CHAPITRE 18

« Parle-moi. »

▫️

Je veux bien avouer que l'été est de loin, ma saison préférée. Néanmoins, s'entraîner sous un soleil brûlant accompagné d'une température dépassant les 30° n'est probablement pas la chose que j'apprécie le plus. Cela doit faire bien une heure que l'entraînement a commencé et je n'arrive guère à apercevoir le bout du tunnel de celui-ci. Malgré la souffrance et la chaleur exténuante, on tient le coup sans pour autant rechigner, ce qui me surprend davantage venant de notre part. D'autant plus que Marine est généralement la première à se plaindre de futiles misérables choses, et à mon plus grand étonnement, elle est d'une efficacité impressionnante aujourd'hui. Le coach, Philippe, a d'ailleurs plutôt intérêt d'être reconnaissant envers nous pour notre exceptionnelle énergie.

Diane, s'écrit Tatiana me décernant une passe.

Je rentre à une vitesse étincelante dans la surface de réparation, jetant un vif coup d'œil à l'emplacement de la gardienne de but. D'un geste instantané, je me retrouve en position de tir, les hanches orientées vers la destination du ballon. Focalisée sur la balle, celle-ci ne tarde pas à être frappé d'un coup sec et brut par mon pied. La gardienne se jetant du côté opposé, le ballon rentre impeccablement dans le filet. Ce n'est qu'un entraînement, c'est certain, notant également le fait que j'affronte mes propres coéquipières. Cependant, marquer un but fait toujours énormément plaisir et amène une avalanche de cri de joie durant l'espace de quelques secondes.

Ne pleure pas, me moqué-je de Marine étant dans l'équipe adverse.
La prochaine fois, ce sera pour moi, rigole-t-elle en me bousculant.
L'espoir fait vivre ! M'exclamé-je.

Comme d'habitude, à la fin d'une session d'entraînement, Philippe nous retient un léger instant le temps d'un débriefing. Depuis le message que j'avais laissé sur sa boîte vocal, nous avions discuté brièvement de la situation. Je lui ai attribué une excuse banale, « j'ai des problèmes familiaux. » Elle est passée aisément, cependant, j'ai pu tout de même me rendre compte à quel point il semblait déçu. C'est toujours une petite fierté de se dire qu'un de ses joueurs évoluent dans un club professionnel, il paraissait réellement désappointé que je puisse passer à côté de cette occasion. Il a malgré tout accepté et je ne le remercierais jamais assez d'avoir été d'une admirable compréhensibilité.

Ce sera tout pour aujourd'hui, bon retour.

Le discours de celui-ci vient d'ailleurs de prendre fin. Quelle joie d'enfin pouvoir rentrer chez soi, je suis exténuée. Je me dirige vers les bancs de touches où j'avais préalablement déposé ma gourde d'eau. J'en prends quelques gorgées, me tenant face aux gradins accessibles au public. Honnêtement, il n'y a pratiquement jamais personne. En même temps, il n'y a pas grand-chose à voir. Les seuls visiteurs que nous sommes susceptibles de recevoir exceptionnellement sont les compagnons qui soutiennent leur bien aimée et de la famille. Mes parents habitant à Lyon, je n'ai pas honte d'avouer que je ne reçois absolument personne. Je précise que je ne suis pas la seule et ça me rassure d'ailleurs.

Je m'oriente précipitamment dans les vestiaires se situant sous ces tribunes, afin de récupérer mon sac. Je ne compte pas me doucher ici, j'ai une hâte incontestable de rentrer chez moi. Je salue les filles avant de marcher précipitamment vers la sortie de ceux-ci que je franchis de manière prompte.

Diane, j'entends une voix provenant des tribunes.

Impossible, je n'ai pas de visiteurs. Je suis sur le point de continuer ma route quand mon nom est une fois de plus appelé. Je m'arrête avant d'ouvrir le portillon du grillage donnant sur la pelouse. Je me retourne craintivement m'inquiétant sur l'identité de cette personne.

Antoine ? Je fronce les sourcils littéralement choquée.

Qu'est-ce qu'il fait là bon sang, il m'a fait une de ces frayeurs. Je commençais déjà à m'imaginer un détraqué qui s'était mis à ma poursuite. J'exagère probablement sur ce coup, mais j'étais tétanisé à l'écoute de mon prénom. Pourtant, j'aurais peut-être pu reconnaître la voix d'Antoine. Je m'engage dans les escaliers de la tribune désormais vide et monte à son niveau qui est relativement élevé.

Je peux savoir qu'est-ce que tu fais là ? Je lui demande d'un air d'autant plus surpris.
Ça me fait plaisir de te voir également, en effet.
Pardon, je ne m'y attendais vraiment pas, je souris un peu plus calme.
Bonjour ? Il ouvre ses bras.
Je n'ai pas pris le temps de me préparer aux vestiaires, je le préviens.
Oui, ça se voit, blague-t-il. Non, ne t'inquiète pas, tu es...
Belle en toutes circonstances, j'ai compris.
Tu m'as cloué le bec, il écarte de nouveau ses bras.
À peine, je rigole avant de l'enlacer le temps d'une fraction de seconde avant de me détacher.
Il était bien frappé le but, pas mal, il me félicite haussant les sourcils, les lèvres pliées.
Merci, c'est gentil. Je peux savoir ce que tu fais à Paris ? J'enchaîne de manière subite.
Plus violente que ça, y a pas, il s'esclaffe. Je passe un peu de temps chez un ami d'enfance. Tu devras me supporter pendant un petit moment.
Et comment es-tu arrivé ici ? Je désigne le sol.
J'avais envie de te voir jouer, alors il m'a déposé ici. Ce sera tout Inspecteur Diane ?
Pour l'instant, je marque une pause, oui.

Cela doit faire pratiquement deux semaines depuis le week-end à Mâcon que je n'ai pas eu l'occasion de revoir Antoine. Il profitait très certainement de sa famille, ce que je conçois totalement. Je tente de rester calme et sereine, je n'arrive toujours pas à croire qu'il se tient debout en face de moi, cela me semble drôlement irréel. Néanmoins, ça me fait énormément plaisir, compte tenu du fait qu'on est peu échangé depuis mon retour à Paris.

Je dois rentrer chez moi, je m'efforce à lui avouer.
Justement, il sourit étrangement, j'allais y venir.
Comment ça ? Lui demandé-je.
Je n'ai pas de chauffeur pour le retour et je me demandais si...
Si je pouvais te déposer, bien sûr, je l'interromps.
Ça aurait été d'une grande gentillesse, mais je voulais savoir si je pouvais...
Squatter chez moi, je finis par comprendre où il veut en venir.
Ce n'est pas totalement les mots que j'allais employé, mais c'est exactement ça.
D'accord, je descends hâtivement les escaliers. Dépêche-toi, je pue le bouc.
Ne commence pas à me faire rire, je te préviens, il me suit.
Et bien trouve-toi un taxi.
Diane, il passe son bras par-dessus mes épaules une fois arrivés en bas, tu es radieuse aujourd'hui, m'amadoue-t-il.
Tu conduis, j'ai mal aux pieds, je lui tends les clés un large sourire aux lèvres.

En toute franchise, je n'ai jamais été aussi ravie de prendre une douche froide de toute ma vie. Cela doit bien faire plus de dix minutes qu'Antoine attend mon apparition dans le salon. La première pensée qui m'est venue à l'esprit en le laissant assis devant la télé est tout simplement le fait qu'il ne peut s'empêcher de transformer la pièce en chasse au trésor. Entre le maillot derrière le coussin et les billets sous une plante, certes cela m'a fait énormément plaisir, cependant c'est une façon particulière d'offrir à mon goût. Peu importe, connaissant le caractère taquin d'Antoine, ça ne me choquerait point de retrouver une énième surprise dans mon frigidaire. Après un tout dernier coup de brosse décerné à ma chevelure blonde humide, je le rejoins sans plus attendre. Je le retrouve sur le balcon contemplant le paysage parisien.

J'ai essayé de faire vite, je lui dis m'appuyant également sur le garde-corps.
Tu m'as fait peur, il sursaute légèrement.
Je suis si moche que ça en sortant de la douche ? Je tire mon t-shirt.
Ne dis pas n'importe quoi, sourit-il m'attribuant une petite bousculade.
Je suis heureuse que tu aies pensé à venir me voir à l'entraînement. Ça faisait un long moment que je n'avais pas eu de compagnie, rigolé-je.
Je suis vraiment content que ça te fasse plaisir.
Alors le reste de ta semaine à Mâcon, ça s'est bien passé ?
Oui, c'était vraiment bien. On a organisé le Challenge Antoine Griezmann avec ma famille, ça s'est super bien passé. Dommage que tu n'ais pas pu rester, me raconte-t-il d'un air désolé.
J'aurais aimé pourtant.

Le Challenge Antoine Griezmann. J'en ai entendu parler très brièvement. Il s'agit, selon mes souvenirs, d'un tournoi où s'affronte des équipes U8 à U13. Mise à part la partie sportive, c'est également une journée qui accueille donc, un grand nombre d'enfants, afin de passer un moment agréable rempli d'émotions puisqu'ils ont la chance de pouvoir échanger un instant privilégié avec Antoine. Je trouve que c'est une superbe initiative de la part, non seulement d'Antoine, mais pareillement de sa famille qui a dû sans aucun doute l'être d'une grande aide durant cette journée.

Je suis reparti quelques jours en Espagne, ça faisait un petit moment que je n'étais pas rentré à la maison, il enchaîne.
Effectivement, si on regarde bien.
Et maintenant, je suis à Paris, il désigne le paysage.
T'aurais pu au moins me prévenir.
Il n'y aurait pas eu l'effet de surprise, il me lance un regard malicieux.

En effet, mais cela m'aurait évité de frôler la crise cardiaque. Je roule des yeux avant de l'apercevoir se décaler vers moi successivement de façon plutôt indiscrète à vrai dire. Je rive mes yeux sur l'horizon, mine de rien, il poursuit sa démarche en se rapprochant continuellement de moi. Quant à moi, hilare de la situation, je n'ose pas le regarder et préfère me concentrer vigoureusement sur une péniche naviguant sur la Seine afin d'éviter un potentiel fou-rire. Son scénario prend fin une fois que nos bras s'entrechoquent.

Pardon, je ne t'avais pas vu, s'excuse-t-il.
Sans blague ! Je réponds ironiquement.

Quel clown celui-là. Que quelqu'un ose me dire qu'il s'est déjà ennuyé avec lui, je n'arriverais pas à en croire un seul mot. Il faut toujours qu'il dise ou fasse un truc comique pour s'occuper, un vrai gamin. Je trouve ça relativement plaisant d'ailleurs, ça permet d'être constamment de bonne humeur. Il m'accorde quelques petites bousculades que je lui remets systématiquement à la suite. Il s'arrête soudainement.

Diane ? Sa voix détient un ton différent. Je peux savoir qu'est-ce que c'est ?

Je suis son regard qui est dirigé vers l'intérieur de mon poignet gauche. Prise de panique et d'affolement, mes mains alors entrelacées, je détache celle de droite et serre cette dernière sur mon poignet afin qu'il ne puisse rien voir de plus. Tout en sachant qu'il a certainement dû l'analyser durant un petit moment, c'est un peu bête de dissimuler quoi que ce soit à cet instant. Ne sachant pas quoi répondre, j'agis comme si je n'avais guère entendu sa remarque espérant qu'il puisse y faire abstraction.

Diane, ton poignet. Il tend sa main. Je peux le voir s'il te plaît.
Tu veux bien m'attendre deux secondes, je vais me prendre un verre d'eau, je tente d'esquiver en regagnant l'intérieur.

Je me précipite en direction de la cuisine, cependant à peine le pied posé dans le salon, il ne tarde pas à me rattraper en s'emparant de mon bras. Je ne conteste pas face à son geste et me retourne aisément vers lui en lui adressant une expression détendu, le contraire de mon état actuel.

Je vais prendre un verre d'eau, tu peux me lâcher, je dis sereinement.
Dis-moi d'abord ce qu'il y a sur ton poignet.

Son visage assombrit et alarmé m'empêche de trouver la force de me débattre, je n'ai guère envie qu'il puisse en déduire une réponse, alors vaux mieux que j'agisse calmement pour qu'il évite de s'imaginer la première chose qui lui est certainement venu à l'esprit. Ses yeux bleus noyés d'intrigue m'attribuent un regard s'affermissant de plus en plus. J'aimerais bien lui trouver une excuse débile qu'il pourrait potentiellement croire, mais au point où il en est, il arriverait sûrement à démêler la vérité du mensonge.

Ce n'est rien, je m'efforce à crédibiliser ma réplique en faussant un sourire.

Il ne décolle pas son regard de ma personne et reste littéralement figé. J'insiste du mien pour qu'il puisse croire que ce n'est réellement qu'un malentendu et qu'il s'est trompé sur la nature de ces craintes. Difficile de pouvoir le raisonner, une fois qu'Antoine a les pieds fourrés quelque part, il ne peut s'empêcher de déterrer tout ce qui va avec. Il ne peut tout simplement pas prendre comme banale raison que ce n'est rien. Il lui faut toujours plus, c'est désagréable de toujours avoir à se justifier.

Antoine, je te dis que ce n'est rien du tout. Calme-toi, ça ne sert à rien de forcer comme ça, j'essaye de le rassurer.
Ne me mens pas. La façon dont tu as esquivé la question sur le balcon, tu es devenu toute pâle.
J'ai juste besoin d'un verre d'eau, reprends tes esprits.
Quelque chose t'est arrivé et tu refuses de m'en parler.
S'il te plaît, ne commence pas à me prendre la tête, je roule des yeux exaspérée par la situation.
Ça date de quand ? Il me demande affecté.
Mais de quoi tu parles, arrête un peu, j'évite contrôlant mes émotions.
Il s'est passé quelque chose et tu refuses de m'en parler, il hausse légèrement le ton.

Je ne vois nullement la raison pour laquelle il m'incite à vouloir que je lui avoue ceci de mes propres mots. S'il n'est prêt qu'à croire à une seule et unique chose, pourquoi attend-t-il de moi que je lui dise clairement. Une manière de me faire souffrir encore un peu plus, c'est ce qui m'arrivera s'il arrive à m'arracher la vérité de la bouche. Je doute qu'il abandonnera avant de l'avoir fait d'ailleurs.

Diane, s'il te plaît, il me supplie sur un ton abattu.

Mon prénom ne sonne malheureusement plus comme à son habitude lorsqu'il est prononcé à cet instant. La soudaine sensation de frissons qui me prend d'un seul coup m'annonce un probable flot de larmes qui s'apprête à être évacuer. Je conserve celles-ci en pressant mes lèvres l'une contre l'autre d'une force imparable. La main d'Antoine relâche mon bras délicatement avant d'avoir jeté un dernier regard au centre de son attention.

Je t'en prie, arrête, je bafouille d'une voix à peine audible et tremblotante.
Que s'est-il passé bon sang, il murmure d'un ton crispé.
Rien du tout, j'articule chaque syllabe.
Tu mens, et je n'aime pas ça.

La muqueuse de mes yeux se retrouve lamentablement inondée et déborde jusqu'à en faire couler les larmes que je craignais. Je contrôle mon expression faciale afin d'éviter que mon visage ne se froisse. Je me contente de rester immobile face à lui, scrutant le somptueux bleu de l'iris de ses yeux qui m'accordent inlassablement l'exact même regard. Il doit être tellement agacé que je sois constamment le centre de ses interrogations. D'autant plus que j'ai une particulière impression qu'il se préoccupe plus qu'il ne devrait de choses qui me concerne personnellement. C'était un acte de faiblesse que je regrette plus que tout, à l'heure d'aujourd'hui. En dépit du fait que je sois marquée à vie, j'aurais aimé garder celui-ci derrière moi et ne plus jamais avoir à en reparler. D'autant plus qu'il me met une pression ahurissante qui serait susceptible de me faire craquer à n'importe quel moment. Très certainement apitoyé par ma figure éplorée, il s'empare de mon visage entre ses mains et m'adresse un regard plus adouci que le précédent.

Parle-moi, il m'implore.

J'ai la force de secouer la tête d'un mouvement horizontal qui lui montre ma réticence. Le visage désormais chiffonnée, un flot de larmes s'écoule sur celle-ci. Loin était mon intention qu'Antoine puisse m'apercevoir dans un état pareil. Toutefois, je ne peux me contrôler et je reflète entièrement ce que je ressens présentement au fond de moi. Il a creusé beaucoup trop profond cette fois-ci et il a réussi à piquer un sujet sensible.

Tu pleures pour rien du tout ?

La seule réplique que je souhaiterais lui accorder c'est de me laisser tranquille et de partir. Mais, je n'oserais jamais le mettre dehors. Il ne fait rien de mal et je peux comprendre que cela puisse inquiéter de voir de telles choses sur une personne. Surtout si l'on se doute bien que cette personne en question possède déjà de potentiels problèmes qui semblent affecter le quotidien de celle-ci. Le premier reflex est de chercher des réponses afin de lui venir en aide. Néanmoins, le souci présent est que je ne veux pas qu'il m'aide.

Réponds.

Il attire mon visage vers lui et colle son front sur le mien. Je ferme instinctivement mes yeux qui laissent couler le reste de mes pleurs qu'Antoine essuie à l'aide de ses pouces. Être aussi prêt de son visage me met extrêmement mal à l'aise, mais je n'aurais pas le courage de m'y décoller. Je ne veux pas m'y décoller. L'ambiance s'adoucit tout à coup, il ne discute plus. Ne plus entendre sa voix, pour une fois, me rassure et me donne le temps de souffler durant l'espace d'un petit moment afin de reprendre mes esprits. Je m'apaise grâce au silence qui règne dans la pièce et je finis par me perdre dans mes songes une fois que son souffle chaud caresse le haut de mes lèvres. J'entrouvre mes yeux, croisant les siens qui contemplent étrangement celles-ci. Son nez frôle le mien quand je me retrouve soudainement ranimée par la situation.

Mon verre d'eau, je m'écarte de lui brusquement me dirigeant vers la cuisine.

Appuyée sur le plan de travail, la tête lourde et baissée, je regrette mon geste. D'un côté, je me sentais effrayée à l'idée qu'il puisse me faire céder de cette manière. Mais, je me rends finalement compte à cet instant que ça ne sert plus à rien de continuer sur ce chemin et qu'il vaudrait mieux arrêter là.

Novembre 2015.

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