Chapitre 21 | 2
Musique proposée : Never Going Back - The Score. (En média).
Pour éviter qu'on ne le voie entrer à nos côtés, Gale a décidé de partir le premier sur sa Suzuki bleu nuit, et pour la première fois depuis que je le connais, je ressens son absence comme un poids supplémentaire face à la soirée qui nous attend. Le trajet jusqu'aux bâtiments d'Eleven Stars est très rapide, mais le lourd silence qui règne entre West et moi dans l'habitacle de son Impala le rend interminable. Une fois sortis de la voiture, mon stress commence à bouillir au milieu de ma cage-thoracique, m'incitant à prendre conscience qu'il ne nous reste plus que quelques mètres à parcourir pour enfin atteindre notre but. Plus nous avançons, plus les portes de la Réserve s'élèvent, nous surplombent, puis menacent de nous avaler pour ne plus jamais nous recracher. Une bonne centaine de scénarios catastrophes ouvrent soudain le feu dans mon esprit, et je me fige, les yeux clos. Je voudrais tellement pouvoir m'enfuir en courant pour me terrer dans un pays lointain et tout oublier... La seule chose dont j'ai envie, là, maintenant, c'est de me réveiller dans mon lit pour ensuite entendre Savannah grogner quand j'essaie de la réveiller, de la faire manger et d'arriver à l'heure chez les Collins. Je donnerais n'importe quoi pour retrouver ma vie en prétendant que rien de tout ça n'est jamais arrivé. Mais Savannah n'est plus là, les Collins doivent sans doute me haïr, et je ne retournerai peut-être plus dans le dernier endroit où je me suis senti chez moi.
Lorsque je sens les doigts frais de West glisser sur ma paume pour s'emmêler avec les miens, je libère mes prunelles. Mon binôme se rapproche de moi, me lance un léger regard auquel je réponds par un hochement de tête, puis m'offre un baiser à la fois anxieux et rédempteur. Il prend ensuite une profonde inspiration et je ne trouve rien de mieux que de l'imiter pour tenter de me donner une contenance. Sa main libre vient caresser ma joue, me poussant à me laisser emporter par la sensation de douceur que me procure sa peau contre la mienne.
— N'aie pas peur, Wayne... murmure-t-il.
Un sourire aussi imperceptible que fugace passe sur mon visage, tandis qu'un souffle revigorant m'envahit. Je remets mon col de chemise en place pour activer la balise, et tente de me persuader que le FBI arrivera à temps pour nous sauver la vie, comme à la télé. Dans les films, les gentils finissent toujours par s'en sortir, non ? Alors nous allons ramener Spencer chez lui, puis retrouver le havre de paix de West. Tous ensemble. Après tout, si malgré une tempête dévastatrice les étoiles ne s'arrêtent pas de briller, nous sommes à même de continuer de respirer.
— Je n'ai pas peur.
Mon coéquipier compose un code de sécurité sur un boîtier noir, puis nous nous engouffrons dans l'immeuble de tous mes cauchemars. À peine entré, je sonde déjà la salle immense avec frénésie, m'attendant presque à ce que quelque chose me saute à la gorge. Gale est à son poste et je remarque qu'il s'est changé : il a laissé tomber le simple tee-shirt pour le remplacer par une chemise blanche agrémentée d'un nœud papillon qui lui donnent un air un peu trop chic. Lorsqu'il s'aperçoit que je reste fixé sur lui, il me fait un signe de tête bienveillant, comme s'il cherchait à me rassurer, à m'assurer que tout ira bien. Lui rendant la pareille, j'inspire dans un effort un peu vain de me détendre, mais me rends vite compte que quelque chose cloche. Le hangar grouille de monde, pourtant aucun son n'émerge de nulle part. Tous les regards sont abattus sur nous, et mon binôme lâche ma main droite pour se placer à ma gauche. Tel un bouclier entre les centaines de personnes présentes et moi, il me pousse vers le mur en douceur de façon à ne pas nous laisser encercler. Ses prunelles virent au bleu nuit et son visage se ferme complètement, tandis qu'il scrute l'assemblée avec méfiance. À mesure que nous nous approchons de l'ascenseur, la foule se veut de plus en plus dense, des chuchotements retentissent d'un peu partout, puis monte dans un dangereux crescendo. Nous sommes toisés, montrés du doigt, hués... mais West ne cille pas. Mon cœur bat la chamade, ma respiration s'accélère et je serre la main de mon partenaire aussi fort que je le peux.
— C'est vrai ce qu'on raconte ?
Les bras croisés sur son maillot de baseball trop grand, un adolescent d'une quinzaine d'années se détache de l'assistance en nous fusillant d'un air sombre.
— C'est vrai qu'en plus d'être des sales pédales, vous êtes aussi des balances ?
Sans attendre notre réaction, le gamin crache au pied de mon acolyte avec dégoût et celui-ci se met à bouillir contre moi, mais prend quand même sur lui pour ne pas répliquer. Comme une grenade qu'on aurait dégoupillée, ce simple geste de mépris fait exploser l'attroupement qui s'écrase contre nous dans une violence sans nom. Certains imitent l'adolescent, d'autres nous éructent leur rage à la figure, mais la majorité des criminels bondissent sur nous pour tenter de nous ruer de coups malgré le peu d'espace qu'il leur reste. Placé devant moi, West m'aide à me frayer un chemin au milieu de toute cette haine et accéder à notre unique échappatoire : l'ascenseur. Il me protège, se prend tous les coups à ma place, pourtant il ne bronche pas. Il se contente de me guider à travers l'agitation avec un sang-froid impressionnant. Un sentiment d'oppression s'empare de moi, j'ai l'impression d'étouffer, mais sa stratégie fonctionne. Nous touchons presque au but lorsqu'un homme fait céder West en frappant ses côtes blessées. Le souffle coupé, mon binôme se cogne contre le mur pour ne pas s'écrouler de douleur alors qu'un gémissement lui échappe.
— West !
Ma voix éclate au-dessus du brouhaha et je me jette sur le sale type qui a fait flancher l'homme que j'aime. Aidé de ces compatriotes au moins aussi enragés que lui, celui-ci riposte pour m'envoyer au tapis en un rien de temps. Submergé par une pluie de haine, je ne suis plus capable de me défendre, de parer quoi que ce soit ou de rendre coup pour coup comme le fait West. La douleur pulse dans mes veines, mais ce n'est que lorsque mes adversaires s'attaquent à mon épaule endommagée que je capitule réellement. Comme nourri par la détresse qui plane autour de West et moi, le chaos augmente encore d'un cran quand je m'écroule sur le sol en hurlant et je me mets à croire que c'est la fin. On va mourir ici avant même d'avoir pu rejoindre Ian. Replié sur moi-même, les bras abritant mon visage, je ferme les yeux, avant de les rouvrir vivement lorsqu'un puissant sifflement stoppe toute cette anarchie en une fraction de seconde.
— Hey ! Qu'est-ce que vous foutez ?!
Un ton rauque fait écho dans la pièce vaste avant que je ne trouve enfin le courage de me redresser, sans pour autant être en mesure de voir notre sauveur. À ma plus grande surprise, plus personne n'attaque, tout le monde se retourne pour identifier la personne qui ose s'interposer. Toujours à terre, je lance un rapide coup d'œil interrogatif à West qui semble soudain plus en confiance. Il est à bout de souffle, ses phalanges sont rouge sang, sa mâchoire s'empourpre à vue d'œil, pourtant je ne lis aucune angoisse dans ses traits. Il n'a pas peur, il est en colère. Des bruits de pas lointains me sortent de ma contemplation, et je finis par entrevoir Gale. Un soupir de soulagement passe la barrière de mes lèvres, tandis que je l'observe marcher au travers de la foule pour se positionner entre elle et nous.
— Le barman est avec eux ! rugit une voix aigüe.
— Ce sont tous des traîtres ! s'énerve une autre.
— Ces lopettes méritent de crever ! S'acharne une troisième.
Chacun crie son mécontentement, des menaces fusent de tous les côtés, mais Gale ne bouge pas, il n'esquisse même pas le moindre petit mouvement de recul quand l'assemblée monte en intensité.
— Qu'est-ce que vous croyez ? s'écrit-il pour calmer les insurgés. Bien sûr que je ne suis pas de leur côté ! Mais je suis pas non plus un idiot, vous croyez qu'il va nous arriver quoi quand Ian, ou pire, quand Gambino découvrira que vous les avez tués avant qu'ils aient été interrogés ?! Qui vous dit qu'ils n'ont pas donné plus de détails que ce qu'on supposait aux flics, hein ? Qui vous dit que les flics nous attendent pas déjà dehors ? Gambino a besoin des infos qu'ils sont les seuls à détenir, donc si vous les tuez maintenant, vous nous foutez tous dans la merde !
De nombreux murmures septiques s'éveillent dans la salle et je retiens mon souffle. Si l'intervention de Gale échoue, on a aucune chance de sortir d'ici vivants.
— Faites confiance à Ian et Peter, ils savent s'occuper des traîtres, renchérit le barman pour convaincre l'assistance de nous laisser monter.
Les chuchotements s'accentuent alors, comme si tout le monde se mettait à réfléchir à l'unisson.
— De toute façon, ils seront bien obligés de redescendre s'ils veulent sortir d'ici, non ? Vous les choperez à ce moment-là, termine Gale.
Des arguments jaillissent de plusieurs endroits différents et, petit à petit, l'assemblée se disperse. Je perçois des « il a raison », « on les aura après », « ils vont morfler » de toutes parts, mais je suis tout de même heureux de pouvoir rejoindre l'ascenseur, non sans avoir offert un regard reconnaissant à notre ami avant de partir.
***
La brûlure féroce qui décime mon épaule droite accentue mon sentiment d'anxiété et j'ai de plus en plus de mal à dissimuler les spasmes qui me secouent. À l'image des battements mon cœur, ma respiration est saccadée, désordonnée, complètement incontrôlable. Je tente tant bien que mal de me calmer en jetant un bref coup d'œil à West, assis comme moi sur une chaise en fer, mais ce dernier est trop occupé à menacer Ian d'un regard sombre pour le remarquer. Devant nous, notre patron fait les cent pas, un air à la fois victorieux et méprisant suintant de ses traits odieux. Sa condescendance évidente me donne envie de bondir sur lui pour lui envoyer mon poing dans la figure, mais je me contente de me laisser submerger par mes craintes, évitant ainsi tout acte regrettable. Posté devant la porte comme un chien de garde aussi bien dressé que les molosses qui campent aux quatre coins de la pièce, Peter paraît enjoué. Trop enjoué. On est piégés, à leur merci et ils s'en délectent tous. Pourvu que le FBI ne tarde pas...
— J'espère que le comité d'accueil vous a plu, jubile Ian avec un rictus que je voudrais lui faire ravaler sur-le-champ.
Peter pouffe de rire et ma colère s'enflamme davantage. Surtout, ne pas réagir. Surtout, ne pas perdre son sang-froid. Les dents serrées, je me répète ce mantra en boucle pour anesthésier ma haine en pensant au petit Spencer. Tendu à l'extrême, West tremble de rage, mais ne dit rien.
— Est-ce que j'aurais réussi l'exploit de faire taire notre petit Prodige ? renchérit-il, moqueur.
— Ma grand-mère m'a toujours dit de pas instruire les cons, lâche West.
Sa voix est glaciale pourtant n'importe qui pourrait déceler les flammes qui jaillissent de ses yeux et qui le font bouillir d'une animosité qu'il peine à endiguer. Perdant son sourire, Ian se stoppe au milieu de la pièce et se dirige vers son bureau en acajou sans un mot. Soudain fulminant, il attrape le bout de ferraille argenté que je ne connais que trop bien, ravivant ainsi les images de mon cauchemar avec cruauté. Quand l'arme se colle contre le torse de West, je sens ma lèvre inférieure tressaillir alors que mon binôme, lui, ne cille pas.
— Fais attention à ce que tu dis, le Prodige. Rappelle-toi que la vie de ton petit bâtard est toujours entre mes mains.
L'atmosphère de la pièce est électrique et j'ai l'impression de voir celle-ci se remplir de l'agressivité émanant du corps ardent de l'homme que j'aime. Je crois que si Spencer n'avait pas été le prix à payer, la grenade dégoupillée qu'il est devenu aurait sans aucun doute déjà explosé pour évincer la supériorité déloyale de notre adversaire.
— Assez joué, reprend le blond après un court silence.
Le canon du révolver dévie vers moi au ralenti, pour venir s'abattre sur mon épaule droite.
— C'est très simple, Hutchins : Soit tu viens avec moi pour aller confier à Gambino tes petits secrets avec les flics, soit...
Le cylindre métallique s'enfonce dans ma peau avec force, déclenchant des dizaines de décharges électriques sur son passage. Incapable d'ignorer la douleur lancinante qui m'étreint, je mords l'intérieur de ma joue en atténuant le plus possible le gémissement qui tente de m'échapper. L'océan s'agite dans les prunelles de West et, lorsqu'il s'apprête à fondre sur mon assaillant, une des armoires à glace arrive par-derrière et l'attrape à la gorge pour le stopper net. Appuyé contre le dossier de mon siège, je puise dans mes ressources restantes d'impassibilité. Si je bouge, je subirai le même sort.
— C'est bon, Ian. T'as pas besoin de faire ça, je dirai ce que tu veux à Gambino ! s'enquiert West.
Le blond n'a pas le temps de se délecter de la réaction de son ennemi juré que quelqu'un toque brutalement à la porte. Après avoir obtenu l'aval de son maître, Peter laisse entrer l'invité surprise dans un soupir agacé. Une carrure familière s'impose devant nous, et je crois que je pourrais me jeter au cou de Gale sans attendre.
— On a un problème, annonce ce dernier, concentré Ian.
Il lance ensuite un regard vers West et articule quelque chose comme « la maison nous attend » dans un murmure.
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Salut tout le monde, j'espère que ça va en ces temps compliqués.
J'espère que votre quotidien n'est pas trop chamboulé et que vous arrivez à vous organiser et à vous faire plaisir malgré tout. Personnellement, je reste celui que j'ai toujours été : le mec cloitré dans sa chambre à écrire (et à beta lire maintenant). D'ailleurs, en parlant d'écrire, je vous informe que mon nouveau projet avance bien. Six chapitres sont déjà écrits, en plus du prologue. Ce sera une histoire courte à l'image de Hors du Temps et je la posterai dés que j'aurais terminé de l'écrire en croisant les doigts pour qu'elle vous plaise.
Enfin bref, le chapitre 21 est terminé et j'espère qu'il vous a plu et que N'aie Pas Peur vous plait toujours parce qu'elle arrive bientôt à sa fin... Au contraire de Hors du Temps, c'est un véritable soulagement pour moi de finir cette histoire parce que je suis pressé de passer à la suite et de laisser émerger toutes les idées qui pullulent dans ma petite tête pour la suite de nos trois lascars ou pour mes autres romans en projet.
Cet accueil musclé vous inspire quoi ? Vous croyez que Wayne et West auraient pu se sortir de là sans Gale ?
Vous la sentez comment l'intervention de la police ?
Et la phrase de Gale, vous pensez qu'elle veut dire quoi ? De quelle maison parle-t-il ?
Vous avez vu, j'essaie de me calmer avec Tommee Profitt, aha ! (Je vous promets pas que ça va durer) Elle vous plait, cette chanson ?
Voilà, c'est tout pour moi. Je repasse très vite pour aller lire vos commentaires si vous passez par-là.
Je vous envoie plein de force et d'amour.
Prenez bien soin de vous et respectez au maximum les règles de sécurité pour vous préserver et préserver les autres. Rappelez-vous qu'on peut croiser une personne à risque sans le savoir ou être porteur sain.
Une pensée toute particulière à ma soeur et à tous les soignant.e.s qui se prennent de nouvelles vagues de patients dans la gueule en ce moment. La force de ce pays, ce sont elleux, et leur travail se passe dans des conditions pitoyables, alors si tu me lis et que t'es soignant.e, sache que je pense à toi et que je te remercie pour ce que tu fais. Même si je peux pas faire grand chose pour t'aider à part suivre les règles comme je peux, sache que tu es incroyable et que sans toi on se casserait la gueule.
À bientôt les potes.
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