Chapitre 11 | 3
Musique proposée : Fallout - UNSECRET ft Neoni. (En média).
Une fois sa rédaction terminée, il me lance un regard peu avenant et l'interrogatoire commence. Je pensais que cet exercice serait insurmontable, que le stress me paralyserait, mais finalement, je m'en sors bien. Je réponds à chacune des questions qui me sont posées avec sincérité et je raconte absolument tout ce que j'ai pu voir ou faire pendant les quelques mois que j'ai passés au contact du crime. Au final, je crois même que j'en avais besoin. J'avais besoin de parler de tout ça, de me libérer du poids de ce secret qui pesait sur mes épaules depuis si longtemps. Comme si la liberté ne tenait qu'à quelques mots prononcés par le cœur.
Cependant, quand il aborde le sujet des exécutions et qu'il me demande si je sais comment elles se passent, toute mon assurance se fait aspirer par une tornade de souvenirs hideux. Mes mains deviennent moites, mon rythme cardiaque commence dangereusement à s'accélérer et mon corps tout entier se met à trembler. La bâche blanche tâchée de rouge apparaît violemment devant moi et j'ai l'impression de ressentir la même peur que ce jour-là ; comme si elle ravageait de nouveau mes boyaux et que je n'avais aucun moyen de lutter, aucun moyen de me rattacher à la réalité. Je sursaute une nouvelle fois en entendant le coup de feu à cause duquel Nicholas s'est écroulé. Le même cri de détresse assourdissant retentit devant moi et je revois la jeune femme qui serre ce petit garçon effrayé contre elle. Une chaleur insupportable s'empare de mon échine et j'ai l'impression d'étouffer. Le brouhaha de la grande salle est soudain tout autour de moi et ma tête se met à tourner. Je me rappelle de l'agitation qui fourmillait dans la Réserve et j'ai la sensation que je m'écroule encore sur le sol du hangar, alors qu'une angoisse folle emporte mes derniers instants de lucidité. Et si je n'avais jamais quitté cette pièce cauchemardesque ?
― Stop, on arrête là, c'est bon. L'interrogatoire est terminé !
J'entends une voix rauque, mais elle me paraît lointaine, presque effacée par la brutalité de ce qui se déroule dans mon esprit.
― Hey... Wayne.
La voix se rapproche, mais je n'arrive toujours pas à la suivre pour me sortir de cet enfer.
― Wayne, Wayne, Wayne, regarde-moi, la voix de West résonne tout près de moi et deux mains glacées se déposent sur ma nuque, faisant disparaître le hangar instantanément.
Ses prunelles sont ancrées dans les miennes et je reprends mon souffle en me noyant dans l'océan qui en dégouline. Je remarque qu'une inquiétude marque les traits de son visage et que le mien est recouvert de larmes que je n'ai pas senties couler. Mes mains ont encore la tremblote, mais le contact de sa peau contre la mienne me rassure et je me calme doucement. L'agent échange encore quelques mots avec mon camarade, mais je n'écoute rien, je ne suis même pas sûr de vraiment les entendre parler. Je suis comme dans un état second, dans une bulle loin du monde, à essayer de me remettre de tout ce qui vient de se passer à l'intérieur de moi.
Nous sortons rapidement de la maison faussement accueillante et il me semble que le quarantenaire nous dit qu'il nous rappellera quand il aura vérifié nos dires, mais je ne suis sûr de rien. West ne prête pas beaucoup plus attention que moi aux dernières phrases du chauve puisqu'il ne lui répond pas. Il ne se retourne même pas pour le saluer, trop occupé à soutenir mon pauvre corps titubant.
***
― Comment tu te sens ?
Assis dans mon canapé, je dévisage West en essayant désespérément de trouver une réponse qui n'accroîtrait pas l'inquiétude crispant toujours les traits de son visage, en vain. J'ai beau chercher, les mots ne viennent pas. Je ne sais pas quoi lui répondre parce que je ne sais pas moi-même ce que je ressens actuellement. Peut-être que je suis encore sous le choc de mes souvenirs trop réels, ou alors sous le choc de la cruauté de l'homme qu'on avait en face de nous, je ne sais pas. Il avait l'air tellement septique, que même après tout ça, je ne serais pas capable de dire s'il nous a crus ou non. Finalement, peut-être qu'on a fait tout ça pour rien. Peut-être qu'on vient de se condamner à une exécution sur cette satanée bâche blanche pour que la fierté du flic l'emporte et qu'il refuse de transmettre nos témoignages à ses collègues. L'image de West à la place de Nicholas m'apparait furtivement et je ferme brusquement les yeux en secouant la tête pour faire fuir ce scénario cataclysmique. Il est hors de question que je regarde West mourir.
― Comment t'as connu ce mec ? demandé-je un peu trop abruptement pour que mon amertume ne se ressente pas.
West hausse un sourcil devant le ton que j'ai employé, mais ne relève pas l'élusion de sa question. Il prend un air sérieux et vient s'asseoir à côté de moi en inspirant.
― En fait, je ne l'ai pas connu directement, affirme-t-il simplement.
Perplexe, je ne dis rien, l'encourageant silencieusement à m'en dire plus. Il sourit devant mon air ahuri et fixe ses doigts noués entre eux avant de reprendre.
― J'ai d'abord rencontré Ginny, sa fille, dit-il en perdant son sourire. Elle traînait souvent à la Réserve, avec nous. Je crois qu'elle voulait se faire Gale ou Nicholas, sauf qu'elle a vite compris que l'un était inatteignable et que l'autre était beaucoup trop amoureux pour s'intéresser à elle. Du coup, elle a pas insisté et, au début, on était simplement un groupe de potes qui se retrouvait au bar de la Réverse quand on bossait pas. Et puis, à force, on a fini par se rapprocher, elle et moi. On s'entendait bien, on s'aimait bien, c'est allé plutôt vite. Trop vite, en fait. Je connaissais pas grand chose d'elle finalement et j'étais trop con pour poser les bonnes questions. Elle me plaisait et je semblais lui plaire, c'était tout ce qui importait. Sauf que voilà, si elle se pointait toujours à la Réserve, c'est parce qu'elle avait fini par faire ami-ami avec son dealer et, bien évidemment, elle a largement omis de préciser que son vieux faisait partie de la police fédérale de New York.
Mon camarade secoue la tête en serrant les dents, visiblement révolté par ce qu'il me raconte. Pourtant, il ne s'arrête pas, il continue de parler, comme si de rien était, pendant que je le fixe intensément pour ne pas perdre une seule virgule de son discours.
― Je me rendais pas compte de ce qui était en train de se passer, je me rendais pas compte qu'avec ce que je faisais pour vivre, fallait absolument que je me renseigne sur les gens que je rencontrais pour surtout pas prendre le risque de me faire choper. Mais bon, j'avais que seize ans et c'était la première fois que je rencontrais une fille que j'aimais bien et avec qui ça fonctionnait, donc j'ai pas réfléchi et elle non plus. Tout a été très rapide entre nous. On a voulu aller plus loin parce qu'on croyait s'aimer et... il soupire. Et elle est tombée enceinte.
La mâchoire de West est presque tranchante et j'ai l'impression de sentir le dégoût me coller à la peau tellement il en émane de lui.
― A partir de là, tout s'est enchaîné. J'étais terrorisé à l'idée qu'elle garde le bébé, mais je la fermais. Je voulais pas lui foutre la pression, ça servait à rien, c'était autant de ma faute que de la sienne, après tout. Elle a voulu avorter, mais elle avait tellement peur de la réaction de sa famille qu'elle l'a annoncé trop tard. L'avortement était plus possible. Elle était complètement paniquée et, naïf comme j'étais, je croyais qu'elle avait peur, comme moi, d'être beaucoup trop jeune et de pas savoir comment s'occuper d'un gosse convenablement. Mais non, bien sûr que non. Elle avait seulement peur de devoir se purger de sa came à la con pour pas tuer le bébé.
Un rictus amer s'extirpe de sa gorge, mais je ne réagis pas. Je ne veux surtout pas le couper dans son élan.
― D'ailleurs, quand son père a appris pour la drogue, il a fait sa petite enquête sur moi. Evidemment, il a immédiatement été convaincu que c'était moi qui la fournissais et je peux te dire que cette idée ne lui a pas du tout plu. Un soir un peu plus sombre que les autres, il a pris quelques heures pour oublier son insigne et me coincer dans un coin de la 125e. Je peux t'assurer que j'ai pas passé un bon moment.
Je l'observe avec des yeux ronds, totalement abasourdi parce qu'il vient de sous-entendre. Est-ce que cet enfoiré l'a tabassé ?
― Ce jour-là, il m'a laissé partir par respect pour l'enfant que portait sa fille, mais il m'a gentiment conseillé de plus jamais les approcher. Ni elle, ni le gosse. Et comme je suis du genre impressionnable et obéissant, c'est pas du tout ce que j'ai fait.
Il rit faussement pour tenter de masquer l'émotion qui fait dérailler sa voix et je fais comme si je ne remarquais rien.
― Quand le petit est né et que sa mère m'avait pas encore pris en grippe, je suis allé le voir à la maternité. Je me suis même pointé là-bas plusieurs jours d'affilés quand le grand-père était pas dans les parages. Mais comme tout bon toxico qui se respecte, Ginny a vite repris ses vieilles habitudes merdiques : elle m'a demandé de lui refiler ce que je vendais sur le moment et j'ai refusé. Catégoriquement. Je me voyais pas refourguer cette merde à la mère de mon fils, surtout en sachant que le gamin habiterait avec elle. Comme tu t'en doutes, elle a pas vraiment apprécié donc elle s'est vengé en utilisant la seule chose qu'elle avait contre moi.
Il passe une main sur son visage, puis se racle la gorge pour tenter de reprendre une voix neutre, sans franc succès.
― Elle m'a dit que je reverrai jamais Spencer et ça m'a brisé le cœur. Malgré tout, j'ai pu passer un peu de temps avec lui, grace à Jessica. Elle m'aimait pas spécialement à cette époque-là, son père lui avait bourré le crâne avec l'idée que j'avais foutu la vie de sa sœur en l'air avec la drogue et toutes ces conneries. Mais elle était là quand j'ai refusé de filer ma came à Ginny, alors elle a revu son jugement et elle m'a aidé. Je devais lui faire un peu pitié tellement j'étais misérable, ricane-t-il avant de reprendre. Bref, quand t'as parlé de fuite, j'ai tout de suite pensé à Lincoln, parce que c'est le moyen le plus direct que je connais pour contacter discrètement le FBI.
― Mais tu l'as entendu, il nous a à peine cru, paniqué-je, alors que West relève la tête vers moi pour me regarder dans les yeux.
― Crois-moi, ils sont à la recherche de Gambino depuis bien trop longtemps pour ne pas prendre la moindre piste en compte. Même si Lincoln nous décrédibilisait auprès de ses supérieurs, ils voudraient nous entendre quand même, j'ai pas le moindre doute là-dessus.
Je m'accroche de toutes mes forces à la conviction débordant de ses prunelles pour essayer de ne pas me sentir submerger par l'abondance d'informations qui m'arrive en pleine figure. Il va me falloir un temps infini avant de pouvoir assimiler, comprendre et digérer tout ça, alors je ne m'attarde pas trop sur toutes les émotions qui me vrillent la poitrine pour l'instant. Je les esquive, je les fuis. J'ai déjà survécu à l'une de leur tornade aujourd'hui, c'est bien assez.
― Mais, du coup, c'est quoi ton plan ? Comment ça va se passer avec le FBI ? Qu'est-ce qu'il va falloir faire pour nous sortir de tout ça ?
Il me dévisage quelques secondes, sans rien dire, comme s'il comprenait tout l'espoir que je plaçais dans cette intervention et qu'il le pensait vain. Il brise ensuite notre lien visuel pour se reconcentrer nerveusement sur ses mains.
― L'idée c'est de faire tomber Gambino et sa fille pour pouvoir démanteler l'entreprise New-yorkaise. Si on y arrive, on pourra faire tomber un paquet de salopards et tu seras libre.
Comment ça, je serai libre ? Les mots s'embrouillent dans ma tête et tout devient flou. De quoi parle-t-il ? Que va-t-il advenir de lui ?
― Mais, de quoi tu parles ? Comment tu comptes t'y prendre ?
Il soupire et son genou commence à s'agiter, pendant que la peur s'installe lentement dans mon estomac déjà noué. Ça n'augure rien de bon.
― La première étape, c'est de parler. On l'a entamée. Là, on va attendre qu'ils nous rappellent et qu'ils prennent officiellement nos témoignages. A partir de ce moment-là, toi, tu vas répéter ce que tu as dit et plus encore si tu te souviens d'autres choses. Quant à moi, je vais balancer toutes les bonnes infos, tous les détails dangereux pour Eleven Stars, tout ce que les flics ne doivent pas savoir. C'est à ce moment-là qu'ils auront une fenêtre de tir pour une intervention musclée et je me porterai volontaire pour les faire entrer, les guider ou même faire cracher le morceau à deux trois connards pendant que quatre cinq autres tomberont en flagrant délit.
― Attends, attends, attends, c'est ça ton idée ? Tu veux jouer aux appâts pour le FBI ?
― Exactement, affirme-t-il un peu plus froidement qu'il ne semblait le vouloir.
Mes espoirs s'effacent et j'ai l'impression qu'il vient de m'anéantir. Je ne veux pas que ça se passe de cette façon. Je refuse qu'il prenne autant de risques, si jamais quelqu'un s'en aperçoit trop tôt, c'est sa vie qu'il met en danger et je rejette catégoriquement la possibilité de le voir mourir. C'est hors de question. Ça n'arrivera pas. Pas tant que je serai là.
― Comme ça, avec une taupe à l'intérieur, y'aura plus de chances que l'entreprise tombe et qu'un maximum de personnes soient arrêtées. Ils seront tous jugés et je veillerais personnellement à ce que toi et ta sœur soyez complètement libres. Je le ferais écrire noir sur blanc avant de leur filer une seule info.
Tout prend enfin sens dans mon esprit, tout s'emboîte parfaitement. Il veut se sacrifier. Que ce soit sa vie ou sa liberté, il est prêt à les mettre en jeu pour me sortir de là en un seul morceau et cette perspective ne me plaît pas du tout. S'il fait ça, au pire, il meurt et au mieux, il tombe pour complicité et pour je ne sais quoi d'autre encore. Mon cœur s'emballe, il bat la chamade et j'ai presque l'impression qu'il arrive à sa limite. Dans le même temps, une boule de feu se niche au fond de ma gorge. Je crois que mon corps tout entier réagit à l'horreur de la situation.
― West, ça peut pas se passer comme ça... Si tu le fais, tu finiras derrière les barreaux...
Ses pupilles trouvent les miennes et un pauvre sourire se dessine faiblement sur ses lèvres.
― Je sais, Wayne. Je sais. Mais je mérite la prison, j'ai fait tout ça de mon plein gré. On ne me menaçait pas, on ne me retenait pas par la force. J'ai participé à plus de choses que tu ne peux imaginer. Sauf que toi, c'est tout le contraire. Tu voulais pas être là, Ian te tenait par la menace, donc tu mérites pas de croupir en taule.
Je reconnais Victimized de Linkin Park retentir dans mon appartement, tandis que West se penche pour attraper son téléphone et décrocher sans pour autant me quitter des yeux. Je suis tellement déboussolé, triste, en colère... Je suis tellement perdu dans ce qu'il se passe à l'intérieur de moi et dans ma vie que je ne prends même pas la peine d'écouter ce qui sort du haut-parleur du smartphone. La pièce tourne autour de moi et une chaleur insupportable m'envahit. Elle m'oppresse. Je dois sortir d'ici. J'ai besoin d'air frais. Il faut que je souffle un peu et surtout, que je réfléchisse. Il y a forcément une autre solution. West claque des doigts devant mon visage pour que faire éclater ma bulle et obtenir mon attention :
― Je suis mis en relation avec le FBI, articule-t-il.
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Salut tout le monde,
Je suis désolé, je devais poster hier, mais j'ai eu quelques soucis d'organisation. J'espère que ça vous fait plaisir d'avoir une partie par semaine pour une fois et que l'histoire vous plait toujours. Je vais faire de mon mieux pour terminer le chapitre 12 dans des délais raisonnables, promis.
Du coup, passons au vif du sujet :
Que pensez-vous du plan de West maintenant qu'il l'a exprimé un peu plus en détails ? Pensez-vous que c'est une bonne idée ? Une mauvaise ? A votre avis, il y a de meilleures solutions que celle-là, ou c'est la seule ?
Quel est votre avis sur cette histoire avec Ginny ? Comprenez-vous la haine et la réaction de Lincoln envers West ou alors est-ce un connard fini ?
D'ailleurs, cette Ginny, vous l'imaginez comment ?
Et enfin, on change pas une équipe qui gagne, la musique vous plait ? Moi j'en suis amoureux. J'adore l'ambiance qu'elle donne, l'espèce de dureté et d'implacabilité qu'elle me fait ressentir. J'adore son intensité.
Voilà voilà, c'est tout pour aujourd'hui.
J'espère que je pourrais poster la suite très vite, en attendant, je bosse sur mon petit projet qui devrait voir le jour très vite.
N'oubliez pas que vous êtes aimé.e.s.
Prenez bien soin de vous.
A très bientôt.
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