Première nuit : Pandore
La Naissance
Lorsqu'elle ouvrit les yeux pour la première fois, son père la nomma. Elle était la première femme. Venue au monde, elle possédait déjà en elle la curiosité, celle-là même qui la perdrait plus tard. Elle s'émerveillait de tout, posait des questions sur tout. Lorsqu'elle interrogea son père sur sa création, Il lui décrivit comment son fils avait moulé son corps dans l'argile et l'eau, comment sa fille avait taillé les traits les plus fins sur son visage, comment la seconde avait insufflée la vie à son corps inanimé.
Elle était la perfection physique. Une peau claire que de légères rougeurs aux pommettes habillaient lorsqu'elle était gênée, de grands yeux aux cils noirs, un corps gracile, élancé, que les cheveux même suffisaient à vêtir : les boucles serrées d'un brun semblable à la terre où elle avait vu le jour cascadaient sur ces courbes féminines.
Son corps n'était pas sa seule arme. Les dieux, elle ne le savait pas encore, avait joué avec son âme. Si elle avait les attraits utiles à sa mission, on l'a fit, pour la parfaire, séductrice. Elle manipulait les mots avec art, maîtresse de la parade et des mensonges. Et parce qu'il lui fallait au plus de sa curiosité un autre défaut, sa mère se chargea de la façonner envieuse des autres. Son rôle, les dieux l'avaient bien défini. Elle servirait un plan divin, elle servirait à punir.
Le Vase
Zeus offrit Pandore à Épiméthée. Son frère l'avait pourtant mis en garde contre les cadeaux des dieux, mais elle était la première femme : si belle qu'il ne put la rejeter, si habile qu'elle le séduisit en un instant ; il la voulait pour femme. On les maria.
Et déjà la menace planait sur le couple. Dans son trousseau de mariage, rangée entre les parures d'or et les riches vêtements, avait été placé un vase. Le mystérieux objet intriguait Pandore : le récipient scellé, lui avait expliqué son père, ne devait jamais être ouvert. Mais si elle voulut résister à la tentation, elle ne pouvait s'ignorer elle-même ; on l'avait conçu curieuse, d'une indomptable curiosité. Elle ouvrit la Jarre. Ainsi se déversèrent les maux sur le monde.
La fin
L'urne ouverte, son contenu se déversa comme un fléau. La Misère, tout d'abord, détruisit les hommes : ils ne connaissaient pas cette pauvreté, ce besoin, qui nourrissaient à présent en eux d'autres maux qu'ils découvraient à mesure qu'ils souffraient. La Famine, en particulier, les transforma : ils étaient atteints dans ce qu'il y a de plus fondamental, réduits à ce qu'ils leur fallait faire pour calmer leur manque. En même temps que la faim, la Maladie pris place : elle rongea les corps fatigués, trop faibles pour résister au supplice d'une souffrance supplémentaire. Et lorsque l'équilibre rongé créa des formes inégales, lorsqu'un trouva être plus malheureux que l'autre, l'Orgueil rendit les hommes aptes à penser que leur propre vie avait plus d'importance que celle d'un autre : la Tromperie les fit se trahir, mentir pour posséder plus, quoi qu'en fut les conséquences. La Guerre ainsi éclata, une sale lutte de survie, on s'entredéchirait pour obtenir ce qui manquait ou ce que l'on croyait devoir posséder, car le Vice rendit les hommes trop dépendants de preuves matériels, à l'inverse du vertueux : jaloux, gourmand, avare, désireux des biens et des corps. Dans sa Passion de l'ostentation, l'homme était à deux visages : ceux qui possédaient, ceux qui voulaient posséder. La Folie en gagna de nombreux : et toute cette souffrance, toutes ces faiblesses rongeaient petit à petit les corps, creusaient des sillons dans la peau, marquait le temps en épreuve sur les visages, autour des yeux qui pleuraient, de la bouche qui criait, mendiait ou insultait. La fatigue courba le dos sous son poids de malheurs, bientôt le corps cédait. La vieillesse était venue au monde.
Le dernier espoir
Pandore en descellant l'amphore avait condamné les hommes à la justice divine. Aussitôt avait-elle soulevé le couvercle, qu'elle avait pris conscience de son erreur : dans un ultime sursaut elle referma le vase, plaquant ses deux mains sur l'urne, comme pour se convaincre que rien ne s'était produit. Elle le scella de nouveau, l'enferma ensuite dans un grand coffre, coupable, assaillit par le remord. La clé tourna dans le verrou, Pandore pleura cette âme qu'on lui avait offerte : sa curiosité l'avait perdue, ses qualités l'avaient menée au fatidique évènement. Les dieux avaient gagné.
Cependant, dans ce coffre, restait une chose qui n'avait pu en sortir, une chose que la précipitation avait enfermée : si les hommes souffrent des maux, un implacable malice veut qu'ils vivent pour vivre, et non pas pour la mort. Car dans la boîte, ultime espoir, les hommes sont épargnés par l'Appréhension.
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