'obscurité de la sienne. West jette un coup d'œil dans ma direction et fronce les sourcils. Comme s'il venait de surprendre le cours de mes pensées et de le comprendre, il se place entre Peter et moi, formant ainsi la barrière protectrice qui empêcherait le loup de s'en prendre à l'agneau.

― Je vois vraiment pas ce que Ian te trouve, Gueule d'Ange, annonce Peter, une provocation non dissimulée dans la voix.

Je me fige, le regard fixé sur le sol marbré sans articuler la moindre réponse.

― Tu es faible et tu es un sacré trouillard. Tu connais rien au milieu et t'es si fragile qu'on pourrait te détruire en claquant des doigts. T'es le plus incapable d'entre nous, pourtant, tu fais équipe avec le célèbre West Hutchins, l'enfant prodige qui aurait soi-disant plus d'aptitudes que les autres. Vraiment, je comprends pas.

Je me raidis un peu plus, mais je ne me manifeste toujours pas. Je sais qu'il dit vrai, je sais que quelqu'un comme moi est loin d'être le coéquipier parfait pour un type du rang de West. Pourtant, celui-ci ne semble pas d'humeur à ce qu'on me le fasse remarquer, puisque je peux voir les muscles de Peter gonfler à vue d'œil lorsqu'un rire mauvais s'échappe de la gorge de mon binôme.

― Oh, Peter ! Il fallait le dire tout de suite si tu voulais tant faire équipe avec moi. Pas la peine d'être jaloux comme ça, tu auras ton tour, fanfaronne-t-il, tandis que notre cage de fer cesse son ascension et nous libère.

Notre interlocuteur bondit hors de l'ascenseur pour traverser le couloir comme une furie, visiblement ébranlé par l'air provocateur de West, nous obligeant à déambuler dans l'étage sans lui. Je ne sais pas si nous évitons volontairement tout contact visuel tous les deux ou si je suis le seul à vouloir esquiver une quelconque confrontation, mais nous avançons en silence, à la recherche de l'endroit du rendez-vous que nous a fixé Peter.

Nous rejoignons finalement le bras droit de notre patron dans une salle qui ressemble trait pour trait à toutes les autres, mais celui-ci quitte la pièce à la seconde où nous y pénétrons. Gêné par la situation et le calme environnant, j'observe la longue table en verre entourée de chaises noires qui trône fièrement devant nous. Cet endroit est étonnamment vide et l'atmosphère qui s'en dégage me glace le sang.

― Nicholas était mon ami.

Le ton dur de West remplit brutalement le néant qui nous entourait et je me surprends à le dévisager. Ses prunelles sont impénétrables et son visage est sombre et fermé. Je me contente donc d'attendre qu'il continue sur sa lancée, perplexe.


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Hey, salut les potes. Désolé pour le retard et le changement de programme. J'espère qu'au moins cette partie valait le coup d'attendre ! En tout cas, c'est une partie que j'ai pris beaucoup de plaisir à réécrire et à retravailler. Quelques détails n'allaient pas avec la suite et ça m'a fait plaisir de pouvoir les remarquer, de pouvoir voir par moi-même que j'avais un peu évolué par rapport à la dernière fois que j'ai bossé sur ce chapitre.

Du coup, petit questionnaire habituel parce que vos réponses me font toujours kiffer :

Que pensez-vous de ce qu'a dit Wayne sur son orientation sexuelle ? Et vous, vous êtes plutôt du genre à vouloir absolument mettre un mot sur ce que vous ressentez ou vous vous laissez porter sans vous poser de questions ?

Les révélations qui ont été faites sur West, ça change quelque chose pour vous ? Est-ce que vous aussi, vous pensez qu'il aurait pu ordonner l'exécution de Nicholas ?

Sinon, je suis littéralement amoureux de cette chanson, j'ai pas mal écrit avec. Elle vous plait ?


Voilà, voilà, c'est tout pour moi. N'oubliez pas, on se retrouve jeudi et non samedi pour les personnes qui souhaitent continuer. D'ailleurs, vous aurez deux trois infos sur le chapitre 7 jeudi, si jamais ça peut vous motiver...

Et après, normalement, je devrais pouvoir reprendre le rythme normal de publication, même si je suis encore en retard.

Du coup, prenez bien soin de vous et à très vite pour de nouvelles aventures !

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