Chapitre 13 | 3

Musique proposée : Had Enough - Breaking Benjamin. (En média).


La haine prend tellement de place que ma sœur semble à peine capable de l'endiguer. Ses mains tremblent, ses muscles tressautent et je sens qu'elle est à deux doigts de perdre le contrôle. Je fronce les sourcils pour tenter de remettre mes idées en ordre et prends une énorme inspiration. Il faut que j'arrive à prendre sur moi, il faut que j'arrive à maîtriser la panique qui secoue tous mes membres un par un. Si jamais elle appuie sur la gâchette, c'est West qui prend et si c'est West qui prend, alors c'est ce qu'il reste de mon monde qui s'écroule. Bon sang, mais pourquoi s'est-il interposé ? Il n'avait pas besoin d'agir, c'était entre Savannah et moi, personne d'autre n'aurait dû être mêlé à ça. Il ne peut pas mourir à cause des erreurs de ma famille, je ne le permettrai pas. J'essaie tant bien que mal de reprendre mon souffle et attrape le courage qu'il me manque, sans qu'il ne se présente à moi.

― Et qu'est-ce que tu as bien pu construire qui vaudrait la peine de détruire le reste de notre famille ? demandé-je d'une voix peu assurée.

La peur m'étreint toujours autant, mais ma tentative a fonctionné, l'arme est de nouveau pointée vers moi. Je crois même que j'ai pu atteindre Savannah, car un éclat de tristesse éclaircit ses iris devenus presque noirs. Elle a beau se cacher derrière sa hargne et sa violence, je sais que je l'ai touchée, je sais que j'ai tapé dans le mille. Je suis la dernière personne qui lui reste et elle est en train de pulvériser notre lien de confiance que je croyais pourtant indestructible. La lueur d'émotion qui l'habitait disparaît bien vite pour laisser la fureur gronder encore un peu plus fort, faisant bouillir les joues creuses de l'inconnue qui menace de me tuer.

― Notre famille ? Mais quelle famille ? s'insurge-t-elle. Même avant l'accident, tout le monde me détestait déjà dans cette foutue famille ! Pas assez mature, pas assez jolie, pas assez bien habillée, pas assez sage, pas assez intelligente, pas assez politiquement correcte... Pas assez comme toi !

Comme frappé par la violence de ses mots, je baisse les yeux vers le sol. Je ne peux plus soutenir son regard plein de reproches, je ne peux plus faire face aux mots blessants qu'elle m'envoie en pleine figure, j'en suis incapable.

― Je ne suis jamais assez. C'est même tout ce que je représente pour vous : une déception ! Tu crois vraiment que j'aurais supplié Nico de me trouver du taff à Eleven Stars si j'avais eu l'impression d'être soutenue ? Si j'avais pu ressentir ne serait-ce qu'un tout petit peu de compassion à mon égard dans ta famille déjà brisée ?

Plus elle déblatère, plus sa voix s'écorche et plus mon cœur se déchire, pourtant elle ne s'arrête pas. Elle hurle sa rage, elle crache sa douleur, elle vomit tout ce qu'elle s'était obligée à retenir à l'intérieur pendant des années.

― Travailler à Eleven Stars a été le seul moyen que j'ai eu pour avoir l'impression d'être vraiment quelqu'un ! J'avais des responsabilités, j'ai fini par être respectée, je gagnais de l'argent et j'arrivais à oublier que j'étais l'enfant de la honte à chaque fois que je rentrais à la maison. A Eleven Stars, je faisais partie de quelque chose, j'avais une place, je ne faisais pas tâche. J'ai bossé dur, je me suis accrochée pour pouvoir avoir le poste que j'avais. Tu sais pas ce que j'ai dû faire pour pouvoir en arriver là, tu sais pas ! Je les ai laissés m'utiliser jusqu'à ce que Gale s'interpose, jusqu'à ce que j'obtienne un bon job et tu sais quoi ? Avec Gale à mes côtés et des mioches à gérer, j'avais enfin retrouvé un peu de confiance en moi !

Gale ferme durement les yeux, comme s'il savait déjà tout ça, tandis que West hoche la tête, visiblement touché. J'ai la douloureuse impression qu'il la comprend, qu'il sait ce que ça fait de ressentir ce qu'elle ressent et je me sens à part, différent. Je suis le seul dans cette pièce qui n'a jamais eu besoin de trouver refuge où que ce soit et je me rends compte qu'être le frère de Savannah ne veut pas forcément dire que je suis le plus apte à me mettre à sa place.

― C'est ça qui m'a permis de tenir après l'accident ! Tu croyais vraiment que j'aurais pu gérer ça en restant harnachée à ta précieuse famille, alors qu'ils passaient leur journée à me rabâcher que je n'étais qu'une fouteuse de trouble qui avait presque tué son petit frère ? Quitte à me faire détester pour ce que je n'étais pas, je suis devenue cette fille qu'ils haïssaient. Parce que j'ai eu beau essayer de changer pour eux, de faire des efforts, de rentrer dans leur moule pour leur montrer que je valais la peine qu'on tente de me comprendre et de m'aimer, rien n'a jamais fonctionné. Ça n'a pas marché parce que je ne suis pas comme toi, Wayne ! Je ne sais pas faire abstraction de la personne que je suis pour préserver les liens du sang coûte que coûte ! Et, avec le temps, j'ai appris qu'une autre forme d'amour que celle que papa et maman nous ont toujours inculquée existait. J'ai appris que je pouvais être exceptionnelle telle que je suis aux yeux de quelqu'un d'autre. J'ai toujours eu la sensation de l'être, avec Gale. D'être quelqu'un d'important pour lui et c'est grâce à lui et à Eleven Stars que j'avais retrouvé un équilibre !

― Hey... Ninnah... On a pas besoin d'en arriver là... murmure Gale, désormais debout à côté d'elle.

Il n'est qu'à quelques centimètres d'elle, mais il ne la touche pas, comme s'il avait peur que le coup puisse partir à n'importe quel moment. Il semble tout aussi retourné que moi, sauf que lui, il sait se maîtriser. Sa voix ne déraille pas, son corps ne tremble pas, il se contente simplement de parler avec calme et bienveillance. J'aimerais tant être capable d'un tel sang-froid... Cependant, l'intervention du barman ne suffit pas. Sacha ne cille pas, elle reste focalisée sur moi et la tornade qui ravage sa poitrine.

― J'avais enfin trouvé un endroit où je ne crevais pas sous les reproches et la culpabilité, un endroit où j'avais pu retrouver un peu d'estime de moi, un endroit où quelqu'un m'aimait vraiment pour celle que je suis ! Mais il a fallu que tu te mêles encore de ce qui ne te regardais pas et que tu foutes tout en l'air ! Wayne, l'enfant parfait qui joue encore aux héros pour sauver la pauvre petite Savannah perdue dans le péché ! Sauf que maintenant, avec toutes vos combines et votre idée lumineuse d'impliquer les fédéraux, on risque tous la taule ! Toi, moi, West, Gale, tous !

Je relève vivement la tête vers elle, sentant une frustration puissante exploser et déferler dans mes veines. Une bourrasque d'amertume s'écrase contre mon corps amoché par l'angoisse et c'est à mon tour de me laisser emporter par l'ouragan.

― Jouer aux héros ? Est-ce que tu te fous de moi ?! J'essayais pas de me faire bien voir, j'essayais de te sortir de tes conneries pour éviter de te voir pourrir derrière les barreaux, ou pire, de te voir mourir sur cette putain de bâche blanche !

― Tais-toi, me coupe ma sœur, sans que je ne l'écoute vraiment.

― On a perdu Charlie à cause de toute cette merde ! On a perdu Charlie et t'aurais voulu que je prenne le risque de te perdre, toi aussi ? Hors de question !

― La ferme !

Savannah perd patience, mais je ne peux plus m'arrêter, la douleur est trop intense, je ne peux rien faire d'autre que de la laisser déborder.

― Tu vois pas que c'est cette entreprise qui nous a tout pris ? C'est Eleven Stars qui t'a mise en danger et qui est en train de foutre ma vie en l'air ! C'est Eleven Stars qui a tué Charlie !

― Ferme-la ! Ferme ta gueule ! s'égosille-t-elle, alors qu'un bruit sourd détonne dans le salon.

Je fronce les sourcils, sans comprendre ce qui est en train de se passer. La pièce se met à tourner autour de moi et mes sens se mélangent. J'entends un hurlement qui me semble être celui de West, mais tout est lointain, comme si j'avais soudain la tête sous l'eau. Une odeur métallique titille mes narines et je sens mon corps chanceler, alors qu'une poigne solide le rattrape de justesse avant qu'il ne s'éclate sur le sol. Mes pieds quittent la terre ferme, ma respiration lente résonne dans mes tempes et ma vue se trouble brusquement. La seule chose qui me pousse à lutter contre la lourdeur de mes paupières est la lueur sombre de l'océan qui s'agite dans ce regard que je reconnaîtrais entre mille. Dans le regard de celui que j'aime.

D'immenses vagues ravagent ses prunelles, faisant dégouliner d'innombrables raz-de-marée sur ses joues. La panique semble habiter chaque centimètre carré de mon appartement, pourtant je ne ressens rien. Aucun signal d'alarme ne retentit, aucune peur ne me secoue de spasmes incontrôlables, rien. Même ma colère et ma frustration se sont envolées, je me contente de me laisser voguer au gré des flots bleutés qui ne m'ont pas quitté. La voix éraillée de West est complètement dénaturée par ses sanglots et de nombreux autres cris interfèrent avec les mouvements anxieux de ses lèvres. Pourquoi pleure-t-il ? J'entends le ton angoissé qui s'échappe de sa gorge, mais je n'arrive pas à saisir les mots qui l'accompagnent. Tout s'entremêle dans mon esprit, est-ce qu'il prononce mon nom ? Ou bien me supplie-t-il de tenir bon ? Je ne sais pas, je ne comprends pas. Mes oreilles sifflent, elles rugissent, elles se rebellent contre la stridence du coup qui a explosé.

Concentré sur les iris de mon binôme, je remarque à peine que la luminosité change et que le monde autour de moi paraît se déplacer. De violentes secousses déboussolent mes membres et mes épaules ballottent d'un seul coup, envoyant brutalement des dizaines de décharges électriques dans mon épaule droite. Une douleur intense me submerge et j'ai envie de hurler. La déchirure est bouillante, infernale, à la limite du supportable, pourtant la souffrance passe à peine la barrière de mes lèvres. Comme si mes nerfs étaient trop faibles pour laisser filer autre chose qu'un gémissement fébrile. Une brûlure intenable embrase le haut de mon corps et je sens quelque chose de chaud couler le long de mon bras droit. Un claquement retentit tout près de mes tympans et je crois reconnaître le rugissement d'un moteur derrière les lents battements de mon cœur qui masquent jusqu'au plus petit des bourdonnements.

Mon épaule. J'ai mal... La douleur est insupportable...

Un nouveau soubresaut envoie une énième décharge dans mon épaule, mais cette fois, la souffrance m'étreint avec tant de force que ma voix se débloque et qu'un cri de détresse m'échappe. Mes paupières ont fini par engloutir la couleur émeraude de mes yeux et je me sens sombrer. Seules la douleur lancinante qui me broie les os et les doigts de West qui effleurent ma joue me rattachent à la réalité. Je ne sens rien d'autre, je ne vois rien d'autre, je ne me focalise sur rien d'autre. J'entends mon coéquipier me parler, je ressens la fêlure qui déchire sa voix, je comprends la supplication qu'il m'envoie, mais je ne parviens pas à libérer mes prunelles pour le rassurer. Je n'en ai pas la force.

Mon épaule. Mon épaule me brûle...

De douces caresses se déposent sur mes cheveux et je me sens un peu apaisé. Je me calme doucement et ça fait du bien, mais je commence sérieusement à avoir froid. Je suis glacé. Les sons qui m'entourent disparaissent un à un, les secousses s'évaporent et la paume de West cajolant mes cheveux n'est plus qu'un souvenir. Tout devient vide, tout devient noir, j'ai fini par lâcher prise.

Je suis désolé. 


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Bonjour tout le monde, 

Comment ça va ? 

Je suis plutôt content, aujourd'hui, je suis dans les temps et internet a l'air d'être coopératif. La semaine prochaine, vous aurez deux parties consécutives deux jours de suite. Donc vous aurez une partie samedi et une partie dimanche ! Je ne sais pas si ça va vous faire plaisir, mais en tout cas, je suis assez content d'arriver enfin à la publication de ces deux parties parce que j'attends vos réactions avec impatience. 

Sinon, je ne pouvais pas blablater ici sans vous exposer ma joie : Look After You, le livre de Sofeather va être publié par CherryPublishing très bientooooot ! Je suis hyper heureux et excité à cette idée et j'espère que vous allez tou.te.s foncer acheter le livre quand il sortira parce que vraiment, il vaut le détour. Et puis, si jamais vous connaissez pas Sofeather, n'hésitez pas à aller jeter un coup d'oeil à ses écrits, vous ne serez pas déçu.e.s, je vous le garantis ! 

Voilà, après toute cette joie, blablatons ensemble :

Que pensez-vous du discours de Savannah ? 

Est-ce que, comme West et Gale, vous la comprenez ou est-ce que vous êtes complètement paumé.e.s, comme Wayne ? 

Et du coup, vous lui en voulez d'avoir tiré ? Vous pourriez lui pardonner si vous étiez à la place de l'un des trois lascars ? 

Et la musique, alors, on aime ? J'adore Breaking Benjamin, perso. Ils ont des chansons qui me parlent assez et j'aime l'émotions qui se dégagent de la voix du chanteur. 


Bref, bref. C'est tout pour aujourd'hui alors j'espère que ce chapitre vous a plu et que vous attendez toujours la suite. Je vous remercie d'être encore là, d'être présent.e.s ici et sur les réseaux, votre présence me pousse à en faire toujours plus et à toujours vouloir aller plus loin alors merci, de tout coeur. 

Moi je vais faire une séance réponse à vos commentaires, donc je vous dis à tout de suite pour les personnes qui ont commenté et à très vite pour les autres. 

Surtout prenez bien soin de vous et n'oubliez pas que je suis dispo en DM ici et sur les réseaux si vous avez besoin de quoi que ce soit. 

Je vous envoie plein d'amour et de courage, les potes. 


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