Chapitre 25 | 3

Musique proposée : Achor - Skillet. (En média). 

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ATTENTION : Dans ce chapitre, les violences physiques et morales sont mentionnées, même si elles ne sont pas aussi graphiques que dans le chapitre 24, je demande aux âmes sensibles de faire attention à elles. 

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Wayne

Incrédule, je dévisage Gale et West un par un. Quatre jours. J'ai été inconscient quatre jours. Quatre jours qui m'ont paru aussi rapides qu'un pauvre claquement de doigts. Est-ce que Charlie aussi vit tout en accéléré maintenant que les machines respirent à sa place ? Est-ce que, comme moi, il pense qu'il vient à peine de s'endormir alors que ça fait plus de deux ans qu'il semble avoir déserté ce monde infernal ? Soudain submergé par le manque, je ferme les yeux. J'aimerais tant qu'il se réveille aussi simplement que je viens de le faire... J'aimerais tant que la vie reprenne possession de son petit corps comme elle vient de réintégrer le mien... Pourquoi pas lui ? Qu'est-ce que j'ai de plus que lui ? Sentant les larmes affluer derrière mes paupières, je secoue la tête.

— On sait si tout le monde a été arrêté ? demandé-je pour m'obliger à penser à autre chose.

Une nouvelle fois focalisé sur mes deux camarades, je me rends compte que j'aurais peut-être dû réfléchir avant d'ouvrir la bouche. Visiblement tendus, West pousse un profond soupir, tandis que Gale passe une main dans ses cheveux châtains en pagaille. C'est d'ailleurs un peu étrange de ne pas le voir aussi apprêté qu'à son habitude, j'ai presque l'impression de le découvrir sous un nouveau jour.

— Ils ont chopé Ian, Eleanor, Peter, Gambino et pas mal de pions... mais James s'est volatilisé, souffle Gale.

Frappé par toutes les informations que je reçois d'un seul coup, je serre les dents pour tenter de ne pas laisser l'inquiétude me nouer la poitrine, en vain.

— Mais t'en fais pas, ils ont le FBI au cul, intervient West qui a très bien compris mon petit manège.

J'attrape une grande bouffer d'air pour tenter de me laisser convaincre par les paroles de l'homme que j'aime, sans pouvoir empêcher mes pensées de s'éparpiller dans tous les sens.

— Qui est Monsieur Robinson ? lâché-je de but en blanc pour éviter de me perdre dans les abysses de mes cauchemars.

West se raidit instantanément, puis lance un regard nerveux à son frère, qui y répond par un hochement de tête rassurant. J'écarquille les yeux. Est-ce qu'ils ont toujours eu cette relation fusionnelle ? Est-ce que West s'est toujours appuyé sur Gale de cette façon ? Atterré, je les scrute un moment. Je passe des traits angoissés de mon partenaire à l'air réconfortant de son meilleur ami, encore et encore. Comment ai-je bien pu passer à côté d'une telle évidence ? Comment n'ai-je pas vu à quel point Gale pouvait être un pilier pour son petit frère ? J'étais tellement effrayé, préoccupé et focalisé sur ma propre détresse que je n'ai jamais remarqué l'ampleur de la vulnérabilité de West. Lui qui se fait toujours passer pour ce garçon fort, désinvolte, presque invincible m'apparaît aujourd'hui tout à fait autrement. Après tout, ce n'est qu'un gamin de dix-huit ans plein de failles, de fêlures, de cicatrices, et je prends conscience que Gale fait ce que je n'ai pas su faire : il le protège. Il le protège de lui-même, de ses blessures les plus profondes pour qu'elles ne prennent pas le dessus et qu'il parvienne à garder la tête hors de l'eau. Je me demande s'il l'a toujours fait, ou si quelque chose s'est produit entre eux pour qu'ils en arrivent-là.

— Monsieur Robinson, c'était le directeur du foyer pour mineur dans lequel on s'est rencontrés, West et moi, m'informe sobrement Gale.

Il s'approche de mon lit à pas comptés, puis pose une main sur l'épaule droite de son frère. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, les hématomes violacés qui dénaturent la couleur de sa peau me sautent aux yeux, et je me surprends à m'imaginer dans le même état. Hésitant, je les scrute une énième fois, sans oser continuer cette conversation.

— Et tu veux savoir ce qui s'est passé là-bas... soupire West en fixant la fenêtre qui lui fait face.

Je ne sais pas s'il me pose la question ou s'il l'affirme, mais je ne peux pas m'empêcher de baisser les yeux, honteux de ma curiosité. Gale passe une main crispée sur son visage, puis s'assoit à côté de ma jambe droite.

— West est arrivé au foyer une semaine avant moi. Quand on m'a envoyé dans celui-ci après m'être encore fait virer du précédent, j'ai tout de suite remarqué ce gamin qui se faisait racketter et tabasser par des ados. Ces mecs-là se pensaient tout puissants parce qu'ils faisaient partie des plus vieux de l'établissement, alors je leur ai montré de quel poing je me chauffais et après ça, West et moi on a passé une semaine entière sans se lâcher. On a appris à se connaître, et on foutait la misère au premier qui venait nous emmerder.

Un petit rire silencieux s'échappe de la gorge de West, alors que Gale continue son récit avec un sérieux exceptionnel.

— Mais après cette semaine de répit, y'a eu un changement de directeur. Celui qu'on connaissait prenait sa retraite et un certain Monsieur Robinson le remplaçait.

Dès que le barman prononce le nom de cet homme, son frère se tend encore un peu plus et son océan s'agite, comme s'il s'enfonçait dans les méandres d'un passé qu'il préférerait oublier.

— Ce mec était un retraité des Rangers de l'armée de terre et pensait que la discipline, ça s'apprenait à la dure, comme pendant son service militaire. Sauf que chez lui, y'avait un truc qui déconnait. Il buvait beaucoup et, parfois, on avait l'impression qu'il se croyait encore en territoire ennemi. Comme si c'était un de ces mecs traumatisés par la guerre qu'on voit dans les films, ceux qui sont toujours dépeints comme des gens qui perdent de vue la réalité et qui pètent les plombs. Enfin bref, il supportait pas qu'on lui désobéisse, sauf qu'on se comportait rarement comme de bon petits soldats alors...

La voix de Gale s'éteint, et il se racle la gorge.

— Alors il nous le faisait payer, reprend West sans laisser l'opportunité à Gale de poursuivre. Il avait des tas de punitions dans son sac. Ça allait des parcours pseudo militaires pendant des heures, à la violence physique... Mais si y'a bien un truc qui le faisait sortir de ses gonds, c'était qu'on essaie de se faire la malle ou qu'on se batte. Là, il...

— Il essayait d'obtenir des informations, renchérit Gale à la seconde où la voix de son meilleur ami flanche. Il voulait tout savoir, qui avait eu l'idée, qui avait donné le premier coup, qui avait aidé qui pour s'enfuir... Il voulait qu'on balance, en fait. Mais y'avait une espèce de code d'honneur entre nous, les gosses. On balançait pas. On balançait jamais.

— Et de toute façon, si on balançait, on se faisait défoncer par les ados, ajoute West avec amertume.

— Alors Robinson nous prenait par groupes de deux ou trois, reprend Gale. Il posait des questions à l'un, et frappait l'autre s'il n'obtenait pas ce qu'il voulait. Entre chaque série de coups, il nous répétait qu'on pouvait faire en sorte que la douleur de notre pote cesse si on était honnêtes avec lui. Que si l'autre souffrait, c'était de notre faute, parce qu'on parlait pas. James a reproduit la scène exacte que Robinson mettait en place...

— Comme James, lui aussi répétait nos noms complets pour s'adresser à nous dans ses moments-là. On aurait dit des matricules. Quand il les utilisait, on savait qu'on allait passer un putain de mauvais quart d'heure, intervient West, les dents serrées.

— West et moi, on supportait pas cet endroit. On se tirait souvent, avec l'aide de quatre ou cinq potes à nous qui montaient la garde ou qui nous couvraient pour qu'on puisse se barrer sans nous faire choper.

— Et puis, on était pas très aimés non plus... C'était pas rare qu'on se retrouve au milieu d'une dispute qui tourne mal. Robinson le savait, il nous avait en ligne de mire, alors on se retrouvait plus de fois qu'on aurait vraiment dû dans son bureau à la con.

Si je ne sentais pas mon cœur se fissurer un peu plus à chacune de leur prise de parole, leur visage si sombre et fermé pourrait presque me faire froid dans le dos. Avec mon enfance d'écolier modèle, je n'aurais jamais pu imaginer que de si jeunes enfants étaient confrontés à autant de violence pendant que moi, je râlais pour regarder la télé un peu plus longtemps.

— Les marques que t'as vues dans mon dos...

Gêné de constater que Gale a remarqué mon intérêt déplacé pour ses cicatrices lorsque nous étions dans ce maudit entrepôt, je baisse le nez sur mes doigts emmêlés.

— C'est lui qui me les a infligées. Il savait qu'en s'en prenant à moi plutôt qu'à West, il aurait plus de chances d'obtenir les réponses qu'il voulait. Pas que je tenais moins à West qu'il ne tenait à moi, mais West a toujours été le plus résistant à la douleur de nous deux. Il était beaucoup plus dans la retenue que moi quand ce connard le frappait, il absorbait les coups comme une éponge... Et puis il était plus jeune, alors c'était plus facile de le faire craquer psychologiquement. Peu importe, il nous frappait avec un martinet ou alors avec un nerf de bœuf tressé. Sauf une fois...

La voix du barman déraille, puis s'évapore, et son meilleur ami pose émet une pression sur son genou alors que Gale prend une profonde inspiration.

— Un soir, il a câblé. Il était complètement bourré, ou alors il était en pleine crise, j'en sais rien, mais... il a plaqué... et merde, soupire-t-il en secouant la tête.

West jette un coup d'œil à son frère qui paraît se noyer dans les affres obscures du passé, puis se racle la gorge.

— Il a utilisé un fer chauffé à blanc.

Le cœur au bord des lèvres, je retiens mon souffle. L'immense balafre rosée qui recouvre l'épine dorsale de Gale me revient en mémoire et mon estomac se noue. Comment peut-on faire une chose pareille à un enfant ? Comment peut-on ne serait-ce que comparer ça à de la discipline ? Incapable d'ouvrir la bouche, je serre la paume de West dans la mienne de toutes mes forces. Je ne sais pas qui je tente de rassurer entre lui et moi, mais je serre sa main comme si ma vie en dépendait.

— James était avec nous à ce moment-là, continue le barman, l'air dur. Il se prenait plus de coups que les autres parce qu'il avait des liens particuliers avec Robinson. C'était le beau-frère de sa tante ou une connerie comme ça. Tout semblait plus violent quand il s'agissait de James, alors West et moi on a un peu essayé de le protéger, de lui faire comprendre qu'il était pas tout seul. Mais je pense que toute cette merde l'a beaucoup trop marqué pour...

— Comment tu peux défendre cette crevure ?! le coupe violemment West. Comment tu peux lui trouver des circonstances atténuantes après ce qu'il t'a fait ?

— Il avait peur, West... C'était qu'un gamin...

— Mais toi aussi, putain ! On était tous des gamins !

— Robinson lui a pas laissé le choix...

— Arrête tes conneries, arrête ! Il a posé ce fer sur ta peau, bordel !

La mâchoire de Gale se contracte en même temps que ses paupières tombent sur ses prunelles grises, et je déglutis. Quelle horreur...

— C'était lui ou moi, frérot, répond calmement le barman.

— Et alors ?! À moi aussi, Robinson m'a demandé de faire ce choix, et je l'ai pas fait ! Jamais j'aurais pu te faire ça ! Plutôt crever, putain...

Mon binôme détourne le regard, mais j'aperçois tout de même sa lèvre inférieure trembler avant qu'il ne passe sa main libre sur son visage, comme pour ravaler ses larmes.

— Je ne sais pas comment vous avez fait... murmuré-je, à la fois révolté et attristé. Je ne sais pas comment vous avez pu tenir le coup malgré tout ça. Quand je vous vois, vous avez l'air tellement... forts, inébranlables... Je crois que je comprends maintenant, pourquoi vous êtes si proches. Je comprends pourquoi vous cherchez tant à vous préserver l'un l'autre. Finalement, vous vous êtes créé votre propre famille.

Un peu en état de choc, je déblatère tout ce qui me passe par la tête sans le moindre filtre. Les imaginer souffrir à ce point me retourne le ventre, pourtant, je suis heureux qu'ils aient eu assez confiance en moi pour m'en parler. Je me sens un peu plus proches d'eux, désormais. Comme s'ils m'avaient fait une place dans leur monde, dans leur bulle blindée. Gale lance un coup d'œil à West, avant de reporter son attention sur moi.

— Et maintenant, tu fais partie de la famille, Gueule d'Ange. 


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Coucou tout le monde, 

Désolé pour le retard, j'espère que vous allez bien en ce début de semaine. Je vous avoue que je suis un peu (très) en retard sur le chapitre 26 donc je ne sais pas s'il sera près pour ce week-end, mais je vais faire de mon mieux. Je ne sais pas pourquoi je bloque sur ce chapitre, peut-être parce que c'est le dernier... Je ne sais pas. Je crois que je n'aime pas les fins, mais d'un autre côté, j'ai vraiment vraiment hâte d'enfin écrire et publier autre chose, même si mon travail sur N'aie Pas Peur n'est pas encore fini (vive la correction pour la version finale). Donc normalement si je poste le 26 dans les temps, il reste un mois avant la publication de Ne Saute Pas... J'ai trop trop hâte que vous découvriez cette histoire. 

Bref, je vais arrêter de vous raconter ma vie, j'espère que ce chapitre vous a plu, personnellement, ça doit être l'un de mes préférés. 

Tiens, d'ailleurs, maintenant qu'on est quasiment à la fin, dites-moi, quel est votre moment (ou vos moments) préféré dans N'aie Pas Peur.

Concernant le passé de West et Gale, vous seriez plutôt d'accord avec la colère de West ou le flegme de Gale ? 

À votre avis, James va se faire prendre ? Il va revenir se venger ? Il va s'enfuir ? 

Et la musique alors, elle vous plait ? J'adore cette chanson, elle me va droit au cœur. Elle me fait tellement penser à la relation de West et de Gale... 


Bref, bref, avant de partir, je voudrais vous remercier pour les 400 abonné.e.s ici, vous êtes de plus en plus nombreuxes et ça me fait super plaisir. J'espère que les nouvelles petites têtes oseront se plonger dans mon univers un peu sombre avec moi. Je voudrais également vous remercier pour les 10.5K sur N'aie Pas Peur, c'est dingue, j'ai l'impression que c'est allé hyper vite. Merci pour votre soutien, de tout coeur. 

Je vous envoie plein de bonnes ondes, et je vous dis à très vite les potes. 

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