Part 0.8 - Amants maudits

Pour ceux qui ont lu la partie Part 0.6 avant la publication de celle-ci, je l'ai juste divisé le chapitre en deux car il était trop long. :)


Me voilà, en train de remonter le chemin qui mène à la porte principale de la cité. Galexia m'escorte, se cachant toutefois dans mon dos. Elle risque sa vie, mais n'en démord pas. Elle m'accompagne pour s'assurer que je tienne ma part du marché.

J'aperçois le professeur, mon père, assis dans un coin, à l'écart, comme volontairement mis à part. Son dos est légèrement voûté, le regard perdu. Il ressemble à un homme de pouvoir déchu.

Je passe devant lui sans même lui accorder un regard. Pourtant, je sens ses pensées s'agiter violemment lorsque je frôle sa sphère d'influence. Crainte, interrogation, mais aussi exécration et répulsion.

Je laisse échapper un rire glaçant, avant de me focaliser sur la raison de ma venue ici.

Les Sentynels de Généapolis font face à un groupe d'hommes que je ne connais pas, mais je ressens immédiatement une forte activité en eux. Une énergie ancienne.

Ce sont des hybrides. Ceux de Secondys, cela ne fait aucun doute.

Des fanatiques. Des extrémistes dont la seule foi est vouée à la Terre, leur nourricière. Je n'ai pas besoin d'entendre leur credo pour savoir ce qu'ils pensent : les hommes sont un poison, voilà pourquoi la planète les rejette. À leurs yeux, l'Homme ne mérite pas de renaître et ils n'hésiteront pas à les rayer définitivement de la surface du globe.

Quel paradoxe, quand on pense qu'il y a eu une alliance scientifique entre nos deux cités, avec mon père aux commandes, et qu'ensemble, ils ont œuvré à la création d'hybrides supposés sauver l'humanité...

Un mouvement attire mon regard.

Un homme vêtu d'une tunique grise vient à ma rencontre. Son visage est marqué de veines bleues fluorescentes qui serpentent sa peau pâle. Ce qui me frappe est son manque total d'odeur. Ma première pensée est qu'il serait une proie difficile à traquer.

Il s'arrête devant moi, un sourire poli accroché aux lèvres. Bien trop diplomate et faux à mon goût.

— Aden, je présume. Je t'attendais, avance-t-il d'un ton posé. Je m'appelle Primus et je suis honoré de faire ta connaissance.

Cérémonieux, il s'incline légèrement pour me saluer, je reste droit à le jauger.

J'ai entendu parler de lui. Il a renversé le gouvernement de Secondys il y a des années et a pris la tête du commandement des hybrides. C'est le cerveau.

Il analyse si vite les situations que j'ai dû mal à le suivre. Mais une chose est sûre : il ment. Ça commence mal. Il ne m'attendait absolument pas. Un désaccord a éclaté parmi les miens. Personne ne s'accorde sur la question de savoir si cette troupe étrangère doit franchir nos murs ou non. Terrare et Höd font barrage, tandis que Capela et Ablysse sont clairement dans le camp de Primus, quant à Thènes, il s'en fout. Comme d'habitude, il jouit de la situation, un sourire mi-vicieux, mi-moqueur sur les lèvres. Il n'a qu'une hâte, celle de voir la situation dégénérer. Ce diable n'a pas vu la lumière du jour durant des années, je n'arrive même pas à croire qu'il reste encore là.

Primus désigne les siens.

— Je te présente mes compagnons : Cosma, Damiano, Deneb, Palma et Sugaar...

Je n'y vais pas par quatre chemins. Je suis fatigué et j'ai envie d'en finir au plus vite.

— Cassez-vous.

Capela s'insurge.

— Écoute ce qu'il a à dire au moins !

Je me tourne vers elle tel un fauve. Elle reste fière et vindicative.

— Tu nous as tous déçus, lâche-t-elle ouvertement. À toujours penser à cette fille avant nous... Tu n'es qu'un traître.

Ces hommes qui me regardent et qui m'aimaient à leur manière, je n'ai pas fait que de les décevoir. Capela, en première ligne. Qui avec autant de justice, pensait enfin s'accoupler à moi et ainsi conjuguer nos forces s'est rendu compte que je n'ai fait que l'utiliser à mes desseins personnels. Terrare, à qui j'ai forcé de rester dans ces murs au lieu de le laisser rejoindre la nature, à qui j'ai juré de l'aider à guérir de cet appétit maladif, mais j'ai échoué. Höd, mon ami, mon frère dont j'ai failli ôter la vie alors qu'il essayait de me maîtriser. Ablysse, dont la jalousie et la haine envers moi se sont décuplées. Je l'ai rendu aveugle, infirme, blessé par ma crise, lui qui adorait admirer la beauté de Capela, son amour secret. Quant à Thènes, il reste aussi froid que la pierre. Attendant de voir quelque chose qui pourrait faire vibrer son cœur de glace et le distraire. Tout ce qui se passe ici, n'est pour lui qu'une mascarade qui le sauve à peine de son ennui.

C'est vrai, je les ai déçus, mais je n'ai jamais demandé à être celui qui devait les gérer, freiner leur instinct. Cela s'est fait naturellement, alors qu'ils s'en plaignaient sans cesse. J'aurais dû leur dire que l'on ne peut pas échapper à une tare. On vit avec. Qu'ils étaient libres de l'accepter ou non. De partir d'ici ou de rester finalement. J'ai trop longtemps apaisé la faim, la fatigue, les nerfs, le trop plein d'amour.

— Vous vous êtes accrochés à moi comme des sangsues ! leur lancé-je. J'ai été votre putain de psychiatre.

— Tu les as trahis. C'est vrai. En prenant le parti des Hommes au lieu des gens de ton espèce.

Mes yeux font un rapide aller-retour entre Capela et ce Primus qui vient de prendre la parole comme si je le lui avais autorisé.

Je prends toutefois la peine de lui répondre :

— Si tu es assez intelligent, tu devrais savoir que j'en ai rien à foutre de ce que tu penses. Vous n'avez rien à faire ici. Rentrez chez vous. Oubliez cette cité. Laissez les gens mourir en paix.

Et, laissez-moi me shooter jusqu'à m'éclater les veines. Je tourne les talons. J'ai assez parlé.

— Hum, j'aimerais bien. Mais, il y a un petit problème. Cette fille, Ava, j'en ai besoin. Nous devons l'évaluer.

Il prononce exactement le prénom qu'il ne faut pas. Et, dans sa bouche, ça me rend dingue.

Je ferme les yeux, sonde autour de moi les six soldats hors du commun qu'il a désigné plus tôt. Une guerrière, au sang froid, yeux bleus et à la peau noire comme l'ébène, Cosma. Son exact opposé juste à ses côtés, aussi blanc que transparent : Damiano. Un jeune garçon chétif, mais courageux : Sugaar. Une petite fille timide et troublante : Palma. Un homme dont les pensées charnelles me fatiguent instantanément, Deneb, puis ce Primus. Tous ont de très grands pouvoirs et ont accompli des actes odieux. C'est comme gravé dans leurs codes émotionnels.

— Je ne vois que des hommes ayant du sang sur les mains.

— Tout autant que toi, parait-il.

Mon regard s'ouvre et dévie sur mon géniteur qui, hébété, ne bouge plus. J'ai envie de le secouer. De lui dire qu'il a engendré tout ça. Mais, je crois qu'enfin il le réalise

— Alors tu peux comprendre que je n'hésiterai pas à vous tuer, l'un après l'autre.

Capela se tourne vers moi, le visage grave, puis avance dans ma direction. À ma hauteur, elle ne s'arrête pas. Je lui saisis le bras.

— Ne fais pas ça.

Ses intentions sont claires. Elle va chercher Ava. Elle se dégage avec humeur.

— Je te préviens, la menacé-je, clairement.

Elle se rebiffe :

— Ils vont l'évaluer. Si elle est la mauvaise branche, ils la tueront et nous en serons débarrassés.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? l'interrogé-je, d'une voix agacée.

— Sugaar, veux-tu éclairer notre ami, demande Primus au blondinet dont la tête ne me revient pas.

Le jeune homme m'analyse longuement. Il passe de la curiosité à l'étonnement. Ses traits juvéniles vacillent un faible instant. Enfin, il prend la parole :

— Je dois jauger son caractère et savoir si sa descendance est capable de régner sur terre. Si elle en prendra soin ou au contraire, échouera comme la dernière génération.

— Tu peux faire cela toi ? fais-je, cynique.

— Oui, mais je peux aussi prédire l'avenir. Je peux d'ores et déjà annoncer qu'elle sera inoffensive pour notre mère la Terre, lance-t-il, en me regardant droit dans les yeux.

Je lève un sourcil et me marre. Ava est un concentré d'émotions passionnelles et contradictoires. Je ne doute pas une seule seconde qu'elle soit la mauvaise graine, dont les enfants mettront le monde à feu et à sang.

— Rien n'est figé bien sûr, continue Sugaar. Un simple grain de sable, une intervention inattendue peut bousculer l'ordre des choses et modifier ma perception actuelle. C'est pour cette raison que je dois la sonder aussi.

— Tu ne feras rien du tout.

— Tu es amoureux d'elle, n'est-ce pas ? lance le blondinet, d'un air critique.

Ma bouche grimace.

— Non.

Je ne leur dois rien, encore moins de la sincérité.

— Pour une fois, sois honnête, Aden ! hurle Capela avant de retrouver un calme qui déconcerte ceux qui ne la connaissent pas.

Le cerveau de Capela, contrairement à ceux des autres, est malléable de manière éphémère. Elle est capable d'aimer une minute, puis d'effacer ses émotions celle d'après. Récemment, j'ai joué avec elle, et ça, elle ne l'encaisse pas. Je l'ai entrainé dans le jardin de mon père, lui ai promis monts et merveilles.

J'ai fait un tas de trucs qu'en temps normal, je n'aurais pas fait. Comparée à d'autres filles, je pensais que je ne lui laisserais aucune cicatrice. Je me suis trompé. Capela a été blessée dans son amour propre et rumine, mais pire que ça, tous ses projets sont tombés à l'eau. Et même si elle n'est pas capable d'empathie ou même d'antipathie, elle sait très bien faire la différence entre ses amis et ses ennemis.

Il est clair que pour elle, je ne suis plus de son côté. Elle n'a pas tort. Moi-même, je ne sais pas où je me trouve vraiment. Depuis un moment déjà, je dérape et ne distingue plus le bien du mal.

Pendant que Sugaar m'observe, la petite fille brune, Palma, nous rejoint des étoiles plein les yeux et ajoute d'une voix pure et transcendante :

— Oh oui. Tu es amoureux. Profondément. À vouloir forcer le destin. C'est si beau.

Est-elle sourde ou lit-elle dans les pensées ?

— Je vous ai dit que non.

—Tu ne peux pas mentir en ma présence.

Je secoue la tête, ne comprenant pas ses capacités.

Elle s'explique tout bas :

— Tu crois avoir dit non. Mais, tu as formulé exactement le contraire. Je change les contraires, comme la vie en la mort ou les mensonges en vérité.

Les mensonges en vérité... Capela me dévisage. Je m'en tape de ce qu'elle pense. Malgré son air déçu, elle n'est pas aussi blanche qu'elle voudrait le faire croire.

— J'appellerai cette prophétie : « Les 7 », conclut Sugaar. Sept hybrides qui témoigneront de l'extinction de la Vie.

J'arque un sourcil en attendant qu'il en raconte plus.

— Voici ma première prédiction : à ses vingt et un ans et trois cent dix-neuf jours, cette fille, Ava, va te choisir et aller contre sa destinée. Mais comme on ne peut aller contre son destin, elle ne trouvera jamais la paix intérieure et même avec tout ce que tu lui apporteras, les rêves que tu matérialiseras, les bienfaits qu'un homme peut offrir à une femme, très vite elle se sentira aussi creuse qu'une conque. Elle ternira comme une rose plantée dans une terre infertile. Elle se donnera la mort en se noyant dans le lac devant votre maison.

Sidéré, je le dévisage. C'est quoi cette prédiction débile ? Je n'y crois pas une seconde. La Ava que je connais ne se donnerait jamais la mort. Ce n'est qu'un menteur. Pourtant, je ne trouve pas une once de ce défaut dans sa personnalité, ni de calomnies dans ses paroles. Je refuse simplement de le croire.

Il poursuit :

— Aujourd'hui, tu crois être suffisamment blessé pour partir sans te retourner, mais dans huit ans, tu reviendras la chercher, car tu seras incapable de faire autrement.

Alors qu'il continue son discours, je capte une émotion étonnante. De la culpabilité... Mais qu'est-ce que ce gamin aurait à se reprocher dans l'histoire ? Il doute de sa loyauté, de sa fidélité, et il garde cela pour lui, sans un mot pour Primus. Pourquoi ?

— Tu l'aimes et l'aimeras toujours, bien au péril de sa vie, termine-t-il.

— C'est un amour interdit, rit la petite fille aux anges.

La fille aux vêtements d'ange me dédit un sourire édenté.

Sugaar reprend la parole :

— C'est très intéressant. Cette fille nourrit chez toi une véritable obsession, car malgré toutes les informations que je viens de te livrer, ton entêtement à la vouloir à tes côtés est coriace. Son destin que je lis à travers toi, n'a pas changé. C'est bien la première fois que le futur n'évolue pas, lorsque je dévoile mes prédictions. La plupart du temps, on essaie d'agir en connaissance de cause, d'essayer de modifier le destin si celui-ci est mauvais. Mais pas toi. Peut-être que ça t'arrange finalement qu'elle meure à tes côtés. Cet avenir funeste reste intact. Elle va périr dans les conditions que je viens de te citer.

Je pense à lui éclater la face et en finir. Il m'examine longuement, puis se tourne vers Primus, son leader, pour affirmer posément :

— Pour le moment, je ne vois pas d'autre avenir possible. Considérez-la comme morte.

— La fille doit être encore évaluée, insiste Primus. Nous devons observer son comportement à sa découverte de cette prophétie. Rien ni personne ne doit faire obstacle.

Il radote. Ça ne terminera donc jamais ?

— Emmene-la nous que l'on scelle son destin.

C'est peut-être la came qui ne fait plus son effet, mais son ordre confiant me met la cervelle à l'envers. Ça a assez duré.

— Je t'emmènerai personne. Tu m'as soûlé et ma patience à ses limites.

— Aden ! s'insurge une fois de plus Capela.

Ses jérémiades ont dépassé le seuil de ma tolérance. Je la mets à genoux. Ses yeux se révulsent et sa tête nage dans mes envies suicidaires. Ablysse se précipite sur elle, pour l'aider.

Là, il est clair que je ne rigole plus. Je fais un pas vers Primus pour lui prouver qu'il n'est plus l'heure à la discussion.

Je crois qu'il hésite à nous exterminer immédiatement pour se débarrasser du problème.

Je souris, attendant avec bien trop d'impatience qu'il déclare la guerre. Il n'aurait pas pu tomber sur un meilleur jour.

La pointe de ses doigts dégage un champ magnétique. Je ressens son pouvoir irradiant, comme de petites piqûres. OK. C'est une centrale nucléaire le mec. Il est possible qu'à la moindre attaque, je prenne cher.

Il est instable au possible, voilà pourquoi je n'arrive pas totalement à maîtriser son système nerveux. Quand j'atteins une corde sensible, elle disparaît pour se recréer ailleurs dans l'imbroglio chaotique de son cerveau de schizophrène. Euphorie, paranoïa, arrogance, détachement et j'en passe,... tout se mélange sans logique.

Enfin, un vrai rival.

Si Primus peut me réduire en poussière, mon pouvoir est plus insidieux, mais tout aussi fatal. Je peux briser quelqu'un de l'intérieur ou pousser son corps à s'auto-détruire. Le seul hic, mon manque de précision.

Pour l'éliminer, je crois bien devoir mettre en péril la moitié de la cité.

Je dois aussi emmagasiner assez d'émotions, mais il y en a assez autour de nous.

Nous nous épions, nous évaluons l'un, l'autre.

Je vais te buter, pensé-je. Qu'importe comment je m'y prendrai. Aucun de nous ne se relèvera.

Car il est clair que si nous nous affrontons, nous sommes voués à des dommages irréversibles, une mort certaine. Un vrai psychodrame, une fin apocalyptique.

Le vent grésille entre nous. La chaleur vient de grimper, la tension avec elle alors que les troupes se resserrent autour de nous. Des interférences dans les Talkie-walkies des gardes sifflent derrière moi.

Son champ magnétique s'intensifie.
Il se prépare à attaquer.

J'envoie une onde de sérénité juste pour voir comment il encaisse et surtout lui calmer le nœud qui lui sert de cervelle. Il tressaille à peine, mais son regard change. Ses pupilles se dilatent, et d'un coup, la température grimpe encore. L'atmosphère s'alourdit, mon souffle se bloque quelques secondes et je dois serrer les dents. Il a riposté sans bouger. Intéressant ce calme apparent alors qu'il se questionne si je suis toujours dans sa tête. Il n'aime pas ça du tout.

Personne n'aime perdre le contrôle...

Son sentiment d'intrusion m'échappe comme un sourire.

Nous n'avons libéré qu'un infime pourcentage de notre puissance, à peine une goutte d'eau sur un insecte, juste pour observer sa réaction.

Qu'il continue, la prochaine riposte ne va pas le chatouiller. Je n'ai pas peur de mourir. Rien à foutre. Lui non plus, visiblement.

Tout va bien...

Sugaar intervient et se place entre nous :

— Ce n'est pas la peine de combattre. Une loi sera votée !

Je l'examine. Il a senti que ça tournait au vinaigre ou peut-être vu dans ses visions qu'il allait intervenir à ce moment là. Son don est déroutant.

— La loi zéro. Personne ne devra divulguer la prophétie sous peine de mort. Personne ici présent n'en fera jamais mention à quiconque. La fille vivra dans l'ignorance la plus totale, ainsi que les habitants de Généapolis. L'homme là-bas va s'en assurer.

Il désigne mon père, qui a perdu toute couleur.

Tout ça n'a rien de crédible. Et puis Ava est trop curieuse. Ça ne marchera jamais.

Primus plisse les paupières. Je pensais que c'était un homme de bon sens, jusqu'à ce qu'il ordonne :

— Très bien. Qu'il en soit ainsi. Sugaar, tu vivras ici et veilleras à ce que ce destin reste intact. Si tu vois le moindre changement se produire, nous traquerons cette fille et la tuerons comme tous ceux de son espèce. À présent, la fin de cette race est inscrite dans le marbre. Nous reviendrons dans huit ans et nous nous en assurerons.

Le blond ne proteste pas. Il n'est pas surpris par la décision de son chef. Mais alors que Sugaar me dépasse, je sens un truc qui me chiffonne. De l'excitation curieuse.

Primus, visiblement satisfait, me jette un dernier coup d'œil avant de pivoter en direction de la forêt. Ses compagnons le suivent gentiment.

On pourrait croire qu'il voue une confiance aveugle envers ses hommes.

Je remarque que l'un d'eux est resté sur place. Deneb. Il me dévisage avec intérêt.

Imperturbable, je le fixe en retour. Son visage n'est pas en adéquation avec ce qu'il aimerait qu'on voie...

Je sens sa nervosité le gagner, alors que je l'ai percé à jour. Je ne m'étais pas attardé sur son physique et je comprends pourquoi...

— Je reste ici, signale-t-il soudain à Primus.

Ce dernier fait un quart de tour, fronce les sourcils, puis acquiesce.

— D'accord, deux veilleurs ne seront pas de trop. Je ne vois donc aucun inconvénient.

— Encore heureux, souffle Deneb qui nous rejoint.

Lorsque ce dernier passe à côté de moi, je gronde d'énervement.

— Il parait que tu apaises les esprits. Est-ce la vérité ?

Je ne réponds pas. Ses hormones sont si puissantes que ça me dérange outrageusement.

Il ose taper dans mon épaule, comme si j'étais un gentil garçon. Il ajoute :

— Si c'est le cas, tant mieux. J'ai l'impression qu'on s'amuse bien ici. J'en ai assez de pleurer sur mon sort.

Mes doigts me démangent de lui tordre le cou ici même. C'est vrai, qu'est-ce qui m'en empêche ? Seulement, outre son vice très agaçant, une étrange tristesse accapare ses émotions. Non, c'est bien pire que ça. Chez lui, elle l'inonde et le fait souffrir. Ce mec a mal, physiquement aussi, bien que les gens de notre espèce ne sont pas censés ressentir de la douleur. Tout ça, il est arrivé à me le dissimuler jusqu'à présent, comme les dégâts sur sa peau que je vois très nettement maintenant que je l'ai démasqué. Ça me déstabilise et bloque mes intentions.

Il m'envoie un sourire provoquant, puis d'un pas nonchalant, il pénètre nos murs et je ne cherche même plus à l'arrêter.

Un vrai moulin, cette cité...

Capela le regarde faire, puis me jauge.

Ses yeux rageux embués de larmes dérivent sur Galexia.

— Je ne suis pas à ma place, ici, m'envoie-t-elle, avec hargne.

Je la dévisage pendant plusieurs secondes. Aucun de nous n'est à sa place dans ce bas monde.

— Si tu le dis. Je ne te retiens pas.

Ses dents se serrent. Capela, tu as fait ton choix, va jusqu'au bout des choses.

Ablysse qui la tient par les épaules tranche pour elle :

— Ce mec est taré. Partons. On n'a plus rien à faire en ce lieu.

Il jubile, mais ce qu'il ne sait pas, c'est que sa belle à fraîchement jeter son dévolu sur plus puissant que lui : ce Primus.

Je souris. Sa frustration n'est pas prête de s'éteindre. Ils partent tous les deux en direction de la forêt et s'imposent dans l'autre équipe. Je ne ressens aucun déchirement. Bien au contraire, voilà deux têtes que je n'aurai plus dans la mienne.

Thènes s'approche de moi.

— Je doute que tu aies gagné au change, se contente-t-il de dire avant de passer, lui aussi, le porche de la cité.

Un malin de plus dans la nature...

Je soupire.

Terrare m'examine de son regard franc. Je lis en lui un dévouement sans faille. Soldat fidèle, il se sacrifierait pour mon combat. Qu'importe celui que je choisis. Mes intestins se nouent, car je détesterais l'entrainer dans ma chute.

Ce Primus s'est constitué une véritable armée en plus d'être un adversaire sérieux et il ne s'arrêtera pas à la mort d'Ava, il répandra le chaos. Il a cette soif de pouvoir tentaculaire... et moi, je suis un obstacle à sa réalisation. Tout en les regardant disparaître, je prends conscience que quoi que je décide : protéger Ava ou la laisser entre leur main, ma vie est en sursis.

Et que peut-être la vérité, c'est que je serai prêt à mourir pour elle.

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