CAPÍTULO DOS

LE JOUR J était enfin arrivé, à huit heures du matin je me retrouvais assise dans le bureau de la directrice de la prison qui me paraissait très ouverte à toute question et prête à aider si besoin.

Je m'étais imaginée une working girl aigris qui m'explique cinq cent trucs à la fois et me laisse me perdre dans ce pénitencier mais tout compte fait elle a pris son temps de me présenter chaque bâtiment et m'a même donné un plan de la prison.

Je n'avais pas hésité à lui faire part de mes appréhensions au sujet des détenus, du style si j'ose répondre à l'un d'entre eux ils allaient me faire du mal mais en réalité il y avait tellement peu d'ateliers que faire partir l'une de leur rare source de distraction serait tout sauf marrant pour eux.

Les seuls animations proposées étaient le sport et la musique. Rien que ça. Et encore, je n'imaginais pas l'état des installations sportives ou le choix très limité d'instruments de musiques à la disposition des prisonniers. Je comptais bien mettre ma touche de couleur dans mon atelier, j'essaierais de faire un sorte qu'il soit non pas le meilleur mais le plus instructif aux incarcérés.

Bon sinon, je me trimbalais deux sacs sur les épaules, un panneau à la main ainsi qu'un trépied qui était maladroitement accroché à mon dos, j'étais arrivée au sein même de la prison et j'avais rencontré une trentaine de gardiens sur mon passage mais personne n'avait l'air décidé à me donner un coup de pouce.

Faut vraiment que je m'inscrive à la salle parce que là ma force était inférieure à la température en antarctique.

Une fois devant la pièce qui m'était destinée, j'installais mon panneau qui était juste un tableau à craie sur lequel était inscrit "L'art est la seule chose qui vous rendra libre". J'avoue que pour ce coup là, je mérite déjà un coup de poing de la part de chaque prisonnier.

Il n'y avait encore personne donc j'avais déballé en toute tranquillité mon matériel, j'avais ramené des gouaches, pinceaux et pastels à l'huiles dont je ne me servais plus (je peins désormais qu'avec de l'aquarelle).

La prison avait accepté de me fournir une vingtaine de trépieds, j'avais dû ramener mes propres tableaux malheureusement ça coûtait beaucoup trop cher donc à la place il n'y avait qu'une dizaine de trépieds et j'avais emporté des feuilles au format A1 que j'avais disposé sur le sol. A l'origine elles appartenaient au bureau d'architecture de ma tante mais elle avait accepté de m'en passer un paquet. En espérant que ça me dure les deux semaines.

— Madame Perez, on lâche les prisonniers dans dix minutes. Ils seront douze dans votre groupe, m'informa une femme en uniforme avant de repartir à ses occupations.

OK, c'est super gênant car ça veut dire qu'ils ne seront que deux par terre pendant que les dix autres seront aux tableaux. Ça mérite volontiers un second coup de poing.

J'hochai simplement la tête (même si elle était déjà partie) et je me coiffais à l'aide d'un bandeau en soie que je mis dans mes cheveux pour ne pas que mes mèches me gênent puisque j'avais les cheveux trop courts pour me les attacher. Je n'avais pas eu le temps de me maquiller ce matin donc je devais sûrement ressembler à un œuf.

Je me plaçai devant mon tableau qui se situait en face de ceux des détenus avant de longuement inspirer. Tout va bien se passer Linda. Une sonnerie retentit, signalant les heures de temps libre des prisonniers, un frisson de stress rendit mes mains moites mais il fallait absolument que je reste ouverte et calme en face de mes "élèves".

Un gardien se tenait devant la porte et les fit rentrer un à un en les inspectant minutieusement pour vérifier qu'aucun d'entre eux n'avait un objet dans les mains, mis à part leurs poings serrés ils n'avaient pas grand choses entre les doigts (oui j'attendais toujours mes deux coups de poings).

— Bonjour, saluai-je en souriant, je m'appelle Linda Perez et je suis votre nouveau professeur d'art plastique !

Tout ce que j'eus en retour fut des gémissements qui se voulaient gentils comme quand ton frère vient de se réveiller le matin et qu'il a la flemme d'articuler un "bonjour" adéquate.

Je remarquais leur air perdu devant le manque de trépieds et les deux grandes feuilles jonchant vulgairement le sol, j'avais trop honte.

— Je n'avais pas assez de tableaux chez moi donc il faudrait que deux personnes acceptent de s'asseoir par terre... s'il vous plaît ?

Un Asiatique aux cheveux décolorés et un Métis avec de multiples tatouages sur le visage acceptèrent de poser leurs fesses sur le parquet stratifié, ils ne dirent pas un seul mot et me regardèrent en attendant que je leur dise quoi faire. Limite que je leur commande de respirer.

— L'art en prison, commençais-je, peut sonner comme deux antonymes qu'on a décidé d'assembler par pure provocation. Après tout, l'art évoque la créativité, la liberté, l'indépendance... tout ce qu'on vous a retiré dès lors que vous avez mis les pieds ici. La prison renvoie aux barreaux, à la solitude, aux interdits...

Mon énumération n'était même pas encore finie que j'avais cru entrevoir des mâchoires se contracter ou des sourcils se froncer, je me dépêchai d'en venir à la partie positive sous peur qu'on me jette un de mes tableaux à la figure.

— Le lien entre ces deux entités seraient que l'une ne peut pas exister sans l'autre. C'est en se sentant brimer ou humilier que l'Homme a su faire ses plus belles créations, que l'humanité a connu ses meilleurs artistes. Votre art doit puiser dans votre souffrance, dans ce que vous percevez, il ne doit pas décrire mais laisser parler votre propre réalité. Si vous êtes physiquement ici, essayez de ne pas l'être mentalement. Dans cet atelier, vous êtes libres.

Mon laïus terminé, des ricanements se firent entendre. Bon je ne m'attendais pas à un tonnerre d'applaudissement ni à une médaille mais quand même... soyez un peu sensible.

Je ravalais mon embarras et attrapais mes matériaux pour le leur présenter. J'avais commencé par les tubes de peinture et les pastels à huile.

— Donc voici les outils qui sont à votre disposition, vous pouvez peindre ou colorier, avec des pinceaux ou vos doigts ça m'est égal. Qui serait plus à l'aise avec de la peinture ?

Cinq personnes dont le Métis au sol avaient levé la main, il va vraiment falloir que j'apprenne leurs prénoms. Certains m'avaient fait des clin d'œil et d'autres n'avaient même pas daigné lever le regard vers moi. Il va aussi falloir que j'installe une atmosphère de confiance entre nous.

J'avais ensuite distribué les pastels au reste, là encore soit des regards insistants soit zéro contacts visuels.

— Vous avez des questions ?

À ma plus grande surprise, six mains étaient levées.

— Oh, super ! Je devenais enthousiaste. Présentez-vous avant de poser votre question s'il vous plaît. Je désignais d'abord celui qui était pile devant moi.
— Moi c'est Milk et j'ai trente ans.
— Enchantée Milk, pose ta question !
— T'es un gars ou une meuf ?

Mon sourire se raidit et deux autres mains se baissèrent, mon style portait autant à confusion ? En plus, je n'avais pas une voix particulièrement androgyne.

— Euh une fille, ça ne se voit pas ?

Le blond secoua négativement son visage avant de continuer à inspecter les pinceaux que je leur avais prêté. Il restait trois autres mains levées, j'interrogeais le garçon au crâne rasé qui avait des tatouages aux tempes.

— Mon nom c'est Blitz j'ai vingt-huit ans. T'es au courant que depuis tout à l'heure t'as une tâche aux fesses ?

Paniquée, je me cambrais pour arriver à voir la tâche et effectivement, j'avais pas senti que j'avais mes règles. J'avais subitement envie que le sol me mange.

— Si tu veux que je te l'essuie y'a pas de problème señorita, continua Blitz.

Pourquoi est-ce que Dieu n'entend jamais mes prières ?

MYŪZU → 10/07/2018

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