Chapitre 20 | 1
Musique proposée : Whose Side Are Your On - Tommee Profitt ft Ruelle. (En média).
— Tu n'étais pas venu ici avec cette idée en tête, n'est-ce pas ?
À moitié absent, je fronce les sourcils en apercevant un rictus furtif apparaître sur les lèvres du cinquantenaire qui avance à mes côtés dans le couloir éclairé par un pauvre néon vacillant. Incapable de me remettre des récents événements, je ne prends pas la peine de répondre quoi que ce soit. Est-ce que c'est vraiment arrivé ? Ai-je réellement sauvé West de la prison ? Perdu dans la couleur grise de la moquette qui défile sous mes pas, je me repasse la scène en boucle : telle une cible vivante qu'on aurait pu abattre à bout portant, tous ces regards inconnus m'avaient en ligne de mire. J'étais persuadé qu'aucun des agents ne se gênerait pour tirer pourtant, seul un « d'accord » froid, direct, presque stoïque a zébré l'atmosphère pour m'atteindre en plein cœur. Personne n'a rien dit, personne n'a réagi. Tout le monde a compris que le désespoir parlait à la place de Lincoln et qu'il ne valait mieux pas remettre sa décision en doute.
La détresse affolante qui émanait de lui m'a envahi avec violence et je crois qu'elle n'a toujours pas déserté ma poitrine. Peut-être que je n'aurais pas dû me servir de son inquiétude envers Spencer pour sauver West... Peut-être que... Peut-être que rien du tout. Je n'ai pas à m'en vouloir, je n'ai rien fait de mal. S'il n'avait pas parlé à sa fille, son petit-fils serait toujours avec sa tante, bien au chaud près de la cheminée, à s'émerveiller devant des dessins de papillon. Rien au monde ne pourrait me faire regretter d'avoir essayé d'aider l'homme que j'aime et si l'occasion se représentait, je ferais n'importe quoi pour le sauver encore.
— Quand Malone t'a provoqué en disant que tu étais forcément là pour avoir quelque chose en retour, tu as eu l'air... étonné. Comme si ça ne t'avait pas traversé l'esprit, comme si ça te surprenait qu'il ait pu penser une chose pareille de toi, renchérit le capitaine, auquel je ne réponds toujours pas.
Abasourdi par la justesse de son discours, je le dévisage un long moment, manquant presque de bousculer un bureaucrate pressé. Suis-je aussi prévisible que ça ?
« Tes émotions sont écrites sur son visage, Wayne »
La voix rauque de mon coéquipier caresse un instant mon esprit et je me surprends à sourire tandis que je le revois attraper mon âme pour lire en elle sans mon autorisation. Que ses prunelles océanes soient en mesure de me décrypter avec autant de facilité ne me gêne pas, je serais prêt à lui offrir moi-même l'histoire de ma vie s'il me le demandait, mais qu'un lieutenant de police qui me connaît à peine puisse faire la même chose me glace le sang. Ces sentiments profonds sont précieux, je ne peux pas me permettre de laisser n'importe qui les approcher et les manipuler. Je refuse d'être aussi expressif.
Arrivés à destination, nous entrons dans une salle étroite et pleine de matériel électronique. Peu importe l'endroit sur lequel je jette mon dévolu, mon regard se heurte chaque fois à un écran plat dernière génération sur lequel des dizaines d'informations défilent sans cesse. Des chiffres, des lettres, des signaux lumineux, des alarmes sonores... Tout s'agite sur les différents ordinateurs, tant et si bien que j'en aurais le mal de mer. Une jeune blonde fait rouler sa chaise de bureau pour se retourner vers nous, un sourire communicatif niché sur ses lèvres peintes en rose pailleté. Ses grands yeux marrons presque dissimulés derrière ses grosses lunettes violettes nous considèrent tous les deux avec enthousiasme pendant qu'elle remet sa chevelure en place. Soyeux, ses cheveux ondulés dégringolent sur ses épaules carrées et je remarque que deux petites fleurs bleues retiennent une mèche de rencontrer son visage rond. Lissant sa robe aux motifs zébrés de la même couleur qui suit ses courbes rebondies avec soin et virevolte près de ses mollets potelés, elle se lève d'un bond.
— Ah, monsieur, vous tombez à pic ! Il fallait que je vous parle de ce que j'ai trouvé parce que j'ai eu un mal de chien à obtenir les informations dont vous aviez besoin, mais je les ai enfin, vous me connaissez, sauf qu'il fallait que je vous le dise en personne parce que vous n'avez jamais votre tablette sur vous et apparemment c'était important alors...
— Jennifer, Jennifer, respire. Je ne suis pas là pour ça, la coupe le cinquantenaire avec plus de douceur que je ne l'en aurais cru capable.
La femme le scrute avec un air curieux et je dois me mordre l'intérieur de la joue pour retenir le rire amusé qui me chatouille le thorax. Elle débitait tant de mots à la seconde sans reprendre son souffle, que je crois qu'elle aurait pu continuer son discours incohérent encore longtemps si on ne l'avait pas arrêtée en route. Plus gênée que jamais, elle tripote son énorme collier mauve avec un air de chien battu pendant que son supérieur tente vainement de la rassurer. Lorsque la dénommée Jennifer reprend enfin contenance, son attention se pose sur moi, la laissant bouche-bée. Qu'est-ce qui lui arrive ? Serait-il possible que cette fille me connaisse ? Mal à l'aise face à une telle réaction, je lui lance un petit sourire crispé, accompagné d'un signe de tête léger pour la saluer. Soudain écarlate, elle se gratte la nuque, puis se met à glousser nerveusement.
— J'aurais besoin de l'un des nouveaux prototypes. Il faut qu'il soit le plus discret possible pour qu'on puisse le glisser dans le col de sa chemise sans que personne ne remarque rien, affirme le patron de la blonde en nous sauvant tous les deux de cette étrange situation.
Après quelques secondes de silence, la voix à la fois enjouée et agitée de l'informaticienne résonne dans la pièce comme un coup de feu.
— Déshabille-toi, m'ordonne-t-elle, avant de rougir de plus belle. Enfin... je veux dire... donne-moi juste ta chemise...
Ne sachant plus comment se comporter, elle se contente de grimacer et, cette fois, je ne peux empêcher un petit rire de m'échapper. Un peu moins sur la réserve que devant les dizaines d'agents fédéraux de tout à l'heure, j'enlève mon haut et le lui tends. Mon bras reste suspendu dans le vide quelques instants alors que je la surprends à fixer chaque centimètre de ma peau avec intérêt. Ses yeux passent de ma mâchoire à mes épaules, pour faire une longue pause sur mon torse et terminer leur course sur mes tatouages qu'elle semble détailler un à un. Agacé qu'elle ne sorte plus de son observation appuyée, le capitaine se racle la gorge et Jennifer m'arrache presque le vêtement des mains. Examinant le col de ma chemise, elle se rassoit et se met à trifouiller dans un tiroir, non sans me jeter quelques coups d'œil à la dérobée. Victorieuse, elle brandit deux appareils minuscules pour ensuite se re-concentrer sur son supérieur.
— Il va me falloir quelques minutes pour les configurer et installer le programme N321 avec les...
— Fais ce que tu as à faire Jennifer, mais je t'en prie, épargne-moi les détails, je n'ai jamais rien compris à tout ce charabia.
La principale concernée acquiesce tandis que le coup d'œil attendri que lui lance le cinquantenaire ravive son air allègre. Après avoir jeté un dernier coup d'œil appréciateur sur mon torse nu, Jennifer se retourne pour se mettre à taper sur différents claviers, soudain emportée par son travail. Un silence accablant s'abat alors dans la salle, permettant aux images terrifiantes de mon cauchemar de reprendre leur droit sur mon esprit en une fraction de seconde.
« Il n'a jamais tué personne, tu es bien sûr de ça ? »
La voix de l'homme qui a hanté ma nuit me martèle le crâne une énième fois et je ne suis plus en mesure de tenir ma langue. J'ai besoin de savoir ce qu'il voulait dire par là.
— Vous avez raison, lui lancé-je, focalisé sur une lumière rouge clignotante de l'une des machines qui chauffent devant mon nez. Quand je suis arrivé ici, passer un accord avec le FBI pour sortir West de là ne m'avait même pas effleuré les idées. À la base, tout ce que je voulais, c'était qu'on nous aide, mais votre collègue m'a tendu le bâton pour le battre... alors je l'ai attrapé. Il fallait au moins que je tente le coup.
— Je m'en doutais, rétorque l'agent.
Incapable de quitter le scintillement rougeoyant des yeux, je feins de ne pas sentir son regard me brûler la peau et continue d'un ton neutre :
— West est quelqu'un de bien, vous savez. Il mérite qu'on se batte pour lui, il mérite qu'on lui donne une chance, argué-je, certain de ce que j'avance.
Dans le même état second que moi, je doute que Jennifer perçoive la moindre bribe de la conversation importante qui prend vie sous son nez. Elle semble autant envoûtée par la lumière éclatante de ses écrans que je ne me laisse submerger par cet océan si familier et, pour le moment, aucun de nous deux ne paraît réellement faire attention aux alentours ou aux conséquences de nos actes.
— Je ferai toujours tout ce qui est en mon pouvoir pour l'aider parce qu'il n'est pas comme les ordures qui ont tué Nicholas devant son petit frère et sa petite amie, continué-je de façon mécanique.
Le cri de douleur de la jeune fille fait irruption dans mes pensées déjà bien encombrées et ma mâchoire se contracte durement. Peu importe qu'il sache ou non à quoi je fais allusion, il faut que je crache ce que j'ai sur le cœur.
— À chaque fois qu'il le peut, West fait son possible pour protéger les autres, pour les aider. Il n'a tué personne. Je sais qu'il n'a tué personne, répété-je plus pour moi que pour le capitaine de police qui n'a pas cessé de m'observer.
Mon regard vide se plonge alors dans le sien et ma voix perd le peu d'émotions qui y subsistait encore.
— N'est-ce pas ?
Un soupir lui échappe lorsqu'il prend conscience que ma question est sincère et que j'attends vraiment qu'il me fournisse une réponse. Il doit me le dire, j'ai besoin de l'entendre de sa bouche.
— Pourquoi tu me demandes ça à moi, gamin ? Pourquoi ne pas le lui demander directement ? Et puis, si tu en es aussi sûr que tu ne le prétends, pourquoi prendre la peine de poser la question ?
— Ce sont vos conneries qui m'ont foutu en l'air, craché-je, cinglant. Quand vous avez sous-entendu que West avait tué quelqu'un, je n'ai jamais pu l'oublier. Je n'ai pas été foutu de me sortir ça de la tête. Donc maintenant, je vous demande de me dire si votre petit manège était bien réel ou si vous avez détruit mes nuits par pur plaisir.
Il a beau froncé les sourcils, je ne flanche pas une seconde et le foudroie un peu plus froidement chaque seconde qui s'écoule. Cette fois, je refuse de me laisser impressionner. Ces réponses qu'il tarde tant à me donner me sont nécessaires pour oublier tous les scénarios atroces qui me pourchassent quand la lune apparaît.
— D'après nos sources, Hutchins aurait assisté à plus d'une trentaine d'exécutions qu'il n'aurait pas commanditées et auxquelles il n'aurait pas voulu participer, alors qu'apparemment, il en avait le pouvoir.
Mon corps tout entier se détend et une vague de soulagement se déverse dans mes veines au moment même où mon estomac se noue. Il a vu une trentaine de personne mourir. Combien d'entre elles connaissait-il ? À combien d'entre elles tenait-il ? À quelle fréquence ses larmes ont-elles coulé à cause de telles monstruosités ?
— Mais il en aurait dirigé une, renchérit le cinquantenaire.
Paralysé par ce que je viens d'entendre, aucun son n'émerge de ma gorge en feu. Non. Il se trompe. Sa source est fausse. Pourquoi en aurait-il dirigé une s'il ne voulait pas y participer ? C'est absurde. Complètement dénué de sens.
— Et voilà !
Inconsciente du cataclysme qui sévit dans ma poitrine, Jennifer se retourne vers nous, triomphante. Après de longues secondes à tenter de me ressaisir, je me concentre sur la blonde qui me dévisage. Encore. Lorsque celle-ci comprend que je suis enfin avec elle, elle attrape mon poignet gauche sans me demander mon avis et place un petit objet en plastique rond au creux de ma main. Trop occupée à mettre en route son engin, l'informaticienne ne paraît pas avoir remarqué que son patron et moi étions en pleine discussion.
— Si tu émets une pression de chaque côté du dispositif avec ton pouce et ton index, comme ça, tu éteins la balise et tu coupes le micro, m'explique-t-elle en joignant les gestes à la parole pour être sûre que je comprenne bien. Une fois que tu as fait ça, cette petite merveille n'est plus décelable par un détecteur de métaux. Donc si tu es fouillé, tu n'as qu'à presser l'appareil comme je viens de te montrer pour le désactiver et tu fais pareil pour tout remettre en route.
Sa paume recouvrant le dos de ma main, je crois qu'elle prend plaisir à positionner mes doigts sur le petit objet noir presque plat dans le but de m'inciter à le faire plusieurs fois parce qu'elle prend un temps fou à me libérer.
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Je vous avoue que je suis un peu démoralisé à cause de mon flop de la semaine dernière. J'ai presque failli ne pas poster aujourd'hui, mais je me suis dit que si je postais pas, ça vous donnerait encore moins envie de rester sur cette histoire, ça vous montrerait pas du tout à quel point j'ai envie de me battre pour elle, alors me voilà.
J'espère que cette partie vous plaira plus et qu'elle saura vous remettre dans l'ambiance de N'aie Pas Peur. On est dans la dernière ligne droite, bientôt N'aie Pas Peur sera terminée et je pourrais enfin vous proposer de nouvelles choses à lire, reprendre là où vous vous étiez arrêté.e.s avant mon départ de Wattpad. Peut-être qu'en fait, vous en avez juste marre de relire un truc que vous connaissez déjà et que vous avez envie de lire à partir de là où vous vous étiez arrêté.e.s au final, je ne sais pas. En tout cas, je suis toujours là, et je vais tacher de pas me laisser démoraliser, surtout que Hors du temps à l'air de vous plaire, alors c'est probablement pas ma plume qui pose problème. (D'ailleurs merci pour votre soutien sur Hors du temps, ça me fait vraiment hyper plaisir).
Je me souviens que dans la première version de N'aie Pas Peur, tout le monde avait deviné de qui je m'étais inspiré pour Jennifer, est-ce que vous aussi, vous avez la réf ?
Qu'est-ce que vous pensez de la discussion de Wayne et l'agent à propos de West ? Vous pensez que ça veut dire quoi tout ça ? Que West a une face sombre qu'il cache à Wayne ou que c'est juste un malentendu ?
Et la musique, on aime ?
Voilà, c'est tout pour moi. Je vous souhaite une bonne fin de journée si vous êtes là.
Je vous envoie plein de bonnes ondes.
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