6,

𝐒𝐞𝐨𝐣𝐮𝐧


Un bruit sourd attire mon attention, puis mon cœur rate un battement quand je vois Hana inerte sur le sol. Elle est pâle, très pâle. Jiny la secoue, effrayé, et James sort en trombe de la pièce, certainement pour aller chercher de l'aide.

— Éloignez-vous ! m'époumoné-je lorsque tout le monde s'affale à ses côtés.

Jiny est la première à s'éloigner. Les autres se mettent en retrait, paniqués. Je prends la main d'Hana dans la mienne et essaie de voir si elle est consciente ou non. Au loin, Jiny fouille dans son sac et en sort une barre chocolatée. Je repense soudainement aux paroles de Suwon concernant ses repas.

— Est-ce qu'elle a mangé ce midi ?

Lin hoche la tête, mais l'hésitation sur le visage de Jiny me met le doute. James revient, suivi par l'infirmière. Je me décale pour lui laisser de la place. Quand elle prend le pouls d'Hana, je blêmis.

— Vous abusez peut-être, non ?

Si Jun-oh ne l'avait pas dit, je l'aurais fait. Mais sa question n'a pas de réponse. L'infirmière se tourne vers moi et dit :

— Seojun, amène-la à l'infirmerie, je n'arriverai pas à la porter.

Je ne me fais pas prier. Je passe une main sous ses jambes et ses épaules, mais ne suis pas surpris par sa légèreté. Je cale sa tête contre ma poitrine pour éviter qu'elle ne se fasse mal une seconde fois. J'ignore pourquoi elle s'est évanouie, mais j'avoue en être responsable. Jun-oh avait raison, j'aurais pu empêcher qu'elle tombe. Ce n'est pas la première fois que je suis en binôme avec Hana, je connais dorénavant sa souplesse, son poids et sa façon de bouger.

L'infirmerie se trouve au deuxième étage, à l'opposé des open spaces. Je l'installe sur le lit et laisse Dr Jung s'occuper d'elle.

— Non, reste là, Seojun, s'empresse-t-elle de dire en me voyant quitter la pièce.

— Pourquoi ?

Elle ne dit rien, mais je ne pars pas pour autant. Dr Jung est ici depuis que Yoo-Joon est mon manager. Elle fait des allers-retours entre le lit où se trouve Hana et l'étagère à pharmacie. Je ne lui demande ni ce qu'elle fait, ni pourquoi Hana est tombée dans les pommes. J'aurais dû prendre les inquiétudes de Suwon au sérieux, la semaine dernière. Hana souffre peut-être d'un trouble alimentaire ? Mais elle ne semble ni trop maigre, ni trop grosse. Hana est plutôt grande, élancée et très souple. Si elle a un trouble alimentaire, c'est qu'elle sait bien le cacher. Dr Jung semble avoir terminé, je n'ai même pas remarqué qu'il était déjà plus de 17 heures.

— N'hésite pas à m'appeler s'il y a un souci, mais normalement tout va bien.

— Vous savez pourquoi elle s'est évanouie ?

Je n'ai pas eu le temps de réfléchir avant que ma question ne sorte. Mais si je ne demande pas, j'aurai encore plus honte.

— Je l'ignore. Ça doit juste être l'effort de la journée.

Elle me dit de rester avec elle jusqu'à ce qu'elle se réveille, puis de la raccompagner à la maison. Le fait qu'elle me confie cette mission ne me laisse pas indifférent. 

Je n'avais pas prévu de côtoyer autant Hana, surtout que je suis censé la détester. L'infirmière me souhaite une bonne soirée et semble tout aussi exténuée que si elle avait dansé avec nous. Dr Jung s'occupe des visites médicales des mannequins, des danseurs et d'autres chanteurs avec qui elle a un contrat.

La pièce est plongée dans l'obscurité ; seule une petite lampe éclaire délicatement les traits détendus d'Hana. Ses cheveux forment un halo autour d'elle, mais une petite mèche traverse son visage. 

Je m'assieds au bord du lit, me penche vers elle et passe un doigt sur sa pommette. Sa mèche glisse sur le côté, et je savoure cet instant de douceur et de calme.

La première chose qui m'a frappé avec Hana – autant au Metropolitan Opera que sur scène – c'est sa douceur. Elle parle avec bonté, danse avec grâce, marche avec délicatesse et agit avec tendresse. Mais sa douceur n'est pas une paix sans fin. Et c'est justement cela qui m'a marqué. 

La douceur d'Hana est brutale. Le genre de douceur que tout le monde remarque, qui émane autour d'elle comme la chaleur d'un soleil.

Je me redresse quand je la sens bouger à mes côtés. Je sais que je devrais appeler Suwon pour qu'il reprenne le relais, mais je n'ai aucune envie de la quitter. 

Si Hana est dans cet état-là, c'est par ma faute. 

D'après l'infirmière, elle s'est évanouie de fatigue. Pour moi, il y a bien plus que cela. Petit à petit, sa respiration se fait de plus en plus forte et, à voir la façon dont elle serre les paupières, je comprends qu'elle fait un cauchemar.

— Hana, réveille-toi, lui murmuré-je en secouant délicatement son épaule.

Une larme ruisselle sur sa joue, puis elle ouvre les yeux. Son expression me fend le cœur, mais je ne suis pas au bout de mes surprises lorsqu'elle murmure :

— Je ne veux pas me suicider.

Je pourrais penser qu'elle délire, mais elle est bien consciente et sait ce qu'elle dit. Son regard s'ancre au mien, luisant d'une lueur de détresse.

— Personne ne veut que tu te suicides, dis-je en effaçant une larme de son visage. Moi le dernier.

Elle grimace, et j'ignore si c'est à cause de mon geste, de ma parole ou de la douleur qu'elle ressent actuellement.

— Comment tu te sens ? demandai-je pour briser la gêne.

— J'aimerais être seule.

Comme une alerte, les paroles de Suwon résonnent dans mon esprit : « Tu n'aurais pas dû la laisser seule. » Mais je décide de réagir autrement pour ne pas la brusquer.

— Je vais te raccompagner chez toi.

— D'accord.

Elle se lève, chancelante, et attrape ses affaires au pied du lit. Je pensais qu'elle allait refuser, mais son envie d'être seule semble primordiale pour elle. Personnellement, être seul est la chose la plus atroce que je puisse endurer. Ressentir la solitude se loger en moi est une douleur.

En silence, nous marchons jusqu'au parking où j'ai garé ma voiture. Hana tient fermement son sac sur une épaule et regarde chaque pas qu'elle fait, comme si elle les comptait. 

Je ne peux pas voir son visage parce que ses cheveux m'en empêchent, mais je sens sa honte. Elle vient tout de même de se montrer vulnérable à un mec qu'elle a traité de salopard (insulte bien méritée, d'ailleurs, mais j'avoue que ça a piqué mon ego). 

Je déverrouille ma voiture, et lorsque Hana monte à l'avant, je frissonne.

Son odeur embaume tout l'habitacle. Après avoir vérifié qu'elle a bien attaché sa ceinture, je boucle la mienne et démarre. Au bout d'un moment, Hana se rend compte de quelque chose.

— Mais, je n'habite pas par ici ?

Je souris, et cela semble la tendre. Je m'empresse alors de dire :

— Bah, tu ne m'as pas donné ton adresse...

Elle se triture les doigts, mal à l'aise.

— Je t'emmène d'abord manger. À moins que tu ne veuilles t'évanouir une seconde fois ?

Je jette un œil dans sa direction, mais elle détourne le regard vers sa fenêtre en répondant d'une voix tremblante.

— Est-ce qu'on peut aller dans un endroit peu fréquenté, alors ?

— Pourquoi, tu as peur de mes paparazzis ?

Hana se tend davantage, mais sa confidence me surprend :

— Je ne suis pas à l'aise quand il y a du monde autour de moi.

Un ange passe, puis elle reprend d'une voix plus ferme :

— Et je t'ai dit que j'avais envie d'être seule.

La voilà, sa douceur brutale ! Je souris, fier de l'avoir si bien cernée. Hana ne semble pas comprendre pourquoi, mais mon air vainqueur l'irrite.

— Pourquoi est-ce que tu souris comme un idiot ?

— Tu me reproches de sourire ?

— Je te vois rarement sourire, c'est tout, dit-elle.

— Moi aussi.

Surprise, Hana se tourne vers moi.

— Je suis très joyeuse, pourtant.

Mon cœur se serre. Elle non plus n'a pas l'air convaincue. Je ne dis plus rien, ne sachant pas quoi répondre. Gênée, Hana se tait aussi et contemple la ville silencieusement. 

Afin de ne pas la mettre plus mal à l'aise, je choisis de m'arrêter à un food truck. Je saisis mon porte-monnaie et intime Hana de m'attendre ici.

Je reviens rapidement dans l'habitacle avec deux sachets de calamars frits, des hot-dogs avec des morceaux de pommes de terre (mes préférés) et des croquettes de poisson blanc. J'entends le ventre d'Hana se réjouir.

— Et je ne veux aucun reste, dis-je en lui tendant une serviette.

Nous sommes encombrés par toute cette nourriture, mais je m'en fiche de devoir manger dans une voiture. C'est mieux que je ne le pensais.

— Recule ton siège, conseillai-je, tu auras plus de place.

Elle s'exécute et prend le hot-dog que je lui tends.

— Oh, ce sont mes préférés !

Je ne lui dis pas que moi aussi, mais je lui souris en retour. Petit à petit, elle semble se détendre et reprendre des forces. Elle sélectionne même une station de radio américaine sur l'autoradio et fredonne la musique. 

En la voyant ainsi, une jambe repliée sur le siège, de la mayonnaise sur les doigts, les lèvres grasses et ses épaules bougeant en rythme avec la musique, je comprends qu'elle n'a absolument pas de mauvaise relation avec la nourriture. Cela semble même la combler. 

Mon cœur s'enveloppe d'une chaleur nouvelle quand elle dit :

— Je suis désolée de t'avoir insulté, la dernière fois.

Je déglutis. Hana n'a absolument pas besoin de s'excuser, puisque je partage son avis concernant cette insulte.

— C'est moi qui suis désolé, Hana. Mais je suis vraiment un salopard, tu sais.

Si seulement elle savait.

— Alors tu es l'un de mes préférés, déclare-t-elle en ancrant son regard dans le mien.

Je me permets de la contempler, de plonger en elle, en sachant pertinemment que je fais une erreur. 

Ses yeux ont des éclats de vert et de brun, peut-être même de gris. J'aimerais m'y réfugier pour ne plus jamais voir du noir. Il fait beau dans ses yeux. 

Peut-être est-ce son espoir qui m'enlace, mais j'ai soudainement envie de croire en quelque chose de bon.

De croire en nous.

Mais la douleur de perdre un être cher me percute de plein fouet. C'est égoïste, mais je ne veux plus perdre qui que ce soit. Et Hana semble aussi fragile qu'une fleur. Je me recule et fixe mon regard sur le pare-brise. 

Je sais que ce que je m'apprête à lui dire va gâcher sa bonne humeur et c'est pour cela que je suis incapable de la regarder dans les yeux. Mais je dois savoir. Je dois savoir si je risque de la perdre.

— Et si tu m'expliquais ce qu'il s'est passé aujourd'hui ?

Comme je le pensais, Hana se tend.

— Je n'ai pas très envie d'en parler, avoue-t-elle d'un air désolé.

Je me tourne vers elle et lui confie :

— Mais en parler te fera du bien. Tu peux avoir confiance en moi, je ne serai qu'une oreille.

Suis-je vraiment en train de la manipuler ? Une part de moi espère qu'elle ne dira rien. Mais Hana déglutit et commence à se confier.

— La vue du sang me met mal à l'aise... Mais si je me suis évanouie, c'était aussi à cause de la fatigue. Je dors mal, en général.

Moi aussi, pensais-je à nouveau. Je ne mens pas en disant que je ne serai qu'une oreille. Et une oreille ne parle pas, elle écoute. C'est ce que Hana semble avoir besoin, car elle poursuit en regardant le ciel :

— On a commencé à me harceler en primaire.

Merde.

— Au début, ce n'étaient que quelques remarques sur mon physique ou ma façon d'être. Puis des insultes. Des coups dans les toilettes jusqu'en classe.

— Tes professeurs n'ont rien remarqué ? dis-je brusquement.

Hana secoue la tête.

— Pour ça, j'avoue qu'ils étaient intelligents. Ils agissaient pendant les interclasses, les récréations, ou une fois en dehors de l'école, à la sortie. Jamais ils ne se sont fait prendre.

Elle déglutit et s'arrache nerveusement les cuticules.

— Au fond de moi, je pense que mes professeurs le savaient. Peut-être même étaient-ils d'accord avec mes bourreaux.

Elle inspire, pendant ce temps, je me mords la langue pour ne pas la couper dans son élan.

— Ils ont commencé à me parler du suicide au collège. C'est à partir de là qu'ils me frappaient jusqu'au sang.

Ses mains tremblent sur ses genoux. Je me penche pour les prendre dans les miennes. Ma dernière question est celle qui déterminera mon choix :

— Tu as déjà essayé de... ?

Si on pouvait entendre un cœur se déchirer, il suffirait d'écouter le mien. Je ne parviens pas à finir ma phrase, coupé par les sanglots d'Hana.

Ses larmes répondent à ma question.

Mon choix est fait.

J'ai déjà perdu mon frère à cause du suicide, je ne peux pas me permettre de tomber amoureux d'Hana alors qu'elle est aussi instable qu'un bateau en pleine mer déchaînée.

C'est égoïste, mais je l'ai prévenue que j'étais un salopard.

— Je te ramène chez toi, dis-je en serrant les dents.

Je démarre, et nous restons plongés dans un silence pesant. Hana est dans tous ses états, mais je sais qu'elle appellera Suwon une fois chez elle. Elle le fait toujours. Et Suwon abandonne toujours ce qu'il fait pour aller la rejoindre.

Elle tape son adresse sur mon GPS, puis je la dépose en bas de son immeuble.

Tendu, les deux mains sur le volant, j'attends qu'Hana descende de ma voiture. Je ne la regarde pas.

Et quand elle claque la portière, je devine que je viens de briser sa confiance.

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