Chapitre 16 | 2
Musique proposée : Paralyzed - Against The Current. (En média).
J'écarquille les yeux, sans comprendre. La seule tâche à laquelle je n'ai jamais dérogé, la seule chose que je n'ai jamais abandonnée en cours de route, même pour nos parents, a été de la protéger. J'ai toujours tout fait pour qu'elle ne manque de rien et pour qu'elle ait un endroit où se réfugier si jamais le monde... Son monde s'écroulait. Depuis le jour de sa naissance, à la seconde où j'ai vu ce petit être fragile tout vêtu de rose emmitonné dans son couffin et où mes prunelles se sont posées sur son petit visage, je me suis promis d'être un grand frère exemplaire. D'être là pour elle, peu importe les conséquences.
Alors je veux bien croire que j'ai fait des erreurs, que j'ai pu la faire souffrir ou prendre les mauvaises décisions, mais pas au point de mériter une balle presque mortelle et recouverte d'une envie de vengeance terrifiante. Qu'ai-je bien pu faire ? Quelle a été ma faute impardonnable ? Pourquoi s'est-elle brusquement mise à me haïr ? De nombreuses autres questions se bousculent dans ma boîte crânienne, mais elles sont interrompues par les deux poings fermés de Savannah qui s'abattent violemment sur mon torse. Une puissante décharge électrique me traverse l'épaule droite et m'arrache un gémissement douloureux sans que ça ne la chagrine le moins du monde. Elle frappe ma cage thoracique de toutes ses forces, encore et encore, en hurlant à en perdre haleine. Tant et si bien que ses joues virent au rouge, alors que des vagues de détresses semblent tenter de les noyer et d'absorber le peu d'oxygène qu'elle arrivait encore à attraper.
Plus elle s'acharne sur moi, plus la douleur monte en puissance et plus mes lamentations s'intensifient. Pourtant, je ne bouge pas, je ne réagis pas, je la laisse s'en prendre à moi comme si je l'autorisais me punir de toute la souffrance que j'ai bien pu lui causer. Comme si, inconsciemment, je me sentais coupable de tout ce qu'elle a bien pu vivre et qui a pu la faire devenir aussi cruelle. Une ombre se dresse soudain entre mon assaillante et moi et, sans que je n'aie le temps de comprendre quoi que ce soit, ma sœur se retrouve solidement maintenue par la poigne de fer de West. Celui-ci serre les dents, mais reste complètement stoïque face à la réaction pour le moins violente de Savannah. Elle se débat, lui ordonne de la lâcher, s'énerve encore un peu plus, sans pour autant réussir à faire bouger mon coéquipier d'un millimètre.
― J'ai toujours essayé d'être parfaite sur tous les fronts : d'être la fille parfaite, la sœur parfaite, la nièce parfaite, l'écolière parfaite, mais ça n'a jamais été suffisant. Je n'ai jamais pu m'intégrer où que ce soit et encore moins dans ta putain de famille qui n'en a vraiment été une que sur le papier ! Ils ont toujours détesté ce que j'étais, ce que je faisais, ce que j'aimais et ils me l'ont toujours fait payer ! Avec les réflexions, les moqueries, les insultes et les coups, j'ai bien compris que je serais jamais à la hauteur, alors je les ai laissés faire et j'ai fermé ma gueule. Parce que je pensais que je méritais d'être punie, que je méritais qu'ils me traitent comme si j'étais une moins-que-rien ! Je me disais que s'ils voyaient que je faisais des efforts, ils allaient finir par m'aimer, mais j'étais juste trop jeune, trop naïve...
Sa voix déraille et m'attrape directement à la gorge, mais elle ne laisse pas ses failles transparaître bien longtemps. Il lui suffit de ravaler ses larmes pour se ressaisir, alors que de mon côté, j'ai tellement de mal à accuser le coup que j'ose à peine soutenir son regard.
― Et puis finalement, j'avais fini par trouver une personne qui m'apaisait. Une personne qui me poussait à me faire confiance et à être moi-même. Je me sentais importante avec elle, je me sentais aimée, je me sentais acceptée et je savais que ça durerait pas, tu sais. Je savais que notre famille allait tout faire foirer, mais j'aurais jamais cru que ce serait toi qui détruirais tout. Je t'aurais jamais cru capable de me trahir, pas toi. Papa et maman me l'ont dit la dernière fois qu'ils étaient chez toi et j'arrive pas à comprendre, Wayne... J'arrive pas à comprendre pourquoi t'as fait ça ! Comment t'as pu tout balancer sur Cassie ? Comment t'as pu mêler les parents à mon couple quand tu savais à quel point cette fille me sauvait ? Elle me sauvait d'eux, elle me sauvait de moi et toi, t'as tout foutu en l'air, sans oublier d'aller la voir pour lui dire de plus jamais m'adresser la parole, bien sûr ! Et après ça, t'as encore le culot de me demander ce qui a bien pu me changer ! Mais réfléchis, putain ! A quel moment est-ce que je suis partie en vrille ? Hein ?
― Au moment où Cass' est partie... murmuré-je plus pour moi que pour elle.
― Exactement ! s'écrit-elle, les larmes plein les yeux. C'est quand ça a été fini avec Cassie que j'ai plus été capable de supporter d'être le punching-ball de la famille et c'est là que j'ai dû trouver des moyens de m'évader, des moyens d'oublier ! Et puis lentement, après avoir enchaîné les conneries et les drames, j'avais enfin retrouvé un équilibre en bossant pour Ian. J'avais retrouvé une place au sein d'un groupe, une place aux côtés de quelqu'un qui m'aimait vraiment...
Elle lance un coup d'œil furtif à Gale, mais je suis incapable de détacher mes yeux d'elle pour entrevoir la réaction du barman. Toute la détresse qui émane de sa colère me pulvérise le cœur, m'empêchant de laisser mon attention se poser sur quoi que ce soit d'autre.
― Mais t'as pas supporté de voir que j'allais mieux visiblement, parce que ça aussi, t'es venu l'anéantir ! T'es encore venu tout ravager dans ma vie, sauf que cette fois, t'as voulu entraîner tout le monde avec toi dans ta connerie ! Et en plus de tous nous foutre en danger, t'as eu l'idée lumineuse de prévenir les flics ! T'as pris la décision seul de mêler les fédéraux à tout ça sans penser une seule seconde aux conséquences que ça pourrait avoir sur moi, sur toi, sur Gale ou même sur West ! Tu te rends compte que si on se fait pas tous torturer et tuer, ton petit chéri va finir en taule ? Tu te rends compte que tu nous condamnes tous à la mort ou à la prison ?
J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort, je suis trop secoué pour réussir à articuler quoi que ce soit de cohérent pour l'instant, alors elle renchérit.
― Ah bah non, bien sûr que non ! T'en avais pas conscience, et puis, de toute façon, t'en as jamais rien eu à foutre tant que tu passais pour le héros de service, pas vrai ? Saint Wayne, le petit garçon parfait à papa et maman qui sort pas des rangs et qui en plus remet sa tarée de sœur sur les railles pour qu'elle retrouve le droit chemin, qui n'aurait pas adoré entendre cette histoire dans la famille, hein ? Ils t'auraient acclamé comme un roi, après ça ! Sauf que t'as oublié un petit détail : si tu vas en taule, y'aura plus de famille qui tienne ! Il te laisseront tous tomber un par un parce que t'auras eu le malheur de leur montrer que tu n'étais pas aussi parfait que t'en avais l'air et en prime, tu crèveras en taule parce qu'à force d'avoir été bichonné toute ta vie, t'es loin d'être assez solide pour survivre dans un milieu pareil !
Après toutes ces longues minutes à me cracher sa haine à la figure tout en essayant vainement de lutter contre la force herculéenne de West, Savannah finit par s'épuiser. Elle arrête petit à petit de gigoter, de riposter, de hurler et la hargne oppressante qui emplissait cet endroit s'efface pour laisser place à la fatigue et les regrets. Je souffle longuement pour me donner quelques secondes de plus pour réfléchir et trouver le courage de former une phrase, sans réussir à regarder ma sœur dans les yeux.
Je me concentre sur le désordre qui gît tout autour de nous, comme pour oublier qu'il avait toujours été là, quelque part, dans notre vie, mais que je n'avais jamais voulu le voir. Il ne ressemblait pas à un champ de verre multicolore, il n'était pas aussi criard, mais il était bien présent. Comme une espèce de no man's land que je n'ai jamais voulu traverser de peur de marcher sur une mine et de comprendre que nous n'avions droit, mon frère, ma sœur et moi, à une véritable famille que si nous renoncions à ce que nous étions ou à ce que nous aspirions à être. Notre famille n'a jamais été qu'une publicité mensongère, un tableau de maître derrière lequel on cacherait des tâches de peinture peu esthétiques sur le mur et je crois que je viens seulement de réussir à l'admettre.
Gale nous dévisage tour à tour, l'air totalement hébété par tout ce qu'il vient d'entendre et sûrement tout ce qu'il a découvert. Il ne bouge pas, c'est tout juste s'il ose respirer et j'ai l'impression d'être exactement dans le même état que lui. J'ai pris coup sur coup, j'ai compris un tout un tas de choses pour finalement me détester. Je me hais d'avoir eu besoin de tous ces drames pour prendre conscience que nos parents n'ont jamais fait tout ça pour nous protéger nous, mais bien pour protéger leur image et leur réputation. Je savais qu'ils étaient violents et je savais que ce n'était pas les seuls à l'être parce que j'ai subi un certain nombre de punitions à la place de mes cadets. Je voulais tenter de les préserver, je voulais... de toute évidence je n'y suis pas arrivé, ça n'a pas suffi.
Comment j'ai pu me voiler la face aussi longtemps ? Comment j'ai pu passer à côté de la souffrance de ma sœur au profit de l'unité d'une famille qui n'a jamais réellement existé ? Quel genre de grand-frère... quel genre de personne est-ce que je suis pour avoir laissé faire ça ? Le mot trahison s'allume dans mon esprit et l'image du carré plongeant rose bonbon de la petite Cassie Dawson me revient en mémoire. Jamais je n'aurais pu faire une chose pareille. Jamais je n'aurais éloigné Cassie de ma sœur, je ne savais que trop bien ce qu'elle représentait pour Savannah. Elles étaient tellement proches toutes les deux... Je ne pourrais même pas compter le nombre de fois où je les ai entendues rire dans la chambre de Sacha quand Cassie venait en douce alors que nos parents n'étaient pas là et que je devais surveiller tout le monde. Cette gamine rendait ma sœur fière et heureuse d'être la personne qu'elle était, elle l'aidait à s'affirmer et à trouver sa voie, c'était un véritable rayon de soleil. Une lueur d'espoir vitale pour Savannah. J'ai été le premier surpris quand j'ai appris qu'elles n'étaient plus ensemble, j'ai même essayé d'aller parler à Cassie pour comprendre et arranger les choses entre elles, sans succès. Comment Savannah peut-elle penser que j'aurais été capable d'abuser de sa confiance et de prendre le risque de détruire son couple en allant parler à nos parents ?
La pièce semble de plus en plus silencieuse à mesure que les minutes passent ; seul le souffle court de Savannah, qui a finalement capitulé et cessé tout mouvement, défie le calme fragile qui nous entoure. Je reste focalisé sur le sol et ses désillusions, sans pouvoir bouger. Mes mains sont toutes tremblantes, mon cœur se décompose peu à peu, pendant que l'humidité accapare mes joues dans le but de laisser mes sentiments les plus secrets dégouliner le long de mon visage blafard.
― Jamais.
Ma voix a beau être presque totalement effacée par la tornade qui souffle dans ma poitrine, elle n'en est pas moins catégorique. Je sens tous les regards me tomber dessus, mais je ne relève pas la tête pour autant.
― Jamais je n'aurais pu te faire ça, Savannah. J'ai sûrement fait beaucoup d'erreurs, mais je n'ai rien dit à papa et maman pour Cassie. Quand je l'ai vue débarquer à la maison, le jour où maman a pété les plombs, je croyais que c'était toi qui le leur avais dit pour votre relation.
Dans un étrange élan de bravoure, j'ancre mes pupilles dans les prunelles noisette de ma sœur, en espérant qu'elle puisse y lire toute la sincérité qui les traverse en ce moment.
― Quand vous vous êtes séparées, je suis allé la voir. Ça, c'est vrai. Mais ce n'était pas pour lui dire de ne plus t'approcher, c'était pour comprendre. C'était pas mes affaires et j'aurais sûrement pas dû le faire, mais je suis allé la voir pour essayer de la convaincre d'aller en parler avec toi. Je voulais simplement tenter de faire en sorte que vous ayez une chance de vous expliquer et, pourquoi pas, de vous réconcilier, parce que je savais ce qu'elle représentait pour toi. Je savais à quel point elle comptait pour toi et à quel point votre relation t'était bénéfique. Jamais j'aurais pu essayer de détruire ce que t'avais avec elle, je serais incapable de vouloir te faire souffrir comme ça.
Sans lui laisser le temps de renchérir ou de digérer ce que je viens de lui dire, je tourne les talons en essuyant brièvement mes joues.
― Et, pour la prison, tu ne cours aucun risque. West a passé un marché avec le FBI pour que tu n'y ailles pas, ajouté-je avant de me diriger vers la porte-fenêtre.
J'entends le ton menaçant de mon coéquipier prendre ma suite, mais je ne cherche pas à comprendre ce qu'il baragouine, je me contente seulement de rejoindre le petit étang de l'autre nuit. Je m'installe devant celui-ci et comprends soudainement pourquoi West se sent si bien ici : la douce mélodie de l'eau qui suit son cours sans embûche est un véritable soulagement.
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Salut tout le monde !
Avant de commencer le blablatage habituel, sachez que Look After You, le livre de Sofeather est désormais disponible sur Amazon ! Pour l'instant il n'est qu'en version broché, mais d'après ce que j'ai compris, la version eBook devrait sortir ce soir ou dans les prochains jours selon la bonne volonté du site. Si vous cherchez de la lecture pour vos vacances ou si vous aimez simplement les romances réalistes qui traitent de sujets sérieux et importants alors ce livre est fait pour vous !
Et, faites-moi confiance, vous pouvez foncer les yeux fermés, la plume de l'autrice est incroyable.
Voilà, fallait absolument que je vous le dise parce que je suis vraiment trop content de voir ce livre se faire édité !
Maintenant repassons à nos relations fraternelles compliquées :
Vous comprenez un peu mieux Savannah, maintenant ou vous n'arrivez toujours pas à la suivre ?
Qui est-ce que vous croyez ? Savannah et ses parents ou Wayne qui se défend comme il peut ? Vous croyez qu'il aurait pu dire quelque chose de travers à Cassie, même sans le vouloir ?
Wayne découvre que se poser devant un étang lui fait du bien, et vous, qu'est-ce qui vous fait du bien dans les moments nuls ? Est-ce que l'eau vous calme, vous aussi ?
Et la musique alors ? Je trouvais qu'elle allait bien à Savannah, je crois que si Savannah avait une playlist, cette chanson en ferait partie. Je la vois beaucoup dedans. Et en plus j'adore cette chanson.
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. J'espère que vous ça va et que cette partie vous a plu.
Je vous souhaite une belle fin de soirée en vous disant à très bientôt.
(Et oubliez pas de foncer sur Look After You).
Je vous envoie plein de bonnes ondes les potes.
On est ensemble.
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