PARTIE 1/4

BYRON BAY | AUSTRALIE (NSW)

Le jour se levait doucement et éclairait peu à peu le ciel dégagé. Les oiseaux se mettaient petit à petit à chanter, comme tous les matins d'été, dans les arbres et les arbustes environnants. Une fine brise faisait quant à elle voleter les feuilles des arbres et les rideaux aux baies vitrées, ou tinter le carillon en bambou fixé près de la fenêtre de la chambre de Noa. La petite ville de Byron Bay, sur la côte est australienne, était encore endormie bien que certaines personnes, plus matinales que les autres, avaient déjà bien entamé leur journée.

Des personnes comme Hunter qui, malgré les cinq heures du matin, attendait une bonne vague. Balloté sur sa planche au rythme de l'océan, il s'était tourné vers le large et contemplait le soleil qui se levait à l'horizon. Ses cheveux blonds, mi-longs et ondulés tombaient sur ses épaules et sa peau dorée semblait briller au soleil levant. Il était beau. Solaire. Si bien que Noa, qui ramait sur sa planche pour le rejoindre, pensa d'abord à un mirage.

— Toujours en retard, toi.

Hunter chambra son ami, sans même se retourner pour le regarder, l'ayant entendu arriver. Il ne posa son regard sur lui que lorsqu'il entendit sa voix, si différente de d'habitude, lui marmonner :

— Ça va, écrase un peu.

Noa regretta aussitôt le ton sur lequel il lui avait parlé. Mais depuis le dîner de la veille, il ne ressentait rien d'autre que le vide. Comme si l'annonce de ses parents l'avait déconnecté de la réalité. Comme si son coeur s'était brisé lorsqu'il avait compris qu'il vivrait désormais dans un monde où Hunter - son Hunter, bon sang ! - ne serait pas à ses côtés.

— Ça ne va pas ?

Hunter le connaissait si bien, par coeur, qu'il le ressentait autant qu'il le constatait de ses propres yeux. Jamais son ami n'avait été si bougon. Jamais ses yeux n'avaient semblé si éteints. Et il n'aimait pas le voir comme ça.

— Si... j'ai juste mal dormi.

Le blond pouffa d'un rire agacé. Toujours dans l'océan, délicatement ballotés sur leur planche, ils se fixèrent dans le blanc des yeux quelques secondes. Puis Hunter tiqua et redevint sérieux :

— Ne me mens pas, s'il-te-plaît.

Il savait que Noa mentait pour une seule et bonne raison : il ne connaissait pas plus gros dormeur que lui. En dix-huit ans d'existence, jamais il n'avait entendu les mots « mal dormi » sortir de sa bouche, car Noa était le genre de garçon à tomber dans les bras de Morphée n'importe où et n'importe quand dès qu'il avait l'occasion de s'allonger. Alors non, Hunter savait qu'il n'avait pas simplement mal dormi. Que c'était bien plus important que ça.

— Je...

Noa chercha des mots qui n'avaient pas encore vraiment fait leur chemin dans son esprit. Cette nouvelle réalité, il ne l'acceptait pas. Il s'entendit malgré tout avouer :

— ... on va déménager. À Auckland. À la fin de l'été. Et ce n'est pas négociable.

Bien évidemment qu'il avait essayé de négocier. Lorsque ses parents lui avaient annoncé leur départ imminent, pour raisons professionnelles, c'était la première chose qu'il avait tenté de faire ; à dix-huit ans, il pouvait bien rester tout seul à Byron Bay, non ? Mais il n'était pas bête. Que les parents acceptent, cela n'arrivait que dans les films. Pas dans une réalité où sa famille, déjà si meurtrie, s'était unie dans les épreuves de la vie.

— Quoi ?

Hunter cessa de respirer. Son cerveau semblait tourner à plein régime afin d'encaisser l'information : déménager, Auckland, fin de l'été. Noa, partir. Son estomac lui fit subitement mal et son monde, petit à petit, sembla s'effondrer. Avec qui allait-il surfer ? Avec qui allait-il passer ses soirées, à traîner dans les rues ou à regarder des films ? Avec qui continuerait-il à rêver d'une carrière dans le surf ? Dans quels bras allait-il se réfugier lorsqu'il aurait un énième coup de blues ? Comment allait-il vivre sans son Noa ?

Toutes ces questions, Noa se les était posées. Lorsque ses parents avaient acté le fait qu'il les suivrait - et qu'il avait compris qu'il n'aurait aucune chance d'y échapper - c'était tout ce à quoi il avait pensé : une vie sans Hunter. Et elle s'annonçait triste et douloureuse à mourir. Ce constat l'avait réellement empêché de dormir.

— Ils m'ont annoncé ça hier au dîner, souffla Noa. Je sais pas quoi te dire de plus.

Le silence accueillit ses mots. Hunter non plus ne savait que dire. C'était le foutoir dans leur tête et leur coeur. Ils ne s'étaient jamais vraiment quittés et les quelques jours qu'il leur était arrivé de passer loin l'un de l'autre leur avaient semblé... interminables. De manière systématique, ils avaient ressenti un manque, sans jamais vraiment l'avouer à l'autre, et s'étaient questionnés eux-même. « Pourquoi est-ce qu'il me manque autant ? » ; et si la réponse semblait évidente, elle ne l'était pas pour eux.

— Viens te baigner.

Ce fut tout ce qu'Hunter trouva à dire et Noa ne se fit pas prier. Ils descendirent de leurs planches, qu'ils gardèrent rattachées à leur cheville grâce au leash. Ils se firent face quelques secondes, les embruns de l'océan se confondant sur les joues de Noa avec ses larmes. Hunter s'approcha, posa une main humide sur la joue de son ami, et chassa ses larmes avec son pouce. Noa se glissa tout contre lui, rassuré par geste si doux et si réconfortant, et ferma les yeux. Soudain, le normal laissa place à l'étrange, et ils se sentirent tous deux partir très loin. C'était là l'un de ces moments ambigus qu'ils avaient de temps à autre partagé, depuis le début de l'adolescence ; ces moments où la douceur de l'amitié laissait place à une tendresse beaucoup plus intime, interdite et inavouable.

Une tendresse amoureuse, parce qu'ils s'aimaient sincèrement tout en l'ignorant ; car jamais rien n'était venu perturber l'équilibre de leur relation.

Jusqu'à aujourd'hui.


... à suivre ...

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