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𝐇𝐚𝐧𝐚 ³ ⁷⁷²

Je sens Seojun se tendre sous mes paumes – ou peut-être est-ce ma propre nervosité qui fait trembler mes mains. Je ne sais plus ce qui est réel dans ce moment tendu. Suwon claque la porte derrière lui et échange un long regard avec Seojun.

— Suwon, que fais-tu ici ? répétais-je plus sèchement en poussant doucement Seojun pour qu'il recule.

— Tu n'as pas répondu à mon message. Alors je me suis inquiété, et puisque j'ai ta localisation, je suis venu jusqu'ici.

Son excuse n'en est pas une, je sens la chaleur me monter aux joues.

— Tu... Tu t'es inquiété ? Ça fait des semaines que tu ne m'adresses pas la parole, et maintenant tu t'inquiètes ?

Je ne lui laisse pas le temps de répondre que je poursuis :

— Tu es venu ici pour quoi, hein ? Me demander de tout plaquer, d'envoyer mon avenir en l'air par peur que je me brûle les ailes ?

Je parle si fort que ma voix se brise sous l'effort, laissant une sensation de brûlure dans ma gorge.

— Mais qu'est-ce qu'il t'arrive ? réplique Suwon en me sondant.

Je sers les poings, sentant mes ongles s'enfoncer dans mes paumes. Étrangement, la douleur me procure du plaisir.

— Ce qu'il m'arrive, c'est que j'en ai ma claque de devoir toujours m'expliquer auprès de toi. Fiche-moi la paix ! Si ce que je deviens ne te plaît pas, trouve-toi une autre personne à qui tu pourras bourrer d'antidépresseurs !

Mes derniers mots m'ont écorché les poumons. Seojun pose une main sur mon épaule, je me défais rapidement en m'égosillant :

— Ne me touche pas !

Quelque chose me lacère le cœur lorsque je me rends compte de mon comportement.

Je fonds en larmes. Parce que je ne sais pas quoi penser. Parce que je ne sais pas ce que je dis, ni ce que je deviens, ni qui je veux devenir. Parce que je sens que je me noie. Parce que je sais au fond de moi que je suis encore malade. Je sens Suwon s'avancer doucement. Il tient son portable en main en me montrant une image.

— Ton médecin m'a appelé. Il faut qu'on parle.

— Quoi ? lance soudainement Seojun en brisant le silence.

Il s'empare du téléphone de Suwon, qui ne fait rien pour le récupérer. Peut-être parce qu'il sait que Seojun, en tant que célébrité, impose une autorité à laquelle il ne peut rivaliser, ou peut-être simplement parce que Seojun est censé être tenu informé de ma santé, tant psychologique que physique. 

Je déglutis pendant que nous laissons Seojun apprendre ce dont Suwon est venu me parler. Quand je relève le regard, je me rends compte qu'il avait déjà les yeux sur moi. J'ignore si ses iris expriment de la pitié, de la colère ou de la jalousie. Peut-être les trois. Peut-être juste de l'ennui et de la déception.

— Bordel, Hana...

Seojun rend le téléphone à Suwon, puis il quitte la pièce sans un regard en arrière. Silencieusement, je prends possession du portable pour lire ce qui les bouleverse autant.

Bonjour Dr Harrison,

Je me permets de vous écrire étant donné que vous êtes le psychologue de Mlle Choï Hana et que cette dernière ne répond ni à mes e-mails, ni à mes appels téléphoniques. Nous avons remarqué récemment qu'elle ne vient plus chercher ses antidépresseurs. Il est important de souligner qu'arrêter brusquement des antidépresseurs sans l'accord ou le suivi d'un médecin peut entraîner un syndrome de sevrage, une réaction courante lorsque le corps s'adapte à l'absence soudaine de la substance.

En raison de son emploi actuel et de sa faible résistance au stress, il est impératif de convenir d'un rendez-vous afin d'évaluer la situation et d'éviter des complications à long terme. Voici les conséquences potentielles du choix irréfléchi de Mlle Choï :

Le sevrage peut être confondu avec une rechute de la dépression ou de l'anxiété.

Il peut aggraver son état psychologique, augmentant les risques d'automutilation ou de comportements impulsifs.

Je vous remercie de bien vouloir organiser un rendez-vous pour discuter de cela avec votre patiente.

Cordialement, Docteur Jiho.

Je passe une main tremblante sur mon visage. Je ne sais pas quoi dire. J'ai si honte de mettre ma santé ainsi en péril que je n'arrive plus à bouger. Je ne me reconnais plus.

— Tu as besoin d'aide, Hana. Nous sommes là pour toi.

« Nous ». Alors explique-moi, pourquoi Seojun vient-il de quitter la pièce ? Pourquoi sens-je mon cœur se froisser comme une vulgaire feuille de brouillon ?


𝐒𝐞𝐨𝐣𝐮𝐧

J'ai les mains qui tremblent, ma respiration se coupe à chaque inspiration et devient laborieuse à chaque expiration. Quelque chose glisse le long de mon visage. Je passe une main sur mes yeux, mais ça revient encore.

C'est moi qui pleure.

Parce que je me suis laissé tomber amoureux. J'ai laissé une personne entrer dans mon cœur, alors que je savais. Je connais cette douleur de perdre un proche, celle où l'on se sent seul, abandonné, relégué aux ténèbres. 

Depuis le suicide de mon frère, l'abandon de mes parents, je m'étais fait le serment de ne jamais, plus jamais, laisser de nouvelles personnes entrer dans mon cœur. Je m'étais promis de détester Hana, parce que je savais la douleur que je m'infligerais si je laissais mon cœur s'épancher. 

Puis j'ai commencé à la prendre pour muse, à devenir son ami, son confident, son partenaire de danse, ignorant que tout ce qui se jouait là était déjà empreint d'amour. Sans savoir que, depuis le début, Hana était déjà dans mon cœur. 

Ancrée comme une racine. Une mauvaise herbe. J'ai beau vouloir l'arracher, elle réside toujours. Parce que c'était là que se trouvait sa place. Ici, et nulle part ailleurs. Je le savais.

Et pourtant, je suis tombé, en emportant Hana dans ma chute.

Et maintenant, comment vais-je faire pour nous relever ?

— Seojun, m'interpelle brusquement Suwon.

Je ne prends même pas la peine de cacher mes larmes de pauvre type brisé par la vie. Suwon pose une main sur mon épaule, et ça me blesse d'être étonné. J'avais oublié qu'il était mon ami avant tout.

— Pardon, pour toutes les fois où j'ai insisté pour qu'Hana abandonne. Je suis désolé d'avoir agi comme un salaud jaloux quand j'ai réalisé que vous étiez bien plus proches qu'il n'y paraissait. J'ai merdé, j'avoue. Mais tu sais bien qu'Hana n'est pas une simple patiente à mes yeux. J'ai laissé sa présence remplacer celle de ma sœur. Leslie me manque tellement, putain.

Sa voix déraille. Je ferme les paupières, chassant cette pointe qui me perfore le cœur, et je me lève pour prendre Suwon dans mes bras. Je lui donne une tape dans le dos, parce que tout ça ne nous ressemble pas. Suwon a perdu sa petite sœur, moi, j'ai perdu mon grand frère. 

Suwon a surprotégé Hana en pensant bien faire, moi, je me suis perdu en cours de route parce que je croyais me protéger.

— Tu devrais le faire. Peut-être pas ce soir, mais tu devrais arrêter tout ça, dit-il sincèrement en reculant d'un pas.

Son aveu me bouleverse, me surprend, puis me perturbe. J'aimerais que la musique au rez-de-chaussée soit plus forte pour couvrir ses paroles. Mais, au fond, je le savais.

— Je te connais, mec, ajoute-t-il en voyant mon expression. Je sais que tu peux prendre soin d'elle, mais...

— Ouais, dis-je d'une voix grave.

Il me lance un coup d'œil pour savoir si j'acquiesce ou non.

— T'inquiète, je vais le faire.

Je ravale le nœud qui m'est monté dans la gorge.

— OK. Super, dit-il, embarrassé. Ça va la blesser, mais c'est pour le mieux.

Je sers les poings tellement fort pour ne pas lui en coller une. La mort de sa sœur l'a tellement brisé qu'il veut couver Hana comme si elle était Leslie.

— Tu avais l'air... surpris en lisant le mail du docteur. Tu étais au courant de ses antécédents, pas vrai ?

J'ignore combien de fois il faut tourner sa langue avant de parler, mais je le fais assez pour avoir l'impression qu'elle s'engourdit. Quand je prends la parole, mes oreilles sifflent, et je ne m'entends pas dire :

— Elle m'a dit qu'elle se faisait gravement harceler, ouais. Et puis, je l'ai souvent surprise en pleine crise d'angoisse.

Je me souviens encore du soir où Hana a bu de l'alcool alors qu'elle était sous antidépresseurs. Le comportement qu'elle adopte dernièrement aurait dû me faire comprendre qu'elle n'était pas elle-même.

Qu'elle n'était pas bien.

Prendre conscience que j'ai été aveugle me tord encore plus le cœur. Mes lèvres tremblent, mais Suwon coupe la vague de pensées qui submerge mon esprit.

— Et pour son cancer ? Tu le savais, n'est-ce pas ?

Je relève le visage si vite vers Suwon que ma tête me tourne. Il sourit, mais ce n'est pas un sourire joyeux. Non, celui-ci est anxieux. Nerveux.

— Son... quoi ?

Lorsque je me lève, je dois ancrer mes pieds au sol pour maintenir mes jambes en équilibre.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

Les traits de mon ami se crispent.

— Seojun, je...

— Non, non, tranché-je en me saisissant du col de sa chemise en soie, toujours aussi bien repassée, sentant que Suwon recule en arrière. Dis-moi, putain, j'en peux plus de supporter ce poids !

Il ferme les yeux, comme si j'allais lui envoyer mon poing dans le visage. C'est certainement ce que j'ai envie de faire, parce que là, tout de suite, Suwon me donne envie de gerber. Soudainement, sa chemise me paraît trop blanche pour un type comme lui.

— Parle, enfoiré !

— Je... Je pensais que tu le savais, ok ?

— Mais de quoi ? De quoi est-ce que tu parles ?

— Du cancer d'Hana, merde !

— Mais comment j'aurais pu le deviner ? La connaissant, tu pensais qu'elle m'en aurait parlé ?

Te connaissant, je pensais que tu l'aurais deviné !

Nous haussons le ton, et cette fois ce n'est pas à cause de la musique.

— « Deviné » ? Merde, mais Suwon, tu penses que j'ai l'œil d'un psychologue, comme toi ?

Je relâche son col en le repoussant brusquement. Aveuglé par la colère, Suwon se redresse en vociférant :

— Ouais, tu aurais dû le deviner ! Putain, mais ça sautait aux yeux : ses crises d'angoisse, ses anti-dépresseurs, son régime strict, le fait qu'elle doive manger régulièrement et sainement... Tu vas me faire croire que tu n'as jamais remarqué ses absences ? Ses mains et jambes qui tremblent comme si elle allait s'écrouler ? Le fait même qu'elle ne prenne pas de putain de pizza à cette soirée de gamins ?!

Ses mots sont comme une claque sur le visage. Non... Ses mots sont comme un poignard dans le cœur. Les entrailles. Les poumons. Je ne respire plus, je ne bouge plus ni ne parle.

— J'étais tellement...

— Aveuglé, termine Suwon à ma place.

Aveuglé, trop occupé à nourrir ma haine pour elle, à puiser dans son éclat pour briller et à la réduire à un simple outil.

Aveuglé par l'amour que je n'ai pas correctement su lui porter.

Par-dessus ces remords, je m'entends demander, en espérant pouvoir alléger le poids qui me pèse subitement :

— Quel genre de cancer ?

L'égoïste en moi prie intérieurement pour qu'il s'agisse d'une leucémie, une tumeur bénigne ou toutes ces merdes qui – grâce à la médecine d'aujourd'hui – se soignent correctement.

— Un cancer du pancréas. Les médecins disent qu'elle fait partie des faibles pourcentages qui surmontent un tel cancer.

— Qu'est-ce que t'entends par là ?

Pitié, arrête de poser des questions. Tais-toi !

— Qu'Hana a bien failli y rester.

J'expire.

J'expire.

J'expire ?

Pourquoi ce mot résonne-t-il soudainement avec autant de sens dans mon esprit ?

— Où est-ce que tu vas ? entends-je derrière mon dos.

Je ne prends pas la peine de lui répondre.

À quoi bon ? J'ai eu ma réponse.

Je dévale les marches comme si elles allaient s'écrouler sous mon poids. J'entends Lin me demander si je veux jouer une partie de je ne sais quoi, puis Lee rétorque que ma mission de la soirée est terminée. 

Je n'ai ni l'envie, ni le pouvoir d'expliquer à Jiny ce qu'il vient de se passer à l'étage. Je quitte la maison sans prendre la peine de fermer derrière moi.

Lorsque je démarre la voiture, je m'efforce de me calmer parce que le feu en moi, autrefois source de vie, est désormais en train de me consumer.

Je démarre, acceptant une seconde déchirure. Une énième défaite.


Hana a failli mourir ?

Hana a failli mourir.

J'ai failli à mes promesses.

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