Chapitre 50 - Arabella
Après avoir quitté le bureau de Becker, nous filons droit vers la piscine, où nous savons que les Dolphins nous attendent après leur entraînement – je suis libre d'accompagner Caliban et Patrizia, puisque j'ai pris un jour de congé au cabinet d'avocats pour pouvoir être à leurs côtés pour cette discussion avec le directeur athlétique.
Nous montons au clubhouse, plein à craquer. Il y a des nageurs partout, sur les canapés, debout près de la baie vitrée donnant sur le bassin, et même assis en tailleur sur le sol ; des membres de l'Association des Élèves. Tous nous regardent avec tension lorsque nous pénétrons dans la pièce ; mais quand Patrizia s'avance et lève le poing pour clamer à tous quel succès nous avons obtenu, ils explosent en cris de joie. Abigail et Lexie foncent vers elle pour la prendre dans leurs bras ; une grappe de Dolphins ne tardent pas à les entourer, extatiques : Ernest, Anton, Amy, et encore d'autres dont j'ignore le nom.
Caliban et moi sommes en retrait ; pour l'instant, l'attention générale reste concentrée sur Patrizia – ce qui est bien normal. Il n'a pas pris la peine de remettre sa veste pour franchir la courte distance qui sépare le centre sportif de la piscine, si bien que j'ai tout le loisir d'observer la manière dont ses muscles tendent sa chemise blanche.
En ce moment de liesse, je sais ce que je voudrais : combler la distance qui nous sépare, goûter la joie de notre victoire commune directement sur ses lèvres. Tout à l'heure, face à Becker, il m'a impressionnée. Il a su trouver les mots justes pour faire progresser notre cause, les prononcer avec une telle assurance...
Oui, il a changé depuis notre rupture ; et en même temps, pas vraiment. Ce souci des autres qui le pousse pleinement désormais, il l'a toujours porté en lui ; c'est juste qu'il ne s'autorisait pas à l'exprimer jusque-là. Il se bridait lui-même, c'est d'ailleurs pour cela que je l'ai quitté.
Mais il s'est trouvé ces derniers mois. Et maintenant que je l'observe, j'ai bien du mal à me souvenir pourquoi j'ai un jour pensé qu'il valait mieux pour moi me tenir loin de lui. Celui que je vois à présent me paraît irrésistible.
Cela fait longtemps que mon cœur le sait, en réalité. Qu'il me reproche ma décision de Thanksgiving, qu'il m'emplit d'un regret que je n'ai jamais réussi à chasser. En ce moment de joie, je suis portée par l'euphorie qui s'est emparée du clubhouse, moi aussi. J'esquisse un pas vers Caliban ; comme si une force invisible l'avait averti de mon mouvement, il pivote pour me faire face. Ses iris au bleu si profond trouvent les miens ; les mots me manquent, et en même temps se bousculent à la lisière de ma conscience. Il y a tant de choses que je devrais lui dire, tant de choses que j'ai passé ces derniers mois à réprimer... Et j'ai peur, parce qu'elles menacent de jaillir en geyser, sans que je puisse les contrôler. Je m'efforce de les mettre en ordre, de trouver un point de départ convenable. Des paroles que je serai capable de prononcer, sans me craqueler sous le poids des émotions que je ressens.
Ma voix est tremblante alors que je lui souffle :
— Félicitations pour tout à l'heure. Tu as été brillant.
— Toi aussi. Non que j'en aie douté un seul instant, cela dit.
Il me sourit. D'un vrai sourire, chaud, lumineux ; exempt de la réserve qui teintait son regard chaque fois qu'il le posait sur moi depuis notre rupture. En un instant, j'ai l'impression de retrouver un peu de la bulle qui était la nôtre autrefois, dans laquelle il m'emmenait sans mal quand nous étions ensemble.
Est-ce qu'elle pourrait renaître de ses cendres ? Si j'admets avoir commis une erreur... pourrions-nous la retrouver ?
— Tu sais... j'ai beaucoup réfléchi ces derniers temps, je commence, le cœur battant. À ce que nous avions. Et je crois que je pense encore à toi. Je crois que...
— Caliban !
Je suis interrompue en pleine lancée dans mes aveux par Jade, qui a surgi de la masse humaine réunie au clubhouse pour nous rejoindre. Elle se jette contre lui et l'étreint, sous mes yeux impuissants.
— Je savais que vous alliez réussir à faire plier Becker ! s'écrie-t-elle. Vous avez géré, vous êtes géniaux !
Elle s'écarte de lui, des étoiles dans les pupilles. Lui pivote pour suivre son mouvement, et tout le bouillonnement qui s'était emparé de moi se change en amertume.
À quoi bon cette nostalgie que j'ai failli laisser s'exprimer ? Il est trop tard : Caliban est passé à autre chose. Bien sûr que c'est Jade qu'il lui faut, plutôt que moi. La jolie Jade, aussi douce que lui. Elle ne sera pas effrayée par ses sentiments, elle ; elle sera flattée de devenir sa princesse, plutôt que de le repousser. Moi, je suis trop explosive pour mériter qu'il m'aime comme il m'a aimée.
— Pardon, j'ai interrompu votre discussion, réalise-t-elle soudain. De quoi étiez-vous en train de parler ?
— Oh, rien d'important, lui répond Caliban.
A-t-il réellement manqué ce que je cherchais à lui dire ? Ou bien est-ce sa manière de me faire comprendre que mon heure est passée ? Qu'il trace son propre chemin, et que je n'en fais plus partie ?
Alors je ravale tous ces mots que j'aurais pu prononcer, et me contente de déclarer, avec une légèreté feinte :
— Non, en effet. Sur ce, je vais vous laisser. Je vois que quelqu'un a ramené du jus de fruits, j'ai bien besoin d'un verre pour me désaltérer après toutes ces émotions.
Sur ce, je m'éloigne, parce qu'il n'y a rien d'autre que je puisse faire ; et dans ma poitrine, ce qui ressemble bien à mon cœur se brise.
***
Salut à tous ! Si vous avez lu l'ancienne version, vous êtes arrivés avec ces derniers chapitres dans des eaux totalement nouvelles... Que pensez-vous de la nouvelle direction prise par l'intrigue ?
Pendant longtemps, c'est Caliban qui a dû gérer ses sentiments pour Arabella, et maintenant, c'est elle qui se retrouve à sa place... La situation a bien changé !
J'espère que l'histoire vous plaît toujours, n'hésitez pas à me laisser vos commentaires pour réagir à votre lecture ! Même si c'est court, ça me fait toujours super plaisir !
Bonne lecture de la suite 💙
Camille Versi
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