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𝐇𝐚𝐧𝐚 ³ ⁷⁷²


Assise sur le lit, le dos des mains contre mes genoux qui tremblent, je regarde mes paumes comme si elles allaient répondre à ma question.

Que vient-il de se passer ?

Je suis la ligne de peau sur mes paumes, comme si des mots allaient s'afficher. Mais rien. J'ai mal au dos à force de rester recroquevillée ainsi vers l'avant. J'ai entendu des cris à l'étage, juste derrière la porte de ma chambre, puis mes oreilles se sont mises à siffler. Je ne bouge plus, ne relève plus le regard par peur d'affronter une autre vérité.

Par peur de devoir affronter ce qu'il se passe.

Soudainement, la porte s'ouvre, laissant entrer la lumière jaunâtre du couloir dans la chambre plongée dans l'obscurité. Je prie de tout cœur pour qu'il vienne me prendre dans ses bras, me murmurer qu'il est là pour moi et que tout se passera bien. Mais quand il prend la parole, ce n'est pas la voix de Seojun.

— Tu veux en parler ?

— Non, dis-je dans une plainte, et je me rends compte que mes cordes vocales me font terriblement mal.

— Il faudra bien un jour...

Je souffle tout en fixant mes paumes :

— Trois-mille-sept-cent-soixante-douze.

— Pardon ?

Suwon s'approche, mais ne s'assied pas à mes côtés.

— C'est mon trois-mille-sept-cent-soixante-douzième jour, et je ne vais toujours pas mieux. Ça fait plus de dix ans...

— Ça fait à peine dix ans, Hana. On n'oublie pas ces choses-là. En général, on apprend à vivre avec ses cicatrices.

Je n'arrive même pas à l'écouter tellement je suis épuisée. Mes yeux se ferment d'eux-mêmes, et j'ai si mal à la tête que la moindre lumière me brûle la rétine.

— Je viens te chercher demain matin pour aller voir le médecin. Essaie de te reposer.

Je hoche la tête, sentant une pointe me chatouiller le cœur.

— Où est-il ? murmurai-je.

— Qui ça ?

Pour la première fois depuis qu'il est entré, je relève les yeux et les pose sur lui.

— Tu sais très bien de qui je parle.

Il relève un coin de sa bouche, sans vraiment sourire. Ses yeux fixent mes genoux qui ne cessent de tressauter.

— Tu devrais te reposer, Hana.

Il recule sans me quitter du regard, puis se détourne finalement de moi pour quitter la pièce. Je me lève brusquement, rassemblant les dernières forces qui me restent :

— Je l'aime, Suwon...

Il s'arrête net, me tournant le dos. Mon cœur bat vite et ma poitrine me serre.

— Pourtant, il y a plusieurs mois je le détestais, poursuis-je.

Un rire jaune m'échappe.

— Je pensais qu'il était comme eux. Je croyais qu'il n'y avait que la célébrité qui comptait pour lui. Mais il a toujours été là quand j'avais besoin d'aide. Il a pris soin de moi comme personne ne l'a jamais fait pour lui. Je trouvais son comportement étrange, très distant, puis j'ai dû collaborer avec lui, réaliser des clips. Ça m'a permis de mieux le comprendre et de percevoir qui il est réellement. Au fil du temps, Seojun n'est pas devenu ma raison de vivre, mais ma raison de commencer à aimer. J'ai appris à donner ma confiance...

J'inspire profondément, tentant de canaliser mes mains qui tremblent contre mes hanches.

— Avec lui, je me suis rendu compte que la haine que je pensais ressentir n'était qu'une carapace pour cacher la peur de souffrir une énième fois. Puis un beau jour, notre manager a eu l'idée de faire croire aux fans que nous nous étions épris l'un de l'autre pour attiser leur curiosité et booster notre popularité, sans se soucier des conséquences sur nos vies personnelles.

Suwon décide enfin de me faire face. Son visage est défait, comme si, jusqu'à maintenant, des fils invisibles tenaient la peau de son visage, et qu'on venait de les couper. Ses épaules sont relâchées, et son teint est blafard.

— Et donc ? Quelle est la conséquence ? demande-t-il.

Sa voix est basse, presque inaudible. Mais mon cœur réagit comme s'il venait de hurler.

— De tomber dans le piège.

Il s'approche doucement, les yeux luisants d'une émotion que je n'ai jamais lue sur son visage.

— Dans quel piège es-tu tombée, Hana ?

Je déglutis en sentant ma salive s'assécher dans ma gorge. Les mots sont un poison qui agit seulement une fois cités. Suwon connaît la réponse, mais il veut me l'entendre dire.

— En voulant donner un sens à cette rumeur, je l'ai rendue vraie.

Une larme glisse le long de ma joue lorsque je fixe le sol.

— Tu n'es pas tombée amoureuse, Hana.

Je relève le visage pour comprendre où il veut en venir, mais il se détourne une seconde fois pour quitter la pièce.

— Tu es juste tombée. Cet idiot t'a emportée dans sa chute.

Puis il ferme la porte. Je n'ai plus la force de courir après lui pour lui demander de quoi il parle. A-t-il entendu ce que je viens de lui confier ?

Épuisée, je me couche sur le lit sans prendre la peine de rabattre la couverture sur mes jambes et m'endors avant qu'une pensée ne décide de me tourmenter pour la nuit.

★★★

La salle d'attente a toujours la même odeur, la même ambiance, et je suis presque certaine que les mêmes personnes y sont. Une maman accompagnée de son enfant malade, un papi qui attend seul entre deux chaises vides et deux mamies qui discutent entre elles de leurs malheurs.

Puis il y a moi, principalement seule ou accompagnée par ma mère, mais cette fois, c'est Suwon qui est assis à ma gauche. Une boule se forme dans ma gorge en pensant que ça aurait dû être Seojun. Je suis certaine qu'il aurait pu m'accompagner. Il me l'a promis.

Et je nous ai donné une chance.

— Mademoiselle Choi ?

Suwon est le premier à se lever, comme si le docteur Jiho avait appelé son nom plutôt que le mien. Je me lève finalement, et une sueur froide traverse mon échine. Suwon pose une main sur mon omoplate, mais je repousse son geste en me tournant vers lui.

— Tu peux attendre ici, pas la peine de m'accompagner à l'intérieur.

— Mais Hana, je...

— Docteur Harrison, elle a raison, tranche mon médecin. J'ai besoin qu'Hana se sente à l'aise lorsque je lui poserai des questions. Vous m'avez envoyé vos rapports la concernant, je n'ai donc pas besoin de vous, merci.

Je réprime un sourire, parce que le quart d'heure que je m'apprête à vivre ne sera pas agréable. Rapidement, le Dr Jiho referme la porte de son cabinet derrière lui, ne me laissant plus aucune chance de rebrousser chemin. Il m'intime de m'asseoir et s'installe face à moi en joignant les mains sur son large bureau à la paperasse bien ordonnée.

— Je pense que le Dr Harrison vous a expliqué la raison de ce rendez-vous ?

Je hoche la tête.

— Sachez tout d'abord que vous n'êtes pas la première patiente à arrêter brusquement un traitement sans l'accord d'un médecin et certainement pas la dernière.

Il plante son regard dans le mien, un léger sourire sur le visage.

— Ensuite, sachez que – vous l'avez peut-être deviné – nous allons vous redonner un traitement parce que vous n'êtes pas prête à tout arrêter si brusquement.

Il prend un dossier que je devine être le mien dans un tiroir de son bureau avant de le poser sous mes yeux.

— Nous avons pris la décision de vous faire passer en sevrage progressif, précise-t-il.

Je survole le dossier sans comprendre.

— Qu'est-ce que cela signifie ? demandai-je.

— Que nous allons réduire vos doses pour la troisième fois en cinq ans. Hana, ayez conscience que c'est une avancée énorme en comparaison de vos séquelles. Le processus prendra du temps, mais si tout se passe bien, vous n'aurez plus besoin d'antidépresseurs d'ici l'été prochain.

Il me tend une ordonnance sur laquelle est inscrit mon nouveau traitement. J'ai les mains qui tremblent lorsque je me saisis du papier.

— Savez-vous pourquoi vous avez besoin de prendre des antidépresseurs, Mlle Choi ?

Il laisse sa question flotter dans le silence insistant de son cabinet avant de répondre par lui-même :

— Parce que vous n'avez besoin de rien d'autre pour avancer. Parce que vous êtes forte et que vous irez jusqu'au bout de ce chemin. Le harcèlement scolaire vous a causé des troubles anxieux tels qu'un trouble de stress post-traumatique que vous soignez de jour en jour d'une façon qui me surprend agréablement. Ensuite, vous avez souffert d'un cancer du pancréas à un jeune âge, vous projetant face à une peur intense de la mort.

Il me tend un paquet de mouchoirs en remarquant que je pleure avant de poursuivre :

— Ces deux détails vous ont malheureusement confrontée à des difficultés pour reprendre une vie normale. Mais souhaitez-vous savoir ce que je pense ?

Seconde question rhétorique puisqu'il continue :

— Votre vie ne sera jamais normale, parce que vous ne l'avez jamais été. Regardez-vous, Mlle Choi, vous avez survécu à de longues années de persécutions morales et physiques et vous avez vaincu un cancer. Vous vous démenez toujours pour trouver un moyen de vous relever, alors je ne doute pas que vous continuerez de le faire encore une fois.

Il se lève, et mon corps l'imite. En posant une main sur le poignet de la porte, il conclut ses paroles :

— Ménagez-vous, Mlle Choi. Je ne vous dis pas de quitter votre travail, seulement de vous trouver du temps pour souffler et faire le point dans votre esprit. C'est important, même si vous n'avez pas toujours envie d'aller voir le Dr Harrison.



Une fois passée à la pharmacie, je laisse le silence régner dans la voiture. Suwon ne dit pas un mot, et j'ai remarqué qu'il évite le sujet d'hier soir lorsque j'essaie de mentionner Seojun. Je me sens encore épuisée, comme si je n'avais pas dormi alors que j'ai enchaîné sept heures de sommeil profond. 

Nous sommes samedi, ce qui signifie que c'est mon jour de repos, mais je ressens le besoin d'aller au studio. Le Dr Jiho n'avait pas tort en disant que je me relève toujours après une chute. Si je reste seule à devoir me reposer, je n'arriverai pas à avancer.

Je ne sais même pas comment expliquer à Jiny ce qui s'est passé hier soir. Est-ce que Seojun a tout raconté ? Est-ce qu'ils ont entendu nos cris ?

— À quoi penses-tu ? me demande Suwon.

Je remarque que je tapais du pied seulement lorsqu'il se fige contre la moquette de la voiture. Je hausse les épaules, pas d'humeur à discuter avec Suwon, mais ce dernier poursuit :

— Essaie de penser à toi, et pas aux événements qui te tracassent.

Connaissant Suwon, il est en train de me dire : « repose-toi, arrête de penser à Seojun », et ça m'irrite qu'il ne puisse pas comprendre. Me comprendre. Je l'ai appelé deux fois ce matin, et il n'a pas répondu à mon message. Je ne comprends pas, je nous ai donné une chance, mais il ne semble pas capable de me laisser m'expliquer. Il m'a promis de ne pas me faire de mal, mais son silence m'est douloureux.

— Qu'est-ce qu'il se passe, Suwon ?

Il se gare devant la maison de Jiny sans tirer le frein à main.

— Ne t'en fais pas, Hana. Tout va...

— Je ne parle pas de ça, tranchai-je sèchement.

Il pivote sur son siège pour me faire face. Je reformule ma question :


— Qu'est-ce qu'il ne va pas avec toi ?

Le choc se lit sur son visage.

— Je n'ai pas envie de te tourner le dos, ni de rester en colère contre toi, alors réponds-moi honnêtement : qu'est-ce qu'il ne va pas avec toi ?

— Avec moi ? Voyons, Hana... Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il laisse échapper un rire jaune, et je prends sur moi pour ne pas quitter l'habitacle en claquant la portière.

— Ce que je veux dire, c'est que tu n'es plus le même. Enfin, si, tu es toujours Suwon. Mais tu as changé de comportement envers moi, et je suis presque certaine que tu ne remarques même pas à quel point tu m'étouffes à vouloir me protéger.

Je ne le laisse pas parler lorsqu'il s'apprête à intervenir. Je lève les mains en poursuivant :

— Pour la première fois de ma vie, je tombe amoureuse et, lorsque je t'en parle, la seule chose que tu me dis est que je ne suis pas réellement amoureuse. Tu sous-entends même que Seojun a fait une erreur ! Mais sais-tu de quoi tu parles, Suwon ?

Cette fois, il reste silencieux de son plein gré. J'essaie de comprendre depuis quand il y a ce fossé entre nous.

— Suwon ! hurlai-je pour le secouer. Pourquoi...

Ma gorge se serre comme si j'allais vomir.

— Pourquoi est-ce que tu as toujours voulu que je rompe mon contrat ? Pourquoi n'arrivais-tu pas à être heureux pour moi lorsque je l'étais ?

— Arrête de dire ça, Hana ! Tu sais bien que j'ai toujours souhaité ton bonheur !

— Bien sûr que je le sais, dis-je. Mais tu es bien conscient d'avoir un comportement malsain envers moi !

— Quoi ? Mais qu'est-ce tu...

— Laisse tomber, dis-je en détournant le regard. Je n'ai pas la force de régler ça avec toi aujourd'hui.

J'ouvre la portière, mais Suwon se penche vers moi en la refermant brutalement.

— S'il te plaît, attends ! Je suis désolé, je ne peux rien te dire...

— Quoi ? Mais... Tu me demandes d'attendre pour me dire ça ? Tu vois que tu agis bizarrement avec...

Moi. 

Mais je n'ai pas le temps de finir ma phrase que les lèvres de Suwon capturent les miennes. Tout mon corps se contracte, mes yeux s'écarquillent en laissant un éclair d'incompréhension traverser mon visage. 

J'ai l'impression de devoir chercher mes mains pour le repousser. Quand je les soulève enfin, c'est comme si elles pesaient une tonne. Ses lèvres sur les miennes sont une intrusion sur tout mon corps, déclenchant une alarme dans mon cerveau. Une fois que l'alarme se dissipe, je retrouve mes forces et pousse brusquement Suwon. Je pose une main sur mes lèvres en le regardant, confuse.

— Désolé...

J'ouvre la portière et sors précipitamment de l'habitacle, mais, dans mon dos, j'entends Suwon m'imiter. Il hurle des choses que je n'entends pas, trop occupée à fuir la situation. Des larmes me montent aux yeux, et, quand je les retiens, ma gorge me brûle. Suwon me rattrape soudainement en s'emparant de mes épaules. Je pivote violemment sous sa poigne alors qu'il hurle :

— Attends ! Je suis désolé, je...

— Lâche-moi !

J'essaie de me débattre, mais il me secoue agressivement pour m'intimer de rester calme. Quelque chose se décroche en moi face à son geste. Peut-être est-ce mon cœur ?

— Arrête ! Suwon, tu me fais peur...

Puis, un éclair traverse l'espace entre nos deux corps. Un claquement sourd résonne, et Suwon s'effondre violemment au sol en se tenant la mâchoire. Je recule, stupéfaite, le cœur battant, tandis que je découvre Seojun à mes côtés, aussi soudain qu'inattendu.            

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