2. Les minutes
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Je suis rentré à Séoul le lendemain, comme il l'était prévu. À en croire leur attitude, mes parents n'ont rien remarqué d'étrange chez moi, et j'ignore si je dois m'en féliciter. Je suis si habitué à donner le change devant les caméras que je n'arrive même plus à me détendre avec les miens.
Et à leur montrer.
Comme j'ai mal.
Avant de partir, j'ai senti Junghyun me serrer un peu plus fort que d'ordinaire dans ses bras. Il m'a aussi embrassé la joue, comme quand nous étions petits et qu'il prenait encore le temps de jouer avec moi. Ce geste, plein de nostalgie et de réserve, m'a laissé sans voix. Car s'il n'a rien dit, j'ai senti à ce simple contact, toute son affection. Ses lèvres m'ont fait l'effet de petits pétales portés par une légère brise. C'était si agréable. Jusqu'à ce que son regard me sonde. Un regard presque apeuré.
Il faut que j'arrête d'inquiéter mes proches.
À chaque fois, pour rien.
C'est comme une spirale infernale, un schéma que je répète à l'infini.
Dépendre des autres. Les aimer trop. Les aduler. Tomber de haut. Se réfugier dans le travail. Les inquiéter. Les dégoûter. Faire qu'ils me rejettent.
Il faut que je donne le meilleur de moi-même. Pour les rendre fiers. Pour qu'ils m'aiment.
« Pour que tu t'aimes aussi. »
J'essaie de taire cette petite voix en me concentrant sur l'écriture de Jetlag, dans l'avion. J'ai sorti les feuilles de Namjoon pour continuer de les noircir. Guidé par mon instinct, les mots coulent sans arrêt et je ne les retiens même pas. C'est comme si je n'avais plus conscience de ce que j'écrivais, comme si quelque chose de trop fort en moi et d'incontrôlable avait pris les commandes. Je crois que ce morceau me tient de plus en plus à cœur. Si au début, j'avais du mal à en comprendre l'intérêt, je le vois aujourd'hui comme une capture de mes états d'âmes récents. Une chance de tout recommencer, sans revenir en arrière. Une envie d'être seul juge de ma personne et de commencer à m'accepter. Car si la solitude m'a longtemps brisé, elle semble aujourd'hui aussi épuisée que moi. Alors je me résigne. Et je l'accepte.
24 ans, j'ai l'impression d'être devenu adulte plus vite que tout le monde.
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Mon avion atterrit à 16 heures 30. Séoul m'accueille dans la brume et l'humidité, et je me demande, l'espace d'une seconde, si c'est la rivière Han qui lui a demandé. Une légère pluie pénètre l'atmosphère et gicle contre mon hublot. Quand je quitte l'appareil, je la laisse picoter mon visage pendant que, escorté par un garde du corps, je rejoins mon chauffeur.
Plusieurs personnes semblent me reconnaître, à l'intérieur de l'aéroport, mais je les ignore et hâte le pas en tirant bien sur mon bob. Pourtant, même si mon regard ne se pose pas sur elles, même si je me concentre sur le sol, je les sens tout autour de moi. Leur simple présence fait gonfler cette petite boule noueuse qui racle les parois de ma gorge.
La vie ici m'empêche de respirer.
Et je n'ai qu'une hâte : rentrer chez moi, loin de toute attention, quelle qu'elle soit.
Une fois arrivé, je suis cependant déçu. Différent de tous les autres, ce retour m'est douloureux. Parce qu'il me fait comprendre que cette propriété, que j'ai payée de mon propre argent, que j'ai faite mienne, n'a rien d'un refuge. Du moins, j'ai l'impression de ne plus réussir à m'en convaincre.
Les lieux sont habités par un silence spectral, certes familier, mais qui n'a rien d'amical. C'est comme si ma virée surprise chez mes parents, m'avait fait ouvrir les yeux sur ce simulacre de vie, que j'entretiens comme un trésor. Mais mon existence, ici, n'a rien de précieux.
Je décide de continuer ma session de travail sur Jetlag. Une fois débarrassé de mon sac, mes chaussures, mon manteau et mon bob, je prends une douche. Puis, habillé de vêtements toujours plus larges et atypiques, en l'occurence un grand pull noir et de mystérieuses chaussettes roses, que j'ai dénichées au fond de mon armoire, je m'installe dans le salon, à même le sol, contre le canapé, l'ordinateur posé sur mes jambes croisées en tailleur.
Namjoon a déposé les arrangements sonores sur un drive commun, auxquels les compositeurs et les membres seulement ont accès. Mes yeux tombent sur de nouveaux dossiers, notamment « Shadow - Yg », mais je ne m'attarde pas dessus, préférant me concentrer sur le mien, « Jetlag ? ».
Et je lance la première piste.
Toutes les propositions sont intéressantes. Mais la deuxième... Elle me prend directement au cœur. J'ai l'impression qu'elle appelle ma voix, qu'elle la supplie de chanter, de dire ces mots, que j'ai écrit plus tôt dans l'avion. C'est décharné et pénétrant.
Un désespoir maîtrisé.
Et je comprends, que c'est exactement ce que je veux retranscrire.
Sûr de mon choix, j'attrape mon téléphone portable et écris aussitôt à Namjoon pour convenir d'un rendez-vous.
Moi à 19 h 23
écouté les arrangements pr Jetlag (1 qui me plaît) + fini d'écrire. on se capte cette semaine ?
Quand j'envoie le message, je n'attends pas de réponse et éteins l'appareil. Puis je gagne ma chambre, et l'abandonne sur ma table de chevet, avec mon ordinateur, désireux de me coucher tôt. Ma tête est pleine de notes de musiques qui se mélangent et me parlent dans une cacophonie stridente, si bien que je n'accorde pas le moindre regard à la rivière Han.
Et c'est seulement quand je ferme les yeux, lumières éteintes, emmitouflé dans la couette, que j'écoute mon cœur me demander pourquoi Taehyung n'a pas répondu à mon dernier SMS.
Je ne sais pas si je lui en veux.
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J'ai fait une connerie.
J'avais promis à Taehyung que j'irai tourner à sa place pour Hyundai aujourd'hui. Mais je ne l'ai pas fait.
Je n'ai quasiment pas dormi de la nuit. Je n'arrêtais pas de penser. Et au petit matin, vers 4 heures, le sommeil m'a emporté, puis relâché à 13 heures. La journée était bien avancée mais je pouvais encore me préparer. J'avais le temps.
Sauf que je me sentais complètement décalqué. Comme s'il faisait encore nuit tout autour de moi, et que je ne devais pas sortir.
J'aurais pu y aller. Honnêtement, j'aurais pu.
Sauf que non.
J'ai couru là où le soleil se lève chaque nuit.
J'ai l'impression d'être allé au demain de quelqu'un d'autre.
Je n'avais vraiment pas la force. Une fois tiré de mon lit, je me suis installé dans mon salon, derrière la baie vitrée. Contempler la ville animée m'a véritablement apaisé. J'ai eu l'impression que la rivière Han s'excusait pour toutes ces nuits de mépris et de haine... Mes yeux, baignés par la lumière, ne parvenaient pas à lui répondre.
Puis j'ai joué à la play, et contemplé mon parquet en buvant une bouteille de vin. J'adore cette teinte châtaigne. Elle est vraiment de très bon goût. Les striures claires qui la parcourent m'hypnotisent.
À 17 heures j'entends une clef tourner dans ma serrure.
Amorphe dans mon canapé, un peu à cause de l'alcool je crois, je bouge à peine, peu soucieux de connaître l'identité de cet intrus. Je ne tarde pourtant pas à le savoir malgré moi, car, de là où je me tiens, j'ai une vue dégagée sur l'entrée.
Je reconnais sa silhouette.
Taehyung.
Il est plutôt bien habillé, tout en noir. Son costume lui va à merveille et son visage, un peu plus pâle que d'ordinaire, transpire la fatigue et la nervosité. Quand nos regards se croisent, je souris d'un air absent et sûrement un peu idiot.
– Putain Jungkook.
Sa voix, grave, résonne comme un grondement. Ça me fait l'effet d'un électrochoc. Comme un coup de foudre sur la tête.
Car je réalise que Kim Taehyung est bel et bien chez moi. Et je me sens tout simplement minable, uniquement vêtu de mon pull trois fois trop large, les jambes à l'air et mes pieds dans ces fameuses chaussettes roses, dont je ne connaissais même pas l'existence avant hier soir. En bref : une superbe tenue pour accueillir son ex. Mes réflexions sarcastiques sont interrompues par les bruits qui me parviennent de l'entrée.
Je me relève finalement, tentant de reprendre mes esprits tandis que Taehyung se déchausse avec... fureur ? Une fois sa veste accrochée au porte manteau, il desserre sa cravate noire sur sa chemise...noire... Cette tenue...
Taehyung déboule ensuite sur moi, tandis que j'essaie de me redresser un peu, tirant maladroitement sur mon pull pour dissimuler au moins mon caleçon. Bon sang, c'est gênant.
– C'est quoi ton problème, putain ? Je te jure que là, je ne rigole plus. Lève-toi.
Il parle un peu trop vite. Il faudrait que je lui demande de ralentir.
– Je...
– T'es drogué ou quoi merde ? Lève-toi ! répète-t-il d'un ton sec.
Pourquoi s'énerve-t-il ? Je ne supporte pas qu'on hausse le ton sur moi. Ça me donne l'impression d'être ce sale gosse dont on aimerait s'épargner la garde, cette espèce de poids encombrant qu'on traîne malgré soi...
Toujours assis sur le canapé, je saisis ma tête entre mes mains et pose mes coudes sur mes genoux en soupirant. Je me sens faible.
– Est-ce que t'as pris un truc ?
– Non... Je te jure que non, je marmonne d'une voix trouble.
– Alors quoi ?
Je ne réponds rien... Il fait tout brumeux, je vois des dizaines, non des centaines, de petits points blancs devant mes yeux écarquillés sur le tapis. Lui, s'énerve davantage. Forcément.
– Tu veux qu'on joue à ça ? Moi qui vais dans ta chambre pour fouiller ? À moins que tu ne caches ça dans ta salle de bain ?
L'époque où je prenais un peu de drogue semble l'avoir davantage marqué que ce que je croyais...
– J'ai... j'ai bu, je finis par admettre doucement.
Taehyung soupire aussitôt et je devine l'expression accablée qui a certainement élu domicile sur son visage. Je n'ose même pas le regarder, honteux de mon état.
Puis je l'entends se diriger vers la cuisine, si j'en crois la pluie de pas qui s'éloigne vers la gauche. Il ouvre un placard, puis allume le robinet. Quand il revient vers moi, j'entends juste un bruit net sur ma table basse.
– Bois.
Puis il repart. Je profite de son absence pour saisir le verre d'eau et en prendre une gorgée. Et je sens la brûlure de son regard sur ma nuque dégagée. Quand il s'exprime avec colère, je sens ma propre irritation :
– Tu veux qu'on te traite comme un gosse ? Aucun problème, je vais m'en charger Jungkook. Ça a assez duré comme ça. Maintenant n'use pas de ma patience, j'ai assez donné.
Ah, vraiment ? Je me retourne aussitôt, posant mes mains sur le dossier du canapé, et le fusille du regard.
– Assez donné ? je ricane. Tu déconnes ? Casse-toi de chez moi !
Ses mots ont réveillé une fureur endormie dont je ne soupçonnais pas la force. Mais plutôt que d'y répondre, le brun me tourne le dos. Il ouvre le frigo.
– Du kimchi de ta mère, si j'en crois l'étiquette, une bouteille de soju et une pomme... énumère-t-il avant de refermer l'appareil.
Puis il se tourne vers moi et me lance son fameux regard polaire dont lui seul a le secret.
– Tu veux que je te dise ce que je pense ?
Non, clairement. Je m'en fous de son avis. Je n'en ai pas besoin. Alors pourquoi je ne dis rien et garde mon regard prisonnier du sien ?
Je remarque que lui aussi s'est servi un verre d'eau. Lentement, il en boit une gorgée avant de le reposer, me torturant de son silence qui me poignarde de toute parts. Puis il croise les bras sur son torse, mettant en valeur ses biceps recouverts par sa chemise moulante. Sa tenue lui confère un tel air ténébreux, une telle autorité, que je n'arrive même pas à esquisser le moindre geste.
– Soit tu vas beaucoup plus mal que ce que je pensais, soit je t'ai surestimé et tu es vraiment la pire des enflures. Un putain d'enfoiré égoïste et sans compassion.
Mon cœur se brise à ces mots. Son estime pour moi a-t-elle tant dégringolé ?
« Il ne t'aime pas Jungkook, il ne t'a jamais aimé. À quoi tu t'attendais ? À une belle déclaration d'amour ? À des excuses ? Tu n'as vraiment pas changé... »
– Dans les deux cas, reprend Taehyung, je vais m'occuper de toi aujourd'hui. Je dors même ici. Lève-toi maintenant, ou je te porte jusqu'à la salle de bain. Tu vas commencer par te laver.
Dites-moi que je rêve...
– Non mais, tu te prends pour qui ? Ma baby-sitter ?!
– Tu en aurais bien besoin, oui, répond Taehyung du tac au tac, ce qui insuffle de l'oxygène à mon feu.
En proie à la rage, je décide de me lever, mais manque aussitôt de tomber. Mon corps tangue légèrement tandis que je me rattrape à l'accoudoir du canapé.
– Pourquoi bon sang ? murmure-t-il pour lui-même en s'élançant vers moi.
Ses mains connaissent le chemin, parce qu'elles l'ont emprunté des milliers de fois. Elles glissent sur mon dos et sous mes genoux pour m'élever contre lui. Aussitôt, je suis frappé par cette odeur, que j'ai toujours adorée. Celle de sa peau, légèrement transpirante.
– Repose-moi, j'ordonne d'un ton que j'espère autoritaire.
Mais il n'en fait rien et se dirige vers la salle de bain, l'air calme quand il me parle :
– Quand as-tu mangé pour la dernière fois ?
Je m'étonne moi-même lorsque je lui réponds sans mentir :
– ...Hier midi.
Il n'émet pas le moindre jugement, bien que sa voix résonne durement à mes oreilles.
– Je vais cuisiner. Tu dois bien avoir quelque chose dans tes fichus placards...
Je ne dis rien, secrètement flatté par notre rapprochement. Et comme toujours, je ne peux pas m'empêcher de le dévisager fixement, me faisant la remarque que je dois quand même faire mon poids dans ses bras. Ses sourcils sombres, froncés, trahissent l'effort que cela lui demande. Néanmoins, il ne se plaint pas. Moi, j'en profite pour le dévisager, de ses grands yeux noirs au grain de beauté situé sur sa narine gauche. Qu'est-ce que j'adorais l'embrasser à cet endroit... Sentant mon regard insistant, Taehyung m'adresse un regard hautain.
– Quoi ?
Vue d'en bas, son expression a quelque chose de soudainement « cartoonesque ».
– Hahaha rien ! je rigole comme s'il venait de me faire une blague hilarante.
J'essaie d'étouffer mon rire derrière mes mains tandis qu'il lève les yeux au ciel, visiblement excédé par mon comportement. Vive le vin...
Arrivé dans la salle de bain, il me pose sur le rebord de la baignoire puis ouvre mon placard d'où il sort une grande serviette verte. Il la laisse près du lavabo puis s'agenouille devant moi. Je rougis, mal à l'aise quand il se penche vers mes pieds pour enlever mes chaussettes.
– Mais arrête, je proteste en agitant les mains quand ses doigts sont sur mes mollets.
Sauf que ma surprise me fait gigoter sur place : je perds l'équilibre et manque de tomber en arrière, dans la baignoire. Heureusement, il m'attrape par la taille pour me retenir. Et son bras, autour de moi, me fait me sentir comme un enfant... Je n'aime pas cette sensation, cette fragilité qu'on m'a demandé de détruire à tout jamais, ce corps qui appelle encore le sien, instinctivement. Mon cœur manque de s'arrêter mais je reprends mes esprits quand il me repositionne correctement et se détache de moi. Mes lèvres frôlent son cou quand je lui dis :
– C'est bon, je peux le faire...
– Permets-moi d'en douter.
Sa voix a quelque chose de doux quand il répond, et son souffle caresse mes cheveux.
– Laisse-moi, je me débrouille, j'insiste.
Quand il se recule finalement, je crois apercevoir un léger sourire sur ses lèvres, peut-être un peu moqueur. Mais je suis si embrouillé et lui, si vif, que je n'ai pas le temps de revenir sur ce que j'ai vu, car il disparaît de la pièce en refermant la porte derrière lui.
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Trente minutes plus tard, je ressors de la salle de bain, tout frais, tout propre, enveloppé d'un grand peignoir gris. La longue douche que j'ai prise m'a permis de me remettre les idées au clair, et surtout de me sortir de mon état léthargique.
C'est donc beaucoup plus serein que je me dirige vers le salon, qui me donne une vision sur la cuisine, ouverte. Taehyung est penché sur une casserole. Quand il m'entend arriver, il relève rapidement la tête et me reluque avant de se concentrer sur le contenu du récipient.
– Heureusement que tu as plein de choses dans ton congélateur... soupire-t-il. Ça va mieux ?
– Oui... je réponds timidement.
Je m'installe sur le canapé et reste à le fixer pendant de longues minutes.
Depuis qu'il laisse pousser ses cheveux, je le trouve encore plus renversant, ne me doutant même pas que ce soit possible... Ses longues mèches noires et légèrement bouclées ont l'air si douces, brillant dans la lumière du jour qui décline et embrasse la peau hâlée de son visage. Je repense à mes cheveux longs à moi, qui n'avaient rien des siens, toujours élégants et soignés. À cette époque, j'avais tout l'air d'un caniche à la tignasse dégueulasse. Rien d'étonnant à ce que Taehyung ait rompu. Nous n'avons franchement pas la même allure.
Je suis tiré de mes pensées quand je le vois froncer ses sourcils avant de tourner son regard onyx vers moi.
– Tu vas me regarder encore longtemps ?
J'hausse les épaules. Qu'est-ce que je peux répondre à ça ? « Tu es la plus belle chose qui se trouve actuellement chez moi, alors oui » ? Je ricane légèrement à cette pensée.
– Tu n'as pas décuvé... se lamente-t-il.
– Si, si...
– Hum.
Étonnement, je ne m'offusque pas de cette réponse peu loquace.
– Pourquoi tu portes du noir ? j'ose demander après un nouveau silence durant lequel je l'observe remuer l'intérieur de la casserole et baisser le feu.
Taehyung fronce les sourcils avant de se mettre à me dévisager comme si j'étais un extraterrestre.
– Je veux dire, je me justifie aussitôt en caressant le bord du canapé, tu es entièrement habillé en noir... Pas que tu n'en portes pas d'ordinaire !
Il continue de me dévisager, ce qui s'avère terriblement déstabilisant.
– Et bien... à cause de l'enterrement.
Je me glace aussitôt. Quel enterrement ?
– Q-quoi ? Quelqu'un est mort ?
– Tu n'as donc pas écouté ce que je te disais dimanche soir ? m'accuse-t-il doucement en fouillant dans mes yeux arrondis par l'angoisse.
Je déglutis et laisse mon regard se perdre sur le parquet, réfléchissant à vive allure. Puis la soirée me revient par flash. C'est quand Taehyung m'a appelé alors que je me promenais avec mon frère. Quand il m'a avoué par message qu'il n'allait, peut-être, pas très bien. Quand il m'a demandé d'échanger nos créneaux pour Hyundai et que j'ai...déconnecté de la conversation. Blessé dans mon amour propre, et dans mes attentes vis-à-vis de cet appel, j'avais cessé de l'écouter. Pire, j'avais laissé Junghyun lui raccrocher au nez... alors qu'il m'avait peut-être confié quelque chose de grave.
Je n'avais même pas honoré mon engagement, en allant tourner aujourd'hui, comme je l'avais promis, sans même prévenir personne de mon absence. Oh mon Dieu.
Une nouvelle fois, mon égoïsme me frappe en plein cœur.
Et je suis bien trop stupéfié pour chasser la larme qui dévale ma joue. Je suis si absent que je ne vois pas Taehyung s'approcher de moi.
C'est quand je sens ses doigts attraper mon menton et relever mon visage que je tombe sur son regard inquiet. Nous sommes séparés par le dossier du canapé, lui penché sur moi, son autre main posée sur le rebord.
– Hey, calme-toi... C'était une de mes cousines, je l'ai assez peu côtoyée. J'étais plus triste pour ma tante à vrai dire, qui a perdu sa seule fille. L'enterrement avait lieu en même temps que mon rendez-vous avec Hyundai. C'est pour ça que je t'ai demandé de me remplacer.
J'ai l'impression d'être une personne horrible. Je ne mérite même pas son attention et sa prévenance, quand lui a dû subir un deuil dans sa famille.
– Taehyung... ma voix se brise un peu. Pardonne-moi... J'étais...
J'étais quoi ?
« Vas-y, dis-lui. Dis-lui que tu ne t'es jamais remis de votre rupture et que tu étais incapable de penser à autre chose qu'à ton pauvre petit cœur brisé. »
– Ce n'est pas grave, murmure Taehyung. Ne pleure pas, s'il te plaît.
Sa voix sonne comme un secret.
Puis il se penche davantage et m'embrasse sur la joue, celle où la larme a coulé.
Et c'est comme si ses lèvres douces faisaient tinter des milliers de petits cristaux à l'intérieur de mon corps. Rougissant légèrement, je me recroqueville sur moi-même tandis qu'il retourne dans la cuisine.
– Tu devrais aller t'habiller.
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Quand nous passons à table, dans la salle à manger, face à face, je remarque que Taehyung me sert plus de nourriture.
– Tu veux me faire exploser ou quoi ? je ricane en découvrant la montagne de japchae qui trône dans mon bol.
– Tu as besoin de reprendre des forces. Et puis comme ça, il ne te restera plus de place pour le dessert et j'en aurai plus...
Puis il se met à manger. Moi, je réfléchis à la nature de ce fameux dessert. Je saisis mes baguettes et l'apostrophe doucement :
– Oh, c'est la tarte à la banane ?
Je me souviens en avoir cuisiné une avec Jimin il y a quinze jours. On en avait congelé une partie parce qu'on n'avait pas réussi à tout manger et qu'on partait pour le week-end...
Taehyung acquiesce puis commence à manger, m'invitant silencieusement à l'imiter.
Mon estomac crie victoire dès qu'il reçoit de la nourriture, et je suis soulagé de sentir l'appétit revenir. Le silence qui nous entoure m'apaise aussi beaucoup. J'apprécie qu'il me laisse manger tranquillement, sans me parler ou m'observer plus que nécessaire.
Quand je finis mon bol, je me sens beaucoup mieux, et parviens même à trouver de la place pour le dessert. Mais Taehyung ne s'en plaint pas.
À la fin du repas, il pose son visage sur ses mains jointes, les coudes sur la table.
– Je me suis permis d'appeler Hyundai pour toi pendant ta douche. Je leur ai dis que tu avais eu un imprévu et que tu n'avais pas pu les prévenir. Ils te proposent un créneau vendredi à 11 heures. J'ai accepté en vérifiant ton emploi du temps.
– Oh... Merci, je réponds en rougissant. Mais comment-
– Tu n'as pas changé de mot de passe, m'interrompt-il en comprenant ce que j'allais demander.
« yeonTan1997 »
Je me mords la lèvre, gêné, puis le remercie à nouveau pour son initiative. Le silence qui nous enserre gagne soudain en pesanteur, comme s'il se chargeait de quelque chose.
Quelque chose qui me met mal à l'aise.
– Bon... je commence avant de me racler la gorge. Merci d'être venu... Et merci pour le repas, pour Hyundai et tout le reste... Encore une fois, je te présente mes sincères excuses pour le... malentendu. Je pense à ta famille, j'espère que tout ira bien pour ta tante.
Je me mords l'intérieur de la joue, mal à l'aise.
– Voilà, tu peux y aller. On se verra dans la semaine, je crois ? je termine avec un petit sourire désolé.
Pendant mon petit discours, Taehyung me fixe avec insistance. Son regard me déstabilise énormément, d'autant que nous sommes seuls et qu'il m'est difficile de compter sur une autre présence pour communiquer avec lui.
– Je t'ai dit que je restais dormir.
Je déglutis en détournant le regard.
– Mais tu n'as pas besoin de le faire. Rentre chez toi.
En plus, je ne vois pas l'intérêt pour lui de rester ici...
– Je suis désolé, moi aussi.
À peine prononce-t-il ces mots que je le dévisage d'un air surpris.
– J'ai cru que tu avais fait exprès de ne pas aller au rendez-vous d'aujourd'hui, pour me faire chier, explique-t-il. Ça ne te ressemble pas comme comportement et j'ai fait une conclusion trop hâtive. Pardon d'avoir été aussi méchant avec toi.
Cette soudaine confession de sa part me met mal à l'aise. Parce que j'ai soudainement peur qu'il me parle de mon dernier SMS. Celui dans lequel je lui confie que je n'arrive pas à surmonter notre rupture. Celui auquel il n'a jamais répondu. Et je sais, au plus profond de moi, ce qu'il va me dire. Je ne veux pas entendre ça. Des excuses toutes faites. La constatation que rien n'a changé. Retour à la case départ.
Alors je décide de me lever de ma chaise. Je fuis.
– Non, non ! C'est moi qui m'excuse, j'insiste en haussant le ton, un sourire maladroit sur les lèvres.
Mais lui, ne se lève pas.
– Écoute Jungkook, lâche-t-il en passant une main sur son visage épuisé. Je n'ai pas...
Il s'interrompt. Glisse sa main, nerveuse, dans ses cheveux. Se mord la lèvre. Fronce les sourcils.
– Tu... tu devrais y aller je pense.
Les mains posées sur le dossier de ma chaise, j'essaie de rester détaché. Ses yeux se posent sur mes doigts, crispés, un long moment. Et je comprends qu'il a saisi ma demande muette. Parce qu'il se ferme d'un coup. C'est impressionnant.
– D'accord.
Il se lève aussitôt de sa chaise. Le fait qu'il n'insiste pas, qu'il m'épargne une nouvelle humiliation, me soulage et me rassure. Je lui signale qu'il peut tout laisser sur la table, que je m'en occuperai moi-même, ce à quoi il répond d'un simple hochement de tête.
Et alors que je me préparais à des adieux froids et maladroits, il me dit :
– Tu n'as besoin de rien ? Il faudrait quand même que tu fasses des courses...
Ce changement de ton est pour le moins surprenant, mais il me met en confiance. Conscient de la fragilité de cette nouvelle entente, je le remercie d'un sourire que j'espère sincère avant de lui tendre sa veste et de le remercier encore pour le repas.
– Passe une bonne soirée et repose-toi bien, dit-il en enfilant son manteau.
– Merci hyung, toi aussi, je réponds naturellement.
Instantanément, il se fige quand je l'appelle « hyung » et je vois sa mâchoire se contracter. J'espère qu'il ne l'a pas mal pris... J'ai parlé sans réfléchir.
Taehyung me lance un dernier regard, toujours aussi ténébreux avant de claquer la porte de l'entrée, me laissant seul et un peu indécis quant à cette soirée...
J'hausse les épaules et finis par retourner dans la salle à manger pour débarrasser et mettre nos bols et nos baguettes dans le lave-vaisselle. Puis je vais me brosser les dents, avec l'idée de me coucher tôt.
Une fois sous ma couette, adossé contre mon oreiller, je décide d'allumer mon téléphone, que j'ai laissé la veille sur ma table de chevet. Quand je remarque les innombrables appels manqués et messages laissés sans réponse, je lâche un soupir de lassitude. Quel déchet je peux être par moments. Je parcours les SMS... Hoseok, Jimin, le producteur... Oh Namjoon !
Joonie hyung à 12 h 32
Hello petite tête ! :) Dsl, j'étais débordé hier soir. On peut se voir jeudi pour ton morceau ?
J'écris à la va-vite.
Moi à 20 h 38
Bsr hyung, oui OK pr moi. Et c ton morceau aussi !! à demain
Le reste n'est pas très intéressant. Je réponds à tout le monde par automatisme. Hyejin a encore décroché une exposition au Japon, ça me rend vraiment heureux pour elle.
Je me demande si je ne devrais pas envoyer un message à Taehyung, pour savoir s'il est bien rentré. En ouvrant ma conversation avec lui, je découvre les messages qu'il m'a envoyés aujourd'hui.
Taehyung à 13 h 50
Salut Jungkook, tu n'es pas chez Hyundai ?
Taehyung à 14 h 13
Répond s'il te plaît, ils m'ont appelé et je vais devoir couper mon téléphone...
Taehyung à 16 h 33
Je suis en route, j'arrive chez toi dans 30 min. Tu as intérêt à avoir une bonne excuse.
Je souffle, dépité, me remémorant mon attitude immature et exécrable. Je ne mérite même pas son amitié... Il a sacrifié sa soirée pour moi, en plus. Il faudrait que je le remercie. Bon sang, ça faisait si longtemps qu'on n'avait pas passé de moment juste tous les deux... Je n'arrive pas à croire que j'ai réussi à dîner avec lui en restant un minimum naturel. C'est peut-être le signe que les choses finissent par évoluer entre nous.
Je sursaute quand je ressens une légère vibration dans les mains. C'est un message de Taehyung ! Je rallume l'écran, qui s'était verrouillé automatiquement.
Taehyung à 20 h 52
Je suis bien rentré chez moi. Yeontan a fait une bêtise...
Surpris, je réponds après une minute à me torturer la lèvre.
Moi à 20 h 53
Oh non qu'est-ce qu'il a fait ? 😰
Il m'envoie une photo... d'un coussin éventré. Je ricane avant d'écrire.
Moi à 20 h 55
Hahahaha, pauvre Tannie, je suis sûr qu'il avait trop faim...
Taehyung à 20 h 55
Il a de la chance d'être mignon... Tu ne vas pas dormir ?
Moi à 20 h 55
Oui papa...
Taehyung à 20 h 56
Oui hyung*
Oh.
Alors ça lui a plu ? Je sens mes joues devenir cramoisies et des feux d'artifices exploser dans mon ventre. Calme-toi Jungkook...
Moi à 21 h 00
Bonne nuit hyung, fais de beaux rêves
Taehyung à 21 h 00
Toi aussi.
J'éteins aussitôt mon téléphone, un petit sourire sur les lèvres. Et je ressens comme un début d'espoir, non pas que tout redevienne comme avant, mais que les choses s'apaisent au moins. Il faut que j'arrive à m'en convaincre.... À me détacher de lui, sans pour autant me comporter comme un immature. Je le sens encore, qu'il a cette faculté à faire jouer mes humeurs : ces dernières semaines, j'étais dans un état déplorable, et là... J'ai l'impression que tout est possible.
Il faut juste que j'accepte son amitié. C'est tout.
Quand je ferme les yeux, mon cœur se tord. Et je le fais taire pour m'enfuir vers le sommeil.
Je ne sais pas où je vais,
Même si c'est à l'opposé du soleil.
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– Je me demande si on ne devrait pas traduire autrement le titre... marmonne Namjoon en se caressant le menton d'un air pensif.
On vient de finir de valider toutes les paroles de Jetlag. Je suis plutôt content de notre avancée, d'autant que Namjoon s'est montré ravi de mon travail.
Quand je suis arrivé ce matin, je l'ai remercié, lui et les compositeurs présents, pour les arrangements sonores. J'ai été ravi de constater qu'eux aussi préféraient la deuxième piste. Mon excitation commence enfin à grandir, et j'arrive à me projeter dans ce titre. Je dois avouer que je ne m'étais pas autant pris dans le jeu depuis Euphoria.
– My Time, me semble pas mal... Pour reprendre le refrain...
J'opine aussitôt, plutôt d'accord avec lui.
– Tu veux essayer de poser ta voix dessus ? On peut tenter quelques paroles.
– Euh oui ! Je dois juste m'échauffer... j'accepte les yeux ronds.
Joonie me dévisage d'un air affectueux.
– Allons bon, tu n'en as pas besoin, dit-il en m'ébouriffant les cheveux.
Quand on termine les premiers essais, Namjoon me propose de rester encore un peu pour dîner avec lui et Taehyung, qui doit le rejoindre dans vingt minutes. Mais je refuse poliment. Je crois que j'ai besoin d'un peu de temps encore, même si je sens mon cœur se réparer doucement. J'adresse un regard que j'espère transparent à mon hyung, pour lui faire comprendre que tout va bien.
Et je sens, dans son étreinte maladroite, qu'il comprend. Quand je m'éloigne, il attrape soudain mon poignet et le serre doucement en m'adressant ces derniers mots :
– Fais attention à toi.
✿
J'ai passé une semaine exemplaire. Entre les enregistrements pour « Map of the Soul », les entraînements de danse et les quelques rendez-vous, dont le fameux pour Hyundai, les jours ont filé comme un manège.
Taehyung m'a d'ailleurs écrit vendredi après-midi.
Taehyung à 16 h 33
Tu es chez toi ?
Moi à 16 h 35
Oui.
Taehyung à 16 h 35
Ça a été avec Hyundai ?
Moi à 16 h 37
Oui... Merci d'avoir rattrapé
Taehyung à 16 h 38
Pas de problème.
Sans autre message de sa part, je n'ai pas insisté. J'ai désormais à cœur de lui faire comprendre que j'enterre enfin notre passé et qu'il n'a pas à s'en faire pour moi. Quand j'y repense, les choses n'ont pas dû être simples pour lui. J'imagine que la distance qu'il s'est appliqué à mettre entre nous était un moyen de tuer mes espoirs. Parce qu'il faut bien l'admettre : j'en ai eu...
Il faut que je tire un trait sur lui. En commençant par cesser de le fuir et de me crisper dès la moindre approche.
Ce samedi soir semble être l'occasion parfaite : il est prévu que nous nous retrouvions chez Jin pour un dîner, sans caméras ou autre présence.
Juste BangTan. Et c'est si rare comme événement, que je décide de faire un petit effort vestimentaire. Il faut dire que je me suis vraiment laissé aller récemment... J'ai rarement eu un physique aussi négligé que cette année. Si j'ai coupé mes cheveux depuis le tournage de Bon Voyage 4 (encore heureux), mes mèches ont un peu repoussé depuis, me laissant juste quelques boucles folles. Je n'ai pas le temps de les lisser ce soir, mais essaie au moins de les dompter avec un peu d'eau. Je suis vraiment nul pour me coiffer, mais bon, ça fera l'affaire.
J'ai hésité à me maquiller, avant d'appliquer juste un fond de teint et du baume à lèvres. J'adore en mettre parce que ça rend mes lèvres toutes collantes et roses, avec un léger goût de cerise sucrée. Je suis vraiment un gosse...
J'enfile un jean noir, près du corps, à la taille assez haute, et une chemise ample lie-de-vin, que je rentre dans mon pantalon. Puis je décide de décorer mon torse de quelques fines et longues chaînes qui disparaissent sous le tissu... L'encolure large de la chemise laisse voir mes clavicules et les bijoux dorés. Ça me fait si étrange de m'apprêter autant pour une simple soirée entre amis.
Mon long manteau sur le dos, je claque enfin la porte de chez moi à 18 heures 30.
Quand j'arrive chez Seokjin, quarante minutes plus tard, je me gare dans l'allée. Namjoon et Jin m'accueillent dans l'entrée avec un enthousiasme sincère. Le mien est plus réservé mais ils ne font aucune remarque, car ils savent que je me mets toujours un peu en retrait au début. Ma langue et mon corps finiront par se délier plus tard, quand je me sentirai plus à l'aise.
Je termine de me déchausser quand Hoseok sort de la cuisine, hurlant son fameux « Jaykay » qui ne manque pas de me faire rire et me détend de suite. Je l'adore.
Mon regard flirte sur la pièce et tombe sur la chevelure de Taehyung. Je ne vois que son dos. Il est installé sur le canapé, avec Jimin. Quand ce dernier m'entend, il quitte aussitôt son meilleur ami et court vers moi.
Jimin est incroyable.
Quand on est tous les sept devant les caméras, on se force à se montrer plus affectueux et attentionnés les uns envers les autres, pour combler les fans et jouer avec leurs nerfs. Aussi, je ne m'offusque jamais si, quand on est entre nous, un des membres paraît moins enjoué. Ça n'a rien à voir. On se connaît maintenant, on n'a pas besoin de se couvrir de baisers toutes les deux minutes.
Mais Jimin... Jimin est toujours le même avec moi, caméras ou pas.
– Jungkookie ! Enfin là ! chantonne-t-il en me sautant dessus.
J'éclate de rire quand il m'embrasse sur les deux joues.
– À quand le mariage... nous taquinne Hoseok.
– Mais il a déjà eu lieu, le provoque Jimin et encerclant ma taille, posant sa petite tête contre mon torse. Jungkook et moi, nous sommes mariés depuis sept ans.
– Wow, et vous avez tenu si longtemps sans rien nous dire ? ricane Jin. Tu as réussi à berner Taehyung, Kook ?
Oups.
C'est typiquement le genre de remarque qui me ferait me renfermer directement sur moi. Ou comment leur montrer que je suis toujours cet adolescent un peu perdu et indécis, qui a du mal à tourner la page... Je jette un regard à Taehyung. Il est sur son téléphone. Mais je le connais. Je sais qu'il a entendu.
Parfois, il arrive que les membres tâtent le terrain, pour prendre la température entre Taehyung et moi. Eux-mêmes se perdent dans nos innombrables jeux de rôles devant les caméras et peinent à nous déchiffrer. Je les comprends.
– Pourquoi le berner ? Nous sommes tous mariés ! Vous êtes tous mes petits maris et je vous ai cuisiné un dessert du tonnerre ! répond Jimin en ignorant le léger malaise qui raidit mon corps.
– Bon sang, qu'est-ce qu'il a bu ? soupire Namjoon rejoignant Jin dans la cuisine.
Je rigole tendrement en répondant à l'étreinte de Jimin avant de retirer mon manteau. Je cherche un endroit où le poser et remarque la pile sur le canapé, celui où Taehyung est installé depuis tout à l'heure. Quand je passe devant lui, je le vois sur son téléphone, visiblement trop concentré pour nous accorder son attention.
Une fois mon vêtement posé, j'ajuste ma chemise, me retourne et découvre que Taehyung ne fait plus attention à son écran.
Son regard me foudroie sur place. Il descend de mon visage jusqu'à mon cou, puis le haut de mon torse, ma taille, mes jambes... Vient-il bel et bien de me reluquer ? Indécis, je me racle la gorge pour me redonner contenance.
Puis j'entends Hoseok s'extasier :
– Jaykay woooaaah, mais qui est cette bombe ?
J'éclate de rire, mis en confiance par les manières parfois très exubérantes de notre petit Hobi. Il est interrompu par la sonnerie, qui retentit dans l'entrée et me sauve de ce moment plutôt gênant... Je ne suis pas toujours à l'aise avec leurs compliments. Hoseok et Jimin courent vers la porte, sûrement pour accueillir le dernier arrivant, j'ai nommé Min Yoongi.
En reposant les yeux sur Taehyung, je constate qu'il ne m'a pas lâché du regard depuis tout à l'heure. Mes joues rosissent mais je décide d'agir comme si de rien n'était en m'approchant de lui pour le saluer. Ma nervosité est cependant évidente quand je serre mes lèvres, étalant un peu de baume sur celles-ci.
Je ne suis pas encore à l'aise avec ma nouvelle résolution...
– Bonsoir, hyung, tu vas bien ? je demande.
Je pose ma main sur le dossier du canapé, juste à côté de sa tête. Puis je me penche sur sa figure pour déposer un léger baiser sur sa joue. Dans le mouvement, une de mes chaînes s'échappe de ma chemise et frôle son cou.
– Oups, je m'excuse en rentrant le bijou.
Et dans ma maladresse légendaire, mes lèvres touchent son nez, y déposant un peu de baume.
– Oh non, pardon !
Je pose l'index sur son arrête et gratte délicatement pour chasser la texture collante et légèrement pailletée de sa peau. Bon sang Jungkook... Il faut que j'évite son regard, toujours posé sur moi, qui ne manque pas de me faire rougir. Son silence me rend encore plus nerveux.
Quand je m'écarte, je capte ses yeux sur mes clavicules, révélées par l'encolure large de ma chemise. Mais son regard revient vite attraper le mien et il sourit très légèrement avant de me répondre d'une voix profonde et calme.
– Ça va. Et toi ? Bien reposé ?
– Oui, oui... je lui réponds.
Debout devant lui, je lève aussitôt la tête vers Yoongi, me forçant à adopter une attitude distraite et sûre de moi.
– Yoongi hyung ! je l'appelle.
Il m'adresse un simple signe de la main avant de me demander si j'ai un rendez-vous galant après notre dîner. Je rigole doucement à sa taquinerie et l'observe disparaître dans la cuisine.
Puis je décide de m'asseoir à côté de Taehyung. Le brun semble légèrement surpris par mon attitude, mais je prends sur moi pour ignorer le regard curieux qu'il me lance.
Mon deuil de lui commence par une amitié saine.
– Tu fais quoi ? je demande en me penchant sur son écran, évitant tout de même de le toucher.
– J'étais sur Weverse...
Je regarde l'écran qu'il scrolle. De temps en temps, il s'arrête sur une publication et la commente. Il semble si distrait par l'application que je profite de ce moment pour observer son profil parfait. Ses cheveux noirs un peu trop longs retombent sous forme d'ondulations légères sur ses yeux et caressent sa nuque halée. Il porte un pull noir, simple et prêt du corps, sur un jean d'un bleu clair délavé. Ses longs doigts glissent à toute vitesse sur son clavier... Comment peut-on être aussi beau et naturel à la fois...
Rapidement, je repense à mes efforts pour me préparer ce soir. La vie est vraiment injuste.
Je suis sûr qu'il n'a même pas coiffé ses cheveux.
Bon, moi non plus certes. Enfin, à peine.
Je m'écrie quand j'aperçois une photo de Yugyeom sur son feed.
– Quoi ? me demande-t-il.
– Regarde...
Je remonte avec mon doigt sur l'écran et appuie sur la publication. Puis je me penche près de lui pour lire :
« Yugyeom oppa et Jungkook oppa devraient sortir une chanson tous les deux !! 😻 Je vous aime ! »
– C'est trop drôle, il faut que je le dise à Yugy' ! je rigole tout seul en m'éloignant de son téléphone.
Ses yeux restent figés sur la publication avant qu'il n'en sorte et continue sa promenade numérique. Nous restons silencieux de longues minutes, moi l'observant répondre à quelques posts, quand il prend la parole.
– Tu lui parles souvent ?
– Hum ?
– À Yugyeom...
Surpris par sa question, je décide de ne rien en montrer et prends cela pour un effort de sa part. C'est gentil de me faire un peu la conversation.
– Bof, on essaie de se donner des nouvelles tous les mois en dehors de notre groupe « 97 Line ».
Je réponds avec une pointe de déception dans la voix. Yugyeom est certainement un de mes meilleurs amis, et Dieu sait qu'ils sont rares dans ce milieu. Malheureusement, c'est difficile de discuter ou, pire encore, de se voir. Je devrais lui écrire tiens...
– À table bande d'ingrats ! Vous laissez vos hyungs tout préparer comme de sales gosses mal élevés !
Je sursaute, n'ayant pas entendu Seokjin nous rejoindre. Les mains sur les hanches, il nous dévisage d'un air farouche, faussement colérique, ce qui me donne envie de le taquiner.
– J'espère qu'il y a de la viande, femme ! je grogne d'un ton bourru.
– Et de la bière à foison, rétorque Taehyung avec sa voix bien grave, rentrant dans mon jeu.
Soudain, je sens un menton se poser sur mon crâne, puis reconnais les petits doigts de Jimin jouer avec mes cheveux.
– C'est joli ces boucles, dis donc... Tu es vraiment le plus beau des maris.
– Qu'est-ce que tu veux encore, toi ?! je continue de grogner. De l'argent pour t'acheter un nouveau sac à main ?
Jin soupire aussitôt.
– Vous n'êtes qu'une bande de gamins attardés.
J'adore l'épuiser.
– Femme, j'ai des fourmis dans les jambes ! Porte-moi jusqu'à ma chaise ! je l'interpelle.
Mais il m'ignore et s'éloigne dans la salle à manger. Jimin dépose un baiser dans mes cheveux avant de rejoindre la tablée lui aussi.
Sans un mot, Taehyung range son téléphone dans la poche de son jean puis se lève. Et alors que je pensais qu'il suivrait Seokjin hyung, il se tourne vers moi.
– Tu n'as qu'à monter sur mon dos.
Je suis si surpris par sa proposition que j'en reste tout simplement ahuri. Mes yeux n'arrêtent pas de cligner, comme si ses mots avaient grillé mes neurones. D'ailleurs, un sourire moqueur déforme ses traits. Mon expression doit être drôle à voir.
– Oh, je dis.
– Viens.
Et il se retourne simplement, s'abaissant légèrement vers l'avant pour me présenter son dos.
– J'espère que tu es en forme, je soupire.
Je me lève avec hésitation, tout doucement. Je n'ose même pas lui dire que cette histoire de fourmis dans les jambes n'est rien qu'une blague. Alors, faiblement, j'encercle son cou de mes bras et m'approche. Ses mains enserrent l'arrière de mes cuisses et me soulèvent brusquement. Son action est si rapide qu'un petit cri de surprise m'échappe.
Quand je suis bien calé contre lui, je ne peux m'empêcher de lui dire :
– Tu peux me reposer hein...
– Pourquoi ? Tu n'es pas lourd...
Et il rejoint les autres dans le salon. De mon côté, je ne peux m'empêcher d'enfouir mon nez dans sa chevelure douce et soyeuse. J'aimerais bien l'enlacer... Embrasser son nez, son petit grain de beauté. Laisser ses mains parcourir mes cuisses nues, ses lèvres caresser tout mon corps... Bon sang, mais à quoi je pense ?
– Alors tu t'es trouvé un esclave, c'est bon ? me lance Hoseok mort de rire quand il nous voit arriver.
– C'est lui qui s'est proposé, moi je n'ai rien fait, je réponds en faisant la moue, mon menton posé sur la tête de Taehyung.
Intérieurement je m'arrête à ce simple mot.
Esclave.
Il n'a jamais été mon esclave.
À vrai dire, ce rôle m'appartient davantage.
Esclave de mon amour pour lui.
Mais j'avais bon espoir.
J'allais bien finir par me libérer.
« Relâche-moi », lui souffle mon cœur.
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Comme d'habitude, les mots en gras et en italique sont des paroles de My Time.
NDA
Avant-dernier chapitre, oh là là, déjà... J'ai hâte de poster le tout dernier, d'autant qu'il sera du point de vue de Taehyung ! Et peut-être trop long aussi. Il sera divisé en deux si c'est le cas, parce que je ne veux pas décourager la lecture non plus...
J'espère sincèrement que ce chapitre 2 vous a plu sinon. :)
Forlasass
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