Part 0.6 : Intraveineuse

Aden, 17 ans

Généapolis – Cellule du Palais des Armures - 15 jours après le baiser



Mes doigts tremblent en tenant la seringue, le garrot en latex arrimé à mes dents, je n'arrive pas à atteindre cette foutue veine. Ma vue se trouble. L'aiguille se divise en deux sous mes yeux. Deux putains d'aiguilles, deux putain de bras. Je me pique au mauvais endroit jusqu'à ce que ma peau se transforme en champ de blé.

Je crache le latex de ma bouche. J'envoie valdinguer la seringue contre la porte de ma cellule.

— Galexia ! hurlé-je.

L'infirmière entre enfin, intimidée.

— Pique-moi ! Magne !

Elle réagit en fermant les yeux, puis sursaute quand je réitère mon ordre, glacial. Elle ne veut pas obéir. Elle sait que je me bousille les neurones. Mon cerveau chauffe, mâchoires serrées, je la persuade de faire exactement ce que j'attends d'elle : me soigner de cette blessure interne qui me bouffe jusqu'à la moelle.

Comme un poupée dont je tiens les ficelles, docile, elle ramasse la seringue par terre et approche la mine triste. Je m'en care de sa tristesse.

Elle s'assoit sur le matelas à mes côtés.

— Ça va te tuer, Aden.

Indifférent, je balance froidement :

— Peu importe. Fais ton travail.

Elle récupère le garrot et serre pour comprimer mes veines.

— Non, ce que tu m'obliges à faire, ce n'est pas mon travail, me reprend-t-elle sévère.

Etant au service de nuit à l'école militaire, elle en a vu des côtes fêlées, des os déboîtés, des peaux sectionnées. D'habitude, elle soigne et la boucle, pas aujourd'hui vraisemblablement...

Je hausse un sourcil.

— Qu'est-ce que tu me veux ? fais-je mine de m'intéresser.

— Rien, fait-elle avec crainte.

Menteuse. Elle a honte de ses sentiments. Ils sont ennuyeux, insipides et décevants. Ne voit-elle pas que tout m'indiffère, que j'ai définitivement enterré celui que j'étais. Je me suis déchargé de tout ça. Je suis vide de tout ça, alors ses putains d'émotions, elle peut se les garder. Elle est pathétique et ce côté innocent qu'elle arbore me rend barge.

J'attrape sa nuque et la force à m'embrasser. Au fond, c'est ce qu'elle veut, non ?

Je le fais pour lui filer un coup de main. Pour taire ses ondes émotionnelles qui me dégouttent. Je préfère ressentir son assouvissement plutôt que cette frustration, cette «tristesse» qui pourraient résonner lointainement dans ma poitrine. Je refuse qu'on me les balance à la gueule comme un miroir.

Profite Galexia, comme je n'ai pas pu le faire.

Des larmes s'écoulent sur ses joues blanches. Je sais ce qu'elle voit quand elle me regarde. Ses yeux bleus me pénètrent d'un million de sentiments : peur, euphorie, amour. C'est trop fort, ça m'écœure comme une liqueur de mauvais goût. Oh oui, elle est mutique d'habitude, à l'inverse de ses pensées qui se tortillent comme des vers coincés dans un trou.

Je la mords à plusieurs reprises, puis coince sa lèvre entre mes dents. Désespérément. Agonisant.

— Aden, arrête, gémit-elle, alors que je m'aperçois que je tiens ses cheveux avec une poigne si ferme que ça lui fait mal.

Je la libère, peste. Je ne suis qu'une putain d'épave.

— Pique moi ou je recommence.

Une onde de chagrin me parvient comme un rappel de ce que j'ai ressenti lorsque je lui ai cédé, que je lui ai rendu son baiser.

Je fronce les sourcils. Est-ce un regret qui m'assaille ? Putain, de mauvaise conscience. Je n'en veux pas. Je ne suis pas humain, mais leur création, j'escompte bien le devenir.

— Tu n'es pas ce genre de personne... geint-elle.

Ah bon ? Je peux être bien pire, c'est vrai. Après tout, les émotions, c'est mon domaine et la haine en fait partie. Bientôt, je n'aurai plus besoin de palliatif parce que j'aurai définitivement pris les rênes de mon esprit.

Galexia presse la seringue et le liquide s'infiltre dans mes veines, pendant que ses pensées abattues continuent d'entrer dans ma tête.

Le shoot arrive trop lentement.

— Toute la seringue.

Elle secoue la tête, des larmes roulant toujours sur son visage.

Je l'oblige à lâcher prise et m'empare du calmant et le vide dans mon corps d'un coup. Ma tête part en arrière, j'inspire l'air jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'espace dans mes poumons. Mon dos s'écroule sur le matelas. Je sens mon visage se détendre, mes iris gonflent de ces couleurs fades qui ondulent sous ma rétine. Je gronde tout bas dans cette douleur supplémentaire.

Je m'éteins un peu plus, laissant le produit annihiler le moindre atome d'émotion qui me parasitent jusqu'à ce que je devienne sourd et aveugle à tout ce qui m'entoure et que le vide dans ma poitrine devienne un véritable gouffre où personne n'aimerait y mettre les pieds.

Allongé, les membres engourdis, je n'ai plus besoin de me débattre contre mes sentiments.

Je ne voulais pas de compassion, pas d'estime, pas d'amitié, ni même de la passion. Je voulais qu'Ava m'aime simplement.

C'est tout ce que j'attendais de cette vie.

Son visage s'estompe, comme de derniers résidus de souvenir. Un sourire froid se dessine lentement sur mes lèvres. Une satisfaction, une page est tournée, et la seule chose que je pourrais à la rigueur lui souhaiter c'est de ne jamais recroiser mon chemin...

J'entends Capela qui hurle. Mon œil vitreux observe la scène. Elle pousse Galexia contre le mur. Je n'ai plus d'énergie pour la calmer. Je ne calmerai plus personne. C'est fini.

Je pense à Ava... Je pense toujours à elle.

Et, quand ce genre de mal vous ronge, il vous dévore jusqu'au dernier soupir.

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