Chapitre 13 | 1

Musique proposée : No Escape : Genesis (Instrumental) - Tommee Profitt. (En média).


A force de courir comme des dératés, West a fini par lâcher mon bras pour attraper ma main. Avec sa paume contre la mienne, je ne cherche pas à comprendre où nous allons, je me contente d'accélérer quand il accélère, de tourner quand il tourne et de me cacher quand il se cache. Je sens la tension le parcourir de part en part à chaque fois que nous croisons une voiture et mon cœur fait une embardée à chaque fois que les sirènes hurlent dans notre dos. Je ne sais pas combien de temps nous avons passé à fuir, tout ce que je sais, c'est que je suis concentré sur la chaleur de sa peau contre la mienne pour ne surtout pas avoir à faire face à la réalité. L'adrénaline pulse dans mes veines et si je pense à mes émotions maintenant, je ne serais probablement plus en mesure de les contrôler.

Bien que ses doigts se resserrent parfois autour des miens, West jette régulièrement un coup d'œil vers moi, comme pour vérifier que je suis toujours là ou que je tiens toujours le coup et ça me fait chaud au cœur. C'est dans ce genre de situation que je me rends compte à quel point le flic bluffait. A quel point un garçon aussi rassurant, bienveillant et protecteur que West ne peut pas avoir tué quelqu'un de sang froid. L'agent voulait coffrer « le petit prodige d'Eleven Stars » pour se faire bien voir auprès de son patron et des médias, donc passer un accord en sa faveur lui était impensable, voilà tout. Il pensait sûrement que j'abandonnerais l'idée de sauver West de la prison s'il arrivait à me faire croire que c'était un monstre, mais il ne m'aura pas. Je sais que mon coéquipier ne pourrait pas être capable d'une chose pareille, je ne peux pas l'imaginer l'être. De nombreux flashes s'imposent alors à moi, me rappelant sa gentillesse, son authenticité, ses gestes doux et toute sa générosité. Me rappelant que c'est quelqu'un de bien. Ses prunelles brillantes d'une inquiétude sincère, alors qu'il se retourne une énième fois vers moi, me le confirment : ce n'est pas un meurtrier.

― Tu nous ouvres ? articule mon camarade, le souffle court.

Je dévisage West quelques instants, ne comprenant pas immédiatement ce qu'il attend de moi. Ma respiration est encore plus sifflante que la sienne et mes poumons sont à deux doigts de rendre l'âme, je décide donc de prendre encore quelques minutes pour reprendre mes esprits. J'observe les alentours en m'appuyant contre le mur de l'immeuble, sans réussir à contrôler l'air qui circule un peu trop vite à l'intérieur de mes voies respiratoires et reconnais les volets noirs toujours clos de ma voisine d'en face. Le temps de me calmer, je me concentre sur la surface décrépie de la maison de cette vieille dame en la revoyant se plaindre de tout. C'est bien simple, cette septuagénaire ronchonne à chaque fois qu'elle en a l'occasion. Elle râle quand il a du bruit, quand il fait trop chaud, quand il pleut, quand les adolescents sortent... Je crois qu'au fond, c'est pour ça qu'elle m'est sympathique. Parce qu'elle ne pense pas tout ce qu'elle dit.

Au contraire, elle adore ce quartier, elle aime contempler la pluie depuis son porche, elle aime écouter le bruit du vent caressant le feuillage orangé de l'érable sous lequel elle s'assoit en été et elle aime aussi entendre les rires des gamins qui s'amusent dans le skate parc d'à côté. Je suis certain qu'elle ne pourrait pas se passer de toutes ces petites habitudes qui font de son quotidien ce qu'il est. D'ailleurs, si l'une de ces choses venait à disparaître, je suis persuadé qu'elle bougonnerait parce que ce n'est plus là.

On doit tous êtes un peu comme ça, au fond. On est tellement accoutumé à voir les mêmes choses, à entendre les mêmes sons, à parler aux mêmes personnes, à vivre de la même façon qu'on oublie que sans tout ça, on serait complètement déboussolé. Cette femme âgée est la seule de mes habitudes qui est restée totalement intacte et c'est sûrement pour cette raison que tout mon petit monde a volé en éclats, parce que c'est tout mon rituel quotidien qui s'est fait la malle. Il ne me reste plus grand-chose pour me permettre de ne pas perdre l'équilibre, je n'ai plus de pilier inébranlable sur lequel m'appuyer, tout a été modifié. Et quand tout change, j'ai l'impression de ne plus avoir de repères, de ne plus rien connaître d'assez solide pour m'abriter.

Parfois, je me sens totalement perdu, totalement incapable de suivre le chemin qui est en train de se tracer devant moi parce que tout semble illusoire, irréel. Impossible à supporter. Je tourne la tête vers West. Et puis d'autres fois, je prends conscience que je ne suis pas réellement seul, qu'il m'est possible de me noyer dans un océan un peu spécial pour me protéger du monde et qu'une chaleur toute nouvelle peut emporter mon corps tout entier. Si j'avais l'impression de perdre tout ce qui me faisait vivre, je peux désormais être sûr que je suis toujours bien vivant. Parce que si je ne l'étais pas, je ne serais pas en mesure de sentir mon cœur battre la chamade devant son sourire, mes joues ne pourraient pas se réchauffer face à ses baisers et aucun frisson ne déferlerait en moi lorsqu'il ancre son regard dans le mien comme il le fait maintenant. Donc finalement, même quand notre quotidien s'écroule, il nous reste une ultime chance de rebondir pour ne pas nous effondrer avec lui. Et ma chance à moi est un gamin de dix-huit ans qui vient d'échapper à la police de justesse.

― Oui, excuse-moi, bafouillé-je en secouant la tête avant de sortir les clés de ma poche.

Nous pénétrons dans le hall de l'appartement et West place son index devant sa bouche pour que je ne fasse aucun bruit. Je le regarde sans comprendre, mais hoche tout de même la tête sans articuler quoi que ce soit. Il retire sa veste en cuir et son débardeur, tandis que j'écarquille les yeux. Je détaille son torse tatoué et une chaleur incroyable s'empare subitement de mon corps tout entier. Il attrape le micro que nous a fourni le FBI, le retourne et y applique une pression. Il me fait ensuite signe de lever les bras et je m'exécute avant même de savoir ce qu'il compte faire. Il se munit du bas de mon tee-shirt gris et le fait souplement passer au-dessus de ma tête avant d'effleurer mon torse de ses doigts frais. Il enlève la bande adhésive qui maintenait mon micro en place, puis observe longuement ma peau sans pouvoir s'empêcher de déposer une caresse à l'endroit ou se trouvait l'appareil sphérique. Je prends sur moi pour ne pas fermer les paupières en m'abandonnant aux papillons qui dansent dans ma poitrine et je vois à son sourire qu'il en a tout à fait conscience. Une fois tous les micros coupés, je ne tiens plus :

― Qui aurait bien pu prévenir la police ? m'inquiété-je, l'air grave.

Il lève un sourcil et un rictus sarcastique habite soudain son visage.

― A part nous, tu veux dire ?

Je fais mine de le fusiller du regard, mais lorsque les coins de ses lèvres se relèvent, ma tentative de sérieux échoue lamentablement. Je dois me mordre l'intérieur de la joue pour contenir mon air amusé en secouant légèrement la tête.

― Je crois que c'est Ian, annonce-t-il pour répondre à ma question.

― Ian ? m'exclamé-je, totalement abasourdi.

Ma surprise résonne dans l'immeuble tout entier avec tant de puissance que j'aurais facilement pu réveiller la moitié du bâtiment endormi.

― Tout en discrétion, ironise-t-il.

Mon manque de réaction doit lui faire comprendre que j'ai vraiment besoin de réponses parce qu'il ne cherche pas à me taquiner davantage, il me répond simplement, sans même me gratifier de son célèbre sourire arrogant.

― Je pense que c'est Ian qui les a appelés, ou qu'on lui a demandé de le faire...

La voix de West s'éteint et son visage s'assombrit dangereusement. Je n'ai pas saisi la fin de sa phrase, mais le choc est tel que je me contente de le fixer sans lui demander de répéter. Tout ça n'a aucun sens. Pourquoi Ian mettrait-il en péril une transaction qu'Eleanor lui a demandé d'organiser ? Il est évident qu'il veut la place de bras droit et je doute que prévenir la police soit une bonne méthode pour l'obtenir. Ça ne tient pas debout.

― Mais enfin, pourquoi il aurait fait un truc pareil ? demandé-je, septique.

Mon camarade soupire, l'ombre n'ayant toujours pas quitté son visage.

― Ian me hait. Il me hait plus que n'importe qui sur cette planète et il a une très bonne raison. Il veut m'évincer d'Eleven Stars et il veut que j'en bave. Il a pas le pouvoir de me faire exécuter parce que je suis hiérarchiquement plus puissant. Mais si je suis un traître et que tout le monde le sait, alors tout devient plus facile pour lui.

― Mais il ne pouvait pas être sûr que tu te ferais attraper par la police.

― Il n'avait pas besoin de l'être. Son but n'est pas de me faire foutre en taule. Son but, c'est que je passe pour un traître, parce que les traîtres, on les fait payer, à Eleven Stars. Donc si je suis celui qui a prévenu la police, non seulement il m'évince, mais en plus, il aura l'occasion de me faire payer ce que je lui ai fait, affirme West, le plus calmement du monde.

Le sort qu'Eleven Stars réserve aux traîtres me revient en mémoire et je le chasse brutalement pour me concentrer sur West sans paniquer. Qu'a-t-il bien pu se passer entre Ian et lui pour que ça en arrive là ? Je scrute son visage pour tenter d'obtenir des réponses sans poser de questions, mais la seule chose que je décèle est son air soudainement fermé. Comme s'il réfléchissait à une autre hypothèse, quelque chose de bien plus dangereux, quelque chose qui ne semble pas du tout lui plaire. En tout cas, peu importe ce qui lui passe par la tête, il n'a pas l'air décidé à vouloir en parler et je me sens perdu. Tout se mélange dans mon esprit, tout s'éparpille. Je n'arrive pas à démêler le vrai du faux, le probable du puéril, les paroles des non-dits... Peut-être que West a raison, ou peut-être qu'il se trompe sur toute la ligne. Je n'en ai aucune idée et le fait qu'il ne me dise pas tout pousse mon esprit à s'aventurer dans des scénarios un peu trop catastrophes à mon goût.

Et si c'était Gale ? Savannah lui a peut-être tout dit et il a tenté de nous faire arrêter avant qu'on ne fournisse une quelconque information importante sur Eleven Stars au FBI ? Peut-être avait-il l'intention de nous ralentir avec la police pour avoir le temps de prévenir les Donovan ? Après tout, lui aussi il risque gros si on fait tomber l'entreprise. Lui aussi, il risque de passer un sacré paquet d'années derrière les barreaux. Serait-il possible qu'il ait eu peur de la prison et qu'il ait agi sans réfléchir ? Ce serait humain, comme réaction. Je secoue vivement la tête, comme pour répondre à mes propres interrogations. Je suis en train de remettre en doute la loyauté de ma sœur, ainsi que la parole de West, je déraille complètement. Je passe une main dans mes cheveux aussi emmêlés que mes pensées et souffle longuement : cette histoire est en train de me rendre fou.

― Wayne, est-ce que tu as peur ?

Sa voix résonne légèrement en moi pour m'aider à me ressaisir et je me noie de nouveau dans l'océan agité qui remue dans ses prunelles. Je m'apprête à lui répondre que non, du tac ou tac, mais je me ravise. Je prends quelques secondes pour analyser vraiment les sentiments qui se battent au creux de ma poitrine et me rends compte que je ne le sais même pas moi-même. Est-ce réellement de la peur ? Je me sens plus las qu'effrayé. Je suis fatigué de toujours être à côté de la plaque et de ne jamais totalement comprendre ce qu'il se passe. Enfin, je ne sais pas, je ne sais plus...

― J'en sais rien, je crois que je suis juste paumé... Je suis pas comme toi, moi. J'ai pas l'habitude de tout ça, je suis pas fan de toutes ces montées d'adrénaline... Et puis... je me racle la gorge pour tenter de ravaler la boule douloureuse qui l'obstrue. Et puis je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit.

Visiblement attendri par ma révélation, il s'approche doucement de moi et m'attire contre lui. Ses bras protecteurs viennent encercler ma peau encore nue, faisant frissonner l'entièreté de mon corps sensible. Je ferme les yeux en lui rendant son étreinte et plus nous nous serrons l'un contre l'autre, plus je me sens prêt. Prêt à lui faire confiance, prêt à lâcher prise, prêt à me battre


__________________

Salut, salut !

Comment ça va ? 

J'ai jamais été à l'heure autant de voir d'affilé depuis longtemps, vous trouvez pas ? (Non, je veux pas de cookie). 

J'essaie d'être assez présent ici et sur les réseaux pour essayer de vous montrer que je suis motivé et vous redonner envie de venir passer lire N'aie Pas Peur. Je ne sais pas si ça va fonctionner, mais en tout cas j'essaie de tout mon coeur. 

En tout cas, j'espère que cette partie vous a plu, parce qu'on commence à rentrer dans un moment très important pour la suite ! D'ailleurs, c'est à la fin de ce chapitre que je vous ai écrit une petite surprise et du coup je suis un peu stressé à l'idée que ça vous plaise pas. M'enfin, laissons déjà passer les deux parties suivantes avant de s'inquiéter. 

Et du coup, vous aussi vous avez un voisin un peu relou mais qu'on aime quand même ? Ou alors êtes-vous ce voisin qui râle toujours, mais qu'on aime bien ? 

Plus sérieusement, vous pensez quoi de l'hypothèse de West ? Vous croyez que c'est Ian qui a fait le coup ou vous n'êtes pas d'accord ? 

A votre avis, pourquoi Ian a-t-il une bonne raison de détester West ? Vous imaginez quoi entre ces deux-là ? 

Et la musique, alors ? On aime ?


Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Donc on se retrouve samedi sur N'aie Pas Peur, sûrement dans la journée sur les réseaux et très vite sur vos histoires. (Parce que oui, Aïdan se remet à lire, c'est assez fou). 

Je vous envoie plein de courage pour le confinement. Encore plus de courage si vous devez bosser et encore plus que tout ce que j'ai aux personnes qui travaillent dans les milieux hospitaliers. 

Coeur sur vous et n'oubliez pas que vous pouvez demander de l'aide si ça ne va pas, ce n'est pas une honte. Vous avez le droit d'avoir besoin de souffler. 

Vous n'êtes pas seul.e.s et vous êtes aimé.e.s. 

A très vite pour de nouvelles aventures. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top