Chapitre 19 | 2

Musique proposée : Follow Me - Ruelle. (En média).


Me faisant le plus petit possible pour avoir une chance d'entrer dans la salle mystérieuse, je m'assois à côté de lui tandis qu'il referme l'espèce de petite porte derrière nous. Plongé dans le noir complet, je n'ose bouger que lorsque j'entends un cliquètement qui déclenche l'illumination de plusieurs longues guirlandes colorées, accrochées sur chacun des murs de cet endroit. La lumière des petites ampoules claires se reflète sur le plafond et je remarque que celui-ci est bien plus bas que dans le reste de la maison. Seul un enfant pourrait se tenir debout ici. Sans un mot, j'observe les dizaines d'étoiles phosphorescentes collées sur le soffite, avant d'apercevoir les photos de toutes tailles qui parsèment les murs. Sur chacune d'entre elles brille la joie magnifique d'un petit brun, toujours accompagné de ses parents et mon cœur se serre lorsque je reconnais ses prunelles bleues. West. Ne voulant pas laisser l'émotion me gagner, je quitte vivement tous ces souvenirs des yeux pour jeter mon dévolu sur le sol noyé de coussins. Il y en a partout, de toutes les couleurs et de toutes les formes, tellement que même les deux matelas posés par terre à l'autre bout de la salle en sont recouverts. Sur le premier lit de fortune et en dessous de l'épais manteau d'oreillers, je distingue une couette à l'effigie de Peter Pan, alors que sur le second, c'est Jack Skellington qui est mis à l'honneur.

- C'était mon repère, ma cachette secrète, mon refuge rien qu'à moi, quand j'étais gosse, déclare West en m'arrachant à ma contemplation.

Se frayant un chemin entre les polochons, il prend place sur le plaid de l'épouvantail et me fait signe de le rejoindre.

- Quand je faisais des cauchemars, je venais me réfugier ici et je me sentais protégé. Alors je me suis dit que... peut-être... tu pourrais t'y sentir aussi bien que moi après un mauvais rêve si je t'emmenais ici, me lance-t-il à la fois hésitant et perdu dans le passé.

La douceur et la nostalgie qui se dégagent de lui sont telles, que je les sentirais presque me réchauffer la poitrine quand je m'installe à ses côtés. Blotti contre moi, il pose sa tête sur mon épaule et je l'entoure d'un bras protecteur en me mordant l'intérieur de la joue pour réprimer mon sourire de fierté. Je suis fier et heureux qu'il me fasse assez confiance pour me montrer ce havre protecteur qui paraît contenir une bonne partie de son enfance.

- Ce n'est pas tellement l'endroit qui fait que je me sens en sécurité, murmuré-je.

Il ancre son regard dans le mien, désarçonné.

- C'est ta présence, West.

Les coins de ses lèvres se relèvent timidement, tandis qu'il se redresse pour les coller contre les miennes avec délicatesse et finir par reprendre sa position initiale.

- C'est mon père qui a construit cet endroit et ma mère qui l'a décoré.

Je jette un nouveau coup d'œil autour de moi et me rends compte que derrière les photos, les étoiles et les guirlandes se dissimule un univers lunaire peint à la main. Des astres, des constellations, des planètes et la lune, reine de cette œuvre d'art, nous entourent et semblent presque scintiller dans la pénombre maintenant que j'ai su les faire sortir de leur cachette. C'est magnifique.

- Pourquoi ton père l'a-t-il construit ? demandé-je absorbé par le talent de sa mère.

Mon partenaire soupire, me sortant de mon admiration et je regrette immédiatement ma question.

- Pour que je puisse me mettre à l'abri.

Un peu désemparé, je reste là, sans rien dire, à le dévisager en fronçant les sourcils pour le pousser à m'en dire plus.

- Mes parents... Ma mère...

Cherchant visiblement ses mots, mon binôme passe une main angoissée dans ses cheveux, avant de souffler encore une fois.

- Elle se droguait, lâche-t-il d'un ton sec. Du coup, elle avait pas forcément de bonnes fréquentations et, quand j'avais huit ans, deux mecs ont débarqué à la maison. L'un d'entre eux m'a chopé et m'a foutu un couteau sous la gorge. J'ai jamais trop compris ce que ces enfoirés voulaient et de toute façon, j'étais trop petit pour comprendre ce genre de trucs. Tout ce que je sais, c'est que le jour qui a suivi la menace à l'arme blanche, mon père et toute une équipe de professionnels ont construit cet endroit pour que je me cache si jamais quelque chose de dangereux devait se reproduire... Ce qui est arrivé à de nombreuses reprises.

Abasourdi par son discours et l'absence totale d'émotion dans le ton de sa voix, je ne parviens pas à réagir.

- Donc quand il se passait quelque chose, que des inconnus se ramenaient à l'improviste, reprend-il pour combler mon silence. J'allais dans le dressing, je refermais la porte derrière moi, je venais me cacher ici et j'appuyais sur les boutons que tu vois là-bas...

Je suis son doigt pointé vers l'entrée de la salle du regard et constate que quatre interrupteurs juxtaposent celle-ci.

- Le premier allume les guirlandes, le deuxième éteint la lumière du dressing, le troisième en verrouille la porte et le quatrième fait bouger la barre de fer qui maintient les vêtements pour qu'ils se replacent devant la cloison qui sert de porte à cette pièce. A l'époque, je trouvais ça super-cool. Je comprenais pas que ça montrait à quel point la situation pouvait être grave, moi je voyais juste que c'était un endroit rien qu'à moi dont personne ne connaissait l'existence et avec des mécanismes de dissimulation dignes des plus grands agents secrets.

Les coins de ma bouche viennent me grignoter le visage lorsque j'imagine le plus mignon des petits détectives, tout fier de son nouveau repère.

- C'est ici que j'étais, quand mes parents sont morts.

Mon sourire s'évanouit et je resserre mon étreinte autour des épaules de West, qui fixe l'un des clichés accrochés en face de nous.

- Je me souviens que ce jour-là, ma mère était complètement stone. Mon père a reçu un appel et il a eu l'air hyper... J'en sais rien, soucieux ? Anxieux ? Peut-être un peu énervé, aussi, je sais pas trop. Je me rappelle juste que son expression a changé en une fraction de seconde et qu'il m'a dit d'aller me cacher ici, de m'enfermer jusqu'à leur retour. Il m'a serré dans ses bras, puis après, il a attrapé ma mère et ils sont partis sans que je sache jamais pourquoi. Sur la route, un camion blindé les aurait apparemment percutés de plein fouet et après avoir fait des tonneaux, leur voiture serait tombée à l'eau...

Il souffle du nez avec cynisme.

- C'était un dimanche et le dimanche, les camions blindés sont pas censés rouler. En tout cas pas sur la petite route qu'ils ont empruntée. C'est ce qui m'a empêché de croire à la thèse de l'accident, j'y ai jamais cru et j'y crois toujours pas. J'ai même toujours tenu ma mère pour responsable de ce qui est arrivé parce que je me suis dit que c'était à cause de ses fréquentations qu'ils ont dû fuir en me demandant de rester caché. Mais la vérité, c'est que j'en sais rien et que c'est plus facile de me raccrocher à l'explication de la mère défaillante qu'à pas d'explication du tout. D'ailleurs je m'étais fait la promesse de jamais devenir comme elle, tellement je lui en voulais. Mais bon, ça a pas vraiment été une réussite, pas vrai ? Je suis pas camé, c'est vrai, je suis dealer. Quelle ironie.

- Tu n'as rien à avoir avec un simple vendeur de drogue, West, lâché-je malgré moi. Tu es le type qui va faire tomber la plus grosse entreprise mafieuse de tout Manhattan. Et puis, même sans ça, je t'ai vu à l'œuvre, tu n'as rien à voir avec les criminels qui travaillent pour Gambino : tu t'es mis en danger pour couvrir des enfants, tu as menti pour ne pas en frapper d'autres, tu t'es même porté garant pour me sauver la vie en risquant encore la tienne. Alors oui, t'es peut-être un dealer et t'as peut-être fait des erreurs, mais t'es surtout un mec incroyable. Un mec que je suis obligé d'admirer tellement ton courage te fait briller. Après tout ce que t'as vécu, tous tes coups durs, t'es encore là, à aider des gens. T'es encore là, à te battre contre la mort pour la faire fuir des yeux de tes proches. T'es pas comme ta mère, West, t'es comme ton père. T'es pas celui qui a provoqué la venue de ces monstres chez toi, t'es celui qui essaie de protéger les autres de ces monstres.

Le souffle court après un tel monologue, j'ose à peine tourner la tête dans sa direction. Incertain d'avoir eu raison de laisser les mots s'échapper de ma gorge sans prendre le temps de réfléchir, je me contente de fixer l'enfant apparaissant sur quelques polaroids. Qui pourrait penser que ce petit brun si souriant voyait régulièrement son monde se ravager de drogue et de menaces ? Je n'aurais jamais pu imaginer que toute la violence que j'ai découvert à Eleven Stars était en fait quelque chose que West connait depuis son plus jeune âge. Ce que j'admire le plus chez lui, chez ce petit garçon, c'est que même après avoir eu un couteau sous la gorge, il a continué de rêver. Malgré l'addiction de sa maman, malgré la peur constante dans laquelle ils devaient tous vivre, ce petit détective trouvait la force de se réjouir d'avoir une nouvelle cachette et de se raccrocher aux étoiles qui brillaient sur son plafond une fois que la pièce était plongée dans le noir. Finalement il ne suffit peut-être que de quelques étincelles d'espoir pour que l'obscurité de la vie laisse place à un peu de lumière.

- Tu le penses vraiment ?

- Je fais plus que le penser, West. Je te trouve moi-même impressionnant, dis-je après quelques secondes pour sortir de mes pensées.

- Y'a pas grand-chose d'impressionnant chez moi, tu sais. T'as même autant de courage que moi, si ce n'est plus. T'as passé ta vie à te mettre en danger pour sauver une famille qui te l'a jamais bien rendu.

Son allusion à Savannah me noue l'estomac et je ne suis plus en mesure de formuler la moindre phrase. Un peu ébranlé, je me contente donc de déposer mes lèvres sur les siennes en le serrant le plus fort possible contre moi. Comme si j'avais la possibilité d'oublier la réalité en sentant son cœur battre contre le mien. Lorsque sa langue caresse la mienne avec la même ardeur, je comprends que nous ne sommes pas en train de nous montrer l'étendu de notre amour : nous sommes en train de déjouer la vie. En échangeant ce baiser rempli de détresse, cachés dans une pièce qui n'est pas censée exister, nous montrons au destin qu'il ne nous aura plus.


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Salut les potes !

J'espère que vous allez bien.

Alors, elle valait le coup d'attendre, cette pièce secrète ? Ce petit bout de l'histoire est un instant que j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire et réécrire, j'adore ce moment rien qu'à eux, plein de douceur et j'espère que vous l'avez apprécié, vous aussi.

J'avance pas beaucoup, dans la réécriture, ces derniers temps, mais j'ai un chapitre d'avance donc il devrait pas y avoir de problèmes pour la suite de la publication. En tout cas, merci d'être présent.e.s ici et sur Hors Du Temps, merci parce que grace à vous, N'aie Pas Peur vient de dépasser les 8.5K lectures et c'est incroyable. Merci de tout coeur.

Qu'est-ce que vous pensez de l'histoire de cette petite pièce ? Et de ce qu'elle contient ? Vous auriez aimé avoir un endroit rien qu'à vous comme celui-ci ou ça vous rendrait plus claustrophobe qu'autre chose ?

Wayne pense que West n'est pas comme sa mère, vous êtes d'accord avec lui ou vous pensez qu'il n'y a pas de fumée sans feu ?

D'ailleurs, comment vous les imaginer les parents de West ? Quelle image vous avez d'eux ?

Et la chanson... C'est encore produit par Tommee Profitt, mais je vous jure que je ne le savais pas au moment où je l'ai écoutée la première fois ! Elle vous plait ?

Et bien voilà, c'est tout pour moi. J'espère que vous avez toujours autant envie de (re)découvrir la suite de cette histoire, et n'oubliez pas, restez connecté.e.s, des tas de choses arrivent !

Je vous envoie plein de bonnes ondes, plein de courage, plein d'amour et je vous dis à mardi pour les lecteurices de Hors du temps ou à samedi prochain pour les autres !

Coeur sur vous, les potes.

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