Chapitre 15 | 3
Musique proposée : Survivors - Matthew West. (En média).
― Wayne ? grésille la voix inquiète de ma mère à l'intérieur de l'appareil.
― Oui, maman... soufflé-je. Papa est avec toi ?
Un petit silence s'installe et je comprends que non, qu'il ne veut plus avoir affaire à moi jusqu'à nouvel ordre.
― Non, il... Il est fatigué, ment-elle sciemment.
Bien sûr... Je serre les dents, c'est l'excuse qu'elle sert toujours à tout le monde quand elle doit justifier l'absence de son cher mari.
― Ne me mens pas, maman. Je suis ton fils, je connais déjà ce que tu dis toujours aux gens quand papa fait la gueule.
― Wayne, surveille ton langage, me réprimande-t-elle. Je suis désolée, mon chéri. C'est simplement que...
Que maintenant qu'il se rend compte que moi aussi, je fais des erreurs, je n'ai plus aucune valeur à ses yeux.
― ... Qu'il ne comprend pas ce qu'il t'arrive et je dois bien avouer qu'il n'est pas le seul. Pourquoi tu ne veux pas nous dire ce qu'il se passe, mon grand ? Nous pourrions t'aider...
Ma gorge se serre quand je comprends la supplication qui suinte de chacun des mots qu'elle prononce, mais je secoue la tête, comme pour m'interdire de craquer.
― Vous ne pouvez pas m'aider, maman, dis-je franchement, tandis que j'entends ma mère tressaillir à l'autre bout du fil.
Je suis déjà fichu, de toute façon.
― Contentez-vous de vous mettre à l'abri, d'accord ? lui demandé-je d'une voix plus douce. Ça, ça pourrait m'aider. Vous savoir en sécurité, loin de tout ça pourrait me soulager, maman.
― Nous partons pour Londres dans une heure, se résigne-t-elle. Mark est d'accord pour nous héberger le temps nécessaire, même s'il m'a expressément demandé de te faire parler.
Je souffle du nez dans un rire éteint. Oncle Mark a certainement été bien plus vulgaire que ça, il a même sûrement menacé de me faire cracher le morceau lui-même, le connaissant.
― C'est bien, affirmé-je. C'est une bonne nouvelle, réitéré-je, véritablement soulagé.
― Mais, et toi alors, où es-tu ? Pourquoi ne pas venir nous rejoindre en Angleterre ? Tu y serais en sécurité le temps que les ennuis de ta sœur se calment. Et puis je ne vois pas pourquoi tu devrais gérer ses problèmes.
Une colère sourde se réchauffe dans ma poitrine, quoi qu'il puisse bien se passer, ce sera toujours Savannah la fautive à leurs yeux.
― Je suis à environ une heure de New York, dans un endroit sécurisé, maman. Je ne peux pas vous rejoindre où que ce soit sans mettre des vies en danger parce que rien ne va se calmer, répliqué-je sèchement.
Je sens l'angoisse de ma mère transpirer de mon téléphone et je ravale bien vite ma rancœur. Il faut que je la rassure.
― Mais tout va bientôt s'arranger, maman, ne t'inquiète pas. On est en train de faire en sorte que ça s'arrange, que mes problèmes s'arrangent.
J'ai bien appuyé sur le pronom possessif, pour tenter de lui faire passer un message subliminal, mais je ne suis pas certain qu'elle en tiendra compte.
― Bon, je vais devoir y aller, maman. Prenez bien soin de vous et dites-moi quand vous serez à Londres.
― J'embrasserais Mark et Katy pour toi, si tu veux, me propose-t-elle pour essayer d'alléger un peu la conversation.
― Oui, fais donc ça. Et tiens oncle Mark éloigné de moi, le temps que ses envies de me torturer pour me faire parler se dissipent.
Je l'entends rire franchement et un poids quitte soudain mes épaules.
― Promis, mon chéri, affirme-t-elle avant de laisser un court silence reprendre la main. Et... Wayne ? chuchote-t-elle.
― Oui, maman ?
― Tu pourrais...
― Embrasser Savannah pour toi ?
― Oui... souffle-t-elle, comme si prononcer ces simples mots était une épreuve considérable et que je venais de lui sauver la vie.
― Je lui dirai. Et toi, embrasse papa pour nous deux, tu veux ?
― Bien sûr... murmure-t-elle. Ne lui en veux pas trop, d'accord ? Il n'agit pas convenablement, mais il vous aime. Tous les deux.
― Je dois vraiment y aller, maman. Je t'aime fort. Envoie-moi un message quand vous êtes chez oncle Mark et tante Katy, articulé-je avant de raccrocher.
« Il vous aime. Tous les deux. »
Si seulement je pouvais y croire... J'ai bien vu les regards qu'il m'a lancé, j'ai bien senti toute sa déception quand il a compris que moi aussi, j'étais passé du mauvais côté de la barrière. Je souffle bruyamment en tentant de me focaliser sur le bon côté des choses : ce soir, ils seront à l'abri, loin de New York, et ça fait un problème de moins à gérer. En y repensant, ça me fait chaud au cœur de voir que quelque part, il y a toujours une partie de notre famille qui se serre les coudes, quoi qu'il arrive. Ça fait du bien de se rendre compte que la haine n'est pas la seule chose qui maintient nos liens en place.
Bien plus apaisé qu'en arrivant ici, je me décide enfin à redescendre pour retourner avec les autres. Gale, affalé sur l'un des fauteuils à tripoter un paquet de Marlboro, m'informe que Savannah est sortie fumer et que West « doit être quelque part vers la cuisine ». Je le remercie d'un signe de tête, avant de me diriger vers la cuisine qu'il m'indique approximativement. Je repasse devant le dressing en suivant un petit couloir et arrive dans la pièce que je cherchais sans encombre. Encore une fois, je suis stupéfait de la taille de la salle. Elle ressemble à une véritable cuisine de professionnel avec ses équipements en inox ultra-design. Deux gazinières dernier-cri s'imposent à droite de deux fours noirs superposés qui s'élèvent eux-mêmes à côté d'un réfrigérateur gris et d'un congélateur de la même couleur. Un plan de travail en marbre trône au milieu de la pièce et je remarque qu'un micro-onde bon marché y est posé un peu n'importe comment, dissonant avec le décor plutôt haut de gamme.
Malgré tout le matériel gris métallisé, l'endroit reste étrangement assez chaleureux et rempli de cette même lumière que la salle à manger. Je fais coulisser la baie vitrée similaire à celles que j'ai pu observer dans le reste de la maison lors de ma visite et aperçois West. Il est là, assis dans l'herbe, devant une terrasse aménagée, à écouter de la musique. Il semble captivé par le mouvement du liquide qui ruisselle dans un étang bordant le jardin. Je m'approche lentement, le souffle coupé par la beauté du paysage. Je m'assois tout près de lui, à quelques centimètres à peine de l'eau, tandis qu'il me jette un coup d'œil.
― Tu fais quoi ? demandé-je bêtement pour engager la conversation.
Il hausse un sourcil et je m'attends à ce que sa réponse soit pleine de sarcasme, mais il se contente seulement de retirer l'un de ses écouteurs blanc pour me le tendre. Je l'attrape, le glisse dans mon oreille et me laisse bercer par la mélodie un peu mélancolique de One More Light, entonnée par la voix si particulière du chanteur de Linkin Park qui m'a toujours aidé à retrouver le chemin de la maison quand je me sentais perdu.
― Ce groupe m'a toujours fait sentir comme chez moi, peu importe où je peux bien me retrouver parce qu'il me rappelle toutes les fois où Savannah mettait sa musique à fond, lui confié-je.
― Donc en fait, ton chez toi, c'était un peu ta sœur ?
Je souris tristement. Dans le mille.
― Ouais, c'était...
Parce que ces temps-ci, j'ai la douloureuse impression d'avoir été fichu à la porte de chez moi, de ne plus avoir d'endroit où m'abriter. Je ne suis plus qu'un sans-abri qui erre à la recherche des ruines de toutes les illusions qu'il s'était lui-même construites.
― T'en fais pas, toi aussi, tu trouveras ton refuge, un jour, souffle West en effleurant l'un de ses tatouages du bout des doigts.
Je scrute son avant-bras et y déchiffre le mot « Tectumque », noyé dans quelques vagues un peu agitées.
― Ça veut dire refuge, m'annonce-t-il, alors que je le fixe sans comprendre. Mon tatouage, c'est du latin. C'est comme ça que mon père avait appelé son bateau.
― Et ton refuge à toi, c'était Chester Bennington ? demandé-je pour éviter de lui poser des questions indiscrètes sur son père.
― Pas vraiment. Je me suis beaucoup raccroché à lui, mais je crois pas qu'il ait pu remplacer mon véritable refuge, dit-il après avoir réfléchi quelques secondes.
Je garde le silence pour l'inciter à m'en dire plus s'il le souhaite et il se focalise sur moi.
― Quand mes parents sont morts, c'était lui qui me faisait tenir le coup face à toutes les merdes qui s'abattaient sur moi. C'était qu'un artiste, un mec qui chantait et que je connaissais pas, mais c'était le seul qui m'encourageait. C'était le seul qui me disait de m'accrocher, de pas abandonner et de me laisser une chance d'espérer encore un peu. Il était un peu ma lueur au bout du tunnel, ma force pour avancer, tu vois ? Comme si, à défaut d'avoir quelqu'un près de moi pour me pousser à rien lâcher, j'avais quelqu'un loin de moi qui me poussait à tenir bon. Et puis après, je me suis rendu compte que même lui, il tenait pas la cadence. Que même lui, il avait baissé les bras. Et qu'est-ce que t'es censé faire quand tu te rends compte que même ton plus grand espoir a laissé tomber, hein ? Comment tu fais pour pas t'écrouler ? Le jour de son suicide, je me suis rendu compte que même les gens qu'on peut considérer comme des héros avaient des failles et je me suis senti perdu, presque abandonné de nouveau, même si c'est complètement con. Mais il représentait ma main tendue, celle qui m'empêchait de me fracasser sur les rochers en bas de la falaise et il venait de disparaître. Sa main avec.
― Maintenant t'as qu'à attraper la mienne.
Les mots sont sortis de ma bouche avant même que je n'ai eu le temps de les retenir et ses prunelles se mettent à briller d'une émotion qui m'attrape directement à la gorge. Je lui tends ma paume pour joindre un geste à ces paroles que je n'avais pas prévu de prononcer à voix haute et il la regarde sans vraiment sembler y croire. Ses pupilles, assombries de souvenirs, vont à la rencontre des miennes et j'ai l'impression de me prendre toute sa détresse et son désespoir en pleine figure. Ses doigts s'entrelacent alors timidement avec les miens, comme pour accepter ma proposition lourde de sens et de symboles sans dire un mot.
― Je ne laisserai pas ta lumière s'éteindre, West, chuchoté-je.
Il inspire profondément, dépose sa tête sur mon épaule, puis nous attendons tous les deux en silence que la musique emmène avec elle la tristesse d'une lueur qui est désormais cachée au milieu des étoiles.
― West ? murmuré-je, alors que la même chanson recommence.
― Oui ?
― Où est-ce qu'on est ? osé-je demander.
― Dans la maison de mes parents, répond-il en se redressant.
L'océan limpide a laissé place au brouillard, mais son regard est tout de même ancré dans le mien.
― Mon père a hérité de cette maison à la mort de son grand-père, alors on a quitté Chicago pour venir y habiter quand j'avais trois ou quatre ans sans que je sache trop pourquoi. De toute façon, c'est lui qui nous faisait vivre, ma mère et moi, donc je crois que ma mère s'est juste contentée de le suivre.
Il soupire, mais ne semble pas vouloir s'arrêter là, je me contente donc d'attendre patiemment qu'il s'ouvre encore un peu plus à moi.
― Pendant qu'elle était stone, mon père m'emmenait en mer sur le Tectumque et on observait les étoiles tous les deux. Il me racontait des histoires sur chacune d'entre elles et ça me passionnait. Il m'a appris à grandir loin de la destruction de sa femme, il m'a protégé et je crois que mon refuge c'était lui, quand j'étais gamin. Mais quand mes parents sont morts, j'avais plus rien pour m'abriter et, même si cette maison m'appartenait, j'ai pas pu y habiter avant de sortir du foyer. Enfin... je suis jamais réellement venu m'installer ici, en fait. Je crois que c'était trop douloureux de vivre là où on avait vécu tous ensemble, de vivre au milieu de tous ces trucs qui n'ont pas changé alors que ma vie, elle, était devenue complètement différente du cocon protecteur que j'avais connu. Du coup je débarquais que quand ça allait pas, que quand j'avais besoin de me réfugier quelque part. Gale et moi, on est souvent venu ici quand c'était trop la merde ailleurs. Alors je suppose que je me suis dit que cette maison c'était le refuge parfait quand il a été question de se barrer de chez toi et de se faire discrets.
― Et maintenant, ton refuge, c'est cette maison ?
― Je sais pas trop, c'est trop rempli de douleur et de manque pour en être un. Je dirais que mon refuge ça a toujours été les étoiles parce qu'elles me rappellent les histoires de mon père et le sentiment de sécurité que je ressentais quand il me les racontait, mais que je m'en suis simplement pas rendu compte tout de suite. Ça a toujours été les étoiles parce qu'elles, elles peuvent pas m'abandonner.
N'ayant rien d'intelligent à répondre, je me contente de serrer West contre moi pour lui montrer à quel point je suis touché qu'il me parle aussi ouvertement. Je m'allonge dans l'herbe et il pose son oreille libre sur mon épaule gauche, tandis que je l'entoure de mon bras valide, tentant tant bien que mal de recréer ce sentiment de protection au sein même de son ancien havre de paix.
Et c'est jusqu'à la tombée de la nuit que nous avons écouté la poésie de Chester Bennington résonner au-delà des étoiles, au-delà de ces millions de lumières qui ne s'éteindront jamais.
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Salut tout le monde ! Je viens littéralement de terminer de relire le chapitre 16 et j'enchaîne avec la publication de celui-là, je suis assez content. Comment ça va, vous ?
Je vous annonce (maintenant parce que c'était pas prévu) qu'il y aura une quatrième partie à ce chapitre la semaine prochaine. Par contre, le chapitre 16 n'en comptera normalement que trois. J'espère que cette petite nouvelle imprévue vous fera plaisir.
Du coup, vu que pour une fois, j'ai pas grand chose à dire, passons au blablatage :
Comment vous avez trouvé la réaction de la mère de Wayne ? Et celle de son père ?
Vous seriez plutôt du genre à réagir comment, vous, à leur place ?
Le refuge de West, il vous parle ? Vous en avez un, vous aussi, pour vous protéger dans les moments merdiques ?
Et la musique alors, vous aimez ? Je crois que c'est ma préférée de ce chanteur.
Je suis un peu en retard dans le projet sur Instagram et dans mes réponses à vos commentaires, je suis désolé. Je gère super mal mon temps... Mais continuez de commenter hein, ils me font toujours chaud au coeur et vos réactions sont toujours incroyables.
Merci de tout coeur d'être encore là, à mes côtés, sur cette histoire. Merci de tout coeur de prendre le temps de lire et de m'écrire, même si je prends quinze plombes à vous répondre.
Je vous envoie plein de bonnes ondes et plein d'amour.
Prenez soin de vous et oubliez pas que vous êtes pas seul.e.s, surtout.
Bon mois de la Pride à mes adelphes, bon courage aux personnes racisées. On continue de se battre les potes, la révolution ne fait que commencer. #BlackLivesMatter #LGBTlivesMatter
A très vite.
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