Chapitre 12 | 2
Musique proposée : Mess I Mine - Vance Joy. (En média).
L'agent qui nous guide dans de longs couloirs éclairés par une lumière blanche et tamisée ne cesse de parler, mais je ne l'écoute pas. Je suis incapable de me concentrer sur ce qu'il dit ou même sur lui, je suis bien trop occupé à tenter de calmer les tremblements de mes mains en me focalisant sur les alentours. J'ai l'étrange impression d'être entré dans l'une des séries policières que j'aimais tant regarder dans mon ancienne vie et ça me fait tellement bizarre que j'en oublierais presque la raison de ma venue dans les locaux du FBI. A chaque pas que nous faisons, l'agitation environnante s'accentue. A chaque avancée, les silhouettes affairées accélèrent. Comme si je me dirigeais vers un crescendo affolant.
Nous finissons par pénétrer dans un open-space et tous les sons s'agglomèrent autour de moi. Les téléphones sonnent, les doigts tapent sur les claviers, les dossiers claquent sur les bureaux, les pas résonnent dans tous les sens... tout s'anime, tout remue, tout se mélange et bizarrement, je trouve ça revigorant. Toute cette action, toute cette énergie, toute cette détermination me revitalisent et mon stress s'envole. Me retrouver en toute possession de mes moyens sans me voir contrôlé par cette peur qui ne me quittait plus depuis des mois, accompagné par West et m'apprêtant à dénoncer un groupe de sales types à la police, me permet de retrouver le souffle de vie qui me manquait affreusement. Je crois qu'avant qu'elle ne me quitte, je n'avais jamais vraiment compris à quel point l'angoisse pouvait m'oppresser et m'empêcher de fonctionner. Comme si elle prenait tellement de place qu'elle venait étouffer toute autre émotion qui aurait voulu se glisser dans ma poitrine à ses côtés.
Le policier nous invite à rentrer dans une petite salle où trônent une table blanche et trois chaises en fer. West et moi prenons place sans un mot, alors que l'homme s'en va en nous disant de patienter quelques instants. J'observe un moment la pièce morose avant de me concentrer sur le miroir sans tain qui nous fait face sans pouvoir m'empêcher d'imaginer des agents en train de débattre sur notre sort de l'autre côté.
― Ah bah ils savent nous mettre à l'aise. Il manque plus que Derek Morgan et j'emménage, ironise West.
Je lui lance un regard dubitatif en tentant de garder contenance, en vain. Il a juste à me faire un clin d'œil entendu pour que mon sérieux s'envole et que je pouffe de rire. Un homme que je reconnais très vite me coupe dans ma bonne humeur et je me racle la gorge pour me laisser le temps de prendre un air dur et froid devant cet odieux personnage.
― Heureux de voir que vous avez répondu présent à mon appel, affirme Lincoln sans que je sache s'il est cynique ou s'il le pense vraiment.
West serre les dents et hoche légèrement la tête comme toute réponse. L'éclat de légèreté qui illuminait son visage a complètement disparu et je sens que nous nous apprêtons à entrer dans le vif du sujet. Il n'y a plus de marche arrière possible, désormais.
― Que les témoins présents dans la salle déclinent leur nom, prénom et âge en prenant connaissance dés maintenant que leurs entretiens seront enregistrés, ordonne le chauve, alors qu'il enclenche l'enregistrement en appuyant sur un boitier noir.
Je tourne la tête vers mon binôme pour l'inciter à commencer, soudain extrêmement mal à l'aise. Il me lance un petit sourire en coin et je comprends immédiatement que la situation l'amuse. Je suis même certain que si Lincoln ne nous surveillait pas de près, il aurait déjà lâché une ou deux remarques sarcastiques.
― Je suis conscient qu'à partir de maintenant, mon témoignage sera enregistré, commence-t-il. Je m'appelle West Hutchins et j'ai dix-huit ans.
J'écarquille les yeux. Il n'a que dix-huit ans ? Je n'arrive pas à croire qu'il est plus jeune que moi. Je n'arrive pas à croire qu'il soit aussi jeune. Il a l'air tellement confiant, tellement sûr de lui, tellement protecteur envers tout le monde... Il a l'air d'avoir vécu tellement de choses que je croyais qu'il était bien plus vieux que ça et a fortiori, plus âgé que moi. Avec nos cinq ans de différence, j'aurais eu tendance à croire que je devrais être le moins peureux, le plus réfléchi et le plus solide des deux, mais il n'en est rien. L'âge n'a définitivement rien à voir avec la maturité de quelqu'un et je me sens un peu idiot d'avoir pu penser le contraire.
Encore ahuri par ce que je viens d'entendre, je ne prends pas la suite de West et l'agent fédéral se voit obligé de me rappeler à l'ordre pour que je finisse par ouvrir la bouche. Je répète mot pour mot la phrase qu'a énoncée mon camarade, puis j'indique mon nom, mon prénom et mon âge comme un automate, totalement submergé par mes pensées. Lincoln nous explique ensuite que nous allons devoir témoigner un par un et dans deux endroits différents pour les besoins de je ne sais quelle procédure. Nos témoignages seront filmés, enregistrés et retranscris sur papier pour pouvoir être authentifiés et vérifiés dans les moindres détails avant de tenter une quelconque interpellation. Il nous reprécise d'ailleurs plusieurs fois que ce qu'on va dire sera considéré comme des preuves et qu'elles pourront aisément être utilisées contre nous.
West quitte donc la pièce avec Lincoln et je me retrouve seul face au reflet de mon teint blafard et fatigué. Je tente de réfléchir à un moyen d'innocenter mon coéquipier, un moyen de le sauver de la prison parce qu'il ne mérite pas d'y aller. Je refuse de m'en sortir totalement libre en sachant que j'ai participé à faire enfermer quelqu'un de bien. Je suis en train de me battre pour me sortir de là, c'est vrai, mais je veux aussi me battre pour que justice soit rendue et ce ne serait pas juste de laisser West croupir derrière des barreaux, même s'il pense le contraire. Il a beau avoir participé à tout ça, il a été emporté par ce cercle vicieux alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Un enfant qui faisait tout ce qu'il pouvait pour survivre dans un monde qui ne lui a jamais rien épargné. Comment peut-on lui en vouloir d'avoir pris tous les moyens qu'il avait sous la main pour réussir à avancer sans ses parents et le cocon protecteur qu'ils devaient représenter ?
Un claquement de porte résonne à quelques mètres de moi, m'arrachant brutalement à la figure potelée d'un petit garçon que je n'ai jamais connu. Je secoue distraitement la tête pour observer la personne qui s'assoit en face de moi et me ressaisir. La jeune femme replace une mèche brune derrière son oreille et m'observe d'un air circonspect, à moitié cachée derrière ses grosses lunettes rondes. Malgré sa figure fermée et la distance à la fois physique et morale qu'elle instaure entre nous, je ne peux m'empêcher de distinguer ses traits doux et ses yeux noirs un peu perdus.
― Je me présente... annonce-t-elle d'une voix éraillée et peu confiante. Je suis l'agent Morgan et c'est moi qui vais prendre votre témoignage.
Je ravale un sourire en repensant à la remarque de West et la femme fronce les sourcils. Même si deux petites rides viennent strier son front, elle paraît jeune. A vrai dire, je doute qu'elle soit beaucoup plus âgée que moi et je pense égoïstement que je pourrais en tirer profit. Avec un peu de chance, elle n'est pas habituée à gérer ce genre de situation et je pourrais lui faire perdre ses moyens pour obtenir une chance supplémentaire de sauver mon binôme. Je me rends bien compte que ce n'est pas très malin, ni très éthique, mais si déstabiliser une jeune agente peut me permettre d'éviter la prison à West, alors il faut que je tente le tout pour le tout.
― Mon témoignage est vraiment très important, je me trompe ? affirmé-je en essayant de prendre une posture assurée à la limite de la nonchalance.
Elle me dévisage intensément et laisse un instant sa main flotter au-dessus du dossier qu'elle a apporté avec elle et qu'elle avait déposé devant elle en arrivant. Une tension énorme grandit en moi peu à peu, alors que j'essaie d'anticiper sa réaction. Je ne suis pas du genre à provoquer les forces de l'ordre, bien au contraire, même. J'ai toujours été de ceux qui baissaient la tête et qui s'exécutaient et aujourd'hui, je sais de source sûre que l'audace et l'impertinence sont des attributs que je préfère léguer à West. Je déteste faire ce que je suis en train de mettre en place, je déteste me servir des faiblesses des autres pour obtenir ce que je veux, mais là, je n'ai pas assez de temps pour pendre du recul et penser à une solution plus intelligente. Je me contente donc d'inspirer longuement pour me donner du courage et de prendre exemple sur le côté insolent de West, en collant un rictus présomptueux sur un coin de mes lèvres.
Elle attrape son paquet de feuilles, le tasse en le tapotant plusieurs fois sur la table, visiblement mal à l'aise. Elle ne dit rien, elle me regarde à peine et je ne sais pas si c'est parce que j'ai réussi à l'impressionner ou si c'est parce qu'elle sait exactement quoi faire pour reprendre le contrôle de l'interrogatoire. Un souffle d'adrénaline traverse mes poumons et je ne cherche pas à comprendre, je renchéris sans lâcher ce satané sourire. Celui que West lance à Ian pour le défier et qui m'exaspère tant.
― C'est bien ce que je pensais, dis-je sur un ton qui respire un peu trop le culot à mon goût.
Je laisse volontairement un blanc pour installer une atmosphère un peu plus électrique et mon interlocutrice pâlit. Ma stratégie fonctionne. Je la dévisage quelques secondes supplémentaires, mais me concentre bien vite sur autre chose lorsqu'une envie de m'excuser et d'arrêter mon petit manège me passe par la tête. Il ne faut pas que je flanche maintenant.
― Donc j'aimerai passer un accord.
Elle hoche la tête, mais la seule véritable réponse que j'obtiens est le crissement de sa chaise sur le sol résonnant dans la pièce. Elle me fait signe de patienter, toujours sans m'adresser réellement la parole et sort de la salle, l'air déterminé. Une fois que je n'entends plus ses pas de l'autre côté de la porte, je soupire longuement pour faire retomber la pression que je me suis mis seul sur les épaules avant qu'elle ne revienne. La pression que je me suis mis pour lui, pour essayer de le sauver lui. Je lève les yeux vers le plafond et entends encore la question que ma grand-mère se posait sans arrêt lorsqu'elle faisait quelque chose d'un peu fou pour mon grand-père : « qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour protéger la personne qu'on aime, hein mon petit ? » Je me contentais toujours de hausser les épaules en lui souriant, sans jamais lui demander ce qu'elle en pensait.
L'amour, je n'y ai jamais vraiment cru. Tout le monde me vendait ses mérites et me répétait toujours à quel point il était merveilleux, mais ça n'a jamais pris avec moi. Ça n'a jamais changé l'image dangereuse et destructrice que j'en avais. Pour moi, l'amour avait cette horrible tendance à apprendre aux gens à voler au milieu d'un amas d'espoirs vains avant de les abandonner à leur sort après avoir provoqué leur chute. Je n'arrivais pas à comprendre comment on pouvait tomber dans un piège aussi dévastateur sans même s'en méfier, mais maintenant que mon cœur bat plus fort, maintenant que mon âme s'accroche à celle de quelqu'un d'autre, je me rends compte que j'y ai plongé la tête la première. Je suis tombé amoureux de West.
― Alors comme ça, on veut modifier un accord ?
Une voix grave me ramène durement à la réalité et je grimace, peinant à sortir cette pensée de mon esprit.
― Tu sais que je peux te coffrer pour obstruction au bon déroulement d'une enquête fédérale, petit ? Et puis, au vu de ce qui t'amène ici, je peux aussi te faire condamner trafic de stup', donc je te conseille d'arrêter ton petit numéro et de te mettre à table, s'impatiente l'homme d'une cinquantaine d'années qui me fait face.
Son air agacé se veut menaçant et je devine à son air assuré qu'il est beaucoup plus expérimenté que la jeune femme que j'ai vu juste avant. Encore perturbé par la révélation qui vient de me tomber dessus et de m'exploser à la figure, je ne réponds pas. Je me contente d'observer la moustache grise et le crâne dégarni de l'agent gradé qui ne m'a pas quitté des yeux une seule seconde. Je vois ses lèvres fines entamer un mouvement, mais je n'écoute pas ce qu'elles peuvent bien prononcer, je suis incapable de me détacher de mes pensées. Je suis amoureux de West Hutchins, le plus jeune dealer de la plus grosse entreprise mafieuse des Etats-Unis et le plus attentionné des garçons que j'ai pu rencontrer. Comment est-ce possible ? Comment ça a pu arriver sans que je ne me rende compte de rien ?
Le cinquantenaire s'agite devant moi et, même si ça m'aide à me focaliser sur autre chose que sur West, je ne suis toujours pas en mesure de comprendre ce qu'il me dit. C'est donc ça l'amour, pour moi ? Aussi naturel et discret qu'une étincelle. Un bruit sourd me fait sursauter et je me retrouve de nouveau dans la salle d'interrogatoire avec l'agent qui tape du poing sur la table. Je m'éclaircis la voix pour lui montrer que je suis de nouveau avec lui et m'octroyer quelques secondes pour retrouver mon jeu d'acteur de tout à l'heure. Si mon coéquipier a raison, le FBI est à la recherche de « Gambino » depuis bien trop longtemps pour passer à côté de mon témoignage. J'ai donc toutes mes chances d'obtenir quelque chose de positif si je ne me laisse pas impressionner par leurs menaces. Je suis un bon négociateur, je peux le faire, me dis-je à moi-même pour tenter de me convaincre que tout ira bien et que je ne terminerai pas cette journée derrière les barreaux. Après tout, j'ai bien réussi à faire fléchir Gordon...
___________________
Coucou tout le monde, comment ça va en ces temps étranges ?
Bonne nouvelle, j'ai terminé le chapitre 13. Donc la semaine prochaine, il y aura une partie du chapitre 12 et la semaine d'après, on attaque le 13. Comme vous avez pu le remarque (spoiler : non, personne n'a remarqué) en jetant un œil à la playlist, il n'y aura pas trois ni quatre parties dans ce chapitre, mais cinq. Les deux dernières étant un peu spéciales, elles seront postées le même jour. J'espère que ça vous fait plaisir, même si vous ne l'aviez pas remarqué. (Vous pouvez retrouver les playlist de N'aie Pas Peur et des personnages sur Deezer -moonicane- et sur Spotify -Aïdan Moonicane-).
Comme vous l'aurez compris, je suis plutôt productif ces derniers temps. Donc je vais bientôt m'attaquer au chapitre 14, je ne sais pas encore si je le commence demain ou si j'écris un texte pour le challenge entre temps, je verrais si je suis inspiré et ce que j'ai envie de faire. J'ai vu qu'il y avait eu une première courageuse à tenter le challenge, merci à toi jus_de_pommeS ça m'a fait vraiment plaisir de lire ton texte (d'ailleurs vous pouvez filer lui donner vous avis, si ça vous tente) et j'espère que vous serez de plus en plus à tenter l'aventure avec moi ! (Hésitez pas à me taguer, je viendrai lire).
Bref, bref, passons au bavardage intéressant :
Vous vous attendiez à l'âge de West ? Est-ce que votre image de lui change maintenant ? Comment le voyez vous ?
Le cran de Wayne vous a-t-il plu ou avez-vous levé les yeux au ciel devant son énième prise de risque ? A votre avis, cet accord a une chance d'aboutir ?
Et pour les gens qui ont la ref', vous aussi vous emménagez si on vous amène l'agent Morgan ?
Trêve de plaisanterie, question de la plus haute importance : vous aimez bien la musique ?
Voilà, voilà, c'est tout pour moi. Je vais retourner à mes lectures et mes écritures. (D'ailleurs si vous savez pas quoi lire, faut absolument que vous fassiez un tour du côté de chez pleursdange cette fille a un talent incroyable). Je vous dis donc à samedi pour la suite de N'aie Pas Peur et à bientôt sur vos oeuvres.
En attendant, prenez bien soin de vous. Restez chez vous si c'est possible ou alors limitez les contacts au maximum. N'oubliez pas que je suis toujours présent, ici ou sur les réseaux, si c'est compliqué pour quelqu'un et que vous avez besoin de discuter.
Force à toutes les personnes mal entourées ou dans un entourage toxique. Force à toutes les personnes seules. Force à toutes les personnes qui se lèvent pour aller bosser tous les jours. Et forcent et respect à tous le personnel médical (coeur sur ma soeur) qui se démène chaque jour dans des conditions merdiques.
Je suis de tout coeur avec toutes les personnes qui ont besoin d'un peu de force et d'amour. Vous êtes aimé.e.s, vous n'êtes pas seul.e.s et vos sentiments sont tous légitimes.
A très vite pour de nouvelles aventures.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top