Interlude I







Je n'ai jamais vraiment aimé mon visage. Tout y est beaucoup trop gros : mon front, mes joues, mon nez, mes yeux... Quand, je souris, j'ai l'impression d'offrir aux autres une vision d'horreur, celle de mes joues gonflées, de mes énormes poches sous mes yeux, qui déforment mon visage, et de ma dentition proéminente.

Mon corps n'est pas en reste. Je ne suis pas très tonique et je n'ai rien de gracieux.

Pour autant, j'ai appris à m'y faire et à ignorer mes complexes. Sans doute parce que je n'ai jamais ressenti le besoin de plaire à qui que ce soit.

Faire partie d'un boys band a bouleversé la donne : dans cette industrie, rien ne compte sinon le talent et le physique. On m'a toujours dit que je savais chanter... pas que j'étais beau. Je veux dire, mes parents, mes amis, les garçons, le staff me trouvent mignon. Mais j'ai fini par comprendre que c'est une manière polie de dire que je n'ai rien de magnifique. Je suis juste mignon. C'est quand même déjà ça. Je sais que certains trainees sont obligés de faire de la chirurgie esthétique sous peine de renoncer à leur carrière.

Dans tous les cas, si mes traits n'avaient rien d'extraordinaire, je pouvais au moins sculpter mon corps. Très tôt, je me suis intéressé à la danse : j'ai cumulé les stages et ciblé des agences réputées pour leur formation en chorégraphie. Toutes ne m'ont pas accepté. Et je les comprends totalement : je n'avais que 15 ans, tout un physique et une voix à travailler, aucune connaissance en langues étrangères et pour couronner le tout, une timidité assez impressionnante... La force du destin m'a finalement conduit jusqu'aux BangTan Boys.

Je les ai de suite adorés.

Namjoon était le modèle que j'aspirais à devenir, peut-être parce qu'il me faisait penser à mon frère, à mon père, à moi d'une certaine manière, mais en mieux. Il avait comme la même énergie ; inconsciemment ça me rassurait beaucoup. Malgré ses quarts d'heure de folies, je sentais aussi qu'il cachait une part plus sombre. Je n'ai jamais posé le pied sur ce territoire. Ce n'était pas à moi de le conquérir. Et pourtant... Ma relation avec lui a été plus profonde que ce que je soupçonnais dès le départ. Toujours est-il que j'ai mis du temps avant d'interagir sereinement avec lui.

Il m'intimidait beaucoup, un peu comme Yoongi. Peu loquace, mais très observateur. Trop. Aujourd'hui, je le vois comme ce qu'il est vraiment : un ange gardien, qui nous protège de loin. Yoongi est doux, bien plus doux qu'il ne le laisse paraître.

Quant à Seokjin, j'ai mis un peu de temps à me sentir proche de lui. Il craignait que je devienne capricieux, alors il évitait de tout me passer. Parfois, j'imagine Namjoon comme le papa du groupe, et Jin comme la maman. Ça m'a toujours fait rire parce que ces deux-là ont une proximité assez fascinante, en dépit de leurs caractères opposés. Aujourd'hui, Jin est un ami au même titre qu'un confident pour moi.

Hoseok et Jimin ont pour leur part rempli le véritable rôle d'amis et de mentors, et ce dès le début. Accessibles, protecteurs, souriants : ils avaient tout pour rassurer l'enfant que j'étais encore malgré moi. Mais sous cette apparence avenante dormaient deux grands esprits. Le premier m'impressionnait par sa rigueur : celle-ci atteignait de tels sommets qu'elle m'avait plus d'une fois tiré des larmes. Cependant, avec Hobi, la réussite avait un goût plus savoureux. Chacun de ses compliments valaient à mes yeux tous les trésors. Le second, Jimin, aurait dû porter le nom de la loyauté elle-même. Jimin a toujours eu besoin de reconnaissance. Je pense qu'il en a manqué dans sa vie, car il est toujours prêt à rendre service aux autres, et à leur donner le sourire. Il ne fait jamais rien à moitié. Remercier Jimin pour tous ses petits gestes du quotidien, c'est le rendre heureux. Moi, je le regardais avec des étoiles dans les yeux. J'étais son petit protégé et ça me plaisait.

Et puis il y a eu Taehyung.

La première fois que j'ai vraiment pris conscience du fait que je me trouvais laid, c'est quand j'ai rencontré Taehyung. Sa beauté m'a tout de suite impressionné : je n'avais jamais vu de visage plus parfait que le sien. À l'opposé de moi, il dégageait quelque chose de magnétique, de véritablement désarmant.

Quand j'y repense, son aura brillait si fort que j'avais l'impression qu'elle pointait tous mes défauts.

Je l'ai pris pour modèle lui aussi.

Tout était différent avec Taehyung, et ce, dès nos premiers échanges. Je me sentais plus attiré par lui, plus fasciné, et en même temps, plus méfiant. Comme s'il était en mesure de me briser. Parfois, quand il était trop près de moi, je me tendais aussitôt et préférait me rapprocher de Jimin ou de Namjoon. C'est incroyable comme le corps peut vous faire passer des messages... C'est comme s'il tentait déjà de m'avertir de la menace.

On s'entendait bien, mais sans plus. Parfois, je sentais comme une barrière entre nous. Ça ne me dérangeait pas tant que ça puisqu'il m'intimidait. Et puis Jimin et Hobi me donnaient déjà tout ce dont j'avais besoin : un but et de l'amour.

Malgré cette distance, on se ressemblait sur bien des aspects avec Taehyung, et notamment notre perfectionnisme. Lui voulait briller, tandis que moi, je voulais faire mes preuves. J'avais constamment l'impression de ne pas mériter ma place dans le groupe.

Dès le départ, je me suis trop entraîné, parce que l'agence craignait que je ne m'investisse pas assez, du fait de mon jeune âge. Ils ont vite compris qu'ils s'étaient trompés en me voyant me donner plus que les autres. Cet aspect de mon caractère a tout de suite plu à Taehyung. On s'est surtout rapprochés comme ça. Par notre même vision du travail.

En vérité, ils étaient tous parfaits. Moi, je me sentais comme le vilain petit canard.

Plus que n'importe qui, j'adorais Jimin. Il faisait plus attention à moi et me couvrait de cadeaux. Parfois, j'entendais Seokjin le réprimander, car il craignait que la célébrité et les attentions du danseur ne me fassent perdre le sens des réalités. Ça ne nous a pas arrêtés. Jimin continuait de passer plus de temps avec moi, ignorant les réprimandes des autres, même de Taehyung, qui trouvait qu'on s'isolait beaucoup trop d'eux.

J'ai été égoïste. Je me suis accroché à Jimin comme on s'accroche à une bouée en pleine mer déchainée. Mais lui aussi avait ses faiblesses et ses combats intérieurs. Moi, je n'ai rien vu. Il a commencé à faire très attention à ce qu'il mangeait, car il se trouvait trop gros et pas assez tonique. Alors évidemment, quand il a cessé de s'alimenter, j'en ai fait autant. C'était normal pour moi.

On en a jamais vraiment parlé entre nous, mais il y avait cette connivence : tu ne me balances pas, je ne te balance pas. Les regards sont parfois plus lourds de sens que les mots.

Je progressais en danse et je m'affinais, ce qui me ravissait et m'encourageait, d'autant que les autres me félicitaient. Mais mon visage demeurait rond. Trop tard. J'étais lancé dans la course, ivre de me sentir affamé. Et je n'avais pas l'intention de m'arrêter de sitôt. Pas avant de perdre mes joues au moins.

Nos hyungs ont commencé à s'inquiéter. Ils nous invitaient tout le temps pour déjeuner ou pour dîner, surtout Seokjin. Et puis j'ai remarqué que Taehyung nous observait souvent, Jimin et moi. Au début, je n'y ai guère fait attention.

Puis son regard s'est concentré sur moi. Je le sentais comme un poids qui m'écrasait. Quoi que je fasse, ses yeux me suivaient telle une ombre affamée. Quand on rigolait comme des baleines avec Hobi. Quand je mangeais ma banane du matin (qui a fini par devenir le seul repas que je m'autorisais). Quand je dessinais. Quand je chantais. Quand je dansais. Même quand je dormais.

Les garçons pensaient qu'il s'était passé quelque chose entre nous. Même Yoongi a fini par me poser la question :

– Dis-moi... Vous vous êtes disputés avec Taehyung ?

C'était avant ce jour.



Mai 2014

Je suis seul, dans ma chambre, assis sur mon matelas, le dos contre la tête du lit, occupé à dessiner sur ma tablette graphique. C'est un cadeau de mes parents pour mon diplôme du lycée.

Ces derniers temps, je m'entraîne souvent aux portraits, car je ne suis pas très à l'aise avec les visages. Je leur préfère les paysages. Avant d'entrer à la Seoul School Performing of Arts, un lycée que BigHit me paye, je dois exceller certes dans le chant et la danse, mes domaines d'apprentissage, mais aussi en dessin, la matière que j'ai choisie en option. Mes parents seraient fiers de moi si j'avais un diplôme en arts visuels, surtout ma mère...

Les paysages ne m'ont jamais posé de problème, car je suis de nature plutôt contemplative. Petit, j'aimais observer les détails de la nature et m'amuser à les reproduire. Mon trait est davantage incertain quand il s'agit des portraits, et je sais que ça fera partie de mon évaluation, au lycée. Alors j'essaie comme je peux de me préparer, parce que mon dossier scolaire me tient à cœur.

J'ai commencé par m'exercer avec le visage de Jimin. En plus de m'inspirer, car il combine à mes yeux finesse et rondeur, deux antagonismes que je souhaite maîtriser, il m'apaise énormément. Ce sont des traits que j'ai appris à adorer, et Jimin rougit toujours de plaisir quand il découvre mes essais. En plus, comme je suis très timide, surtout quand il s'agit de mes sentiments, c'est un peu ma façon de lui dire à quel point il est important pour moi.

Je n'arrive pas à faire son menton comme je le veux, et ça commence à m'agacer. Alors que je suis en train d'effacer à nouveau mon essai, Taehyung déboule dans la chambre, sans même toquer. Je relève à peine les yeux de mon travail, trop concentré pour lui accorder de l'attention.

– Tu vas arrêter de voir Jimin.

Sa voix claque comme un coup de fouet. Je me glace aussitôt, sensible à son timbre, glacial. Cette fois, j'abandonne mon dessin et plante mes yeux surpris dans les siens, plus sombres que jamais. Sur le moment, je ne comprends pas ce qui se passe.

– Pardon ? je demande.

– On change de colocataire. Tu viens dans ma chambre, Yoongi passe ici. Prépare tes affaires.

– Attends... quoi ?

Je pose ma tablette, éberlué. Quand Taehyung reconnaît le visage esquissé de Jimin sur l'écran, sa mâchoire se contracte et ses yeux me foudroient. Je n'ose même pas bouger, tant je sens la haine émaner de tout son être.

– T'es teubé ou quoi ? Fais. Ta. Putain de valise ! termine-t-il élevant la voix.

Taehyung n'a jamais haussé le ton sur moi. Il ne m'a jamais regardé aussi méchamment. Sur le moment, ça me fait l'effet d'un coup de couteau en plein cœur. Et je ne comprends pas pourquoi mon souffle s'accélère, pourquoi la panique m'envahit, pourquoi j'ai envie de fondre en larmes pour ces quelques mots.

Je comprends aussitôt que j'ai peur. Peur qu'en réalité, il ne m'aime pas. Alors j'ouvre la bouche, et je murmure d'une voix brisée :

– Hyung...

Il ferme les yeux, coupant notre échange visuel. Alors, mon regard glisse le long de ses bras, pour tomber sur ses poings. Serrés. Ses jointures sont blanches.

– Jungkook, gronde-t-il la mâchoire toujours contractée.

« Respire, Jungkook, tu n'as rien fait, calme-toi. Il ne peut pas être en colère contre toi. Demande-lui », me susurre ma conscience.

– Qu'est-ce qui s'est passé ?

Ma voix tremble un peu, mais au moins, mes yeux sont encore secs. Taehyung rouvre les siens, toujours brûlants de colère.

– Il s'est passé que Jimin a fait un malaise parce qu'il bouffe à peine et qu'il est hors de question que tu suives sa voie !

Je déglutis. Jimin... Un malaise ? Non. J'entends à peine...

– ...devoir le mettre sous perfusion à ce train-là... traitement... Tu m'entends ?!

...à peine ce qu'il me dit.

– Je...

Mes yeux quittent Taehyung et glissent d'un point à un autre tandis que mes pensées s'accélèrent. À l'image de ma respiration, elles ne trouvent pas d'attaches.

– Donc maintenant, tu te lèves et tu prépares tes affaires.

J'en oublie Taehyung et sa haine, toujours dirigée sur moi. Je ne le vois plus, mon être est entièrement focalisé sur Jimin.

– Où est-il ? je demande en me levant difficilement du lit, en proie au choc.

– Dans le salon.

Je ne réfléchis pas et je m'élance aussitôt vers la porte. Mais alors que j'allais abaisser la poignée, Taehyung tire sur l'arrière de mon pull pour me retenir. Aussitôt, je me débats et tends les bras vers l'avant pour m'échapper de son emprise, qui se resserre.

La scène doit paraître ridicule vue de l'extérieur. Sauf que nous n'avons pas le cœur à rire. Plus il me freine, plus je bascule vers l'hystérie. Je souffle fort, renâcle, geins, si bien que son bras m'attrape aussitôt par la taille pour me plaquer contre son torse.

– Calme-toi bordel ! s'exclame-t-il contre mes cheveux.

Mais je me débats, je veux voir Jimin.

Taehyung est bien plus fort que moi.

« Il mange tous les jours lui. Il ne manque pas de force. Il est beau. »

Tais-toi, tais-toi, tais-toi...

– Lâche-moi, laisse-moi le voir ! je crie comme une furie.

Je commence à m'essouffler, concentrant mes efforts pour me libérer de la prise de Taehyung. Mais ses bras, resserrés comme des étaux autours de ma taille, sont une muraille infranchissable.

Soudain, il me retourne et plaque mon dos contre le mur, faisant légèrement claquer ma tête. Je me sens tout sonné, ce qui a le mérite de me faire taire. Taehyung profite de ce moment pour saisir mon visage. La pression de ses mains sur mes pommettes fait ressortir ma bouche. Je déteste sentir la peau de mes joues – toute cette peau, trop de peau – contre ses doigts. Nos nez se frôlent et sa bouche est trop proche de la mienne, mais tout ce que je vois à cet instant sont ses yeux.

Il a l'air d'un démon.

Puis je sens une grande tristesse s'emparer de moi.

Mes yeux se bordent de larmes tandis que ses mots finissent de m'achever.

– C'est quoi ton putain de problème avec Jimin ? Tu passes ton temps accroché à lui. Et maintenant tu le dessines ? Fiche-lui la paix bordel !

Les larmes coulent à présent sur ses mains toujours sur mon visage.

J'entends la porte s'ouvrir, mais je ne peux pas bouger.

– Taehyung, lâche-le.

Je reconnais la voix de Namjoon, et je gémis rien qu'à ce son, tandis que mes larmes coulent de plus belle. Taehyung, lui, ne détache pas son regard du mien. C'est comme s'il me faisait prisonnier.

– Il a commencé à péter un câble, je ne voyais pas comment le maîtriser, répond Taehyung d'un ton froid.

La haine n'a toujours pas déserté son regard. Pourquoi moi ?

J'ai toujours fait ce qu'il voulait de moi. On chante toujours ensemble, je m'entraîne souvent avec lui, on danse, je lui fais son petit-déjeuner... Et à chaque fois il me remercie avec ce grand sourire rectangulaire que j'adore. Pourquoi me déteste-t-il ?

Mes paupières se ferment et je sens le bout de mes cils humides caresser ses doigts... Je déteste voir cette colère dans ses yeux noirs. Il m'intimide.

– Je... je voulais juste voir J-Jimin, je chuchote tout doucement, des sanglots dans la voix.

– Lâche-le Taehyung. Il s'est calmé.

C'est la voix de Yoongi. Il n'a pas l'air ravi...

Je sens les mains de Taehyung quitter mon visage tandis que son corps se décolle du mien. Même si j'ai les yeux fermés, je perçois son aura s'éloigner puis disparaître... Il a quitté la pièce. Ahuri, je reste prostré contre le mur. Je ne sais pas quoi faire.

Une fois les yeux ouverts, je reconnais Namjoon dans l'encadrement de la porte, avec Yoongi. Ce dernier s'avance vers moi, une expression sévère sur le visage. Quand il me parle, je comprends qu'il n'est pas en colère contre moi et ça me soulage.

– Je suis désolé Kook. Taehyung a dû te l'expliquer mais tu vas désormais partager sa chambre... Et si ça se passe mal, tu viens nous voir et on s'organise autrement. Ça va ?

– Je...pardon... pour Jimin, pardon.

J'éclate soudainement en sanglots. Je suis vraiment un faible. Un nul.

Yoongi me prend aussitôt dans ses bras, et ça me fait tellement de bien. Je réfugie mon visage contre son cou. Sa peau est toute douce et chaude, ça me donne l'impression d'être tout contre ma mère, même s'il ne sent pas comme elle...

– Chut... Ça va aller Kookie, je vais t'aider à rassembler tes affaires d'accord ?

J'acquiesce contre sa gorge en silence. Intérieurement je le remercie jusqu'à n'en plus pouvoir. Mais je suis soudainement fatigué.

– Quand est-ce que je pourrai voir Jimin ?

Namjoon me répond avant de sortir de la chambre, non sans m'adresser un dernier regard.

– Il est dans le salon. Viens.





À partir de ce moment-là, j'ai ressenti une violente culpabilité. Jimin s'est fait engueule, accusé de m'avoir entraîné dans ses « conneries de régime ». Plusieurs fois, j'ai essayé de leur expliquer que jamais il ne m'avait influencé de la sorte, que c'était moi, moi qui voulait juste lui ressembler, être comme lui. Dans ces moments, Namjoon et Jin me fixaient avec une expression de pitié douloureuse, Taehyung me ricanait au visage (« allons bon ! », disait-il) sous la colère de Yoongi et Hoseok, et Jimin pleurait. Il pleurait juste, sans rien dire. Alors j'ai arrêté d'argumenter.

Si je trouvais, avant, la force de surpasser mes peurs, mes complexes physiques et mon syndrome de l'imposteur, c'était grâce au contact de Jimin. Tel un soleil, il chassait la tempête qui faisait rage dans ma tête.

Mais on me l'a retiré. Pire encore : Jimin n'avait plus rien d'un soleil. Alors la pluie est revenue dans ma tête.

Je me suis effacé, évanoui dans la brume.

J'évitais Taehyung comme la peste, et par extension Jimin, que je ne voulais plus accaparer et étouffer. Il méritait de rester avec des personnes plus saines et moins en demande d'attention. Des personnes capables de prendre soin de lui aussi... Puis, naturellement, je me suis rapproché d'Hoseok et de Yoongi, de Jin aussi. Ces trois-là me disciplinaient, sans pour autant être trop durs. Ils m'apprenaient la norme.

Déjà, je me suis remis à manger correctement et sainement. Je ne passais juste pas pour un gourmand, mais je me forçais, pour Jimin, pour les autres. Pour ne plus inquiéter ou énerver personne. Pendant les repas, je sentais Taehyung me dévisager, comme s'il surveillait bien que j'avalais chaque aliment. Son regard était certes indéchiffrable, mais il provoquait en moi une gêne tenace. Surtout car je savais ce que cette nouvelle attention signifiait... J'avais en effet surpris une discussion animée, un soir, entre lui et Yoongi.

Alors que je sortais de la salle de bain d'une douche un peu trop tardive, je me dirigeais le plus silencieusement possible vers ma chambre pour éviter de réveiller quelqu'un. C'est ainsi que je les avait entendus, dans la cuisine...

– T'es dégueulasse avec lui, Taehyung, tu te rends compte ?

C'était rare d'entendre Yoongi utiliser un ton aussi agressif. Ça m'avait fait l'effet d'une douche froide. Ironique quand on savait d'où je venais...

– Putain, mais vous avez que ce gosse à la bouche ou quoi ? Et Jimin vous y avez pensé peut-être ?!

– Jimin a bientôt 20 ans, il est majeur, il sait qu'il a déconné, et il reprend du poil de la bête. Jungkook n'a que 17 ans, putain c'est un gosse Taehyung ! Tu vois pas qu'il est beaucoup plus fragile ? Je te jure que si j'apprends que tu le traites mal-

– Je ne le traite pas mal ! Il est discret, c'est déjà ça.

– Bien sûr qu'il l'est bordel ! Il est constamment effrayé à l'idée qu'on le vire du groupe ! On se doit de l'intégrer, on est ses hyungs et si tu-

Je n'avais pas pu en écouter davantage à l'époque. C'était trop douloureux. D'entendre, de constater, le poids que j'étais, pour eux tous.

Devant les caméras, Taehyung faisait comme si de rien n'était et continuait de me taquiner. Je répondais comme je pouvais. C'est comme si je ne me contrôlais plus... comme si on tirait sur mes fils pour me faire l'adorer. Finalement, nos sourires s'éteignaient comme les machines qui nous encerclaient constamment, et ils rechargeaient leurs batteries une fois retournés chez nous.

La colocation avec lui était vraiment bizarre au début. J'appréhendais beaucoup, mais globalement, il ne bouleversait pas trop mes habitudes. Par exemple, à cette époque, je dormais beaucoup trop par rapport aux garçons. Si Jimin faisait exprès d'ouvrir les volets ou de faire du bruit pour me réveiller, Taehyung me laissait et s'arrangeait pour se faire le plus discret possible.

Le temps a passé, laissant place à une certaine complicité entre nous. Je me souviens que Taehyung me ramenait tous les mercredis en voiture au lycée, et ses petits déjeuners étaient mes préférés. Ils se composaient d'une brique de lait à la banane et de kimbap qu'il préparait la veille. C'était si simple, mais ses efforts me faisaient plaisir.

Le dimanche, il me ramenait aussi une brioche avec des fraises, que nous mangions en regardant une série sur son lit. Il disait que le dimanche était un jour spécial et qu'il fallait fêter ça dignement. Une fois j'avais renversé des fraises sur ses draps. J'ai cru qu'il allait m'engueuler, mais au lieu de ça, il a juste soupiré.

– Les garçons vont croire que je te tabasse maintenant.

J'ai ricané avec lui.

Ces petits rapprochements, provoqués par de simples détails, ont peu à peu endormi ma méfiance. Après tout... Nous avions peut-être le droit à une seconde chance ?





Février 2015

Ce soir, on doit regarder tous ensemble notre dernier clip, « War of hormone ». Je me souviens avoir enfilé deux jeans pour épaissir un peu l'allure de mes jambes au moment du tournage. Jimin, de son côté, avait repris du poids, heureusement.

Hier on a joué tous les deux à la console qu'il s'est récemment achetée. Ça me fait du bien de le retrouver. Il sourit, il mange et il se dépense sans outrepasser ses limites. Il s'écoute. Et moi je l'écoute. J'aime l'écouter.

Ce soir, je parle par SMS avec HyeJin, une amie du lycée. On doit rendre un devoir commun pour lundi prochain et j'essaie comme je peux de lui donner du temps pour faire avancer les choses. Mes entraînements et les tournages répétés avec les garçons me rendent si peu disponible, je vois bien que ça l'agace parfois, mais elle ne se plaint jamais.

Perdu dans mes pensées, j'entends à peine les garçons m'appeler en hurlant du salon. Merde ! Je quitte mon téléphone et cours rejoindre les autres. Et bien évidemment, il n'y a plus de place sur le canapé...

– Viens, me dit Taehyung en captant mon regard.

Je m'approche en pensant qu'il va se décaler vers Jin pour me laisser un petit espace. Au lieu de ça il me montre ses jambes.

– Viens sur moi, idiot.

Pardon ?

Moi, m'asseoir sur ses genoux ? Mais pourquoi ? Je veux dire, on a parfois l'habitude d'être tactiles devant les caméras, mais pas en dehors, même si ça allait mieux entre nous depuis quelques mois...

Rouge comme une pivoine, je finis par m'exécuter, de peur d'attirer l'attention des autres, en plein débat à propos de notre prochain créneau d'entraînement. À peine mes fesses posées sur les cuisses de Taehyung, celui-ci me tire vers lui, pour m'aider à mieux m'installer. Puis il prend par à la discussion. J'essaie de suivre mais je ne dis rien. Puis je sens sa main s'égarer sur ma taille, son menton se caler dans le creux de mon cou. L'une de ses mains attrape l'ourlet de mon pull et joue avec, sans s'aventurer sur la peau de mon ventre, tendu. L'autre repose sur ma cuisse.

Il flirte avec mes barrières, ça me déstabilise complètement. Intérieurement, je suis content de lui tourner le dos, ainsi il ne peut pas voir mon trouble... Ces contacts rapprochés et son souffle sur ma nuque me font déglutir et frissonner en même temps.

Hoseok interrompt soudainement le débat et lance le clip.

C'est parti.

Obnubilé par l'écran, j'en oublie ma position, et surtout l'identité de la personne qui m'enlace. Mon dos finit par se fondre contre son torse et mon corps se relâche peu à peu. La tête un peu en arrière, je sens soudain la joue de Taehyung contre la mienne. Ça me fait sursauter.

Sa peau.

Elle est douce.

– Pardon, je murmure à cause de mon sursaut.

L'espace d'une seconde, j'ai envie qu'il m'enveloppe tout entier dans ses bras et m'enlève loin d'ici.

– Pas grave, me répond-t-il.



Tout est flou dans ma tête, les souvenirs se mélangent et se confondent... Mais il y en a eu un, en particulier, qui a sonné comme un véritable début.

Comme l'éclosion.



Octobre 2015

Je suis assis sur mon lit, en train de dessiner sur ma tablette graphique. Il ne me reste qu'une semaine pour terminer d'illustrer un conte. J'ai choisi celui des étoiles amoureuses. Pour l'instant, je ne suis pas encore satisfait du rendu et plus l'échéance se rapproche, plus ça me stresse... Je travaille à l'aquarelle que je scanne, puis je reprends le dessin sur ma tablette, mais c'est très laborieux. Étonnement, Taehyung est fasciné par ce devoir. Tous les soirs, il me demande s'il peut venir sur mon lit pour me regarder et me donner son avis. Il dit que ça le détend avant de se coucher et de rêver de mes dessins... Moi, ça me ravit à chaque fois, car j'ai l'impression qu'il aime beaucoup. Qu'il m'aime beaucoup.

Dans ses yeux, je me vois presque comme une perle.

Ou comme une fleur qui s'ouvre.

Absorbé par mon dessin, je n'entends pas la porte s'ouvrir et se refermer.

– J'ai une surprise pour un petit lapin rêveur !

Aussitôt je relève la tête, intrigué. Il a l'air particulièrement joyeux, et je sens mon cœur se réchauffer à cette simple vue.

– Tu es déjà rentré ?

– Non mais je rêve. Tu n'as pas arrêté de dessiner depuis que je suis parti ?! Tu travailles trop ! me gronde-t-il.

Je soupire, la mine déconfite, en reposant ma tablette :

– Je n'ai pas vu le temps passer... Ce truc est un enfer, hyung...

Fatigué de me battre contre une pleine page qui me donne du fil à retordre, je m'assois sur le rebord de mon lit, glissant mes mains sous mes cuisses.

En relevant la tête, je surprends Taehyung en train de me reluquer et je déglutis. Quand il est parti ce midi, j'ai pris une douche. Je n'avais pas grand chose de propre pour me changer... Alors je lui ai volé un grand t-shirt que j'ai rentré dans un short. Je sens la peau nue de mes jambes picoter sous le poids de son regard appuyé.

– Il est à moi ce t-shirt, constate-t-il d'un ton faussement sévère.

– Il me préfère je crois... Tu devrais me le laisser !

Je commence à être plus à l'aise avec lui maintenant, et je réponds même à ses petites attaques ! Ça me surprend moi-même par moment, mais je crois que Taehyung aime bien me voir sortir de ma coquille et m'affirmer.

Quand il retire sa veste, je délaisse du regard mon hyung et observe curieusement les sacs qu'il a posé par terre.

– Petite fouine ! rit-il en me voyant.

Je détourne aussitôt le regard sur ma tablette, abandonnée sur mon lit, la mine innocente.

– Lève-toi !

Je m'exécute, plaçant mes mains derrière mon dos en signe d'attente.

– Comme tu es sage ! rit-il. C'est parce que j'ai parlé de cadeau, hum ?

Je rougis violemment quand il me lance un petit sourire en coin, absolument renversant. Ses yeux joueurs brillent de malice tandis qu'il attrape l'un de ses sacs, par terre. Il s'approche ensuite de moi et me rend le cadeau tandis que son sourire passe de taquin à sincèrement joyeux.

– Ouvre-le !

Je m'empare du sac et sors une boîte rectangulaire, emballée dans du papier brillant. Après avoir reposé le sac, je déballe l'objet, quand je reconnais...

– Mais c'est... Mais... Taehyung...

Je n'en reviens pas. Les yeux écarquillés, je relève la tête vers Taehyung, une mine affolée sur mon visage.

– Mais tu es fou... C'est... C'est trop cher, je ne peux pas accepter.

Car il s'agit bien de cela : une nouvelle tablette graphique, d'une gamme bien plus élevée que la mienne. Je savais que ce que j'avais entre les mains valait facilement dans les 400 000 wons (300 € environ).

– Et pourquoi ? Tu en as bien besoin en ce moment.

C'est vrai que depuis que Taehyung faisait attention à mes dessins, je m'étais ouvert à lui. Ces derniers jours, je me plaignais souvent de mon actuelle tablette, le dernier cadeau en date de mes parents. Si mon père dessine bien, il s'y connaît très peu en technologie, aussi avait-il choisi un modèle plus adapté pour la retouche photo que le dessin. En plus, le stylet me fatiguait les muscles de la main et le bouton réagissait souvent mal... En me lamentant de la sorte, je ne pensais pas que Taehyung m'en achèterait une nouvelle.

– Reprends-là s'il te plaît. Je suis mal à l'aise... je souffle en lui tendant la boîte sans oser le regarder.

– Je fais ce que je veux de mon argent ! Et vu ton talent, c'est un bon investissement. Je suis sûr que tu auras une super note à ton devoir de dessin avec ce petit cadeau. Il faudra que tu m'invites au restaurant après ça, rit-il.

– Mais ce n'est pas un petit cadeau ! je rouspète en le dévisageant, les sourcils froncés.

– Alors tu m'achèteras de la viande.

Il se tourne aussitôt pour ranger ses autres sacs dans son armoire. De mon côté, je ne sais pas quoi faire. Figé, je finis par déporter mon attention sur l'objet. Hyejin en a une comme ça... Et elle fait de très jolies choses avec, d'une précision inouïe... Bon sang, je ne peux pas accepter.

En proie à mes réflexions, je ne vois pas Taehyung se retourner et me dévisager d'un air moqueur.

– Si j'avais su comment te clouer le bec, je te l'aurais achetée plus tôt... ricane-t-il pour lui-même.

Quand il repasse près de moi, il s'arrête.

Juste le temps.

De déposer.

Un baiser.

Sur mon front.

Et ce geste, si délicat, m'électrise.

– S'il te plaît, garde-la, murmure-t-il contre ma peau.

Sa main caresse fugacement ma joue avant qu'il ne reparte comme une brise légère.

Taehyung...




On a passé tant de bons moments dans cette chambre, tous les deux. Au fur et à mesure que les jours filaient, Taehyung est devenu mon soleil.





Novembre 2015

Aujourd'hui c'est jeudi, et je sors de classe avec un sourire qui me dévore tout le visage. En général j'évite de rire, parce que je déteste mon expression dans ces moments. Mes joues sont encore plus énormes, mes dents ressortent d'une manière affreuse, et mes grands yeux se noient dans mes poches sombres.

Sauf qu'à l'heure actuelle, je m'en fiche totalement. Parce que je nage en plein bonheur et que je n'ai qu'une hâte : rentrer pour voir Taehyung.

Quand j'arrive à la maison, je fonds dans l'entrée à la recherche de mon colocataire de chambre.

– Mais qui nous l'a transformé en tornade ? pleurniche Hoseok quand je rentre presque en défonçant la porte.

– Il est où Tae ? je demande en l'ignorant.

– Dans son lit ! me répond Jimin de la cuisine avec un grand sourire.

– Devinez quoi ! j'exulte sans pouvoir me retenir. J'ai eu A+ à mon projet de dessin !!

Aussitôt, Hoseok exécute une danse de la joie improvisée.

– Mais c'est super ! On devrait tous se faire livrer un bon repas pour fêter ça.

– Forcément, ça t'évite la corvée de cuisiner ce soir, ricane Yoongi, avachi dans le canapé.

Mais Hobi l'ignore ostensiblement et cherche déjà une bonne adresse sur son téléphone. Moi, je m'élance sans plus attendre vers ma chambre, que je partage avec Taehyung.

– Enlève tes chaussures sale môme, tu vas tout dégueulasser !! me hurle Jin dans le dos quand je le dépasse.

Une fois dans la chambre, j'aperçois Taehyung, sur son lit, allongé sur le ventre, en train de lire un livre.

– Devine quoi ! je crie, tout excité, en posant mon sac à dos sur mon lit.

Tandis que je retire mes chaussures et mon manteau en me dandinant sur place, il ouvre grand les yeux et commence à se moquer de moi.

– C'est à cause de toi tout ce vacarme dans la maison ? Le petit lapin est de retour dans son terrier ?

– Arrête de m'appeler comme ça, hyung ! je me plains en faisant la moue.

Mon colocataire lève aussitôt un sourcil.

– Qu'est-ce qui se passe ?

Taehyung s'assoit au bord de son lit en se tenant légèrement en arrière, appuyé sur ses mains. J'ai l'impression de distinguer sur son visage une expression purement bienveillante, comme une sorte de protection ou d'admiration. C'est étrange. Si je n'étais pas aussi exalté, je serais sans doute resté sans voix.

– J'ai eu A+ pour mon projet de conte illustré !

À ces mots, il ouvre grand les yeux.

– Wow ! Pourquoi je ne suis pas surpris...

– Pourtant tu en as l'air, je réponds en rigolant, laissant voir mes dents de devant et mes joues toutes rondes.

– Non, je ne le suis pas...

Sa voix est étrange. Un peu rêveuse ? Je suis si ivre de joie que je peine à comprendre les subtilités de son attitude. Mais peu m'importe. Je m'approche de mon lit et ouvre mon sac avant de sortir mes affaires.

– Le professeur l'a montré à toute la classe, j'étais tellement mal à l'aise, hyung... je soupire. Il a dit que c'était digne d'un professionnel...

– Hum...

Je me retourne aussitôt vers lui. Il n'a pas bougé d'un poil.

– Cache ta joie surtout ! je lui reproche doucereusement.

– Oh, désolé de ne pas être un hystérique, ricane-t-il aussitôt.

Je l'ignore et retourne à mon sac. Il m'énerve un peu quand même. Je m'attendais à une réaction plus enjouée, surtout quand on pense que c'est grâce à son superbe cadeau. Peut-être est-il si peu loquace car je ne me suis pas montré assez reconnaissant ?

– C'est bon, viens là, je l'entends dire dans mon dos.

– Hein ?

Surpris, je me retourne, abandonnant mes affaires et voit Taehyung me faire signe de venir. Je m'approche doucement, quand soudain il m'attrape par le tissu de ma chemise et me tire vers lui. Je n'ai pas le temps de réagir et tombe sur lui.

– Hey ! je proteste.

Taehyung me pousse aussitôt sur le côté en riant. Je me retrouve vite allongé sur le dos, dans son lit, bercé par son rire qui a tout d'une mélodie. À peine ai-je le temps de me relever, adossé sur mes coudes, qu'il vient se mettre à califourchon sur moi, me laissant retomber contre le matelas.

– Tu m'emmènes au restaurant alors ? Je veux aller dans un endroit chic, exige-t-il.

– Bof, un ramen suffira, je ricane.

J'aime trop le taquiner.

– Alors là, tu n'as pas intérêt ! On fête ça comme il faut. Sinon...

Et l'espace d'une seconde, j'ai l'impression que ses yeux se posent sur ma bouche.

Non, j'ai dû rêver.

– Je te torture, déclare-t-il sérieusement.

Et sa voix grave me rend tout à coup... faible. Un peu étrange ? Je ne saurais dire, mais je sens mes joues chauffer, mon corps chauffer... Lui n'esquisse aucune expression, ses yeux plus sombres que la nuit tirent de moi comme un secret. Et puis je prends conscience de sa proximité...

De sa chaleur.

De son emprise.

– T-Taehyung ?

J'ai l'impression que la bulle éclate : ma voix vient de briser quelque chose.

Mais plutôt qu'un silence gêné, l'hilarité nous envahit tous les deux. C'est de sa faute. Sans même que je n'ai eu le temps de le voir venir, il me chatouille le ventre. Mes pauvres gloussements ne tardent pas à envahir tout l'espace.

– Hum, voyons voir si cet endroit est plus sensible... marmonne-t-il en poursuivant son exploration.

Puis il passe au torse. Au cou, aux jambes.

– Mais ce n'est pas possible, râle-t-il. Tu as forcément un point faible... Oh ! J'ai oublié quelque chose...

Ses mains quittent aussitôt mes cuisses et s'aventurent vers le haut. Automatiquement, je suis sur le qui-vive. Mon souffle s'accélère, me trahissant quand il s'approche de mes bras.

– Mais non ! Les aisselles ?

– Non !! je supplie brusquement.

Il éclate aussitôt d'un rire sadique et se jette sur mes pauvres aisselles. Je serre mes bras contre mon corps de toutes mes forces, mais il finit par trouver une ouverture. Aussitôt je pousse des cris aigus et essaie de me soustraire de sa prise. Mais il resserre ses jambes autour de moi et paraît si grand, au-dessus de mon corps qui se tord dans tous les sens. Mes mèches s'étalent contre le matelas et des larmes hilares dévalent mes joues.

– AAAAH NON ! je hurle de rire. Aaaaaah ! Tae !!

Je me débats comme un beau diable, possédé par le fou-rire qui me prend, mais Taehyung n'en a que faire et semble se repaître de mes rires avec joie. Quand mon souffle devient inquiétant et que je ne parviens plus à émettre le moindre son, il finit par s'arrêter. Je me sens au bord de la crise d'asthme tant je peine à respirer.

– Si je pouvais avaler tes rires, je n'en ferais qu'une bouchée !





J'étais naïf. Je ne me rendais pas compte que cette phrase signifiait qu'il voulait m'embrasser. Je ne voyais pas son désir, simplement de l'affection. Le début d'une amitié profonde et fraternelle. J'ai tus mon désir pour lui, en pensant que jamais, au grand jamais, il ne partagerait mes sentiments.




Décembre 2015

Ce soir, Taehyung est parti au restaurant avec Hoseok et Jimin. J'ai refusé leur invitation pour la simple et bonne raison que c'est l'anniversaire de mon père ce soir. J'ai prévu d'appeler mes parents pour l'occasion en vidéo.

19 heures 30 ! Je file me brosser les dents et me laver déjà pour être tranquille, vu qu'on risque de discuter jusque tard... Une fois ma toilette terminée, j'enfile un short fin et un t-shirt (un autre de Taehyung, parce que, oui, c'est devenu une véritable habitude de lui voler ses affaires).

Puis je m'installe sur mon lit, prends mon téléphone portable et appelle directement.

– Coucou, je crie, tout content en reconnaissant le visage de ma mère.

Heureusement que les chambres sont bien isolées entre elles... Je suis beaucoup trop excité de passer cette soirée avec mes parents, et j'ai parfois tendance à être bruyant quand je suis joyeux.

– Coucou mon bébé, tu vas bien ? me répond-t-elle.

D'habitude, quand elle m'appelle ainsi je la reprends toujours, mais je passe outre pour cette fois.

– Oui ça va, il est où papa ?

– Il arrive, il est dans la cuisine. Tu manges bien ? Tu dors assez ? Il ne faut pas que tu te surmènes trop !

– Oui, oui, je rigole. Je fais attention.

J'entends des bruits étouffés, puis la caméra me laisse voir le visage réjoui de mon père.

– Papa !

Et je commence à chanter :

– Joyeux anniversaire...

Ma mère me suit aussitôt en arrière-fond tandis que mon père fait mine de se boucher les oreilles.

– Yah, tu te prives d'écouter la si belle voix de notre fils ! L'engueule ma mère en lui administrant une tape sur l'épaule.

Mais je rigole avec mon père.

– Tu arrives pile poil pour le dessert ! Ta mère a acheté des bougies... N'est-ce pas, chérie ?

– Tu es pire qu'un gosse, marmonne la concernée en s'éloignant.

– Je veux voir ça !

Ça me fait tellement plaisir de voir leurs visages plein de vie. Ils me donnent la force de grandir ici, d'affronter la charge de travail, les sacrifices, les erreurs... J'ai une pensée fugace pour Taehyung. Lui aussi commence à rentrer dans mon monde. Il devient une ancre. Inconsciemment, ça me terrifie, et j'essaie de ne pas trop y songer.

À cette faiblesse.

Le téléphone de mes parents bouge, je comprends que c'est ma mère qui s'en saisit pour filmer mon père devant son gâteau illuminé, qu'elle a préalablement déposé sur la table.

– Joyeux ann-

Mais l'écran se coupe automatiquement. Quelqu'un m'appelle. C'est un numéro inconnu... Je fronce les sourcils et ignore aussitôt l'appel, je verrai ça plus tard. Sauf que d'autres appels s'enchaînent, certains en numéro masqué, d'autres en affiché, mais inconnus de mes contacts. Je ne comprends pas...

La vidéo avec mes parents a coupé. Merde.

Je rejette les appels mais aussitôt, d'autres apparaissent. C'est sans fin. Je n'arrive plus à accéder à mon écran d'accueil.

– Mais putain ! je crie de frustration.

Bordel, mon numéro de portable a dû fuiter quelque part...

Puis viennent les SMS.

« Jungkook Oppa je t'aime !! »
« Pourriture »
« Gueule de lapin »
« Yah Oppa si c'est toi, réponds je t'en supplie, je veux mourir si tu ne me réponds pas »
« Jungkook, je voudrais te dire : je t'aime. »
« Putain d'impoli réponds !! »
« J'ai payé pour avoir ce numéro !!!! »
« Si tu savais tout ce que je rêve de te faire Jungkook-ah... »
« Crève en silence putain de maknae de merde »
« Kookie Oppa c'est bien toi ?? »

– Laissez-moi... je murmure, statufié devant ce défilé de messages et d'appels.

Je veux rappeler mes parents. Revoir mon père. C'est son anniversaire. Je ne veux pas de vos messages, de votre amour, de vos méchancetés.

Juste mes parents...

« Tu sais qu'il y a une pétition qui circule pour que tu quittes le groupe ? On ne sait pas trop ce que tu fous là »
« Tu devrais te mettre plus sérieusement au sport Jungkook Oppa »

Pourquoi vous m'appelez « oppa » ? Je ne suis pas votre oppa. J'ai 18 ans merde !!

« Je t'aime, magnifique, magnifique, trop magnifique »

J'explose soudainement en larmes, lâchant le téléphone qui ne cesse de sonner. Voilà pourquoi je ne vais que très peu sur les réseaux sociaux. Parce que les gens parlent de moi. En bien. En mal. Les gens donnent de la force à cette voix intérieure qui me répète depuis le début que je ne suis rien qu'un imposteur dans ce fichu groupe.

Laissez-moi trouver ma place, je vous en supplie.

Je reste là un long moment, impuissant et profondément blessé, quand j'entends soudain Taehyung rentrer. Aussitôt, je relève la tête vers lui.

– Hyung... je gémis en le regardant, les yeux plein de détresse.

Taehyung se précipite vers moi, encore vêtu de sa veste, avant de se laisser tomber sur le sol. Quand il ouvre grand les bras, je m'y jette aussitôt, pleurant plus fort contre son épaule. J'ai honte, honte de réagir ainsi, comme un enfant. Ce n'est pas comme si c'était la première fois, pas comme si je ne savais pas.

– Chut... Jungkook... Ça va aller... Qu'est-ce qui t'arrive ? murmure-t-il d'un ton préoccupé contre mes cheveux qui ont bouclé après ma douche.

– J-je... le téléphone...

Je sens l'une de ses mains quitter mon dos pour attraper mon portable qui n'a pas cessé de sonner.

Silence. J'imagine qu'il découvre de nouveaux messages.

– Putain... murmure-t-il.

J'entends de la haine dans sa voix, une froideur sans pareille. Je ne veux pas savoir ce qu'il a pu lire d'autre... Je le serre plus fort contre moi et il me répond d'un baiser appuyé sur le crâne, entre mes mèches toutes fraîches.

– On va changer ton numéro. Ne t'inquiète pas. Tu as appelé tes parents ?

À cette dernière question, je gémis comme un animal blessé.

– J'étais avec eux quand ça a co-commencé...

– D'accord. Je vais éteindre ton téléphone et te donner le mien pour que tu les rappelles. Ils doivent être inquiets si la communication a coupé.

Il s'écarte doucement de moi et je le laisse s'échapper en reniflant. Je fuis son regard, mais il me relève le menton et plonge ses yeux sombres et inquiets dans les miens, encore un peu brillants.

– Je peux te laisser, le temps de me préparer rapidement pour le coucher ?

J'acquiesce aussitôt.

– Attends-moi là.

Il me confisque aussitôt mon téléphone, qu'il éteint d'une main tandis qu'il retire sa veste. Une fois la machine éteinte et l'habit rangé dans son armoire, il vient déposer son portable sur ma table de chevet. Puis il s'éclipse sans un regard pour moi.

Je prends le téléphone de Taehyung en essuyant mes larmes. Son fond d'écran est un selfie de lui, Jimin et moi. C'est moi qui prend la photo. Taehyung a son menton sur mon épaule et m'enserre par derrière, tandis que Jimin se tient à côté de moi, tout sourire.

Il est déjà 21 heures 30 ? Combien de temps je suis resté à pleurer ?

Je ne suis pas capable d'appeler mes parents. J'aurais la voix qui tremble et mes yeux sont certainement rouges et irrités... Je préfère l'option du SMS.

Taehyung à 21 h 36
Coucou, c'est Jungkook. Désolé, j'ai un problème avec mon téléphone, j'ai emprunté celui de Taehyung. On s'appelle demain ? Ce soir il doit appeler sa sœur...

Je suis un horrible menteur.

010 XXXX XXXX à 21 h 37
C'est dommage mon cœur, on se demandait ce qui se passait. Oui d'accord on s'appelle demain. Il faut que tu voies le cadeau de ton père ! ☺️ Gros bisou mon lapin 🐰

C'est ma mère...

Taehyung à 21 h 37
Dis à papa que je l'aime s'il te plaît

Je suis tellement déçu, déçu que ce moment ait été gâché... Quelques larmes s'échappent de mes yeux tandis que j'essaie de reprendre le contrôle sur mon souffle. Pourquoi cette sensibilité incontrôlable tout à coup ? Pourquoi ces mots étrangers tourbillonnent dans ma tête ainsi ? Je suis plus fort ça.

010 XXXX XXXX à 21 h 38
Et moi tu ne m'aimes pas ? 😔

Taehyung à 21 h 38
Bien sûr que si

Taehyung à 21 h 39
Je vous aime tous les deux, vous me manquez

010 XXXX XXXX à 21 h 40
Toi aussi tu nous manque ! Bisou à demain 💕

Je repose le téléphone sur ma table de chevet. Je crois que j'ai envie de dormir avec Taehyung. Les lits ne sont certes pas doubles, mais bien plus larges qu'un lit tout simple. On aurait la place de dormir ensemble...

Et comme s'il avait entendu mes pensées, il revient, vêtu d'un t-shirt blanc et d'un jogging gris. En croisant son regard attentif, j'ose formuler ma demande.

– Tae... Je peux dormir avec toi ?

Silence. Il défait sa couette, dos à moi... Je ne peux pas voir son visage et ça me stresse. Quand je pense qu'il va dire non, Taehyung me fait un signe de main.

– Ramène mon téléphone, murmure-t-il.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Je pose l'appareil sur sa table de chevet.

– Allonge-toi, j'arrive.

J'obéis et m'engouffre aussitôt sous les couvertures. Le linge sent comme lui... C'est boisé et légèrement sucré, comme du miel. Je soupire d'aise et m'installe confortablement. Le nez réfugié dans son oreiller, j'entends Taehyung revenir de la salle de bain.

– Voleur d'oreiller, soupire-t-il.

– Ramène le mien, je demande, la voix étouffée par le tissu.

Il s'exécute et s'installe à mes côtés. Allongé sur le flanc gauche, dos au mur et tourné vers lui, j'observe son profil.

– Puisque c'est comme ça, je prends le tien.

Je lève aussitôt ma tête ébouriffée et l'observe s'installer contre mon oreiller. Il laisse son nez traîner sur celui-ci...

– Pouah, ça pue la chèvre ! gémit-il.

Je rougis aussitôt de gêne et me relève légèrement.

– Rends-le moi, c'est bon ! je lui demande en tendant le bras vers lui.

– Non !

– Mais... pardon si ça ne sent pas très bon.

Taehyung me pousse contre son oreiller puis s'approche. Sa main soutient sa tête tandis qu'il me dévisage d'un air narquois.

– Ça sent plutôt le petit lapin.

À ces mots, je rougis d'inconfort et ferme les yeux sous le poids de son regard pénétrant. Il tend les doigts et effleure mon nez...

– Ici, son petit museau.

...puis mes joues...

– Ici, ses réserves de nourritures, avec ses jolies fossettes.

...puis mes sourcils et mes paupières, toujours fermées, mes cils...

– Ici ses grands yeux un peu trop expressifs...

...et redescends sur mon menton pour effleurer...

– Son menton qui se fronce quand il n'est pas content...

... mes lèvres...

– ...et qui fait ressortir sa bouche...et puis il y a ce sourire...

Oh mon dieu.

Serait-ce son souffle, sur mes lèvres ? Brusquement, je relève mes paupières et tombe sur ces incroyables yeux en amandes qui me regardent comme si... comme si j'étais tout.

– Tu sens la forêt après une belle journée d'été. La lumière du soleil qui décline, les fleurs qui se referment, l'eau du ruisseau qui se calme...

– Arrête, je murmure.

– Quoi ?

– ...Ça...

– Ça quoi ?

Je ne sais pas...

Face à mon silence, Taehyung s'avance encore. Il pose son nez sur ma joue, puis vagabonde sur mon visage, humant la peau rougie, tandis qu'une main glisse dans mes cheveux. Ses lèvres frôlent mon oreille, puis l'embrassent. Je laisse échapper un léger son, comme un ronronnement aigu.

Mon dieu Taehyung...

Et soudain, il pose ses lèvres, juste au coin des miennes.

J'ai le souffle coupé.

– Jungkook... murmure-t-il.

– Tae...

J'ai l'impression de le supplier. Je veux plus.

Sa main glisse de mes cheveux sur ma joue, qu'il caresse légèrement, puis sur mon cou et mon épaule, dévoilée par l'encolure large du t-shirt.

Il embrasse ma peau à cet endroit et je respire à nouveau. Beaucoup trop vite. Ses lèvres sont si douces, si tendres... Au fur et à mesure qu'elles dérivent vers mon cou, je m'abandonne complètement, la tête en arrière, soumis à ce délice inattendu.

Soudain, sa langue redessine l'os de ma clavicule. J'en deviens fébrile, soupire et gémis à la fois, hors de contrôle. Qu'est-ce qui se passe ? Ses lèvres sur ma gorge... Elles sont brûlantes, elles me font frissonner.

– Taehyung...

Mais alors que je pensais qu'il allait... qu'il allait approfondir, il s'éloigne de moi.

Je rouvre les yeux et tourne la tête vers lui, le souffle court, les joues coquelicots. J'espère qu'il n'arrive pas trop à les voir, malgré la lumière tamisée que laisse échapper sa lampe de chevet.

Taehyung me fait face, allongé sur son flanc droit, la tête sur mon oreiller. Son regard me déstabilise.

– Il faut qu'on parle.

Mes yeux dérivent sur ses lèvres. J'ai envie... de les croquer.

– Arrête, s'il te plaît, dit-il.

– Pardon.

Taehyung prend une inspiration. Je sens l'atmosphère changer doucement.

– Tu as appelé tes parents ?

– Je leur ai écrit...

– D'accord.

Je sens qu'il se prépare quand il s'humecte les lèvres. J'ai peur...

– Tu sais... commence Taehyung et se mettant sur le dos.

Il est magnifique. La lumière douce dessine son profil si parfaitement. J'ai envie de le dessiner. Il y aurait d'abord ses grands yeux noirs, que je ne parviens jamais à décrypter complètement. Parfois, ils m'effraient. Mais son sourire, lui, me rassure toujours.

Comme s'il sentait mon regard, Taehyung tourne la tête vers moi et me sourit tendrement.

– On va faire autrement.

– Qu-quoi ? je chuchote.

Je finis par comprendre quand il s'approche de moi et m'ordonne de me retourner. Je m'exécute aussitôt tandis qu'il vient coller son torse contre mon dos et poser sa main gauche sur mon ventre.

– Non... pas le ventre s'il te plaît, je demande timidement.

Ce n'est pas que ça me dérange, à vrai dire. Mais plutôt que ça me déconcentre. Ça me provoque des envolées magiques.

– Pardon, souffle-t-il contre la peau de ma nuque tandis que son menton essaie de se caler sur mon épaule.

Ses doigts s'éloignent de la zone sensible et viennent jouer avec une de mes mains.

– Ton regard me déconcentre trop et je veux avoir une discussion sérieuse avec toi... avoue-t-il.

Je déglutis, et, forcément, il le remarque.

– Tu n'as pas à avoir peur. Je pense qu'on a fait du chemin tous les deux. Et j'espère que je peux te parler, tout comme tu peux me parler... Sauf si tu es plus à l'aise avec un autre des membres. Hobi peut-être ?

– Non ! Je veux dire, je reprends plus doucement, avec toi c'est très bien.

J'appréhende tout de même le sujet de cette conversation. Les appels et les SMS m'ont déjà suffisamment mis à fleur de peau. Ils m'ont mis dans un état de profonde vulnérabilité, alors intérieurement, je crains les dégâts que Taehyung pourrait m'infliger, sans forcément le vouloir.

– Depuis tes débuts dans le groupe, avec les garçons, on t'a trouvé timide, très réservé... Personnellement ça ne m'a pas dérangé parce que je pense que je suis aussi une personne réservée. C'est juste que... on dirait que tu t'empêches de parler, de nous parler, et je ne comprends pas pourquoi. On est là pour toi Kook, on veut t'aider.

– Je ne-

– Laisse-moi finir s'il te plaît. Je veux juste m'excuser.

J'écarquille les yeux.

– Jimin est mon meilleur ami. Quand il a déconné, j'ai cru que tu l'influençais en mal, que c'était toi qui lui avais mis dans la tête de ne plus manger. Mais j'avais tort. Jimin pense que tu as pris exemple sur lui parce que tu as besoin d'un modèle. Moi je ne l'ai pas vu. J'ai été aveugle... Tu sortais à peine de l'adolescence... et moi, je ne l'ai pas vu, répète-t-il.

Je retiens mes larmes aussi fort que je le peux. Intérieurement je le remercie d'avoir initié cette position, car je ne veux pas qu'il perçoive mon émotion.

– Je me sens stupide de t'en avoir autant voulu. Petit à petit, à ton contact, j'ai compris à quel point tu avais besoin d'affection, besoin qu'on t'épaule et qu'on te guide... Et nous qu'est-ce qu'on a fait ? On t'a retiré Jimin... Mais on avait peur pour vous, Jungkook. On avait vraiment peur. Namjoon et Jin... ils étaient très inquiets. Et Yoongi aussi.

Je revois la discussion entre Yoongi et Taehyung, les mots de Taehyung, sa négligence envers moi, et notre amitié qui s'est construite puis solidifiée...

Je rentre mon menton et ferme fort les yeux pour retenir comme je peux les sanglots qui menacent de déferler. Comme s'il percevait ma détresse, Taehyung caresse de son pouce ma paume de main qu'il tient entre ses doigts

– Et moi... Je pensais que tu vouais une espèce d'obsession malsaine pour Jimin. À le coller, à t'inspirer de lui, à te caler sur son rythme d'entraînement, à le dessiner tout le temps... Mais j'aurais dû comprendre, que tu te sentais seul, que tu avais besoin de quelqu'un.

À mesure qu'il parle, les scènes défilent sous mes paupières.

– Pardon, pardon...

– Arrête... je parviens à répondre, et ma voix laisse échapper de la douleur.

– Pardonne-moi Jungkook...

Alors l'inévitable se produit. Je le sens quand les larmes se fraient un chemin sur mon visage. Certaines s'écoulent sur les draps. Quand je renifle, Taehyung dépose un baiser sur ma mâchoire, puis sur ma nuque, dans mes cheveux. J'ai l'impression d'être enfermé avec lui, dans un cocon tout chaud. J'ai mal au cœur, parce qu'il rouvre ma blessure.

– Parle-moi... s'il te plaît...

Je souffle par à-coups, pour reprendre un rythme de respiration normal et ne pas me laisser déborder par l'émotion. Taehyung attend une réponse de ma part, et je me dois de la lui donner. Je préfère faire des phrases courtes, pour ne pas me perdre dans le flot de tout ce que je renferme.

– Depuis le début... Je-j'ai du mal à... à me sentir à ma place. Légitime. Dans le groupe. Et Jimin... Jimin était un peu mon repère. J'avais l'impression d'être nul, tellement nul, mais lui il-

Je m'interromps, essoufflé, car je me suis un peu trop emporté.

Mon audace me surprend quand je prends sa main et que je la pose contre ma poitrine, près du cœur. Il entrelace aussitôt nos doigts et ça me donne assez de force pour continuer. Ne pas le voir me permet de lui dire ce que je ressens depuis tout ce temps.

– Jimin et Hoseok m'ont encouragé dès le début. Ils n'arrêtaient pas de me complimenter, de me dire que j'étais incroyable, appliqué et doué. Toi aussi, bien sûr, mais toi tu m'impressionnais. Eux me rassuraient, ils me donnaient confiance en moi. Très vite Jimin s'est montré plus tactile, plus attentionné... J'ai fini par m'y accrocher. Un peu trop j'imagine... Tout le temps, je voulais qu'on reste ensemble. Je me sens si coupable... Il n'avait pas besoin d'un poids pareil, je-

– Non arrête, c'est faux. Jimin t'a toujours adoré. Crois-moi, cette distance après ma crise de colère et tout le reste... lui aussi l'a mal vécue. Depuis le début. Il se sent terriblement coupable, parce qu'il n'a pas su voir qu'il devenait un danger pour toi.

– Il n'a jamais été un danger ! je m'échauffe aussitôt.

Ça me rend malade qu'on puisse penser que Jimin soit néfaste, pour qui que ce soit.

– Chut, calme-toi bébé...

« Bébé »...? C'est la première fois qu'il m'appelle comme ça.

Taehyung me serre encore plus fort contre lui.

– Je n'aime pas te voir pleurer... confesse-t-il contre ma nuque. Tu n'es pas fait pour la mélancolie...

– Arrête s'il te plaît... je lui demande d'une voix douloureuse.

Je ne peux plus nier la chose : il me fait des avances. Et je n'arrive pas à croire que je le repousse. Pourquoi ? N'est-ce pas ce dont j'ai secrètement toujours rêvé ? Je ne sais pas comment réagir, parce que je n'ai jamais pensé me retrouver dans cette situation un jour.

– Et pourquoi ? Tu ne veux pas de moi ?

Alors c'est bien de ça dont il s'agit.

Le fait qu'il me le confirme augmente ma panique intérieure. Si j'avais des doutes, Taehyung vient de les virer à grands de coups de pieds. C'est vrai qu'on s'est rapproché, que je sentais de plus en plus souvent son regard, ses mains sur moi. Puis sont venus les surnoms... Les taquineries... Les attentions...

Ce sujet de discussion m'échappe.

– Je-mais... Mais regarde-toi ! Regarde-toi et regarde-moi...

– Ça fait un moment que je te regarde oui... ricane-t-il dans mes cheveux.

J'essaie d'ignorer la chaleur dans mon ventre et joue distraitement avec sa main tandis que je parle.

– Ce que j'essaie de te dire, c'est que... Je me sens un peu perdu dans le groupe parfois, je ne suis pas toujours sûr de mériter ma place parmi vous. Vous êtes tous si incroyables et si beaux...

– Notre fanboy numéro 1, rigole doucement Taehyung sur la peau juste en-dessous de mon oreille.

Et ce geste provoque en moi une envolée de papillons. Mes joues chauffent.

– Arrête de me couper, je bougonne. Je t'ai laissé parler, moi.

– Pardon.

– Je vous admire énormément, je reprends alors. Et j'ai sans cesse l'impression de ne pas être à la hauteur, d'être encore un gamin. De ne même pas être beau. Tout me fait peur. Les fans... elles m'appellent oppa, mais je ne suis pas sûr de pouvoir en être un. Ou de vouloir en être un. J'ai l'impression qu'on attend plein de choses de moi... l'agence, le staff, les fans... Parfois, je les déteste.

En réalisant ce que je viens de dire, je rougis aussitôt de gêne.

– Je suis horrible de dire ça.

Taehyung soupire.

– Non, tu ne l'es pas.

Il retire sa main de mon étreinte, apparemment pour replacer une mèche qui le dérangeait si j'en crois son mouvement, puis la repositionne contre moi. Je m'en empare aussitôt comme si c'était mon jouet, ce qui le fait doucement rire, avant de reprendre sérieusement :

– Ne va pas répéter ce que je vais te dire, mais personnellement, je m'en fiche un peu des fans. Bien sûr, quand je vois leurs visages heureux, leurs yeux plein de larmes et d'admiration, ça me touche... Mais je sais qu'elles peuvent nous détruire. On est là pour nous, avant tout. Ne l'oublie pas. C'est toi d'abord. Pas elles.

Je suis choqué par cette confession. Mine de rien, Taehyung est très secret. Nous le sommes certes tous les deux, mais lui a ce côté suffisamment intimidant pour vous empêcher de le noyer de questions. Et certains sujets sont bien souvent trop peu abordés avec lui, parce qu'il a cette capacité physique, de dire non. Juste avec son corps. Avec ses yeux.

– Et pour ce qui est de l'incident de ce soir...

Sa voix devient profonde et grave, signe qu'il est en colère.

– N'y pense plus. Demain on t'achètera un nouveau téléphone et une nouvelle carte SIM, avec un autre numéro. Utilise le mien en attendant.

– J'aimerais appeler mes parents demain.

– Tout ce que tu voudras trésor.

« Trésor »

– Arrête...

Il ignore ma petite supplique en mordant malicieusement mon lobe.

– Ah, et aussi... Je trouve que tu te dévalorises énormément. Hoseok est super fier de tes capacités en danse, les autres t'admirent pour ton courage et ta force. Il en faut pour vivre une expérience pareille à ton âge. C'est normal d'avoir peur, on ressent la même chose... Moi-même je te trouve extrêmement talentueux. Tu es un maknae exemplaire, quoiqu'un peu trop travailleur...

Je repense à nos séances de travail, au tout début avec Taehyung. Il m'a d'abord apprécié pour ça : mon sérieux et mon application.

– Et attends, j'ai peut-être mal entendu mais... tu ne te trouves pas assez beau ? Excuse-moi mais je vais devoir t'emmener chez l'ophtalmo dès demain.

Je laisse échapper un rire en déliant nos mains pour effacer les traces de larmes sur ma figure. Dans le mouvement, je sens Taehyung se mettre en hauteur, au-dessus de moi. Il pose sa main devant mon visage, renforçant mon sentiment d'enfermement.

– Tu es vraiment magnifique, tu sais ?

Je rougis comme une pivoine et cachant mon visage dans mes mains.

– Arrête, je dis, la voix étouffée.

Mais Taehyung me grimpe aussitôt dessus et m'allonge sur le dos. Je ne décolle pas mes mains de mon visage.

– Enlève tes mains.

– Non.

Il finit par m'attraper les poignets et à les écarter de force.

Mon visage découvert doit être affreusement rouge et gonflé à cause de mes pleurs...

Taehyung sourit aussitôt, avec un petit air narquois. Qu'est-ce qu'il est beau. Quand il approche son visage, son nez frôle le mien tandis que je me noie dans ses yeux.

– Tu es...

Le silence nous enlace. Le silence est bruyant tout contre moi.

– Tu es si beau.

Mon souffle s'accélère. Ses mots m'intimident tant que je n'arrive plus à soutenir son regard. Et quand il formule sa demande, mon cœur s'arrête.

– Est-ce que tu me laisserais t'embrasser ?

Je...

La surprise m'étreint brusquement et je plonge mon regard dans le sien. Ses yeux sont rivés sur mes lèvres, légèrement entrouvertes. Nerveusement, je les humecte et perçoit une ombre dans son regard. Je ne pensais pas qu'il pouvait devenir plus noir.

Je suis complètement dépassé, je ne sais quoi répondre. Jamais je n'aurais pensé qu'il me proposerait ça. Rien que d'imaginer sa bouche sur la mienne, je me sens me liquéfier de l'intérieur.

Je veux.

Je lui dis avec les yeux.

C'est plus simple pour moi. Pour nous.

Plus naturel, je crois.

Alors ses mains viennent se poser sur mes joues, tandis que ses yeux attrapent les miens. Mon souffle chaud et saccadé rencontre le sien, plus calme. Puis je sens une pression sur ma bouche. Il m'embrasse... m'embrasse comme si elle j'étais un bouton de fleur fragile. Ça me procure une décharge électrique.

Ses lèvres baisent à nouveau les miennes, un peu plus longtemps cette fois. Puis sa langue passe dessus. Oh mon dieu. Je ne réalise pas ce qui se passe. Mon cœur s'emballe.

Mon tout premier baiser...

– Jungkook putain... souffle-t-il contre mes lèvres mouillées tandis que ses doigts caressent mes joues. Ta bouche est toute brillante. Parce que je l'ai léchée.

Je...

Ses mots...

C'est comme si on le libérait, d'un coup.

Car le prochain baiser n'a plus rien de doux et de délicat. Il est vorace.

Quand il m'embrasse cette fois-ci, c'est avec une urgence troublante, comme s'il craignait que je disparaisse. Impérieux, il fond sur ma bouche avec violence et m'embarque en pleine tornade. Ses lèvres dévorent les miennes avec une passion contagieuse, car j'essaie aussitôt de suivre sa danse.

Mais c'est mon premier baiser. Je ne sais pas comment on fait. Je ne sais pas respirer.

Je finis par ouvrir la bouche pour retrouver mon souffle, comme je peux. Et sa langue en profite pour s'engouffrer entre mes lèvres ouvertes, qui le réclament encore. Quand son muscle rose et humide rencontre le mien, je laisse échapper un gémissement qui m'étonne le premier. Bon sang, ça devrait me mettre mal à l'aise... Mais je m'en fiche. Je me sens possédé par un désir endormi depuis... Depuis quand au juste ?

Nos lèvres s'embrassent, nos langues se caressent comme deux amantes désespérées de se quitter. J'adore sentir la pulpe de ses lèvres se refermer sur les miennes. Je m'envole.

Et surtout, je gémis. Contre sa bouche que j'embrasse encore avec maladresse. Mais avec cette jeune dévotion, la dévotion du jeune amoureux.

Ses dents attrapent ma lèvre inférieure tandis que ses mains glissent dans mon cou qu'elles maintiennent durement. Mes doigts, eux, glissent dans ses cheveux que je mets en désordre. J'essaie de stopper l'échange, mais c'est si difficile. Il a l'air affamé, incontrôlable... J'ai chaud... Mon ventre est en feu.

– Ta-Tae...Arr...arrê...te

Mes mots sont entrecoupés par ses assauts répétés, mais il les comprend aussitôt car il se retire.

– Ça ne va pas ? me demande-t-il essoufflé.

– Si... j'arrivais p-plus à respirer...

Je réponds en le fixant d'un air désolé, le souffle complètement désordonné. Taehyung s'approche à nouveau de mon visage, attendri par mon expression.

– Si ce n'est que ça...

Puis il pose des baisers répétés et distincts sur mes lèvres entrouvertes. Parfois, il embrasse mes dents ou mon menton, me faisant doucement rire.

– J'aime bien... je lui confie en rougissant.

– Bébé...

Il est si doux...

– Arrête...

– Quoi, ça ne te plaît pas ? demande-t-il en haussant un sourcil.

Et je détourne le regard.

– Oh, si...

Le reste m'échappe complètement.

– Sors avec moi.

Quoi ? J'écarquille les yeux.

– Tu es fou...

– Non, je suis sérieux.

Mais il a perdu la tête...

– On ne peut pas...

– Pourquoi ? me demande-t-il du tac au tac.

– Mais parce que... On est des garçons... Et on fait partie d'un groupe de K-pop, au cas où ça te serait sorti du crâne, je ricane amèrement.

– Je m'en fiche. Je m'en fiche tellement. J'ai envie d'être avec toi.





Au début oui, il s'en fichait.

Je n'ai pas dit oui à sa demande. Pas tout de suite.

Il a accepté cette réserve, ce dont je lui serai toujours reconnaissant par ailleurs, parce qu'il a compris que j'avais besoin de temps. Si je lui ai toujours voué une grande admiration, mes sentiments pour lui n'étaient que platoniques jusqu'ici, et toute cette nouveauté me troublait beaucoup trop. Son affection me convenait très bien, et il était inimaginable pour moi que notre relation prenne ce tournant.

Les garçons n'ont jamais rien su du début.

Parce que ça nous appartenait et qu'on était littéralement en train de se créer un monde entier tout autour de nous. C'était lui et moi. On a passé les semaines suivantes à se rouler des pelles comme deux adolescents qui découvrent l'amour ensemble et s'y noient comme des idiots. En réalité, il avait un peu plus d'expérience, je le sentais. Alors c'était plutôt moi qui découvrais tout ça. J'avais toujours faim de lui, de ses lèvres, de son odeur, de ses sourires, de ses caresses...

Notre temps passé ensemble est devenu plus langoureux et moins sage... Rempli de nos baisers passionnés et avides, de nos mains dévoreuses. Dans ces moments, je m'appliquais du mieux que je pouvais pour faire perdre la tête à Taehyung... J'avais peur qu'il ne soit rebuté par mon manque d'expérience.

Étonnamment ça semblait lui plaire.



Mars 2016

Ce soir, les garçons ne sont pas à la maison, ce qui est vraiment rare pour Taehyung et moi. De se retrouver seuls comme ça je veux dire. Installés dans mon lit, le dos appuyé contre son torse, on regarde un film. Ou plutôt, il me force à regarder un film avec lui. Régulièrement, je m'amuse à gigoter pour l'embêter, surtout à mettre ma tête devant la sienne, ce qui l'empêche de voir l'écran. Il déteste quand je fais ça mais, malheureusement pour lui, je suis d'humeur taquine ce soir.

– T'es vraiment un gamin, souffle-t-il contre ma nuque. Tiens-toi tranquille, bon sang.

Je sens ses bras se resserrer autour de ma taille.

– Roh, mais il est nul ce film... je me plains en tentant de m'échapper de son étreinte. Laisse-moi faire autre chose.

– Tais-toi et regarde.

Non mais, il m'a pris pour son doudou ?

Je laisse tomber ma tête en arrière, sur son épaule et enfouis mon visage contre son cou. Sa peau est si chaude, si douce. Naturellement, je l'embrasse. Drogué par son odeur forte, boisée, un peu mielleuse, mon nez vagabonde sur l'épiderme... Je reste là quelques secondes sans rien dire, figé, tandis qu'il joue distraitement avec l'ourlet de mon t-shirt.

Lassé de son silence (il doit être plongé dans le film), je laisse mes lèvres épouser tendrement sa gorge, jusqu'à ce que mes dents mordillent la chaire tendre. J'y aventure ma langue. En décollant ma bouche, j'expire lourdement contre lui.

Il adore me faire des suçons, bien qu'on évite de trop se marquer, pour ne pas éveiller les soupçons des garçons (et encore, je crois que Jimin se doute de quelque chose). De mon côté, je ne lui en fais pas souvent. Ce soir, je veux le marquer.

Je reprends mon traitement en me fondant davantage contre son corps, puis m'éloigne, satisfait de mon œuvre.

Quand mes lèvres humides atteignent la ligne de sa mâchoire, je le sens s'abandonner contre moi. Ses mains glissent enfin sous mon t-shirt, contre mon ventre, elles tournent autour de mon nombril et ça me rend faible. J'ai l'impression de vibrer sous ses paumes. Un petit gémissement m'échappe, et je l'étouffe contre sa peau que je mordille.

– Kook...

Son soupir me donne envie de plus. Je décide de me retourner pour lui faire face et l'embrasser mais dans le mouvement, je sens comme une bosse grossir contre mes hanches. J'ai l'impression que mon corps passe outre ce constat. Il est clairement excité et je ne suis même pas effrayé.

En temps ordinaire, quand je sens qu'on s'approche du point de non-retour, je lui fais toujours comprendre que je ne souhaite pas aller plus loin. Question de pudeur, d'appréhension... Une retenue dont il ne s'est jamais plaint.

À cet instant, il a l'air complètement ailleurs. Et moi... Moi, je suis différent. Je n'ai pas peur. Une fois retourné, j'attrape son visage et souffle sur le bas de sa mâchoire, que j'ai maltraité de mes lèvres. J'embrasse la zone, délicatement. Lui, glisse ses mains sous mes cuisses. Quand je relâche sa peau, coulant un gémissement contre la chaire, sa voix grave envoie une vague de frissons dans ma région basse.

– Mon ange...

Ses mots...

Il est fou.

Il me rend fou.

Je le laisse se calmer, en proie à l'hésitation. Nos corps sont si fermement plaqués l'un contre l'autre que je sens tout...

– Est-ce que tu veux que-

– Non...

Il rouvre les yeux et m'embrasse chastement les lèvres, puis le grain de beauté situé en-dessous. Son sourire me rassure.

Taehyung se dégage de notre étreinte, puis, une fois debout, il dit :

– Je reviens.

J'ignore pourquoi je panique légèrement quand je le vois s'éloigner vers la salle de bain.

– Attends... je souffle en saisissant son poignet.

Il tourne la tête et me fixe d'un air interrogateur. Je suis complètement rouge, je le sens à mes joues qui brûlent, et j'avoue... mon souffle s'accélère un peu...

À cet instant précis, quelque chose passe dans son regard, une chose brûlante, virale même, car je suis persuadé que le même feu nous ravage, petit à petit.

Je sais qu'il sait.

Ses yeux dérivent sur mon corps, fixent mon ventre, mes côtes, le creux marqué de ma taille. Ça me fait un effet des plus efficaces : je suis littéralement foudroyé par le désir. Son désir.

– Tu peux rester... Reste.

Cette invitation ressemble plus à un ordre. Moi-même, je me surprends. Taehyung hausse un sourcil, légèrement narquois. Peut-être apprécie-t-il cette attitude audacieuse, légèrement défiante. Son regard s'attarde sur mes lèvres, encore rouges et gonflées.

– Jungkook... proteste-t-il en revenant à mes yeux.

– Viens contre moi, Tae...

Il laisse alors échapper un petit rire en passant une main dans ses cheveux, le regard légèrement fuyant.

– J'ai envie... Enfin... Je veux dire, pas tout, mais...

Silence. Je me sens incapable de terminer ou d'expliciter. L'impression de me ridiculiser devant lui m'a littéralement coupé le sifflet. Qu'est-ce qui me prend ? D'habitude, je le laisse toujours mettre un terme à ce type de situation. Il a toujours respecté ça, cette réserve que je n'ai jamais dissimulée.

Il me respecte.

Mais ce soir, tout est différent dans ma tête.

Timidement j'écarte les draps, lui exposant mes jambes nues.

– Viens...

Mes yeux tentent de lui faire comprendre, tout le désir que je ressens, toute la curiosité qui m'étreint.

Soudain, Taehyung abandonne toute résistance.

– Tu es si beau... lâche-t-il en venant se réfugier contre moi.

– C'est toi qui es beau... je ne peux m'empêcher de répondre.

Nos corps s'enlacent brusquement et je prends conscience de tout, absolument tout.

Son souffle contre ma nuque, comme une langue de feu qui glisse le long de ma colonne vertébrale.

Ses mains aux longs doigts, qui retracent la forme de mes hanches.

Son anatomie contre la mienne.

Je sens ses lèvres sur ma joue, mon front, mon nez, puis ma bouche.

J'adore l'embrasser, le goûter, être à lui et le faire mien. Notre baiser devient instable, trahi par ses mouvements désordonnés. Je comprends qu'il se déshabille, ce que je tente de faire moi aussi.

Qui suis-je ?

Je ne me reconnais plus.

Brutalement, j'enroule mes bras autour de sa nuque avant de l'attirer ver moi.

Et pour la première fois, je sens son corps, nu, contre le mien. C'est merveilleux. C'est trop pour moi.

Taehyung mordille mon épaule, s'habituant visiblement à ce contact si intime. L'une de ses mains vient caresser mes cheveux tandis que l'autre se réfugie sur ma taille. Et il me serre fort, si fort que je le sens tout entier.

Puis il se relève légèrement, son ventre contre le mien manque de me faire défaillir et sa main quitte mes mèches emmêlées pour s'aventurer plus bas. Il susurre à mon oreille des choses qui alimentent une terrible fournaise en moi.

Son franc-parler m'excite et je souffle sous la pression du désir qui s'accumule en moi.

– Tellement désirable...

Sa main caresse ma cuisse. J'en frémis tant son toucher est léger, galvanisant. Elle voyage sur mon corps, elle m'apprend, elle me caresse. Mes doigts sont un reflet maladroit des siens, mais ils finissent par comprendre, anticiper... Ils sont une extension de mon cœur. Le plaisir monte, progressivement.

Je crois que...

Ce n'est pas que de l'attirance.

– Jungkook... chuchote Taehyung avant de descendre pour embrasser mon ventre.

Ébranlé par cet acte d'abandon, un acte de pur dévouement, je l'observe. Mes yeux se perdent dans les siens, ils se noient dans cet océan de noir.

Alors, un fin sourire se dessine sur sa bouche, et je l'imite, comme un miroir, parce que c'est beau, parce que j'adore. Je l'adore.

Fermement plaqué contre le matelas, je ne peux pas m'échapper. Loin de moi cette envie bien sûr. Pour la première fois, je découvre le plaisir d'être avec lui, juste avec lui.

Je ferme les yeux, je perds tout repère et m'enfonce dans les sensations qui grignotent mon corps et électrifient ma peau, me tirent des gémissements éreintés. Je me sens ployer sous la force de notre attraction mutuelle, une force écrasante qui exige la reddition.

Soudain, je suis traversé par une décharge de plaisir paralysant, qui tire de moi un cri. Ma tête tombe en arrière, complètement relâchée tandis que je me cambre inconsciemment sous lui. Il remonte, halète contre moi, son front posé sur le mien, nos respirations emmêlées.

Il pose un petit baiser sur mon nez. Puis ses lèvres glissent contre ma joue, elles restent là, sur la peau tendre.

J'ai envie que le temps s'arrête.




Ce moment a sonné le début de beaucoup d'autres. C'était comme si on avait ouvert la boîte de Pandore et que le désir nous rattrapait à vive allure, comme si nous étions affamés l'un de l'autre, sans cesse. Étonnamment, nous ne parlions pas de cela. Nos élans s'exprimaient dans le noir et le silence, troublé par nos gémissements, quelques surnoms affectueux, et des invitations salaces.

Nous étions faibles, face à ce tourbillon d'émotions incontrôlables et grandissantes.

Mes sentiments pour lui se faisaient tempête.

Et je voulais qu'il ressente exactement la même chose. Mais je n'en étais pas certain.

Il ne semblait pas du genre à le dire.

C'était plutôt sa façon d'être.

Quand j'y repense, j'étais bien bête, de ne rien voir.




Juin 2016

Je pousse la porte de ma chambre, exténué. En ce moment, les cours me demandent beaucoup d'énergie. Les professeurs exigent de nous qu'on soit toujours disponibles et réactifs. Mais le travail pour BigHit est aussi très intense, et j'ai du mal à jongler entre mes deux vies... Depuis quelques temps, mes notes ont un peu baissé et ça m'attriste, moi qui suis travailleur et perfectionniste. Je repense douloureusement au premier C+ dont j'ai écopé la semaine dernière en Histoire.

Quand je rentre dans la chambre, je salue d'un signe de main Taehyung, en appel vidéo avec sa sœur.

J'essaie de ranger mes affaires de cours sans trop faire de bruit, pour ne pas les déranger. Puis je me laisse tomber sur mon lit, la tête dans l'oreiller. Soupirant de frustration, je finis par saisir mon téléphone pour lire les quelques SMS que j'ai reçu depuis tout à l'heure. Oh ? Il y en a un de Hyejin.

Hyejin à 19 h 13
Bien rentré ?

Moi à 19 h 34
Oui. Et toi ?

Hyejin à 19 h 35
Oui 😊 Dis-moi, ça te dirait qu'on aille boire un verre bientôt ? Avant la fin des cours...

Je me mords aussitôt la lèvre, en proie à la réflexion. Sortir avec une fille et menacer de me retrouver sous le feu des projecteurs ? L'agence et les autres n'accepteront jamais.

Moi à 19 h 38
Ce serait trop cool, mais pas sûr que ce soit une super idée...

Hyejin à 19 h 38
Pourquoi ?

Pourquoi ? La réponse me paraît plus qu'évidente.

J'entends Taehyung refermer son ordinateur et me rejoindre sur mon lit. Il passe au-dessus de mon corps, dépose un baisser chaud sur ma nuque en y murmurant un « coucou toi », avant de s'échouer, sur le ventre, à mes côtés.

Je réponds distraitement en continuant de réfléchir devant l'écran...

Hyejin à 19 h 40
On peut aller chez moi sinon. Ou ailleurs.

– Je ne savais pas qu'elle flashait sur toi.

Je relève aussitôt la tête et dévisage Taehyung tandis qu'il garde ses yeux fixés sur mon écran.

– Hey, c'est privé, dis donc ! je me moque, mais il ne réagit pas. Elle ne flashe pas du tout sur moi, je rajoute.

– Je crois bien que si. Elle te demande toujours de te mettre avec elle pour les travaux de groupe. Et elle vient de t'inviter chez elle.

– Et alors ? je demande. Ça ne veut rien dire...

– Elle t'a offert un cadeau pour la Saint-Valentin...

– Toutes les filles en offrent aux garçons de leur entourage à cette période et tu le sais. Toi-même tu as reçu des chocolats des filles du staff.

– Jungkook, elle t'a offert plus que des chocolats. C'était ton gâteau préféré qu'elle avait cuisiné, et une écharpe tricotée ! Elle s'est crue dans un drama ou quoi... soupire-t-il en s'allongeant sur le dos.

Adossé sur mes avant-bras, je l'observe silencieusement tandis qu'il se passe les doigts sur l'arête du nez, les sourcils froncés. Sa beauté me stupéfie toujours autant. Il ressemble à un ange échoué, et il me suffirait juste de me pencher, pour poser mes lèvres sur les siennes...

– Tu vas accepter son invitation ? lance-t-il de but en blanc.

– Bien sûr que non, je réponds, tu es fou. Si les médias nous voient on-

Il tourne aussitôt la tête vers moi.

– Attends, tu refuserais juste à cause des caméras ?

– Ben... C'est mon amie la plus proche, là-bas.

– Et Junghwa alors ?

– C'est différent. Il est bizarre depuis que le groupe est plus connu...

Taehyung soupire d'agacement.

– Quoi ? je demande.

Silence.

– Rien.

Dois-je insister ? Je perçois clairement qu'il est contrarié, mais je ne veux pas l'embêter davantage.

– C'est juste que je ne veux pas que tu sortes avec elle, finit-il par lâcher.

Je réfléchis un instant pour essayer de me mettre à sa place. J'imagine que ça ne me plairait pas si une fille tournait un peu trop autour de lui...

– Tu la vois comme une menace ... ? je finis par demander.

– Je devrais ?

– Jamais, je réponds aussitôt.

Il esquisse un sourire moqueur.

– Tu m'as l'air bien sûr de toi...

Il élève la main vers mon visage, pour caresser mes sourcils d'un air distrait, un sourire affectueux sur sa figure.

– C'est parce que je le suis.

La main de Taehyung glisse sur ma joue, qu'il finit par pincer un peu trop fort.

– Aïe ! je me plains.

– J'ai envie de toi...

Je me fige aussitôt tandis que les doigts de Taehyung saisissent mon menton, orientant mon visage vers le sien. Ses yeux se posent sur mes lèvres.

– Alors viens... je l'invite.

Je lui adresse un sourire doux qui semble le figer sur place. Dans ces moments, j'aime essayer de lui faire comprendre à quel point il est tout pour moi.




Les garçons ont fini par savoir. Ça s'est très mal passé.

Jimin était à peine surpris. À vrai dire, j'avais l'impression que cette nouvelle le ravissait secrètement. Jin et Yoongi, eux, ont tout de suite accusé Taehyung de manipulation sous l'expression réprobatrice de Namjoon. Moi, je le défendais comme je le pouvais, mais autant parler à un mur. Clairement, je ne faisais pas partie de la conversation, et ils ne se gênaient pas pour parler comme si je n'étais pas là.

– Ça fait combien de temps ? avait demandé Yoongi.

– Presqu'un an.

Je trouvais que Taehyung réagissait très calmement par rapport à Jin qui s'était mis à crier à tort et à travers qu'on allait finir par le tuer avec nos « conneries d'adolescents ».

– Putain Taehyung, c'est qu'un gamin ! Qu'est-ce qui vous prend au juste ?

Jin avait un petit côté drama-queen par moments. Il exagérait tout. J'étais tout de même âgé de 19 ans à l'époque, soit la majorité coréenne, et j'allais sur mes 20 ans. J'étais responsable, autonome, mature pour mon âge.

Ces réactions, je les prenais comme une insulte à mes efforts. J'en avais assez d'être considéré comme un enfant, sans cesse. Comme si je n'étais pas capable de prendre des décisions.

Ce jour-là, je suis parti en claquant la porte.

Hoseok et Jimin ont été d'une grande aide pour moi. Comme l'attention des membres étaient tournée sur notre mise en couple, à Taehyung et moi, nous nous sommes retrouvés tous les trois. Et ça m'a fait énormément de bien, de les redécouvrir. On a recommencé à passer du temps ensemble.

Étonnamment, les membres ont fini par accepter ma relation avec Taehyung. Le staff aussi en quelque sorte, même si rien ne devait se voir à l'extérieur. « Taekook » ne devait être que du fan-service.

Cette dispute mémorable avait très vite pris les allures d'un mauvais souvenir pour moi. J'étais bien loin de me douter de la suite des évènements. Car les mots des garçons, mots que j'avais déjà oubliés, allaient semer une mauvaise graine dans la tête de Taehyung.

Une simple idée.


_____________

NDA
Un chapitre extrêmement long, que j'aurais peut-être dû couper... Mais je n'arrivais pas à trouver d'endroit adéquat, parce qu'il regroupe une même idée/ambiance. Et le suivant passe un cap supplémentaire...
J'espère que moins que ça vous plaît !

Forlasass

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