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N A S S E R ~ ناصر
-Taha: Ça fait plaisir de voir les choses avancer mon frère, mais ton équipe...
Il s'assit en face de moi avant de reprendre sa tirade. Sincèrement, je l'écoutais à moitié.
-Taha: J'te le dis cash, mais Eyad et Dahmen, c'est vraiment limite. L'un qui est toujours investi dans les histoires des meufs et l'autre qui croit impressionner quelqu'un avec ses crises de nerfs à deux francs là...de plus professionnellement parlant, c'est pas trop ça quoi...
Je connais Taha, j'le connais très bien même. Il a beau me dire que ses propos partent d'une bonne intention, j'le crois pas. Je n'ai pas oublié ce qu'il disait quand il était au téléphone tout à l'heure. J'sais qu'il ne les aime pas mais j'vais pas rentrer dans son jeu, j'suis assez grand pour savoir ce que j'fais et ne pas être influençable.
-Moi: Arrêteeee d'abuser gros, t'sais très bien que Dahmen c'est le recruteur le plus carré qu'on a ici, et Eyad aussi, j'en ai vu que du bien. Après si tu les apprécies pas j'peux comprendre, on peut pas plaire à tout le monde.
-Taha: C'est ce que tu crois. Bref, passons. Ce soir on s'rejoint à la salle vers quelle heure ?
-Moi: J'sais pas...après la prière du Isha, comme d'habitude hein.
Je l'écoutais d'une oreille distraite. À vrai dire, j'avais autre chose à faire et à penser que d'écouter Taha se plaindre, mais comme c'est mon pote, tranquille on va rien dire.
-Taha: Nasser wesh ! J'te sens tendu, qu'est ce qu'il y a ?
-Moi: Naaan rien, t'inquiètes. Juste un peu fatigué, sans plus. Ça va passer.
Quelques minutes plus tard, il quitta mon bureau et je pus enfin être seul pendant un moment.
Je ne réalisais pas encore que mon rêve s'accomplissait, que mon entreprise commençait à s'agrandir, et qu'on pourrait probablement commencer prochainement. J'avais fini mes études seulement l'année dernière, c'est un truc de fou quand même, comme quoi quand on veut on peut.
Et dire que du coup, j'avais lancé ma propre marque...un rêve d'enfance réalisé à seulement 20 ans, qui l'aurait cru ?
Il faut aussi avouer que sans la coopération de Nyhad et Nour, je ne serai pas arrivé jusque là, c'est vraiment une bénédiction pour moi ces collègues.
J'étais encore dans mes pensées (ouais, j'réfléchis beaucoup trop) lorsque quelqu'un frappa à la porte.
-Moi: Entrez.
C'était Najia, une de mes collaboratrices.
-Najia: Salam Nasser, j'espère que j'te dérange pas ?
-Moi: Aleykum salam, pas du tout ! Je t'en prie installe-toi...
Elle s'assit aussitôt en face de moi. Elle semblait épuisée, et d'après ce qu'elle m'avait dit, elle venait de finir son dernier entretien.
-Moi: Wesh t'es lessivée, c'était comment les entretiens alors ?
-Najia: Franchement tranquille, c'est juste le fait de les enchaîner qui est compliqué. Heureusement qu'on se répartit les tâches !
Elle m'expliqua ensuite que la majorité des postulants pourraient recevoir une réponse positive, ce qui me rendit encore plus fier de mon projet. Vraiment, j'suis investi dans mon entreprise et le fait de la voir porter ses fruits me rendait plus que satisfait.
-Najia: Je t'enverrai tout par mail de toute façon, tu verras par toi-même. Par contre y'a un cas particulier, attends que je retrouve le fichier PDF sur mon téléphone.
Elle sortit son téléphone et quelques instants plus tard, elle me montra un CV que je parcourus des yeux rapidement dans un premier temps.
-Najia: En fait, si tu veux cette personne est sur liste d'attente vu qu'on a déjà recruté quelqu'un qui a les mêmes compétences. Mais j'pense qu'on devrait discuter de son cas, non ? Qu'est ce que t'en penses ?
Rien.
Rien. Tout simplement parce que le nom qui s'affichait en haut de la page était tout sauf le bienvenu dans mon business.
-Najia: Alanoud Al Shuaibi pour le poste de modéliste, or on a déjà Yara Al Hamdan.
Alanoud. Alanoud Al Shuaibi.
Cette sorcière, j'savais qu'elle ne raterait aucune occasion de croiser mon chemin.
Je le savais. J'savais qu'elle n'allait pas s'arrêter là. Tout allait crescendo, avec elle: messages et appels incessants, elle essayait de me croiser "par hasard"...et j'en passe. Elle ne s'était pas faite à l'idée que ce qui s'était passé entre nous n'était qu'une histoire sans lendemain.
Je repassai dans ma tête tout ce qui s'était passé depuis le lycée, et j'étais tellement concentré que je ne remarquai même pas que Najia me regardait. Putain, trop d'affiches pour moi aujourd'hui.
-Najia: Nasser ça va ? Quelque chose te préoccupe ?
-Moi: Non non...juste je réfléchissais. Et si on a déjà quelqu'un c'est pas la peine de la garder, enlève la de la liste d'attente.
-Najia: Ok, comme tu veux, j'vais faire ça de suite. Ça nous arrange, de toute façon. En plus c'est la copine de Sheyla, donc bon...
Purée, je l'avais oublié elle. La pote de Taha, pote ambigüe j'dirais même. J'la connais pas personnellement mais si elle est amie avec Alanoud, c'est qu'elles ont forcément quelque chose en commun, le vice sûrement.
-?: Y'a quelqu'un ?
MAIS NON.
Mais non.
Comme par hasard, mais c'est quoi cette singerie ?!
J'avais reconnu la voix, et pour le coup j'en croyais pas mes oreilles. Wesh, pitié, pas elle...
-Moi: Putain, yelaan iblis (équivalent de n3el sheitan dans les pays du Golfe)...
-Najia: Qu'est ce qui s'passe ?
-Moi: Oui, entrez !
Moi, Nasser Turki Al Harbi, avoir de l'appréhension face à cette folle sur mon propre territoire ? Jamais d'la vie. Comme on dit chez nous, men yeaadina watayna fog rassah, celui qui cherche à nous être hostile, on le démarre. Vrai Saoudien n'a peur de rien.
La porte s'ouvrit doucement, laissant apparaître Alanoud. Vêtue d'une abaya et d'un voile beige crème et d'un kimono rouge grenat, le regard souligné d'un trait d'eyeliner, elle entra aussitôt et fut surprise en voyant que je n'étais pas seul.
-Alanoud: Oh...Salam aleykum, désolée du dérangement. J'viens pour un renseignement concernant ma postulation.
-Najia et moi: Aleykum salam.
Sur ma vie j'vous jure hein, j'aime pas ce genre de situation mais faut s'y faire même si c'est ABSOLUMENT gênant. J'vais faire l'aigri, ça passera.
Elle me lança un regard intense et se tourna vers Najia qui lui sourit en retour. Purée, Najia c'est une crack, elle sait pas qu'elle me facilite la tâche, j'veux vraiment pas avoir affaire une fois de plus à cette psychopathe. Wallah, croyez moi ou non mais cette femme est atteinte.
-Najia: Je vous écoute, comment puis-je vous aider ?
-Alanoud: Je voudrais savoir pourquoi je n'ai reçu aucune réponse concernant mon CV, mon nom est Alanoud Al Shuaibi.
Najia me lança un coup d'œil avant de commencer à expliquer la situation. Mais j'la connais, elle est trop gentille et elle ne voudra pas forcément être frontale...déjà là, elle tergiverse, elle passe du faucon au dromadaire la cousine et c'est pas bon, parce que plus elle passera du temps à expliquer à l'autre folle ce qu'elle ne veut pas entendre, plus ça va m'énerver.
-Najia: Alors pour vous expliquer, j'viens de vous envoyer un mail, vous êtes sur liste d'attente étant donné que quelqu'un a...
-Moi: On ne recrute plus dans ce domaine madame, veuillez nous excuser pour ce malentendu.
J'en pouvais plus de voir Najia galérer comme ça à vouloir être sympa et ne pas la blesser. Dans tous les cas l'issue aurait été la même, donc pourquoi se compliquer la vie, sah ?
Alanoud se tourna vers moi et me fixa de nouveau, choquée par ma réponse. La pauvre, elle pense vraiment que j'vais l'assumer ici ? Elle croit vraiment que j'vais crier sur tous les toits que c'est mon ex ? Jamais, la preuve, j'ai agi avec elle comme j'aurais agi avec n'importe quelle femme inconnue. Froidement et laconiquement.
Elle voulait réagir, ça s'voyait. Mais qu'elle ose juste prononcer mon nom et je retourne tout le bâtiment.
C'est une honte, c'est LA honte. Presque personne n'est au courant de cette histoire, même pas Nyhad et Najia. Certes, je me confie beaucoup à elles mais il y a des choses qu'elles doivent pas savoir, du moins pas maintenant.
Alanoud continuait à me fixer au point où Najia commençait à comprendre qu'il s'était passé quelque chose qu'elle ignorait. Putain...tout ce que j'voulais pas.
Je lançai discrètement à Alanoud un regard de travers pour la dissuader de parler, et heureusement pour elle, elle comprit qu'elle devait se plier à mes exigences. J'vous assure qu'elle aurait été capable de dire devant Najia ou n'importe qui d'autre qu'on avait été ensemble à un moment, et donc, qu'est ce que ça aurait été si on l'avait prise en tant que modéliste...Elle aurait provoqué une guerre civile.
Vraiment une malade, j'vais pas rentrer dans les détails.
-Alanoud: D'accord, j'avais pas vu le mail, et bon...joindre par téléphone c'est pas trop mon truc. Mais merci en tous cas, bonne journée.
-Najia: Bonne journée à vous aussi !
Alanoud sourit à Najia puis se dirigea vers la porte, mais avant de sortir, elle me lança un regard, SON regard...
Ce regard que je connaissais si bien, et qui voulait dire tant de choses...
Miskina, elle m'aime encore, ça s'voit.
Mais qui lui dit qu'il faut qu'elle sorte du déni dans lequel elle est ?
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FLASHBACK
Point de vue omniscient.
Jeddah, Arabie Saoudite
Avril 2021.
-Alanoud: J'ai dit à ma mère que j'sortais avec des copines, ça va, elle ne se doute de rien. Et toi ?
-Nasser: L'excuse des révisions, tu connais...ça marche à tous les coups.
Elle réajusta son kimono avant de s'asseoir sur le banc à côté de Nasser.
Bizarrement, l'endroit semblait vide pour une fin d'après-midi. À part quelques passants, seuls Nasser et Alanoud se trouvaient dans le parc. Comme par hasard, comme si la nature était complice de leur idylle.
-Alanoud: Nasser ?
-Nasser: Oui ?
-Alanoud: J'vais te poser une question, tu réponds sincèrement ?
-Nasser: Oui, je t'écoute.
Elle rejeta ses cheveux en arrière tandis que Nasser la regardait en passant une main dans les siens.
-Alanoud: Tu serais capable de demander ma main à mon père ?
Nasser eut un rictus et se redressa en lançant à Alanoud un regard plein de fierté.
-Nasser: Si moi j'suis incapable de le faire, qui serait capable ? Personne.
Il se tourna vers Alanoud et rabattit une de ses mèches rebelles derrière son oreille.
-Nasser: Bien sûr que je le ferai, inshaAllah.
Alanoud sourit en lui adressant à son tour un regard espiègle. Elle lui ébouriffa les cheveux avant de répondre:
-Alanoud: Après nos études ?
Nasser acquiesça.
-Nasser: Après nos études.
Il prit sa main dans la sienne tandis qu'elle se rapprochait de lui sur le banc.
-Alanoud: On s'attendra ?
-Nasser: Je t'attendrai le temps qu'il faudra, Alanoud.
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J'ai repensé à ce moment. Purée, c'est tellement gênant, mais bon j'étais jeune et con (dit-il alors que ça fait à peine deux ans). Naaaan vraiment, on savait pas ce qu'on faisait, JE ne savais pas ce que je faisais. Mais elle avait visiblement pris au sérieux cette histoire de mariage...même si elle n'avait rien fait non plus de son côté.
Au contraire, elle avait tout gâché en allant divulguer notre "relation". Vous me connaissez, j'suis quelqu'un d'assez renfermé et je n'aime pas que des choses qui ne concernent que moi se sachent. Dans un premier temps, j'avais essayé de faire avec, mais je pensais à y mettre fin.
Je forçais mes sentiments. Je savais pertinemment que ça ne durerait pas mais juste le fait de savoir que j'avais quelqu'un pour moi seul me donnait des ailes. Jusqu'au jour où j'ai appris par la suite qu'elle me trompait...là c'était mort.
-Najia: Purée, elle voulait forcer la femme, heureusement que t'es intervenu...
-Moi: Ouais, parfois faut pas chercher à comprendre, faut être direct.
Le soleil commençait à se coucher, et l'Adhan (appel à la prière) de la prière du Maghrib ne tarderait pas à retentir. Je suis sorti pratiquement en même temps que Najia, on s'est salués puis chacun est parti de son côté.
J'vais devoir passer chez moi en coup de vent avant d'aller à la mosquée, et bien entendu ce soir après la prière du Isha, je rejoindrai Taha à la salle comme à notre habitude.
Ah, faudra que j'lui raconte ma péripétie d'aujourd'hui, justement.
Quelques minutes plus tard, me voilà arrivé devant chez moi. "Chez moi" ne signifie pas chez mes parents, mais bien ma propre maison. Je gagne suffisamment à côté pour avoir mon indépendance, alhamdulillah.
Je sortis de ma voiture et pris mes clés pour ouvrir la porte lorsqu'une silhouette féminine surgit de nulle part et vint se planter en face de moi.
?: Nasser, faut qu'on parle...Sérieusement.
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