Interlude II





Mars 2017

Je ne sais plus ce que je fais. L'horloge tourne, je cours, je cours, et je n'arrive pas à les rattraper. J'ai l'impression d'être dans un autre espace, dans un ailleurs insaisissable. La sueur virevolte autour de moi, les cris glissent sur ma peau, la chaleur étouffante dépose des frissons dévastateurs, mon souffle s'accélère...

Vis ta vie comme tu le veux, c'est ta vie.
Ne te force pas trop, ça arrive à tout le monde de perdre.

Je suis à mon zénith, et je n'ai peur de rien.

Pourtant, la chute est là. Elle m'a toujours attendu.

Brutalement, tout s'arrache autour de moi, tout s'effrite. Je croise le regard de Yoongi, voit qu'il ralentit légèrement. Mais j'ignore les appels de phares que me lance mon esprit. J'étouffe en moi la panique et la peur de tomber.

Quand nous terminons Fire et que le noir se jette sur le stade, je suis aussitôt les autres en coulisse, les jambes prêtes à lâcher, en manque d'air. Soudain, je sens un bras m'attraper par la taille. J'essaie de montrer que je vais bien, je suis juste un peu fatigué.

Juste un peu. Laissez-moi revenir sur scène.

– Jungkook, il faut que tu ralentisses ! Putain tu n'en fais qu'à ta tête ! me crie Namjoon.

Les membres du staff l'éloignent aussitôt de moi, m'asseyant de force sur un tabouret spécialement posé dans la première allée des coulisses. Dans un état second, je les laisse m'éventer, m'offrir de l'oxygène, masser ma nuque, me redresser pour détendre mon diaphragme...

Je n'arrive pas à me calmer, c'est comme si je ne contrôlais plus mon corps.

Puis je sens les mains, petites et rondes, de Jimin sur mes joues. Accroupis entre mes jambes, il cherche mon regard.

– Calme-toi Jungkook, ça ne sert à rien de te pousser comme tu le fais. Ce n'est pas grave, si tu bâcles tes mouvements. Ménage-toi le plus possible. On doit finir sans malaise, tu m'entends ?

Non, j'entends à peine. Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Ils sont ailleurs. Et moi je suis là.

Namjoon m'avertit une dernière fois, de même que les membres du staff. Ils perdent patience, je l'entends dans leur voix.

Mais je m'en fiche, parce qu'en réalité, je veux oublier. Noyer ma tristesse dans l'amour des fans, dans leurs acclamations aux décibels imbattables.

Elles couvrent mes cris intérieurs.

Avant d'enchaîner sur la prochaine, je croise le regard de Taehyung.

Et je l'entends dans ma tête.

« Tu me fais chier. »

« Quel caractère de merde... »

Je coupe le contact visuel et tente de me replonger dans mon rôle. L'adrénaline me fait tenir les 30 dernières minutes.

En coulisses, je manque de m'effondrer cette fois. On m'emmène aussitôt en loge. J'entends du bruit autour de moi. Beaucoup de gens, des caméras, des allées-venues, des dialogues... Je me sens terriblement vulnérable, exposé dans un état qui me met profondément mal à l'aise, mais trouve tout de même la force de baragouiner quelques mots...

J'aimerais que Taehyung reste près de moi. Mais il ne peut pas.

À cause de ces putains de caméras.

J'entends quelqu'un demander aux autres de sortir. Jimin reste avec moi, et ça me fait du bien de l'entendre me parler avec autant de sérénité. Il n'y a aucune tension dans sa voix, parce qu'il sait se maîtriser, il sait comme j'ai besoin de sa force, de son courage, à cet instant. Pour l'heure, le mien se terre au fond de moi.






– Pourquoi tu as fait ça ? me demande Taehyung.

Allongé sur le lit de ma chambre d'hôtel, je me relève et cale mon dos contre les oreillers tandis qu'il éteint son téléphone, debout devant la fenêtre aux rideaux tirés.

Après avoir endigué ma crise d'épuisement et ce début de malaise, l'équipe médicale m'a laissé rentrer à l'hôtel avec Jimin pour une nuit de repos bien mérité.

Je ne m'attendais pas à voir Taehyung dans ma chambre, mais soit...

Il était au téléphone avec sa mère, je crois, et m'a fait signe de me préparer pour le coucher, ce que j'ai fait. Vêtu de mon t-shirt et d'un caleçon, je l'attends désormais. Lui ne porte plus que son jean, braguette ouverte sur son sous-vêtement, ce qui le rend affreusement sexy. Son torse est magnifique, plus halé que le mien, et son dessin n'est pas parfait mais il a quelque chose de rassurant. Comme un rempart à l'intérieur duquel se cache le plus beau des cœurs.

– Jungkook... Réponds.

Je le sens presque méprisant. Cette exigence dans sa voix m'effraie.

– Je ne sais pas.

Taehyung ignore mon mensonge. Il disparaît simplement dans la salle de bain où je l'entends se brosser les dents.

Je ne peux pas m'empêcher de craindre le moment où il insistera. Parce que je le connais. Il le fera. Et je refuse de lui confier la véritable raison de ma bêtise. Parce que je déteste son manque d'indulgence, cette sorte de jugement qui déborde de ses yeux, comme s'il était mon père plutôt que mon copain...

Quand Taehyung revient, il interrompt les remous de mon cerveau bancal. Je suis épuisé, j'arrive difficilement à formuler des pensées claires.

Mais sa voix, grave, brise ma rêverie.

– C'est parce qu'on s'est disputés ?

Je rougis aussitôt.

– Non, pas du tout !

Taehyung ricane avec amertume. J'imagine comme il doit être facile de lire en moi... Contrairement à lui, j'ai du mal à maîtriser mes émotions, surtout quand on est ensemble. Lui est si mature, il arrive à faire la part des choses... Et moi, je suis trop impulsif, mené par un cœur boiteux et trop sensible. Ces agitations intérieures, que je parviens à contenir sur la scène, débordent toujours en privé. Elles sont trop pour les autres.

Et je ne veux pas que ce trop dévore Taehyung.

– Tu t'es surmené pour oublier ton sentiment de frustration, voilà ce que je pense, finit-il par me dire alors qu'il fait glisser son jean sur ses jambes.

Et ces mots me distraient trop pour que je me perde sur sa silhouette quasiment nue, magnifique dans le halo de la lumière tamisée. Quand il se glisse sous les draps, à côté de moi, il poursuit :

– C'était juste une dispute parmi tant d'autres... Et ce ne sera pas la dernière...

Je détourne le regard et fixe le mur d'un air absent, en mordant l'intérieur de mes joues. Mon torse se soulève d'un coup quand je prends une grande inspiration.

Taehyung poursuit doucement :

– Même si ça ne te fait pas plaisir, tu dois t'ouvrir à moi, Kook. Car si tu ne le fais pas, je vais finir par croire que je ne suis pas celui qu'il te faut.

– Quoi ?!

Ces mots me font sursauter. Je le dévisage. Allongé sur le dos, il m'examine d'un air intrigué. Comme si j'étais un drôle d'animal qu'il étudiait pour mieux apprivoiser. Dans son regard, je me vois presque, comme lui me voit peut-être...

Je crois distinguer un garçon au cœur délicat et trop secret. Un garçon trop peu sûr de lui, désespéré d'amour, désespéré de trop de choses insaisissables. La gourmandise de la jeunesse sans doute.

Mais ce portrait de moi ne dure qu'une fraction de seconde.

– J'ai peur, je finis par lâcher en soutenant son regard profond et attentif.

Je préfère mille fois me confier, lui révéler mes tourments, plutôt que l'entendre dire que nous ne sommes peut-être pas destinés à être ensemble.

– J'ai eu peur que tu... que tu me quittes. Et quand je suis dépassé par mes émotions, quand c'est trop fort... j'ai besoin de travailler. Pour oublier...

Ses yeux se plissent légèrement tandis qu'il continue de m'observer avec attention, l'expression impassible.

– Pourquoi... souffle-t-il comme pour lui-même en continuant de me fixer.

Je sais qu'il n'attend pas de réponse. Il a parfois la manie de parler tout seul devant les autres, et si au début c'est très déstabilisant, on finit par s'y faire.

Je rougis, déstabilisé par son regard pénétrant. Taehyung ne s'en rend pas toujours compte, mais ses grands yeux noirs font autant d'effet qu'une violente bourrasque en pleine face.

– Pourquoi es-tu ainsi...

Ces mots me brisent le cœur, parce qu'ils sonnent comme un reproche.

– Pardon... je souffle avant de m'allonger en lui tournant le dos, le cœur au bord des lèvres.

Je sens sa main dans mes cheveux, puis sur ma nuque.

– Viens... m'appelle-t-il.

Et j'obéis. Parce que je n'attends que ça. Toujours, toujours...

Quand je me retourne face à lui, je vois qu'il s'avance pour me rejoindre. Ce simple geste me touche tant. Il étend son bras en arrière pour éteindre la lumière. Et quand la nuit se révèle, quand le noir m'empêche de lire sur son visage, je le sens me serrer fort contre lui. J'emmêle timidement nos jambes. Son souffle balaie ma joue quand il parle une dernière fois.

Et je me demande si...

– Ne fais plus ça, s'il te plaît. Je ne le supporterai pas...

Pour la toute première fois, je me demande s'il m'aime.

S'il m'aime comme moi je l'aime.




Novembre 2017

– Si tu devais avoir un chien, tu prendrais quelle race ? me lance Taehyung distraitement.

Nous sommes dans le salon avec Hoseok et Jimin. Hoseok feuillète un magazine, Jimin et moi regardons un film tandis que Taehyung est sur son ordinateur, à côté de moi, sur le canapé.

– Je sais pas trop. Un grand chien, genre un doberman.

– OK, je reformule : une race de chien assez petit.

Ces mots m'arrachent un vague sourire.

– Hum... Un spitz nain, je pense. Pourquoi ?

– Je veux un animal...

– Oh ! Prends un spitz nain, s'il te plaît ! C'est trop mignon, je m'exclame. J'ai toujours rêvé d'en avoir un...

Taehyung soupire en m'observant d'un air désolé.

– Mais il n'est pas pour toi.

– Et alors ? Je t'aiderai à t'en occuper.

Je le vois retourner à son ordinateur en remuant la tête, comme si je venais de dire la pire de stupidités. Il tape le nom de la race dans Google images.

– En fait tu ressembles un peu à ces chiens, me dit Jimin en m'observant.

J'écarquille les yeux.

– Ah bon, tu trouves ?

– Hum... Jungkook ressemble à tous les chiots du monde... répond Taehyung en faisant défiler les images.

– Donc de lapin, je deviens chien, très bien, je râle en croisant les bras sur mon torse.

Après quelques minutes de silence, durant lesquelles nous arrivons au point culminant du film, je ne peux empêcher mes yeux de glisser sur l'écran de Taehyung.

– Regarde celui-là !

Je m'avachis sur lui et lui montre un spitz, que je trouve particulièrement mignon.

– Mignon, affirme-t-il.

Il n'a pas l'air très convaincu.

– Tu verras, je lui assure. Tu prendras un spitz... j'assure avec un petit rictus.

Taehyung fronce aussitôt les sourcils tandis qu'Hoseok repose son magazine et éclate de rire.

– Quoi, tu vas le priver de ton corps ? me demande-t-il complètement hilare.

– ...Euh j'avais autre chose en tête, j'avoue, les joues roses. Je me disais que j'allais coller des images de spitz partout dans la chambre.

– Tellement innocent, susurre Taehyung en glissant une main dans mes cheveux.






C'est vrai que je l'étais un peu trop. Pour ma défense, je n'avais jamais eu la moindre expérience amoureuse. Je ne voyais rien sinon mon propre amour pour Taehyung. Je n'ai pas su analyser ses actes et ses paroles.

Je pense que je suis en retard.
Parce que tout le monde marche trop vite.

Je n'osais jamais parler de notre couple devant les autres ou manifester mes désirs et mes attentions ailleurs que dans notre chambre. Taehyung, lui, assumait plus de choses. Par exemple, il n'avait pas peur de m'enlacer le matin, devant Yoongi et Namjoon (oui, Yoongi levait bien les yeux au ciel parfois) et cultivait l'habitude de me voler quelques légers baisers quand je jouais avec Jin à la console. Moi, je rougissais toujours autant, préférant largement l'intimité de nos 15 m².

Toujours est-il que nous n'avons plus jamais reparlé du sujet « chiens ». Pour être tout à fait honnête, je ne pensais pas que Taehyung était sérieux.

Sauf qu'un mois plus tard, il est rentré de chez ses parents avec une petite frimousse noire et camelle, adorable et toute pelucheuse. J'ai passé toute la soirée à dorloter l'animal, complètement extatique, en oubliant même l'heure du dîner. Taehyung m'avait grondé, mais j'étais si amoureux de ce nouvel arrivant qu'il avait fini par me rejoindre sur le lit, m'observant caresser et embrasser le petit chien.

J'adorais Yeontan comme s'il était mon enfant, et Taehyung nous couvait souvent du regard. Avec Jimin, nous participions comme nous pouvions à le dresser et surtout à canaliser son énergie (parce qu'il en avait à revendre !).

Un soir que je dormais avec Taehyung dans son lit, je lui avais demandé pourquoi il avait suivi mon conseil de prendre un spitz nain.

– Parce que je pense de plus en plus à emménager ailleurs, avec Yeontan et toi. Et je voulais choisir un animal qui te plaise, avait-il soufflé avant de me serrer contre lui et de s'endormir, son front contre ma gorge.

Ses mots m'avaient beaucoup fait réfléchir. Je n'avais jamais pensé à la possibilité d'aller vivre ailleurs, loin des autres, juste avec lui. Et je ne savais pas si ça me plaisait ou non comme optique. Les garçons m'étaient bien trop précieux, ils étaient mes hyungs... D'un autre côté, je m'étais senti flatté que Taehyung songe à s'établir avec moi. Comme un couple.

Et sans le vouloir, j'avais répondu tout ce qu'il ne fallait pas :

– Je serais quand même un peu triste, je crois. De ne plus voir du monde, enfin les garçons... 

Il n'avait rien dit. Mais je sais, désormais, que ces mots ont fait grandir l'idée en lui.





Décembre 2017

Je suis en train de plier du linge dans notre chambre.

Taehyung a décidé d'acheter une maison il y a cinq mois, et nous y passons parfois la semaine à deux, quand le travail pour BigHit n'est pas trop intense, autrement dit : rarement. J'aime beaucoup cet endroit, parce qu'il y a nos rires qui y sont enfermés, nos petites querelles, nos quelques larmes de douleurs et nos cris de plaisir. C'est notre chez nous et il n'y a pas de meilleur endroit que celui-là, du moins, à mes yeux.

– Il faut qu'on arrête.

Je me retourne en sursautant, n'ayant pas entendu Taehyung arriver. Après un rapide coup d'œil pour lui, je retourne à mon activité.

– Hum ? je demande distraitement en séparant deux piles de t-shirt.

On évite de trop mélanger nos affaires, mais je résiste rarement à la tentation de lui dérober ses vêtements. J'aime un peu trop sentir son odeur sur ma peau...

– Nous deux.

Sa voix grave est calme, mais c'est un calme qui n'a rien d'apaisant. Au contraire, il sonne comme une menace. Et plus que ses mots, c'est cette voix qui me fige.

– Comment ça ? je demande sans me retourner, mes sens en état d'alerte.

C'est exactement le même ton qu'il a utilisé quand il m'a annoncé qu'on serait colocataires de chambre, après le malaise de Jimin.

Ce Taehyung n'est pas le mien.

– Cette relation n'a pas de sens Jungkook. Je ne sais pas pourquoi on-

– A-attends.

Je me retourne, le souffle court, et cherche automatiquement son regard comme une ancre à laquelle me raccrocher.

– Q-qu'est-ce que tu fais ?

Le stress provoque un léger tremblement dans ma voix. Mais ses yeux sont vides et froids : tels une muraille, ils m'empêchent de lire en lui. C'est la même expression qui se pose sur son visage quand nous sommes en rendez-vous professionnel.

L'expression de V.

Et cette attitude réveille la blessure qu'il s'est appliqué à refermer en moi : ma peur d'être rejeté.

– Je romps.

Je pourrais croire à une blague. Après tout, je n'ai rien vu venir. Certes, il était légèrement distant ce mois-ci, mais j'ai mis ça sur le compte de notre prochaine tournée en préparation, Love Yourself.

Mais là, à cet instant, mon cœur me dit qu'il est sérieux.

– P-pourquoi ?

Taehyung soupire en s'adossant au cadran de la porte. Ses bras croisés sur son torse, il laisse traîner son regard sur le parquet, évitant le mien, qui doit certainement briller de larmes, si j'en crois le flou qui recouvre mon champ de vision.

– Tu es jeune, Jungkook. Tu avais besoin de nous pour te construire, mais maintenant tu dois voler de tes propres ailes. Je ne veux pas que tu ne voies que par moi...

J'attends qu'il parle davantage, mais il s'interrompt. C'est tout ? Je ne mérite que cela ? Alors c'est à ça que ressemble une vraie scène de rupture ? Est-ce aussi froid et impersonnel... ? Je prends une grande inspiration avant de m'exprimer, le plus calmement possible :

– Donc tu restes avec moi pendant presque deux ans... Tu fais des plans en m'incluant dedans... Et là, tu me dis de déguerpir de ta vie...

– Je ne te dis pas de déguerpir. Je te dis que ça vaut mieux pour toi qu'on arrête.

À cet instant, j'ai l'impression de flotter hors de mon corps et de nous regarder comme des acteurs qui ne savent pas tenir leur rôle.

– Et qu'est-ce qui vaut mieux pour toi... ? je souffle en contenant l'émotion qui déferle dans ma tête.

– Prendre mes distances, j'imagine, répond-t-il d'un air las.

On dirait que ça l'agace. Comme si ça n'avait pas d'importance. Me suis-je donc fourvoyé depuis le début ? N'a-t-il donc pas de cœur ? Et la suite de son discours n'en est que plus atroce :

– Tu es trop jeune.

La colère a vite fait de chasser mes bégaiements.

– Tu te fous de ma gueule ? Tu sais quel âge j'ai Taehyung ? J'ai 21 ans. Vingt-et-une putain d'années ! je crie. Et tu me dis que c'est trop jeune ? Vas-y : donne-moi la vraie raison. Je ne te plais plus ? Ou peut-être que tu t'es lassé ? Tu as rencontré quelqu'un d'autre ?

– N'importe quoi... dit-il avant de quitter la pièce, me laissant voir son dos.

Mais je suis aveuglé par mes larmes, profondément blessé par le mal qui est en train de me dévorer.

J'en deviens fou. Complètement fou.

– Reviens ! Tu ne peux pas me mentir de la sorte ! C'est un putain de manque de respect !

– Bon écoute ! lâche-t-il en se retournant brusquement, une expression de colère peinte sur ses traits.

Son action m'arrête brusquement.

– C'est pas gérable comme relation. On est des garçons, on fait partie d'un groupe de K-pop et on a des responsabilités, pour BigHit, pour notre famille, pour les fans-

– Les fans ?! je l'interromps hystérique. Les putains de fans que tu adores Taehyung ? Oh oui, elles sont tout pour toi !

Mais il m'ignore et poursuit.

– On est payés pour performer et donner une certaine image du groupe. Qui plus est... je pense que ça te fera du bien de t'éloigner de moi, de passer plus de temps avec les garçons, avec le staff ou d'autres amis.

Là, il vient de mettre le doigt sur un sujet terriblement sensible pour moi.

– Des amis... ? je lâche, hors de moi. Mais je n'ai pas d'amis, Taehyung. Je n'ai personne d'autre que vous !

– Et bien justement. Il serait peut-être temps que tu t'en fasses.

Pour qui se prend-t-il ?

Soudain, j'entends Yeontan aboyer à mes pieds. Surpris de sa présence, je sursaute pendant que Taehyung baisse le regard sur l'animal.

– Yeontan ça suffit ! s'énerve-t-il.

Je fonds en larmes.

Ce n'est pas possible. Tout ça n'est qu'une mascarade... Il ne peut pas me faire ça. Et je suis sûr que j'ai l'air pathétique, mais je suis trop brisé pour m'en rendre compte.

– D-dis-moi que c'est... c'est faux...

Mon cœur va lâcher.

J'ai l'impression que mon corps réalise le premier l'ampleur terrible de cette situation. J'en ai des fourmis dans la tête, dans les mains...

La peur m'étouffe.

– S'il t-te plaît... je chuchote, désespéré, en fixant le sol. T-tu ne peux pas me-me laisser... Tae...

Mais sa réponse est aussi froide et insensible que son attitude :

– Je suis désolé.

Bien sûr, il n'y a rien de désolé dans sa voix. Quant à son visage, je n'ose même pas le regarder.

J'aperçois Yeontan se rapprocher. Il lève son museau vers moi, curieux, sa petite tête penchée sur le côté. Mon regard se perd dans le sien, et je sais que c'est un animal, je sais qu'il ne peut pas parler... Mais j'aimerais tant qu'il puisse me réconforter à cet instant.

Mes sanglots deviennent intarissables. Silencieusement, dans ma tête, je le supplie de me prendre dans ses bras jusqu'à m'en étouffer, jusqu'à me dire avec son corps qu'il est là et qu'il ne peut pas me quitter.

Jamais.

Mon désespoir est tel que je trouve la force de le supplier encore plus. Ou de me ridiculiser davantage, j'imagine.

– S'il t-te plaît... Ne m'abandonne pas.

Les poings contre les yeux, je n'ose toujours pas l'affronter du regard, de peur de buter contre son visage imperturbable. Et par-dessus tout, je me sens ridicule, comme un enfant capricieux, incapable de se calmer et de prendre sur lui. Je suis un château de cartes qui s'écroule en un instant. Et Taehyung ne fait rien pour empêcher ça.

Je comprends mieux, à présent, pourquoi l'indifférence est la pire des punitions.

L'indifférence, c'est le néant.

Et son indifférence, elle, m'anéantit tout entier.

– Yeontan ! appelle Taehyung d'un ton autoritaire.

Mais le chien ne bouge pas, hypnotisé par mes yeux larmoyants.

– Tannie ! insiste-t-il.

L'animal finit par s'éloigner lentement.

Mon monde se brise en mille morceaux.

J'ai si mal.

Si mal, que je finis par lâcher en essuyant comme je peux mes joues trempées.

– J-je t'aime moi...

Jamais, je n'aurais pensé lui confier mes sentiments dans cet état. Dans cette situation. Ces moments sont toujours précieux dans l'histoire d'un couple. Le mien ressemble à une tempête.

Et sa réponse, finit de m'achever :

– Pardonne-moi, Jungkook.

Des excuses.

C'est tout.

Aussitôt, une haine sans pareille m'envahit. Il n'a pas répondu à mes sentiments.

Il ne m'a jamais aimé.

Aveuglé par la rage, je fais demi-tour, vers notre chambre – pardon, que dis-je ! – sa chambre.

J'ouvre l'armoire, saisit le grand sac noir qui m'appartient avant d'y fourrer mes vêtements. Heureusement, je n'en ai pas beaucoup, trop habitué à lui voler ses affaires. Je sens sa présence derrière moi tandis que je rassemble tout. Je n'ai jamais été aussi efficace pour faire mes valises.

– Jungkook...

– Ta gueule, je souffle.

Et puis, sans que je ne m'y attende, j'entends un bruit sourd qui me fait sursauter et retourner sur moi-même. Je devine qu'il a lancé son poing contre le mur, sans doute pour évacuer sa rage. Et le voir dans cet état, me rassure au moins un peu, parce que ça me confirme qu'il n'est pas si insensible que cela.

Tout ça, c'est de l'apparence. Comme toujours dans ce milieu.

– J'ai peur de te détruire, tu comprends ça ?!

Sa voix gronde de colère, mais j'ai l'impression d'entendre autre chose, dissimulé juste sous la couche. Seulement, je suis tellement noyé dans ma propre fureur et ma détresse, blessé par son rejet et ma déclaration piétinée, comme si elle n'avait pas lieu d'être, que je l'ignore.

Quand je saisis enfin mon sac et m'approche de lui pour sortir, il m'attrape le bras. Sa force me déstabilise profondément. J'ai comme la sensation qu'il veut me faire passer un message en s'accrochant à moi avec autant de fermeté. Et il me fait si mal que j'en lâche mon sac, une grimace de douleur peinte sur mon visage.

Ma voix tremble d'une rage à peine contenue quand je lui dis :

– Tu me détruis déjà.

Je profite de sa surprise pour dégager mon bras. Enfin, je lui adresse une dernière phrase avant de reprendre mon sac et de plier définitivement bagage :

– Heureusement que je ne me suis jamais donné à toi.

Il sait de quoi je parle.

Je ne l'ai jamais laissé me faire l'amour. Et ça me dévore de l'intérieur, parce que je voulais lui offrir ma première fois pour nos deux ans, la semaine prochaine. J'imagine que l'univers devait me faire comprendre que je faisais erreur.

Je pars dans un silence de plomb, et il me laisse, statufié dans la chambre. Quand j'arrive dans l'entrée, je prends une dernière inspiration et m'ennivre malgré moi de nos odeurs mélangées, à Taehyung et moi. Je reconnais Yeontan, qui m'attend près de la porte ; il est étonnement calme. Un sanglot s'échappe brusquement de ma gorge quand je le vois, si petit, si adorable. Comme un enfant qui ne comprend pas.

Moi non plus, je ne comprends pas.

Et je claque la porte.

J'ai l'impression d'errer.




J'ai eu envie de mourir.

Ça semble exagéré, je sais, surtout quand d'autres souffrent de bien pire. Mais c'était mon premier amour. Un amour si sincère et si beau, que sa désertion avait laissé un vide immense en moi. Je me suis enfermé dans le silence et la solitude, sans doute pour me persuader que je n'avais besoin de personne.

C'était très égoïste, de faire passer mon mal-être avant le groupe. Terriblement égoïste.

Je crois que j'ai fini par comprendre ce que Taehyung n'osait pas me dire : j'étais devenu égocentrique, aveuglé par mes sentiments, aveuglé par lui et le succès du groupe. Trop sûr de moi. De son attachement pour moi aussi, peut-être. Cette rupture m'avait brûlé les ailes et me rappelait comme on est seul, dans sa vie de star.

J'ai beau faire partie d'un groupe, c'est toujours moi et moi seul.

Il n'y avait pas de place pour un nous. Quoi qu'en montrent les caméras.

J'ai tout de suite senti que Jimin savait quelque chose de plus que les autres. Ça ne m'a pas vraiment étonné : c'est le meilleur ami de Taehyung. Mais je ne l'ai jamais questionné à ce sujet. Ça ne m'appartenait plus, d'autant que j'avais compris qu'il fallait que je laisse Taehyung tranquille. Je me sentais déjà suffisamment humilié par son indifférence.

Taehyung évitait mon regard. Me parlait à peine. Me touchait à peine.

C'était comme si je n'existais plus pour lui.

Namjoon, lui, s'est senti coupable. Au bout de quelques semaines, il a fini par m'avouer que nos managers faisaient pression sur Taehyung pour rompre avec moi. Cette relation ne devait jamais éclater au grand jour et à mesure que nous nous projetions dans un avenir à deux, Taehyung et moi, BigHit tremblait.

Namjoon et Jin ont encouragé les managers. Ils pensaient que c'était une bonne idée. Je ne leur en veux pas, même si Namjoon m'exprime encore ses regrets, sans même user de la parole. Ses regards, ses gestes, ses soupirs, sont autant de pardons qu'il me demande.

– J'ai brisé quelque chose, et ça me restera sur la conscience toute ma vie, m'avait-il confié un soir que nous buvions une bière à deux, sur le toit d'un hôtel à Paris.

J'ai pleuré toute cette nuit-là, dans mon lit, seul. Mais je n'en ai jamais parlé à Taehyung, et j'ignore s'il sait que je sais.

Le temps a filé, me laissant renouer avec la haine de moi-même et me réfugier dans le travail. Rien ne comptait sinon les entraînements de danse et de chant, le sport et les quelques cours d'anglais que je prenais pour m'améliorer. Je passais mon temps entre les studios et mon lit pour récupérer de mes séances toujours plus intensives. J'ai fini par m'offrir un appartement, dans un quartier surveillé et hautement prisé à Séoul.

Je me faisais l'effet d'un gosse qui s'isole dans sa tour de verre, au-dessus de la rivière Han, qui chaque nuit se moque de lui, comme une mère méprisante face à son enfant : « Je te l'avais bien dit. »

Devant les caméras, tout était plus naturel que jamais. J'avoue, j'ai pris un peu de drogue pour me faire tenir et jouer la comédie. Taekook n'a jamais eu autant de succès qu'à cette époque, c'est bien drôle quand on y pense. Namjoon a appris pour la drogue. Il ne l'a répété à personne, sauf Jimin, je crois, sûrement pour lui demander de me surveiller.

J'ai arrêté quand Taehyung l'a su. Il ne m'a jamais autant engueulé que ce jour-là, dans notre loge. J'ai vraiment cru qu'il allait me frapper, mais ça ne m'aurait pas dérangé, je crois. Sa colère m'avait fait un bien fou parce qu'elle me signifiait un reste d'attachement. 

Puis j'ai fini par cesser de lui en vouloir. Après tout, je n'étais certainement pas fait pour lui, et je l'acceptais désormais. J'avais besoin de grandir encore... Plus que tout, il me manquait. Alors tacitement, nous avons repris le chemin d'une amitié tout à fait classique et attendue.

Le masque sur mon visage s'est épaissit, mon corps a pris le pli des fils qui le contrôlaient.

Ma conscience, elle, continuait de m'exprimer son dédain : « Qui voudrait de toi Jungkook ? »




Octobre 2018

Bonjour, c'est BigHit Entertainment,

Nous sommes au regret de vous annoncer qu'un problème a eu lieu qui pourrait affecter la performance de l'un des membres de BTS, Jungkook.
Suite aux répétitions, Jungkook faisait de simples étirements dans les loges quand il s'est cogné contre le mobilier et s'est blessé au talon. Le staff médical a immédiatement prodigué les soins nécessaires. L'opinion de l'équipe médicale était que performer des chorégraphies pourrait ajouter des dommages à sa blessure, une blessure qui n'est pour l'instant pas sérieuse.
Suite à l'avis du staff médical, Jungkook prendra donc part à la performance de ce soir, mais il restera assis sans participer aux chorégra-


Je balance mon téléphone sur le sol avant d'enfouir mon visage contre mon oreiller, la douleur au ventre. Plongé dans l'obscurité, je profite de ma solitude pour sangloter en paix. Ma chambre d'hôtel est froide autour de moi, j'ai l'impression qu'elle me juge...

Et je n'arrête pas de pleurer. Parce que cette blessure est si stupide, parce que j'ai si mal. Mes parents sont venus spécialement en Europe, excités à l'idée de me voir sur scène demain...

Soudain, j'ai l'impression d'entendre la porte s'ouvrir. Mon cœur rate un battement tandis que je dégage ma tête des couvertures et me relève. Puis j'entends un appel, dans le noir.

C'est comme une main qui se tend.

– Jungkook...

Mon Dieu.

C'est sa voix. C'est sa silhouette.

Je distingue une ombre noire qui s'approche de moi à tâtons. Mes yeux, sans doute mieux habitués à la pénombre, semblent plus clairvoyants que les siens, à en croire sa démarche hésitante. Je dois être en train de rêver. Que fait-il là ? Comment est-il entré... ?

Quand il s'assied au bord du lit, son odeur me frappe en plein cœur.

C'est Taehyung.

Noyé dans ma souffrance, je ne réfléchis pas et m'avance aussitôt vers lui pour m'agripper à son torse. Ses bras se referment dans mon dos avec une force qui me bouleverse intimement.

– Tae... ? je souffle contre son épaule.

– Je suis là. Je ne te quitte pas.

Aussitôt, je le sens s'allonger contre moi, face à face. J'essaie de calmer mes pleurs en me forçant à reprendre le contrôle sur mon souffle. Lui me caresse doucement le dos, sa main s'étant glissé sous le tissu de mon t-shirt.

– Tu as pris tes antidouleurs ? me demande-t-il.

– Oui... Pourquoi... ? Je veux pas...

– Je sais, je sais...

Malgré mes paroles décousues, il sait ce que je pense. Il sait ce que je crains. Et c'est comme si on était encore ensemble. À cet instant, j'ai beaucoup trop besoin de lui, et je le remercie infiniment, de faire semblant d'être là, d'une façon plus investie que d'ordinaire.

Mais il ne faut pas. Ce moment a un terrible goût d'interdit.

Il faut que je me reprenne.

Délicatement, j'essaie de lui tourner le dos, et il m'aide aussitôt, soutenant ma cuisse pour éviter que ma cheville ne se torde ou que mon talon ne prenne un coup. Une fois dos à lui, je sens sa chaleur tout autour de moi, quand il colle son torse contre moi et cale son menton sur le creux de mon épaule.

J'ai comme un flash. Un air de déjà-vu.

– Pardon... Je-tu peux me laisser... je souffle.

Il a toujours été ma faiblesse.

Mais à cet instant, je trouve le courage de lui résister un peu. J'ai compris la leçon, je n'attends plus rien de lui, sinon son amitié et son soutien professionnel. Mais ses mains s'agrippent plus fort à moi, comme s'il voulait me retenir de m'échapper.

– Dors... Je reste, affirme-t-il d'un ton sans appel.

– Tae...

Mais il ne me laisse pas le temps de trouver quoi lui dire, car sa voix laisse échapper comme un appel, comme une douleur secrète, quand il me supplie :

– S'il te plaît, laisse-moi dormir avec toi.

Je ne sais quoi lui dire, glacé par cet abandon, qui est loin d'être habituel chez lui. Mais, ma blessure d'autrefois, celle de mon cœur, me lance et je ne peux m'empêcher de lui répondre d'un ton amer :

– Et pourquoi ? Pour me réveiller tout seul demain ?

Parce que oui, ça lui arrivait.

Parfois, il craquait et me rejoignait, la nuit. Dans ces rares instants, nous n'échangions pas un seul mot. Juste quelques baisers, des soupirs de soulagement et des étreintes désespérées. Avant qu'il ne m'abandonne au petit matin, me rappelant comme je comptais pour lui. Ironie quand tu nous tiens. On n'abandonne que ceux qui n'ont pas d'importance, je le sais très bien.

La voix de Taehyung me tire de ma mélancolie.

– Je m'en fous de demain. On s'en fout. Reste contre moi.

Je n'ai pas la force de répondre. Alors, après quelques minutes de silence, j'abandonne et me cale contre lui, juste pour cette nuit. Il dépose un baiser révérencieux contre ma joue, puis sur la partie nue de mon bras, la jointure de mon épaule, ma nuque... Emporté par la douceur de ses lèvres, je laisse échapper un soupir. J'ai l'impression de me réveiller d'un long et puissant sommeil. Comme si sa seule présence, son seul contact, pouvaient me réanimer.

Et puis soudain...

– Mon amour...

Ses mots sont si bas, si faibles, que je doute de les avoir entendus. Et je m'endors.




Mais demain est arrivé.

Demain, c'est aujourd'hui.

Un temps pour le présent,
Deux temps pour le passé.

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Les toutes premières phrases en gras et en italiques sont des paroles de Fire. Pour le reste, ce sont des paroles de My Time.

NDA
Bon, ce chapitre était beaucoup plus court que le précédent (ouf) ! J'espère vraiment que l'histoire vous plaît et que l'intrigue vous apparaît suffisamment solide !

À très vite pour la suite !!

 Forlasass

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