Chapitre 3 | 3

Musique proposée : Final Masquerade - Linkin Park. (En média).


La lumière orangée du réverbère dégouline faiblement le long des dalles de béton humides de la petite ruelle, avant de ricocher sur les trois grosses bennes à ordures qui laissent l'obscurité prendre possession des lieux. Je trébuche sur l'un des pavés en pierre qui dépasse un peu trop du sol et manque de m'écrouler sur West, qui me maintient par les épaules pour me rattraper au vol. Surpris par la bienveillance de ses gestes, je le scrute avec méfiance plusieurs minutes, tandis qu'il se détourne déjà pour cogner six fois sur une cloison en fer. La brutalité des coups me fait frissonner et je le quitte des yeux lorsque trois enfants sortent du vieil immeuble que je pensais inhabité.

― Alors les morveux, la vente a été bonne ? demande sévèrement mon coéquipier en croisant les bras sur son torse devant les gamins.

Le cadet, qui ne doit pas avoir plus de douze ou treize ans, s'avance vers nous d'un air craintif et nous tend une liasse de billets que West réceptionne.

― Ça me parait bien maigre, ça. Vous êtes sûrs que vous êtes pas en train d'essayer de m'entuber ? grogne-t-il d'un ton glacial sans même prendre le temps de compter l'argent.

― Ils... ils nous ont refilé que des gros billets... hésite le plus grand des trois jeunes en triturant nerveusement son pendentif en forme de griffe.

Mon binôme soupire bruyamment en secouant la tête de droite à gauche, nous faisant tous comprendre que quelque chose n'a pas été fait correctement.

― Qu'est-ce qu'on vous a dit ? Pas de gros billets. On prend que des petites coupures, ou alors on vend pas, c'est quand même pas compliqué. Je vais parler de ça à Ian, finit-il par répliquer sans prendre en compte le regard horrifié du petit garçon devant ses quelques mots.

West tourne les talons et je le suis en jetant un coup d'œil rempli d'excuses aux trois paires de prunelles effrayées qui sont rivées vers moi. Arrivé à l'entrée du cul-de-sac, mon acolyte se colle au mur, avant d'observer les environs, comme pour être sûr que personne ne nous a en visuel.

― T'as de l'argent sur toi ?

J'agrippe mon portefeuille sans réfléchir un seul instant et en sors mes cinq billets de dix dollars.

― Parfait, file-les moi, m'ordonne-t-il en me tendant un billet de cinquante.

Il remplace également un billet de cent dollars par cinq de vingt et range le tout dans sa poche. Je fronce les sourcils sans comprendre, est-ce qu'il est en train de...

― Attends, tu les couvres ? lâché-je malgré moi.

― C'est pas la première fois qu'ils font un truc stupide comme ça. Si je les couvre pas, ils vont avoir de gros problèmes.

― Mais tu leur as dit que...

― Je voulais leur faire peur, Wayne. Je serai pas toujours là pour rattraper leurs conneries, répond-il sèchement. Bon, ramène-toi, on a pas fini.

L'idée que West est un garçon généreux me traverse l'esprit, mais je la fais rapidement fuir. West est un criminel. Il est évident qu'il travaille pour Eleven Stars depuis longtemps et qui sait ce qu'il a bien pu faire pour être si influent dans l'entreprise. Ce n'est pas parce qu'il remplace quelques billets dans de l'argent sale qu'il en est moins dangereux. Je ne dois pas me laisser avoir par son apparente gentillesse et la douceur qui se dégage de ses yeux clairs.

Nous nous arrêtons dans des dizaines d'impasses similaires à la précédente, devant des dizaines d'immeubles plus lugubres les uns que les autres et à chaque fois une poignée de bambins nous y attend pour nous remettre une somme conséquente. L'air de West est dur et froid, tandis qu'il réprimande les mauvais vendeurs et qu'il amasse les gains sans jamais un merci. Quant à moi, je me contente de rester sagement derrière lui sans rien dire, sans rien faire. C'est à peine si j'ose respirer lorsqu'il prend la parole et que je vois les visages des apprentis se vider de leur sang ou se remplir de sueur.

Après deux bonnes heures à sillonner les alentours de la cent-vingt-cinquième rue, nous entrons dans le parc. Alors que nous longeons la promenade Riverside, je ne peux m'empêcher d'observer la lueur éclatante de la lune briller dans l'Hudson et me sentir voguer quelques instants loin de ma nouvelle vie.

― Je te conseille de tout me donner, petit.

Le ton menaçant de mon binôme me sort de mes envies d'évasion et je scrute le paquet de billets qu'un adolescent pointe vers nous. Son bras est tenu devant West qui n'esquisse pas le moindre mouvement. Il se contente de fusiller le jeune à la casquette à l'envers d'un regard noir, sans que je n'arrive vraiment à comprendre pourquoi et sans que celui-ci ne baisse les yeux. Ses trois camarades semblent pétrifiés, pourtant, le petit téméraire continue clairement de défier West.

― Te donner quoi, hein ? Je suis déjà gentil de te refiler ça. Je garde ma part, mec, rétorque-t-il sans flancher une seule seconde devant la figure agressive de mon coéquipier.

Un rictus mauvais s'échappe des lèvres de West et j'ai l'impression qu'il perd patience. Il attrape le poignet du gamin à la casquette qui était toujours dirigé vers nous et le tord en une clé de bras visiblement douloureuse. De sa main libre, il fouille dans sa poche et en sort un canif aiguisé qu'il place sous la gorge de l'adolescent dont la respiration s'accélère brutalement.

― Ta part, hein ? Reste à ta place, gamin. T'auras la part que Ian voudra bien te donner, à supposer que tu vives assez longtemps pour en recevoir une.

Les trois autres, bien moins courageux que celui à la casquette, frissonnent de terreur pendant que mon cœur rate un battement. Mes paumes se mettent à trembler et une sueur froide me parcourt violemment l'échine. Je refuse d'être complice de ça. Je ne peux pas devenir ce genre de personne, ce genre de monstre. Je suis incapable de regarder ce type mettre la vie d'un enfant en danger sans rien faire.

― West... ma voix s'efface derrière la panique qui m'attrape à la gorge.

Et si jamais je fais un geste trop brusque et que ce couteau déchire la peau de sa victime ? Que pourrais-je bien faire pour l'aider ?

― Oh non, c'est West Hutchins... je le reconnais maintenant ! s'affole la seule fille du groupe en faisant un pas en arrière.

Le visage du téméraire devient livide et West serre les dents en fermant les yeux quelques secondes.

― Exactement, ma belle, affirme-t-il en libérant ses prunelles. Et maintenant que tu sais ça mon grand, qu'est-ce que tu décides ? Tu me donnes mon blé ou tu pries pour que ta carotide soit plus solide que ma lame ?

― Dans ma poche droite, dans ma poche droite ! s'écrit le morveux en contrôlant difficilement sa voix tremblante et son souffle saccadé.

― Bah tu vois, quand tu veux, miaule West avant de jeter un coup d'œil vers moi. Wayne, la poche droite.

Je me précipite vers eux et plonge mes doigts à l'endroit que l'on m'a indiqué pour en sortir la liasse manquante. Une fois les dollars récupérés, mon coéquipier lâche brutalement l'adolescent qui s'écroule sur le sol en crachant ses poumons. Nous tournons les talons sans perdre un instant et je me perds dans les bruits sourds qui résonnent derrière nous, alors que les gamins se mettent à fuir loin de l'air de jeu. Un silence lourd s'installe soudain sur mes épaules pendant que nous remontons l'Upper West Side.

― Il vaut mieux que ce soit moi qui les menace que Ian ou Peter, crois-moi, murmure West que je fixe sans comprendre. Je t'ai vu, dans le parc. J'ai vu ton air horrifié et désapprobateur. Je n'aurais pas fait de mal à ce gosse, mais il fallait qu'il ait peur de moi, sinon il se serait retrouvé devant Ian et il n'aurait pas survécu. Maintenant qu'il a eu la peur de sa vie, il restera à sa place et il survivra, renchérit-il, solennel.

Je hoche la tête, complètement sonné par l'intensité de ses mots et la soirée mouvementée que je viens de vivre. Il a sûrement raison, peut-être bien qu'avec Ian ou Peter, cet abruti serait mort et il est possible que grace à l'intervention de West, il ne se montre pas aussi insolent devant nos supérieurs ; mais je ne veux pas m'en prendre à des enfants. Je ne veux pas les menacer, mettre leur vie en danger pour de l'argent sale.

***

Epuisé, je balance mon trench-coat sur la table de la salle à manger avant d'enlever ma chemise et de la jeter sur un fauteuil. Je m'affale dans le canapé en soufflant longuement, comme pour relâcher tout le stress que j'ai pu emmagasiner, l'espace d'une nuit. Le visage enfoui dans mes paumes, je tente en vain de faire taire mes pensées qui ne cessent de me rappeler que je ne suis pas assez fort. Que je ne pourrais pas supporter bien longtemps cette angoisse, ce mépris, ce dégoût et ce sentiment constant de pouvoir mourir à chaque instant. Je sais que je ne suis pas à ma place dans ce monde rempli d'armes, de drogue et de violence. Je sais que je suis incapable de gérer les menaces et la pression sans craquer.

― Wayne, c'est toi ?

La voix endormie de ma sœur me coupe dans mes lamentations et je me tourne vers elle. Un léger sourire arpente mon visage quand je la vois frotter ses paupières fatiguées et attacher ses longs cheveux bruns en un chignon peu soigné. Sans hésiter une seule seconde, elle fait le tour de la petite table en verre pour venir me rejoindre et s'asseoir à côté de moi.

― Oh, merde... Wayne... Mais qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? gémit-elle en fixant mon bras avec inquiétude.

Je baisse la tête vers ma peau empourprée en écarquillant les yeux, cet abruti ne m'a pas raté.

― C'est rien, Sacha. T'inquiète pas, c'est de ma faute, en plus, affirmé-je en l'attirant contre moi.

Elle colle sa joue fraîche contre mon torse et, comme à son habitude, redessine du bout des doigts le papillon noir qui déploie fièrement ses ailes sur ma peau. Aussi loin que je me souvienne, elle a toujours agi de cette façon face à la tension. Elle fait ça pour se rassurer, pour se raccrocher à quelque chose qu'elle connaît. Quelque chose qui ne changera jamais.

― Je suis désolée, Wayne. Tellement désolée... souffle-t-elle d'une voix brisée par la culpabilité.

Mon cœur se serre devant la tristesse de Savannah et je bascule sur les coussins bordeaux en la gardant contre moi. Etendu de tout mon long, ma petite sœur allongée sur moi, je ferme durement les yeux. Je serre son corps frêle contre le mien avec force en respirant son odeur familière.

― Ce n'est rien Sacha, tout va bien. Je vais bien... murmuré-je en tentant de faire abstraction de la boule de feu qui obstrue ma trachée.


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Et voilà, le chapitre 3 est terminé ! J'espère qu'il vous a plu car il fait partie des plus importants à mes yeux. 

Sachez que le chapitre suivant contiendra également 3 parties, donc si ça vous tente, rendez-vous la semaine prochaine ! 

Du coup... c'est le moment où je vous laisse la parole, parce que j'adore vos réponses :

La team West, le West 2.0, vous en pensez quoi ? 

Les autres, il vous plait West, où vous vous méfiez de lui, comme Wayne ? 

Votre ressenti sur les méthodes d'Eleven Stars ? Sur ce que font les enfants ? Sur la manière dont ils sont traités ? 

Bon... Je vais pas dire que vous n'avez pas le droit de détester la musique que j'ai mise, (mais quand même, vous avez pas le droit) alors je vous demande votre avis : l'avez vous appréciée ? 

Du coup, je vous dis à la semaine prochaine les potes ! 

En attendant prenez soin de vous et hydratez-vous bien pendant cette période de canicule. 

A très vite !

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