Part 24 : Les nuances de l'enfer
Cosma me raccompagne à ma chambre.
Une fois à l'intérieur, je saccage tout, en hurlant comme une dératée. Je retourne le lit et brise la chaise contre le meuble. Puis avec le bout de bois qu'il me reste, j'envoie valser Jésus contre un mur. Je veux tout détruire.
À bout de souffle et de nerfs, je m'assois dans un coin, plonge mon visage entre mes jambes tout en maintenant ma nuque. Mon corps tremble comme une misérable feuille.
Cosma reste à m'observer en silence, les bras croisés. Après quelques secondes, elle prend la parole :
— Je ne comprends pas pourquoi tu as fait ça, me dit-elle, d'une voix trainante. Aden n'est pas un mec pour toi, c'est évident. À quoi tu t'attendais ? À de l'amour ? Il n'aime plus personne depuis longtemps. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.
Qu'ils aillent au diable.
— Ferme la porte quand tu sors.
— Ne le pousse plus à bout. Tu ne sais pas qui tu provoques.
Je ne réponds pas.
— Natalia va t'apporter un truc. Je te conseille de respecter la posologie.
Qu'est-ce qu'elle ne comprend pas ? Je veux qu'elle se casse de cette pièce !
— Ferme cette putain de porte quand tu sors ! m'égosillé-je, soudain.
Je fais partie des dernières sceptiques de ce monde, mais s'il y a une chose sur laquelle j'ai le moins de doute est l'existence de l'enfer.
Contrairement au paradis, il a un sens. ne sommes-nous pas naïfs de désirer vivre dans l'aisance et nager dans le bonheur pour l'éternité, sans envisager qu'au bout de longues années, les infinis de plaines de pâquerettes et de pissenlits nous sembleraient plus fades et aussi attractives que le même dessert servi chaque midi ?
Le repos éternel est ce qui justifie le repos de l'âme et la mort comme échappatoire d'une vie fatigante ou l'ultime apaisement de la douleur.
Je n'ai jamais compris l'obstination de voir du bien là où il y a du mal, une dualité l'obligatoire et pour tout.
Oui, l'enfer existe et il se trouve sur terre, dans toutes les nuances détachées et troubles de ses yeux. Aden incarne son souverain personnifié. Sa haine acharnée est mon plus grand châtiment.
"Ne le regrette jamais"
Il m'avait prévenue...
Ce jour sonne le glas de mon âme d'enfant. Il m'a volé cela. Il m'a tout pris.
*
* *
Ava, 6 ans
— Ava, si tu dors dans ma chambre, nous aurons des problèmes.
Créature coincée sous mon aisselle, j'agrippe le matelas et me hisse à côté de lui. Je me faufile entre son torse et son bras droit comme à mon habitude. Je bouge un peu, puis beaucoup trop au goût d'Aden qui grogne, désappointé. Je l'ignore et une fois bien installée, ma tête bloquée au creux de son épaule, je cale mon pouce entre mes dents.
— Tu vois, z'ai réussi à coudre la queue de Créature. Il est zoli, non ? Ze réfléchis touzours si ze lui greffe un nouveau bras, ze le trouve bien comme ça, pas toi ?
Il prend par le cou ma peluche et l'examine. Je détends ma nuque pour apprécier son expression... dégoûtée.
— Quoi que tu fasses, il sera toujours moche et paraîtra anormal.
Ses prunelles annoncent des flammes dangereuses. Je lui arrache Créature des mains avant qu'il ne s'acharne à nouveau sur elle. Je n'aimerais pas à avoir à lui recoudre encore quelque chose.
— Et, retire-moi ce doigt de ta bouche, on dirait un bébé, me sermonne-t-il.
Je dégage mon pouce du palais.
— Tu es méchant depuis quelques jours, je trouve.
— Je ne suis pas méchant, j'essaie de t'éduquer.
— Tu n'es pas mon père ! me défends-je avec véhémence.
— Encore heureux.
— Tu es mon frère, mon meilleur ami.
Il fronce les sourcils. Je replace mon pouce dans ma bouche, mais le retire aussitôt. Je ne veux plus être un bébé.
— Pourquoi tu ne m'écoutes jamais... soupire-t-il.
— Si, je t'écoute. J'ai décidé de ne plus sucer mon pouce, réponds-je avec fierté. Tu vois ?
Je place mon poing sur son torse, le pouce humide levé en l'air juste sous son menton pour qu'il le visualise bien.
— Je sais que ça me demandera beaucoup d'efforts, mais tu verras, je suis assez forte pour résister.
Il expire longuement.
— Je sais.
Il laisse planer quelques secondes avant de reprendre :
— S'il s'aperçoit que tu passes la nuit ici...
— Mon père ne s'en rend pas compte. Il n'est jamais là de toute façon et j'aime tellement dormir contre toi. Tu es chaud.
— Je ne suis pas ta bouillotte.
Il lève le bras et me pousse avec sa hanche, mais je m'accroche comme un singe à son torse.
Quand il donne toutes les bonnes raisons et s'acharne pour m'éloigner de lui, je sais ce que je dois faire. Je profite pour coincer ma main gauche sous son omoplate, puis j'entoure son visage de mon bras droit et récupère une épaisse mèche de ses cheveux que je fais tourner dans mon index. Ma jambe emprisonne sa cuisse avec force. S'il veut me dégager, je lui souhaite bon courage.
Je fais semblant de m'assoupir et essaie de respirer lentement. Je compte chaque battement naturellement précipité de son cœur. Au bout de quelques secondes, il resserre un peu son étreinte et je souris d'avoir gagné cette bataille. Je fais toujours semblant, car ce sont les rares moments où Aden montre l'affection qu'il me porte. Il attend toujours plusieurs minutes, puis frotte sa chevelure contre mon front jusqu'à ce que je m'endorme vraiment.
Ce soir-là, je n'ai pas compris ce qu'il a voulu dire. Il me portait dans ses bras, son cœur tambourinait dans sa poitrine tellement fort que j'ai entrouvert les yeux. Il m'installa sous les draps de mon lit.
Il pria doucement avant de rejoindre sa chambre. Il voulait être avec une autre.
— Il y a des jours où je l'aime moins que d'autres, mais il y en a certains où j'ai tellement besoin d'être avec elle que c'est douloureux. C'est douloureux, car je sais qu'elle n'est pas faite pour moi, mais elle me manque si fort, tous les jours et chaque seconde qu'elle ne passe pas avec moi. Je ne peux pas m'en empêcher. Ça fait trop mal.
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