Bonus


"You built up hope but failure's all you've known.

Remember all the sadness and frustration,

And let it go, let it go."

Iridescent – Linkin Park. (En média).


— Allez, dépêche ! Dépêche ! s'exclame mon petit frère.

Pressé, West galope devant moi en se retournant toutes les trois secondes pour m'encourager à accélérer. Son euphorie résonne si fort dans la rue que je ne peux pas m'empêcher de scruter les alentours à la recherche de Robinson comme s'il pouvait nous entendre. La peur qu'il débarque et qu'il chope l'un d'entre nous me serre la poitrine ; il ne lui suffirait que d'un geste pour réduire le rêve de cette journée à néant et que la torture reprenne.

Après vingt bonnes minutes à cavaler derrière mon petit brun surexcité préféré, nous finissons par nous approcher d'une maison que je ne reconnais pas. Immense et avec des allures de château, cette demeure est bien loin de toutes celles que j'ai pu apercevoir dans ma vie. Rien à voir avec l'internat ou le vieux taudis de papa, cet endroit est magnifique, entretenu, et paraît même renfermer un foyer qui n'existe que dans les livres. Le souffle court, j'observe un petit arbuste aux feuilles bordeaux un long moment avant d'interroger West du regard. Mais qu'est-ce qu'on fait ici ?

— Qu'est-ce que tu fous, Gale ? Ramène-toi, j'ai des tas de trucs à te montrer avant qu'on rentre !

Le ton enjoué de mon frère me sort de mes questionnements pensifs, et je me rends compte qu'il est déjà en train de grimper les quelques marches qui mènent à l'imposante porte d'entrée. Un peu étonné, je lève un sourcil mais avance tout de même de quelques pas pour le suivre tandis qu'il pousse sur le métal noir. Mes yeux s'écarquillent de stupéfaction, et mon meilleur ami pénètre dans la bâtisse. Comment a-t-il réussi à ouvrir ? Pourquoi veut-il rentrer là-dedans ? Et puis, il a pas peur que les proprios nous surprennent à l'intérieur ?

— West, mais qu'est-ce que tu...

Coupé en deux par ce que je vois, je reste sans voix alors que mes jambes me traînent jusqu'au corridor spacieux dans lequel un gamin insolent m'attend sagement, un rictus triomphant barrant son visage

— Bienvenue chez les Hutchins, frérot. Bienvenue chez nous.

Je dévisage West avec toute l'intensité dont je suis capable, le cœur tambourinant dans ma cage-thoracique.

— Chez... chez « nous » ? me risqué-je à demander, timide.

— Bah ouais, chez nous ! rétorque mon interlocuteur le plus naturellement du monde. Tu fais partie de la famille, maintenant.

Un sourire noyé d'émotion se dépose sur mes lèvres. Une famille. J'ai une famille. Je n'ai pas le temps de me faire à cette idée exceptionnelle que mon frère m'attire déjà vers lui pour me faire visiter l'habitation. À chaque fois qu'il fait halte devant une pièce, il la contemple quelques instants et finit par me la présenter comme s'il la découvrait en même temps que moi.

Une fois être entrés dans trois chambres, deux salles de bain, un bureau, un atelier de peinture, une salle à manger, une cuisine et une bibliothèque, mon guide nous arrête devant une porte noire ornée d'une clé de sol dorée, et l'atmosphère change. Elle se charge de nostalgie. Mon meilleur ami semble tout à coup aussi ému qu'heureux et je sais d'avance que cette découverte va être extraordinaire. Ses prunelles claires se mettent soudain à briller alors qu'il nous fait entrer sans parvenir à masquer son enthousiasme.

Une pièce remplie d'instrument de musique se dessine devant nous, et je reste un moment bouche bée. Des guitares de toutes sortes sont accrochées sur chacun des murs rouge et noir, deux violons et un violoncelle sont posés sur des socles gris à même le sol, une clarinette repose dans une espèce de malle sombre entrouverte et abandonnée sur une table, mais ce qui accroche vraiment mon regard est le piano à queue blanc qui resplendit au milieu de ce petit paradis. Pour séparer les guitares les unes des autres, des tableaux peints à la main représentant chacun un univers musical différent réchauffent un peu plus l'ambiance de cette pièce. Émerveillé, je me tourne vers West sans savoir quoi lui dire.

— Mon père jouait du piano, ma mère de la clarinette, et ma grand-mère alternait entre le violoncelle et le violon, m'informe-t-il avant que je ne trouve mes mots.

— Et les guitares ?

Mon frère baisse tristement la tête, me faisant regretter ma question.

— Les guitares c'était pour quelqu'un que je connaissais avant. Mais on se parle plus, souffle-t-il.

La déception qui parcourt ses traits ramène avec elle des souvenirs bien trop sombres à mon goût, et j'acquiesce sans insister plus que ça. Pour tenter de le rassurer, je place une main sur son épaule en prenant bien soin de ne pas toucher à ses blessures de la veille. À mon contact, son corps paraît se détendre et il me lance un faible sourire.

Impressionné, je jette un coup d'œil hésitant vers le piano, admirant sa beauté malgré le fin manteau de poussière qui le recouvre. Je m'approche lentement du tabouret blanc avant d'interroger West du regard. De nouveau radieux, il opine avec entrain et son sourire s'agrandit. Je m'assieds alors sur le siège puis effleure les touches bicolores comme si je retrouvais de vieilles amies. D'anciennes mélodies que je pensais avoir oubliées, mais qui ne m'ont jamais vraiment lâché.

— Je ne savais pas que tu jouais, murmure mon frère alors que mes doigts partent à la rencontrent de la musique.

Peu sûr de moi, j'entame Iridescent de Linkin Park, et West s'émerveille. Une joie puissante le traverse de part en part, m'obligeant à prendre conscience qu'il n'a que douze ans. Ce n'est qu'un gosse, et je crois que ça me fait du bien de le voir agir comme tel. De le voir insouciant et totalement emporté par les notes de ce groupe qu'il aime plus que n'importe quel autre. Ravi, il se balance en rythme sur le morceau et en fredonne parfois les paroles. Lorsque la chanson se termine, c'est à mon tour de me laisser voguer et mes paumes survolent l'instrument pour que les vestiges de mon passé prennent le contrôle. Je revois ma mère m'enseigner tout ce qu'elle connaît du solfège et me mets à jouer Mark Schulte sans vraiment y réfléchir.

— C'était trop beau... s'extasie West, des étincelles plein les yeux. C'était quoi ?

— He's My Son, de Schulte, rétorqué-je sobrement. C'était la chanson que maman me chantait quand j'avais cinq ou six ans pour que je m'endorme. C'est aussi la première chanson qu'elle m'a appris à jouer au piano, mais je préférais quand je la regardais faire. J'aimais tellement sa façon de caresser les notes et sa manière de chanter...

Le ton de ma voix se craquèle, et je serre les dents. Il ne faut pas que je pleure. Une pression se dépose sur les épaules, m'incitant à relever le nez vers des iris bleutés qui brillent d'espoir. Mon frère finit par me tendre une main, que j'attrape sans hésiter. Le poids qui enflait dans mon estomac s'allège alors que West nous emmène dans la cuisine, et sort un paquet de pain de mie d'un placard. Je fronce les sourcils.

— Ma grand-mère vient passer quelques jours ici, des fois, explique-t-il, alors elle demande à son assistante de faire des courses régulièrement. Et puis, manger un truc meilleur que la bouillie de l'internat, ça peut être cool, non ?

Un rictus attendri m'échappe avant que je n'approuve. West sort des couverts tandis que je fouille dans les meubles immenses pour trouver quelque chose à manger. Après quelques minutes de réflexion devant un nombre incalculable de choix possibles, je me rabats sur le beurre de cacahuète et la confiture de fraises. Simple, efficace. Je pose le tout sur la table centrale, mais mon meilleur ami grimace.

— C'est quoi, ça ? me demande-t-il en montrant le pot de beurre de cacahuètes de son index.

Pensant qu'il se moque de moi, je le dévisage un moment, mais sa mine déconfite me confirme qu'il ne plaisante pas.

— T'es né en Amérique, et t'as jamais mangé de beurre de cacahuètes ?

— Ça a pas l'air bon, ton truc, se renfrogne-t-il.

— Goûte, au moins.

J'ouvre le pot, en tartine sur un bout de pain et le pose devant lui. Méfiant, il renifle la substance et je suis obligé de me mordre l'intérieur de la joue pour retenir mon hilarité. En silence, je l'observe peser le pour et le contre avant d'enfin se décider à prendre une bouchée de son sandwich improvisé. À la seconde où il commence à mâchouiller, son visage se crispe et je ne suis plus capable de garder mon sérieux ; je m'esclaffe bruyamment alors qu'il bondit pour aller chercher un verre d'eau.

— Beurk, beurk, beurk, c'est dégueu ! Mais comment on peut manger ça ?

Mes éclats de rire résonnent dans la cuisine pendant que West se rince la langue avec trois verres d'eau et qu'il engloutit une tartine de confiture. L'air contrit, il croise les bras sur son torse en bougonnant, ce qui ne fait qu'amplifier mes railleries. Au bout d'un moment, mon meilleur ami se met à ricaner à mes côtés, et c'est avec un bonheur que nous n'avions plus côtoyé depuis de longs mois que nous avons passé l'après-midi au sein de la seule maison dans laquelle je n'ai pas peur d'attendre que le ciel s'éteigne pour rallumer les étoiles. 


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Coucou tout le monde, 

Aujourd'hui, j'ai vu que N'aie Pas Peur venait de dépasser les 12k et Je N'ai Plus Peur les 120 lectures, alors je me suis dit que j'allais fêter ça avec une petite surprise. 

Cette partie est une partie que j'avais écrite il y a longtemps, c'est un souvenir de l'une des escapades de West et Gale quand il s'échappait du foyer du New Jersey. J'espère qu'il vous plaira, n'hésitez pas à me donner vos avis, réagir, me dire ce que vous en pensez. Et je croise les doigts pour que cette petite surprise vous fasse plaisir. 

J'en profite pour vous prévenir que du coup, le tome II de cette saga est actuellement en train d'être postée, si jamais vous n'étiez pas au courant. Ce nouveau tome s'appelle Je N'ai Plus Peur et je poste une nouvelle partie une à deux fois par semaine, donc si ce tome vous a plu et que vous avez envie de connaître l'avenir de nos lascars, Je N'ai Plus Peur n'attend plus que vous. 

Merci du fond du cœur pour les 12k et les 120 lectures sur ces deux histoires. J'espère que la suite vous plaira et saura vous emporter autant, si ce n'est plus que le début de la saga. Merci de tout cœur pour votre soutien malgré toute cette attente. 

Un énorme cœur sur vous les potes. 

Et vous, vous aimez le beurre de cacahuète ? 

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